Nouvelles de l'environnement

Sierra Leone et aide climatique : confrontation avec la réalité dans les villages de pêcheurs

  • En avril 2022, Ashoka Mukpo, rédacteur et journaliste pour Mongabay, s’est rendu en Sierra Leone dans l’estuaire du fleuve Sherbro qui abrite un vaste écosystème de mangroves et des petits villages de pêcheurs.
  • À l’instar d’autres zones côtières d’Afrique de l’Ouest, l’estuaire du Sherbro souffre déjà des effets du changement climatique, notamment des inondations et d’une hausse des températures.
  • Entre 2016 et 2021, dans le cadre d’un projet visant à accroître la résilience côtière face au changement climatique, l’USAID (l’Agence des États-Unis pour le développement international) a financé le reboisement de la mangrove et la construction de digues de fortune dans les villages.
  • Les enjeux rencontrés par le programme sont ici un aperçu des difficultés auxquelles se heurtent les actions climatiques lorsqu’elles se retrouvent sur le terrain, face aux besoins économiques et sociaux des communautés vivant dans les zones vulnérables.

BONTHE, Sierra Leone – Au moment où le soleil se lève sur Bonthe, petite ville côtière de l’île Sherbro, une île éloignée de la Sierra Leone, les réminiscences d’un passé colonial, pas si lointain, baignent dans la lueur de l’aurore, brillante et rosée. Un entrepôt de pierre en ruine, sa façade marquée par l’eau de mer et l’humidité, s’élève devant un vaste estuaire et une forêt de mangroves. Au-dessus de sa porte, une inscription quelque peu vieillie indique : « Patterson, Zochonis » – deux dirigeants européens qui ont fait fortune dans ce que l’on appelait autrefois « l’Afrique occidentale britannique ».

Non loin de là une église gris-blanc du nom d’Amistad surplombe une route tranquille. Elle tient son nom du navire négrier à bord duquel Sengbe Pieh, natif de l’île, a mené jadis la célèbre révolte d’esclaves. D’après la légende, sa tombe serait cachée quelque part dans la forêt.

Bonthe, et l’estuaire du Sherbro d’une manière générale, ont été un haut lieu de négoce de l’Empire britannique et ont contribué à développer l’économie mondiale par le biais de l’esclavage et, plus tard, des produits tropicaux, tels que l’huile de palme. Aujourd’hui Bonthe est une ville de pêcheurs tranquille peuplée d’environ 10 000 habitants. Se rendre à Bonthe n’est pas une mince affaire. Voyager depuis Freetown, la capitale sierra-léonaise, implique toute une série de trajets en bus publics, en motos sur des routes en terre, et en navettes fluviales en bois qui assurent la traversée de l’estuaire et transportent marchandises et voyageurs d’une petite bourgade de pêcheurs à l’autre tout le long du rivage.

La ville de Bonthe, en Sierra Leone. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Si les premiers rayons du soleil illuminent les bateaux de pêche aux couleurs vives qui flottent près de la jetée principale de Bonthe, ils font également ressortir une nouvelle structure beaucoup moins joviale, un gros mur en pierre et en béton qui borde la ville et serpente le littoral. Il s’agit d’une digue construite il y a quelques années pour lutter contre les inondations, devenues courantes dans la région pendant la saison des pluies. L’océan gagne en effet de plus en plus de terrain sur la ville de Bonthe, comme sur de nombreuses villes côtières d’Afrique de l’Ouesta.

