- En octobre 2021, un village du Haut-Uele a été détruit pour permettre l’expansion d’une exploitation par Kibali Gold Mines SA
- Les habitants de ce village disent ne pas avoir été prévenus en amont. Leurs maisons ont été détruites et certains affirment avoir été malmenés
- Des personnes ont été tuées lors des manifestations qui ont suivi
- N’ayant été ni relogés ni indemnisés les habitants de Mege ont porté plainte et vivent désormais comme des sans domicile fixe (SDF)
En octobre 2021, le village de Mege, situé dans la province du Haut-Uele, en République démocratique du Congo (RDC), a été détruit par la société minière, Kibali Gold Mines SA (KGM), avec l’appui du gouvernement provincial. Pascal Amuler, un de ces habitants, s’en souvient comme si c’était hier : « C’était le matin du 20 octobre. J’ai été surpris de voir la présence de la police et des militaires dans les rues. Il y avait aussi de grosses machines excavatrices. D’un coup, sans avertissement, ils ont commencé à démolir nos maisons. Ça a été terrible. Il y a eu une vraie débandade. Hommes, femmes et enfants couraient dans tous les sens. Nous avons essayé de vider nos maisons, de sauver tout ce que nous pouvions : les meubles, les vêtements. Nous n’avions pas d’arme pour nous défendre. Ceux qui ont tenté de résister ou qui se sont plaints se sont fait taper dessus et embarquer par la police. Ils en a été de même pour ceux qui ont voulu filmer la scène. Nous ne pouvions pas résister. »
Depuis, ce père de famille et ses quatre enfants continuent de vivre à Mege, à l’endroit même où se trouvait leur maison. « Nous sommes restés sur place. Nous ne savons pas où aller. J’ai construit un abri avec des bâches et de la tôle. C’est très précaire. Mais nous n’avons pas le choix, la vie est difficile depuis, surtout avec les intempéries. Nous n’avons jamais reçu d’aide humanitaire ni du gouvernement ni de la société Kibali Gold Mines. »
Il n’est pas le seul. Plus d’un an après la destruction de leur village, les habitants de Mege n’ont pas été relogés. L’ONG belge Avocat sans frontières, qui leur offre une aide juridique, dénombre la destruction de 947 maisons, d’une école, de deux commerces et de trois églises.
Des « constructions anarchiques »
Mege est situé sur une partie de la concession minière de KGM appelée « zone B d’exclusion. » Il s’agit d’une partie du périmètre dédiée exclusivement aux activités minières qui n’était pas encore exploitée par l’entreprise. Un gisement aurifère ayant été trouvé dans cette zone, la mine prévoyait d’étendre ses activités hautement lucratives. Mais pour cela, il a fallu détruire les maisons. Cette décision, elle la justifie en évoquant la non-existence officielle du village. « Il s’agissait de constructions anarchiques. Sur une carte vous ne verrez nulle part une circonscription administrative qui répond au nom de Mege », déclare Cyrille Mutombo, le représentant de Barrick Gold Corporation, en RDC. Cette grande multinationale exploite la mine d’or de Kibali. « Ces gens se sont installés à Mege entre 2015 et 2018 alors que l’État nous avait déjà octroyés la concession. On s’est plaint au gouvernement. Ils ont laissé l’affaire traîner pendant 5 ans. Les autorités ont finalement demandé à ces gens de partir plusieurs fois avant de détruire ces maisons qui étaient là illégalement », explique-t-il. Pour lui, KGM n’a aucune obligation de les reloger.
C’est là où le bât blesse. Si la KGM a reçu la concession minière en 2009, Pascal Amuler affirme s’être installé dans le village en 2005. Il dit y être venu avec son père qui était alors employé de la Sokimo, une société minière liée à l’État congolais, actionnaire de la KGM et présent dans la région depuis les années 1920’s.
Selon le code minier en vigueur, si un village se trouve dans la zone d’exploitation, KGM a le devoir d’informer la population, de la reloger et de l’indemniser. Or ici, jusqu’à présent, rien de tout cela n’a été fait. Quelques jours après la démolition du village, une manifestation a fait plusieurs morts. Face à la gravité de la situation, un député national et deux sénateurs se sont rendus sur place afin de mener leur enquête. Dans le rapport que Mongabay a pu consulter, il est dit que « la commission [provinciale] ne connaissait pas les limites exactes de la zone d’exclusion B de la société Kibali Gold Mines et a fait passer un mauvais message de sensibilisation excluant Mege.» Les habitants n’auraient donc pas été prévenus de l’imminence de la destruction de leur village. Pourtant le même jour, le village voisin de Bandayi, séparé de Mege par une rivière, a aussi été détruit. Mais ses habitants avaient été prévenus et préparés.
