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Burkina Faso : le bois de rose menacé par l’activité humaine et le changement climatique

Drapeau Burkina Fasso

Drapeau Burkina Fasso

  • Le Burkina Faso est un pays qui a une superficie de 274 200 km2 et compte un peu plus de 20 millions d’habitants, dont la majorité vit dans des zones rurales. Le pays possède un régime climatique tropical où alternent deux saisons : la saison sèche et la saison pluvieuse, avec trois zones climatiques : sahélienne (au nord), soudano-sahélienne (au centre) et soudanaise au sud.
  • D’après le rapport final du Second inventaire forestier national du Burkina Faso (2018), les régions situées à l’Ouest et à l’Est du pays sont les plus boisées.
  • Le Pterocarpus erinaceus, plus communément appelé bois de rose ou palissandre du Sénégal, se trouve surtout dans la zone soudanaise, mais quelques individus sont aussi au Sahel.
  • Le Pterocarpus erinaceus, déjà menacé par les activités humaines, résistera-t-il aux assauts du changement climatique ? Des chercheurs ont modélisé sa distribution et sa répartition d’ici à une quarantaine d’années.

Une étude réalisée au Burkina Faso par Kangbéni Dimobe, professeur adjoint à l’Institut des sciences de l’environnement et du développement rural de l’Université de Dédougou, au Burkina Faso, et auteur principal de la publication, suggère que si rien n’est mis en place pour protéger l’espèce de Pterocarpus erinaceus, son habitat pourrait se réduire jusqu’à 61% en 2070.

Au Burkina Faso, le bois de rose est très prisé par la population pour des usages quotidiens. Espèce protégée par le code forestier, elle est pourtant l’objet de trafic, comme le relate un article de la Cellule Norbert Zongo (Cenozo) pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest. Ces utilisations, parfois abusives et illégales, constituent une grave menace pour sa survie.

Des troncs rosés destinés au bois d’œuvre ou à alimenter les flammes qui lèchent de gigantesques marmites, ou encore, à la confection d’objets d’art ou d’outils à usage familial… Des feuilles d’un vert éclatant utilisées pour le fourrage du bétail ou pour le traitement de maladies… sont visibles dans certains endroits du Burkina Faso alors que la protection est supposée être de mise.

Mais les humains ne sont pas ses seuls nuisibles, d’après une étude publiée dans le Journal of Nature Conservation parue en novembre 2022.Intitulée Climate change aggravates anthropogenic threats of the endangered savanna tree Pterocarpus erinaceus (Fabaceae) in Burkina Faso, elle est cosignée par 10 scientifiques burkinabè et allemands.

« Le climat va avoir une influence sur les habitats de l’espèce en les faisant disparaître ou en les réduisant. Cela va l’affecter, en plus de ce qu’elle subit avec les facteurs anthropiques », résume Kangbéni Dimobe, l’un d’eux.

Les chercheurs ont modélisé la répartition et la distribution de l’espèce à l’heure actuelle et dans le futur pour comprendre les impacts du changement climatique sur elle.

Pour Kangbéni Dimobe, le manque de connaissance et la mauvaise compréhension des conditions nécessaires à sa survie, en plus de facteurs socio-économiques, mènent la population à l’utiliser sans penser à l’avenir. Au cours de ces dernières années, les activités humaines ont considérablement réduit la population de ces arbres, ajoute Dimobe.

Selon le GIEC, les modèles climatiques sont des programmes informatiques élaborés. Ils permettent de modéliser la compréhension actuelle du système climatique, mais aussi une simulation des interactions complexes entre l’atmosphère, l’océan, la surface terrestre, la neige et la glace, l’écosystème mondial et divers processus chimiques et biologiques.

Les scientifiques ont déterminé les facteurs les plus influents sur la distribution de l’arbre comme l’isothermie, la température minimum des mois les plus froids, le pH de l’eau ou encore les précipitations.

Dans cette étude, les chercheurs ont aussi pris en compte les zones protégées où se trouve l’espèce. L’objectif était d’ « évaluer dans quelles mesures elles contribuent à sa conservation ».