Lors de la COP 27, la Conférence des Nations Unies sur le climat qui s’est tenue cette année en Égypte, la question de la responsabilité climatique (déterminer ce que les pays riches doivent aux pays comme la Sierra Leone) a été au centre des débats, et a mené à une tentative d’accord, bien que vague, sur la création d’un fonds « pertes et dommages » consacré à la compensation des dégâts climatiques subis par les pays vulnérables. Dans des zones comme Bonthe, le débat sur les pertes et les dommages n’est pas une abstraction. Les habitations sont en train de disparaître en mer et d’autres catastrophes pourraient rapidement faire surface. Les questions telles que : « Quel montant de compensation devra être alloué pour que les communautés puissent s’adapter à un environnement en pleine mutation ? » et « sous quelle forme cette aide devra être versée ? » restent toutefois très controversées. Très controversées certes, mais liées à des enjeux de la plus haute importance pour les populations qui subissent les inondations, les chaleurs extrêmes, et qui, comme ici à Bonthe, voient l’océan empiéter de plus en plus sur leurs terres.

Les dollars semblent toutefois dominer le débat international sur la finance climatique, mais l’histoire récente de Bonthe révèle que les fonds investis dans les programmes d’aide ne relatent qu’une partie de l’histoire. Entre 2015 et 2021, l’estuaire du fleuve Sherbro a été l’une des priorités du projet phare d’aide environnementale de l’USAID (l’Agence des États-Unis pour le développement international) mené en Afrique de l’Ouest. Dans le cadre de ce projet, l’USAID et ses parties contractantes ont financé la plantation d’arbres de mangroves (ou palétuviers), qui constituent une barrière naturelle contre les inondations, et ont aidé à la construction de digues de fortune dans certaines bourgades de pêcheurs de l’estuaire. Mais quelques années seulement après la clôture du projet, les efforts déployés par l’organisation souffrent déjà des pressions économiques locales, voire ont été en grande partie réduits à néant.

Alors que l’opinion mondiale se fait de plus en plus pressante pour que les pays tels que les États-Unis dépensent davantage pour aider la Sierra Leone et ses pairs à s’adapter aux effets du changement climatique, Bonthe a un message à adresser au monde entier : dans la mise en œuvre des actions climatiques le « comment » est tout aussi important que le « combien ».

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Des marées hautes menaçantes

Selon l’USAID l’estuaire du Sherbro abrite un peu plus de 200 000 personnes sur 283 kilomètres carrés (109 miles carré). Vu du ciel, l’estuaire est magnifique avec son océan de forêts de mangroves d’un vert éclatant abritant ici et là des petits villages le long des rives de ses chenaux. Ici, les habitants gagnent leur vie grâce à la pêche, aux huîtres, récoltées sur les racines des palétuviers, et à la vente du bois, utilisé pour faire cuire la nourriture et fumer le poisson.

Mais comme dans d’autres régions du pays, les conditions climatiques ont récemment commencé à changer sur l’île Sherbro. La saison sèche est plus chaude et les pluies arrivent plus tard, avec une intensité plus imprévisible et occasionnellement dévastatrice. Au pic de la saison des pluies, lors de l’élévation du niveau de l’estuaire et des tempêtes, l’océan vient inonder les villes et les villages, détruisant les habitations et emportant les effets personnels des habitants sur son passage.

« Dans les zones côtières il y a eu une augmentation du niveau de la mer », a déclaré Gabriel Kpaka, directeur général adjoint de l’Agence météorologique sierra-léonaise et l’un des négociateurs en chef du pays sur le changement climatique. « La plupart de ces zones n’ont pas de digue ni de mur de protection, donc quand il y a des marées hautes, l’eau les envahit. Les inondations sont courantes aujourd’hui. »

À Bonthe, lorsque les inondations ont commencé à détruire les habitations et les commerces il y a quelques années, les autorités locales ont levé des fonds pour construire la digue de béton qui longe maintenant la plage principale. Les résidents estiment que le mur de protection a amélioré la situation et qu’il leur a fait gagner quelques années. Toutefois, les plus petits villages côtiers ne disposent pas des mêmes ressources qu’une ville, en comparaison, riche. Ses habitants n’ont pas les moyens de construire des murs en béton robustes, et ces dernières années, certaines villes ont subi des dégâts sévères et à répétition durant les fréquentes inondations.