La mine d’or la plus productive d’Afrique
La perspective de percevoir une grosse somme d’argent aurait pu précipiter la décision du gouvernement provincial de détruire Mege. Selon la délégation ministérielle, « deux gisements importants découverts dans cette zone devraient être mis en exploitation. »
En 2021, la KGM a extrait plus de 800.000 onces d’or devenant ainsi, d’après le média d’information économique Agence Ecofin, la mine d’or la plus productive d’Afrique. Une productivité qui ne devrait pas baisser dans les dix prochaines années selon les estimations.
En tout, trois acteurs possèdent la concession. Barrick, actionnaire à 45%, Anglo Gold Ashanti, elle aussi actionnaire à 45%. Le troisième actionnaire est l’État congolais, par la Sokimo à 10%. Même si elle est minoritaire, la RDC avait donc beaucoup à gagner dans la mise en exploitation de ce gisement. Surtout que KGM a annoncé, en 2021, avoir versé 200 millions d’Euros de dividendes à ses actionnaires, sans compter la redevance minière. Selon le Code minier (art. 240-242), la redevance minière est de 2,5% sur les profits, versés au Trésor Public. De ces 2,5%, le Code envisage une rétrocession de 25% à la Province et 15% à la ville ou au territoire, « exclusivement [pour] la réalisation des infrastructures de base d’intérêt communautaire. » entre autres des routes, des centrales hydro-électriques etc…
C’est dans ce contexte que la police nationale congolaise (PNC) et l’armée (FARDC) ont encadré la destruction du village donnant lieu à une forte réaction de la population.
Chronique d’une violence annoncée
Deux jours après la destruction de Mege, les victimes et leurs sympathisants sont allés manifester à Durba où se trouve le siège de la KGM dans le Haut-Uele. La manifestation a dégénéré. « Nous avions entendu dire que Kibali Gold Mines avait prévu des fonds pour nous et qu’il les avait laissés aux autorités provinciales », explique Samson Mbolihundo, président de l’association La communauté du village de Mege, une association chargée de défendre les sinistrés et leurs intérêts. « Mais une fois là-bas, il n’y avait rien et on nous a chassés avec des armes. » Le commissariat a été brûlé, les autorités ont tiré sur la foule à balles réelles. Le bilan diffère selon les sources. La délégation de parlementaires recense 4 morts parmi les policiers et les manifestants. La Communauté du Village de Mege, dit compter 21 morts. De son côté, KGM nie avoir mis cet argent à disposition de l’État.
Ce n’est pas la première fois qu’un délogement génère des violences dans la zone. Déjà en 2010, une manifestation contre Kibali Gold Mines avait fait 1 mort et 3 blessés par balles. L’ONG néerlandaise Pax for Peace, spécialisée dans la protection des civils, recense plusieurs situations similaires. En 2015, elle attribue les exactions en partie à un manque de communication. « Il y a une mauvaise communication émanant de Kibali Gold Mines et relativement au cadre légal de la cohabitation. Bien que Kibali Gold Mines soit l’acteur le plus important dans toute sa concession, l’entreprise n’a pas réussi à instaurer un dialogue franc, concret et régulier avec la population locale ou ses vrais représentants. » Ce manque de communication donne lieu à des malentendus et accroît les tensions entre l’entreprise et les populations. En conclusion de son rapport, Pax for peace ajoute : « La persistance du manque de communication ouverte et d’un dialogue franc entre les parties concernées risque d’empirer la situation. Il n’est pas du tout impossible qu’un incident de plus grande ampleur ait lieu, ce qui pourrait alors mener à de graves émeutes et des risques sécuritaires. » Une prédiction qui s’est réalisée en octobre 2021 et qui pourrait se reproduire.
Depuis, l’association La communauté du village de Mege a porté plainte contre Kibali Gold Mines avec le soutien de l’ONG Avocats sans frontières. Pendant que la justice suit son cours, la mine n’exploite pas cette zone. Privés d’un toit, les habitants de Mege restent livrés aux intempéries en attendant que leur situation s’améliore. Bien qu’ils aient porté plainte, rien n’a changé. Les jours passent et ils restent les SDF d’une des plus grandes mines d’Afrique.
Image bannière : les habitations fabriquées par les sinistrés du village de Mege en RDC. Image de Samson Mbolihundo, prise le 29 janvier 2023