« La démarche méthodologique est assez adaptée et appropriée avec des variables environnementales et des outils de modélisations à jour pour ce genre d’études prospectives », remarque Kossi Adjonou, enseignant chercheur à l’université de Lomé, au Togo. Adjonou a analysé l’évolution des niches de Pterocarpus erinaceus en Afrique de l’Ouest dans un article intitulé Vulnerability of African Rosewood (Pterocarpus erinaceus, Fabaceae) natural stands to climate change and implications for silviculture in West Africa, publié en 2020 dans Heliyon.  Les conclusions de son étude sont similaires à celles de l’étude de 2022 suscitée.

La régression de la niche

Dans leur publication, les chercheurs burkinabais et allemands affirment que les potentiels lieux propices à cet arbre couvrent près de la moitié du territoire burkinabè à l’heure actuelle.

Il s’agit surtout des zones soudanaises et soudano-sahéliennes. Cependant, après application des différents scenarii, la niche de cette espèce se réduit vers le sud-est du pays des Hommes intègres (le Burkina Faso). Le nombre d’individus baisse. Cette perte pourrait aller jusqu’à 61 % de l’habitat naturel, selon le scénario le plus pessimiste, en 2070.

« Les résultats sont pertinents », note Adjonou qui ajoute que ceux-ci « indiquent également une régression de la niche actuelle de l’espèce ».

Cependant, selon lui, « les auteurs n’ont pas orienté l’étude vers les niches potentielles de l’espèce pour les horizons temporels 2050 et 2070. Il serait bien d’avoir ces résultats également pour voir quelles peuvent être les nouvelles zones qui pourraient être favorables à son expansion. »

Dans cette étude menée par 10 autres auteurs, les scientifiques ont utilisé les scénarii optimiste, plus ou moins optimiste et pessimiste (2.6, 4.5 et 8.5).

Dans le scénario 2.6 (optimiste), les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont très réduites avec un point culminant avant 2050. Dans le scénario pessimiste 4.5, les émissions sont stabilisées avant la fin du XXIème siècle à un niveau faible. Dans le scénario le plus pessimiste 8.5, les émissions continuent d’augmenter au même rythme qu’aujourd’hui car rien n’est fait pour les réduire.

Pour ces deux derniers, les résultats sont similaires à ceux obtenus par les scientifiques au Burkina Faso. Ils montrent une perte des niches au Sahel et à l’ouest. Ils notent aussi que l’expansion dans la savane pourrait permettre au P. erinaceus d’occuper de nouvelles niches qui seraient plus favorables climatiquement. Cependant, les scientifiques rappellent que les espèces ne sont pas toujours en mesure de s’étendre dans des zones favorables. La végétation peut en être empêchée en raison, par exemple, des activités humaines qui peuvent mener à la réduction voire la disparition des individus.

Quoi faire ?

Au travers de ces résultats, Kangbéni Dimobe espère qu’il y aura une meilleure connaissance de cet arbre et de la manière de le protéger.

« C’est la première fois que nous avons une étude sur sa disponibilité et sa disposition au Burkina Faso, c’est bien pour les décideurs », s’enorgueillit-il. « Maintenant, les autorités savent où aller pour protéger cette espèce. »

Selon les chercheurs, l’étude démontre qu’au-delà de la mise en danger de ce type d’arbre par les humains eux-mêmes, le changement climatique joue un rôle primordial.

« Si les températures sont en hausse mais qu’il y a assez d’eau, la croissance ne sera pas affectée. Mais autrement, la croissance sera affectée et notamment la morphologie avec une taille réduite, rabougrie, les feuilles et les fruits qui vont être plus petits car il va y avoir un manque de ressources dans le sol… », détaille le scientifique.

Le Docteur Dimobe s’est rendu dans les localités du Burkina Faso pour expliquer les résultats à la population. Compte-rendu, discussions et affiches en langues locales ont été réalisés pour appuyer les messages de conservation des chercheurs.

« Les gens étaient très contents et très touchés », se réjouit le scientifique, qui arbore un large sourire. « Il faut qu’ils deviennent les gardiens de ces espèces ! », ajoute-t-il.

Pour le professeur Jean-Marie Dipama, climatologue et géographe, cette contribution à la littérature scientifique est très importante. Cette espèce joue son rôle pour atténuer les risques liés au changement climatique.

« Par exemple, son système racinaire va avoir des conséquences sur la perméabilité du sol », explique-t-il. « Ces espèces végétales retiennent une quantité minimum de CO2, ce qui est un facteur de mitigation du changement climatique. Si elles disparaissent, c’est tout un cycle infernal qui se met en place. »

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