Une section de la digue de Bonthe nouvellement construite. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

« Dans [la ville de] Nyangai, avec le changement climatique, le niveau de l’eau a augmenté. Les maisons qui ont été construites le long de la plage ont toutes été emportées. Même les cocotiers qui avaient été plantés ont été emportés par la mer », a déclaré Daniel Bangali, responsable de programme auprès de Coastal Environmental Watch, une petite organisation de défense de l’environnement basée à Bonthe.

L’histoire de de Nyangai n’a rien d’extraordinaire pour les résidents de l’estuaire ; ce qui rend la situation encore plus alarmante. À Hanging Site, ainsi nommé car c’est à cet endroit que les navires britanniques avaient pour habitude de jeter l’ancre, Miatta Moyu pointe du doigt les abords de la ville où quelques petites habitations en béton sablé résistent tant bien que mal au clapotis des vagues.

« Là-bas, des maisons ont été complètement détruites », nous a-t-elle dit. « Ils ont essayé de construire une digue, mais ça n’a pas marché. L’eau arrive toujours à entrer. »

En 2018, l’USAID a publié une évaluation de la vulnérabilité au changement climatique pour les régions comme l’estuaire du Sherbro en Sierra Leone. Dans le cadre de l’étude, les chercheurs ont interrogé les personnes vivant à proximité des forêts de mangroves, notamment ici sur l’île Sherbro. Une grande majorité a déclaré que les incidents liés aux fortes températures, aux précipitations et aux tempêtes s’étaient aggravés ces dernières années.

Le Plan national d’adaptation au changement climatique 2021 indique que la Sierra Leone ne dispose toujours pas de station météorologique marine, qui pourrait être utilisée pour mesurer avec précision l’élévation du niveau de la mer au cours de la dernière décennie. Mais le plan précise que d’après la Banque mondiale, près de 30 km2 (11,5 mi2) du littoral de la Sierra Leone pourraient disparaître sous les eaux d’ici à 2050, une catastrophe qui pourrait coûter plus de 50 millions de dollars US à une nation déjà appauvrie. Et la Sierra Leone n’est pas le seul pays à être exposé à cette menace. Le long du littoral ouest-africain, ce sont des villes entières qui ont été englouties par l’océan.

« Quand j’ai rejoint l’Agence [météorologique] il y a 12 ans, on voyait des inondations tous les trois ans, mais depuis quelques temps, elles se répètent presque chaque année », a fait observer Gabriel Kpaka.

Une digue de fortune construite avec du bois de palétuviers de l’estuaire du fleuve Sherbro. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Très loin des centres d’activité économique de la Sierra Leone, l’estuaire du Sherbro manque de fonds, et dispose de peu de services sociaux ou offre peu d’opportunités d’emplois – hors emplois de subsistance. Il n’existe pas de réseau électrique et l’eau provient essentiellement des rivières, des ruisseaux ou, si la ville est chanceuse, d’un puits.

Si le changement climatique est un problème pour la population locale, la plupart des habitants ont des soucis beaucoup plus urgents. L’argent et l’éducation figurent aux premiers rangs de la liste des « inquiétudes et facteurs de stress » des personnes interrogées par l’USAID, dépassant de loin la menace des inondations et d’autres facteurs climatiques. D’une manière générale, les questions environnementales ont été à peine plus mentionnées que les préoccupations liées aux moustiques ou les problèmes conjugaux dans l’enquête.

Les pressions quotidiennes rencontrées par les habitants de Sherbro permettent d’expliquer pourquoi l’une des meilleures protections contre le changement climatique – les mangroves bordant leurs villes – est menacée. Le bois des palétuviers est une composante essentielle des moyens de subsistance de la communauté locale. Il est utilisé pour faire cuire la nourriture, conserver le poisson et construire les habitations. Toutefois, lorsque les arbres sont abattus trop près des villes, la couche arable est érodée, et cela peut exacerber les risques d’inondation.

Tout ceci, associé à la riche biodiversité des forêts de mangroves et à leur rôle dans l’atténuation du changement climatique – la mangrove séquestre cinq fois plus de carbone par acre que le reste des forêts tropicales – a, en partie, encouragé l’USAID à financer ce projet dans l’estuaire du Sherbro. Les enjeux rencontrés ici par l’agence d’aide au développement ne sont qu’un aperçu des difficultés auxquelles les actions climatiques doivent faire face sur le terrain.

La ville de Jayahun dans l’estuaire du Sherbro. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Si un arbre tombe dans la forêt…

La navigation sur des vedettes rapides à travers les forêts de mangroves de l’estuaire du Sherbro nous invite à un voyage sans fin, un océan de palétuviers aux racines noueuses et coudées remontant sur les berges qui s’étendent à perte de vue. Selon une étude menée en 2020, les forêts de mangroves sierra-léonaises couvriraient au total 1 575 km2 (608 mi2), et la moitié d’entre elles se trouveraient dans l’estuaire du Sherbro.

L’espèce qui prédomine dans l’estuaire est le Rhizophora racemosa, ou palétuvier rouge, qui offre refuge à une large variété d’espèces sauvages, notamment la tortue luth (Dermochelys coriacea), le lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis), le crocodile nain (Osteolaemus tetraspis), la mone de Campbell (Cercopithecus campbelli) et 107 espèces d’oiseaux. L’aigle-poisson africain (Haliaeetus vocifer) et autres rapaces rôdent dans le ciel et rayonnent d’une façon majestueuse au-dessus des dédales de canaux qui serpentent l’estuaire.

Mais comme la plupart des mangroves du pays, la mangrove de l’estuaire du Sherbro est en danger. D’après le plan d’adaptation au changement climatique de la Sierra Leone, près d’un quart des forêts de mangroves du pays ont disparu depuis 1990. Dans les zones de l’estuaire plus éloignées, la situation n’est certes pas aussi catastrophique – un peu moins de 10 % de la mangrove a été détruite depuis cette période – mais au vu de l’accroissement démographique, l’augmentation de la déforestation dans ces régions est pratiquement garantie.

La plupart de cette destruction est liée à l’assouvissement des besoins de première nécessité de la population locale. Les résidents de l’estuaire dépendent énormément de la mangrove et de ses ressources. Elle leur permet de se protéger du vent et du soleil, et offre un abri aux poissons et aux huîtres qui se développent dans ses eaux saumâtres avant de venir remplir leur assiette. Le bois des palétuviers est également utilisé pour construire les maisons et fumer le poisson. Les recettes tirées du fumage du poisson constituent une source de revenus essentielle pour les habitants. La mangrove est un élément crucial – et irremplaçable, tout au moins pour le moment – du gagne-pain de la population locale. Le long de la côte et aux abords des villages de l’estuaire, les conséquences de cette pression sont visibles dans les zones de clairières où s’entassent les branches mortes de palétuviers récemment abattus.

Une parcelle de mangrove récemment défrichée dans l’estuaire du Sherbro. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Le déboisement de la mangrove met en exergue l’impasse dans laquelle se trouve la population de Sherbro, et son coût environnemental. Si les racines enchevêtrées des palétuviers permettent aux populations de poissons et d’huîtres de grandir en relative sécurité, un déclin des espèces a été enregistré en raison de la déforestation et a été exacerbé par la surpêche illégale pratiquée par des chalutiers étrangers. Quand les villages sont établis trop près des forêts, la mangrove, barrière naturelle contre les effets du changement climatique, est mise en péril.

« Parce qu’ils coupent le bois de la mangrove qui borde leurs communautés, le niveau de la mer augmente, gagne du terrain sur leurs [villages] qui se retrouvent alors plus exposés à l’érosion marine », a déclaré Tom Menjor, ancien responsable de la surveillance et de l’évaluation du programme de l’USAID dans l’estuaire du Sherbro.

Les forêts de mangroves sierra-léonaises ont été la pièce maîtresse de l’un des principaux projets d’aide en faveur de l’environnement financés par l’USAID ces dernières années, le Programme pour la Biodiversité et le Changement Climatique en Afrique de l’Ouest (WA BiCC) une initiative dotée d’un budget de 48,9 millions de dollars US, en vigueur de 2015 à 2021. Le vaste programme WA BiCC a également permis de financer un projet de protection des forêts en Guinée et au Liberia, des efforts de lutte contre le trafic des espèces sauvages, et une initiative pour aider les populations ivoiriennes vivant dans les zones de mangroves à s’adapter aux effets du changement climatique.

Durant la période d’activité de WA BiCC dans l’estuaire du Sherbro, des ateliers de formation ont été tenus dans les villages pour sensibiliser les communautés aux conséquences de la déforestation des mangroves. Les autorités tribales ont reçu des subventions pour assister aux réunions au cours desquelles elles ont pu échanger sur les plans de conservation. Dans certaines villes, l’USAID a financé un programme pluriannuel pour replanter certaines des forêts de mangroves détruites et construire des digues de fortune à l’aide de sacs de sable et de coquilles d’huîtres.

Mais quelques années seulement après la clôture du projet, il ne reste plus grand-chose des six années de travail de l’USAID dans bon nombre de ces villes et villages. Selon Daniel Bangali, qui était dirigeant municipal à Bonthe pendant les activités de WA BiCC, très peu de palétuviers replantés ont survécu, et sans financement pour assurer leur maintenance, la plupart des digues ont été en grande partie détruites par le soleil et l’eau de mer.

« Quand WA BiCC était encore ici, on a constaté un léger changement », a reconnu Daniel Bangali. « Mais [après leur départ] ça a été un échec total dans certaines communautés. »

Lors d’une interview que l’ancien dirigeant municipal a accordée à Mongabay à Bonthe, il a expliqué que le projet avait été efficace dans la diffusion d’informations à la population sur le rôle des mangroves dans la lutte contre le changement climatique, mais il ne leur a pas proposé les moyens de passer à des sources d’énergies alternatives ni à des méthodes de conserve de poisson moins destructrices. Au terme du projet, la plupart des activités mises en place ont tout bonnement disparu.

« Si le projet avait continué, peut-être qu’il y aurait eu une réduction [du défrichement de la mangrove] », nous a confié Daniel Bangali. « Mais quand ils sont partis, il n’y a eu aucune autre organisation pour prendre la relève. »

Daniel Bangali de l’organisation Coastal Environmental Watch près d’une parcelle de mangrove défrichée. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Selon le rapport final de WA BiCC, dans le cadre des activités liées au climat, 25 communautés de l’estuaire du Sherbro ont été sélectionnées pour participer au programme de restauration de la mangrove. Cinquante-cinq mille semis de palétuviers ont été plantés dans l’estuaire.

Cependant, dans les communautés visitées par Mongabay, il a été noté que la plupart des palétuviers replantés étaient morts ou avaient été mangés par le bétail. À Bonthe, ils ont tout simplement été enterrés quand les autorités locales ont décidé d’utiliser les sites de plantation à d’autres fins (pour des projets de développement local). Daniel Bangali a déclaré que les habitants avaient participé au programme de plantation parce qu’ils avaient été rémunérés pour chaque journée de travail, mais que bon nombre de semis étaient morts peu de temps après.

« Alors quand il y avait du travail communautaire à faire, et que [l’USAID] les appelait, ils se mettaient à la tâche. Mais que s’est-il passé ensuite ? Les gens de l’USAID sont partis, alors [la communauté] a recommencé à couper la mangrove », a-t-il déclaré.

À Hanging Site, à une trentaine de minutes de Bonthe en bateau, Miatta Moyu regarde du coin de l’œil une zone marécageuse près de la ville et, du doigt, pointe une petite parcelle de jeunes palétuviers située à son centre. C’est tout ce qu’il reste maintenant du programme de plantation financé par l’USAID. Sur 1 000 jeunes plants de palétuviers, elle estime qu’environ 60 ont survécu. Le reste a été mangé par le bétail.

« Les gens n’ont pas arrêté [de couper le bois de la mangrove] », a-t-elle dit. « Parce que c’est comme ça qu’on vit ici, on vend le bois pour faire cuire le poisson, alors on ne peut pas arrêter. Ce n’est pas facile. »

Miatta Moyu, près d’une zone où des palétuviers ont été plantés grâce au programme de l’USAID à Hanging Site. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Une évaluation de performance à mi-parcours a permis à WA BiCC de prendre connaissance des failles du programme et de la nécessité de s’attaquer aux pressions économiques sous-jacentes qui poussent les communautés à abattre les arbres et qui sont « contre-productives et non durables ». Mongabay a appris par d’anciens membres du programme de l’USAID qu’ils avaient entendu à peu près la même chose des habitants des villes dans lesquelles ils avaient travaillé.

« C’est vraiment complexe, mais leur discours était : “Vous ne pouvez pas nous dire d’arrêter de couper le bois de la mangrove si vous ne nous proposez pas de solutions alternatives” », a indiqué Tom Menjor, un ancien responsable WA BiCC de suivi du projet qui travaille maintenant pour une société des eaux à Freetown.

Tom Menjor, qui s’est rendu dans l’estuaire à de multiples occasions, a déclaré que l’équipe du projet s’était souvent heurtée à des réalités complexes et imprévues sur le terrain. Il a cité, par exemple, les lamantins qui avaient été attirés par les barrières de protection naturelles formées par les palétuviers qui avaient été plantés à proximité des rizières et mangés par les animaux affamés. Autre enjeu rencontré, celui des communautés qui ne pouvaient pas se permettre d’assurer la maintenance des barrières côtières construites grâce au financement de l’USAID.

« Un an après, elles avaient déjà pourri et les sacs de sable avaient rendu l’âme », a déclaré Tom Menjor. « C’est pour cela que l’eau continue, encore aujourd’hui, à gagner du terrain. L’année où l’on a construit cette digue de fortune, les communautés étaient protégées [des inondations]. Mais lorsque la digue a été détruite, les gens ici n’ont pas réussi à la réparer. Ils disaient qu’ils avaient du sable et des piquets, mais pas d’argent pour acheter les sacs de sable. »

En outre, en raison de la rigidité bureaucratique et du calendrier trop serré, il a été difficile pour les membres du projet de s’adapter et de faire preuve de créativité. Lorsqu’ils ont essayé de réfléchir à des solutions alternatives à l’une des causes principales de la déforestation – l’utilisation du bois pour le fumage et la conservation du poisson – leurs suggestions ont été rejetées.

« Nous avons commencé à réfléchir aux moyens de fumer le poisson, et nous nous sommes dit qu’ils pourraient peut-être le faire à l’aide de l’énergie solaire ou quelque chose comme ça », a-t-il rapporté. « Alors nous avons proposé cette solution, mais un peu tard dans l’avancement du projet. Et elle n’a pas été approuvée parce que le projet touchait à sa fin. »

Tom Menjor a affirmé que les membres de la communauté étaient généralement reconnaissants envers le travail de l’USAID dans l’estuaire du Sherbro, mais que la période d’activité avait été trop courte pour prétendre à des changements durables.

« Quand nous nous sommes engagés et avons sensibilisé [les habitants], ils se sont rendu compte que ce qu’ils faisaient était mauvais pour l’environnement. Mais les choses se sont aggravées quand ils en ont vraiment pris conscience et que nous avons quitté les lieux », a-t-il déploré.

Mangrove dans l’estuaire du Sherbro. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Le programme WA BiCC a pris fin en 2021. Il a été remplacé par un nouveau projet environnemental plurinational de l’USAID, dont l’estuaire du Sherbro ne fait pas partie – et qui n’intègre pas non plus de mesures de lutte contre le changement climatique en zones côtières. Tom Menjor a confié à Mongabay que d’après ce qu’il avait entendu, le nouveau projet avait été planifié durant le mandat de Donald Trump, et il aurait été ordonné aux membres de l’USAID de supprimer tous les projets explicitement liés au changement climatique des programmes de l’agence.

« Nous avons sensibilisé [la communauté de Sherbro] aux différentes manières de lutter contre le changement climatique, mais tout cela demande de l’argent », a-t-il souligné.

L’USAID est loin d’être la seule organisation à lutter pour la reforestation des mangroves, une initiative notoirement délicate. La dernière étape du projet a coïncidé avec la pandémie de COVID-19, et malgré leurs échecs dans certaines villes, dans d’autres, l’agence et ses parties contractantes ont connu plus de succès. À Gbongboma, par exemple, un petit village près de Bonthe, situé dans les terres, Mongabay a noté une parcelle de jeunes pousses de palétuviers en pleine croissance, plantés grâce au financement du projet WA BiCC aux abords de la ville. L’initiative a également financé un vaste recueil de données et d’analyses sur les forêts de mangroves de la Sierra Leone, dont la plupart ont été utilisées comme sources pour la rédaction de cet article.

Mais selon Daniel Bangali, le problème fondamental du projet a été son éloignement du quotidien et des besoins des habitants de l’estuaire. Les décisions sur l’établissement des priorités et la manière d’atteindre les objectifs étaient prises très loin du terrain, et avec peu de collaboration ou de participation de la part de ceux qui peinent à s’adapter au changement climatique dans la région, et pour lesquels WA BiCC a essayé de modifier les habitudes.

« Quand vous arrivez quelque part, au lieu de tout planifier seul, vous devez vous asseoir avec la communauté et la faire participer à cette planification », a-t-il indiqué. « Si vous laissez les gens réaliser le projet, ils en comprendront toute l’importance. »

Dans un courriel adressé à Mongabay, l’USAID s’est abstenu de confirmer si son départ de l’estuaire du Sherbro et sa distance prise par rapport aux programmes d’adaptation au changement climatique en zones côtières étaient liés à l’administration Trump. En outre, l’agence a soutenu qu’aucun rapport de surveillance et d’évaluation n’avait été établi pour le programme WA BiCC pour indiquer combien des 55 000 semis de palétuviers avaient survécu.

L’agence a déclaré que la mangrove replantée à Sherbro ne constituait qu’un élément d’une enveloppe financière beaucoup plus conséquente qui incluait des mesures de soutien du gouvernement sierra-léonais en vue de la conception d’un plan d’adaptation au changement climatique et une initiative pour mettre en place des solutions d’épargne à petite échelle et des programmes de prêts dans l’estuaire.

« Nous continuons d’évaluer les retombées de ces programmes et des initiatives à venir », a ajouté un porte-parole de l’agence.

Un village de pêcheurs dans l’estuaire du Sherbro. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Au-delà des chiffres de la finance climatique

Après une année tendue de revendications pour que les pays riches tiennent leurs promesses de financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays du Sud, la COP 27 de novembre 2022 a failli s’achever sur un échec après des négociations âpres et acrimonieuses visant à évaluer ce que les pays riches doivent au reste du monde. Un accord a finalement été trouvé in extremis par les pays du G7 : ils devraient permettre l’établissement d’un financement permanent de « pertes et dommages », reconnaissant ainsi tacitement leur responsabilité dans le changement climatique et la dette qu’ils ont envers les pays vulnérables pour les catastrophes subies.

Mais peu de progrès ont été faits en matière d’initiatives visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius (2,7 degrés Fahrenheit). Et si 2022 a enfin été l’année de la création d’un fonds « pertes et dommages », demandé depuis longtemps, il reste à savoir qui va le financer et ce à quoi il ressemblera en pratique. Pour rappel et replacer le fonds dans le contexte, le coût des inondations de l’été dernier au Pakistan dues au dérèglement climatique a été estimé à plus de 30 milliards de dollars US. Toutefois, le plus grand engagement concret de la COP 27 n’a été que de 262 millions de dollars US en provenance de l’Union européenne (UE) – soit moins de 10 % du coût réel de cette seule catastrophe.en provenance de l’Union européenne (UE) – soit moins de 10 % du coût réel de cette seule catastrophe. Tandis que le réchauffement climatique mondial s’accélère dans des régions comme l’estuaire du Sherbro en Sierra Leone, des questions comme « combien les États-Unis et les autres pays riches sont-ils prêts à débourser pour aider les pays pauvres ? » sont devenues centrales. Mais le travail de l’USAID dans la région montre que les montants en dollars ne relatent qu’une partie de l’histoire. Les enjeux rencontrés par l’agence indiquent que « qui définit et contrôle » l’aide financière en faveur du climat et de la conservation de la nature est aussi important que « ce qu’elle coûte », si ce n’est pas plus.

« Il y a des gens ici qui sont conscients que le changement climatique est en train de se produire », a déclaré Gabriel Kpaka, qui a représenté les pays les moins développés au monde aux négociations internationales sur le climat. « Je me suis personnellement entretenu avec eux, mais ils pensent qu’ils n’ont pas d’autres moyens d’assurer leur quotidien. »

Des femmes à Hanging Site nettoient le poisson avant de le fumer avec le bois des palétuviers. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

L’économie mondiale est née dans des lieux comme l’île Sherbro, où le commerce d’esclaves a permis l’essor des produits de base qui ont alimenté la croissance de l’Europe et des États-Unis. Si les navires des anciens maîtres coloniaux de la Sierra Leone sont maintenant en train de rouiller sur ses plages, récupérés lentement par les océans qui les avaient transportés, la présence des sociétés qui les avaient construits se faire encore largement ressentir aujourd’hui dans le clapotis urgent et furieux des vagues, et dans la lumière éblouissante et impitoyable du soleil.

« Je suis inquiet par rapport à la situation actuelle, mais je le suis encore plus vis-à-vis de l’avenir, en particulier pour les générations futures », a confié Daniel Bangali à Mongabay. « Si les choses se sont déjà autant dégradées au cours de notre vie, si le temps est devenu si chaud, et si nous avons déjà autant malmené l’environnement, cela signifie que les activités de nos enfants seront encore plus destructrices que les nôtres. Quand je ne ferai plus partie de ce monde, je me demande quel sera leur sort. »

Alors que je me prépare à quitter Hanging Site, un jeune homme que j’avais interviewé un peu plus tôt me tape sur l’épaule. D’une voix calme, il me dit : « J’ai une question pour vous. » Et après une longue pause : « Savez-vous comment on peut arrêter les inondations ici ? »

Maintenant que la COP 27 est terminée et que l’objectif de limiter le réchauffement climatique mondial à 1,5 °C ressemble de plus en plus à une relique d’une ère plus prometteuse, la réponse honnête est : « non ». Mais ce que le monde peut encore faire, c’est veiller à ce que les inondations arrêtent de détruire la vie des communautés et aider ces dernières à protéger leur environnement sans pour autant alourdir leur quotidien. L’arrivée de cette aide climatique – si jamais elle arrive – et la forme qu’elle prendra nous en diront long sur ce à quoi ressemblera l’avenir ici et dans d’autres villages comme Hanging Site à travers le monde.

 
Nous remercions Emma Black pour sa contribution à la réalisation de cet article depuis la Sierra Leone.

Image de bannière : Daniel Bangali et Miatta Moyu à Hanging Site. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

Article original: https://news.mongabay.com/2022/12/in-sierra-leones-fishing-villages-a-reality-check-for-climate-aid/

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