- Des communautés de subsistance peuvent être responsables de la perte de forêt pour subvenir à leurs besoins essentiels lorsque des pressions externes, la pauvreté et la demande en ressources naturelles augmentent, selon une nouvelle étude dévoilant les facteurs déclenchants qui transforment des moyens de subsistance durables en moteurs de déforestation.
- La véritable ampleur de l’impact des communautés de subsistance sur la perte de forêts n’a pas été quantifiée, mais leur impact reste minime par rapport à celui de l’industrie, selon les chercheurs.
- La déforestation a tendance à se produire lors de changements des pratiques agricoles pour répondre aux demandes du marché et de l’intensification de la récolte de bois destiné au charbon de bois pour répondre à des besoins en énergie accrus.
- Environ 90 % des personnes vivant dans une extrême pauvreté dans le monde, souvent des communautés de subsistance, dépendent des forêts pour au moins une partie de leurs moyens de subsistance, et elles sont donc les premières à être touchées par la perte de forêt.
Parmi les communautés de subsistance, celles qui vivent de la forêt et ont des modes de vie globalement durables peuvent devenir des moteurs de la perte et de la dégradation de forêt dans certaines circonstances, selon une nouvelle étude. Cela se produit lorsque des changements externes exercent une pression sur leurs modes de vie traditionnels.
Cela peut aller de demandes du marché qui changent les pratiques agricoles à l’augmentation des populations ayant besoin de ressources et vivant dans des zones forestières. Ces changements peuvent faire des communautés une autre source alarmante d’émissions de carbone, selon les chercheurs.
Les communautés de subsistance sont souvent associées à un faible impact environnemental et une faible empreinte carbone. Mais à mesure que les pressions externes et la demande en ressources naturelles augmentent, ces communautés ont tendance à accroître leurs activités forestières pour répondre à leurs besoins essentiels, et simultanément elles relâchent plus de stocks de carbone dans l’atmosphère par la destruction de forêt, selon les chercheurs.
Dans la nouvelle étude publiée dans la revue Carbon Footprints, les chercheurs ont entrepris d’observer ce phénomène à l’échelle mondiale. Ils ont fait une revue systématique de 101 études scientifiques, toutes basées dans les tropiques, pour voir s’ils pouvaient identifier les activités de subsistance et les éléments déclencheurs qui mènent à une dégradation de forêts. Trente-neuf études sont en Afrique, 33 en Asie et 29 en Amérique latine.
Les auteurs font remarquer que ce sont les mêmes communautés durables, comme les peuples autochtones et les communautés locales (PACL), qui seront les premières affectées par la perte de forêt et le changement climatique, car elles continuent de dépendre de ces forêts qui s’amenuisent et ont tendance à être pauvres ou démunies sur le plan matériel.
Environ 90 % des personnes vivant dans une pauvreté extrême dépendent de ressources forestières pour leur survie, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
« Au bout du compte, ces communautés ont besoin de soutien, et leur impact, selon moi, même s’il n’a pas été quantifié à sa vraie ampleur, leur impact reste encore minime par rapport à celui du secteur de l’énergie », dit Wendy Francesconi, auteur de l’article et chercheuse principale en environnement à l’Alliance of Bioversity International et au CIAT.
L’objectif initial de cette étude était de recueillir des données sur la surface forestière perdue à cause des communautés durables, mais cela s’est avéré trop difficile à suivre, dit Francesconi. Leur impact est minime et n’est pas aussi bien documenté que les moteurs de déforestation à plus grande échelle ou industriels.
« Je pense que l’un des principaux messages est que nous devons faire plus attention à ces communautés et aux façons de mieux les soutenir, car elles ont également la force du nombre, et l’impact du nombre », dit-elle à Mongabay par vidéoconférence.
Les auteurs ont identifié deux activités principales des communautés qui sont devenues les moteurs principaux de perte ou de dégradation forestière : l’intensification de la récolte de bois (en particulier pour le bois de chauffage ou le charbon de bois) et l’agriculture.
Les autres activités incluent des pratiques illégales comme les cultures illicites et les exploitations forestière et minière illégales. Cette dernière est une préoccupation croissante des défenseurs de l’environnement qui ont vu des communautés autochtones se livrer à de l’exploitation minière illégale au Brésil et à de l’exploitation forestière illégale en Indonésie pour augmenter leurs revenus.
Les facteurs qui poussent ces changements incluent une pression démographique locale accrue en conjonction avec des changements de modes de vie, la disponibilité d’une main-d’œuvre alternative, les droits fonciers, l’accès au marché, la gouvernance, la migration, et l’accès aux technologies.
Toutefois, les facteurs externes dépendaient fortement du contexte, et tous ne menaient pas à des pertes forestières dans tous les cas. Une plus grande taille des ménages, par exemple, était associée à une déforestation supérieure dans la plupart des cas, mais certaines études de cas ont montré une probabilité plus élevée que les grandes familles partagent les ressources entre leurs membres, ce qui entraînait une demande plus faible de ressources et moins de perte forestière, comme dans un cas en Éthiopie.
Il est important de comprendre ces dynamiques pour que nous ne commencions pas à voir « un cercle vicieux, où la déforestation crée plus de pauvreté, puis plus de déforestation, et encore plus de pauvreté, etc. », dit Martha Vanegas Cubillos, associée de recherche principale à l’Alliance for Biodiversity International et au CIAT qui fait partie des auteurs de l’étude, à Mongabay par vidéoconférence.
Changement des activités de subsistance en Indonésie
L’une des études analysées, menée en Asie, examine l’impact du déboisement des mangroves en Sulawesi du Sud (Indonésie) et ses conséquences socio-économiques. L’étude de 2016 a identifié que la surface totale de mangroves a diminuée de 3 344 hectares ou 66,05 %, dans la zone d’étude du district de Takalar entre 1979 et 2011.
La majorité de cette perte a servi à la création de bassins crevetticoles, et elle est principalement due aux pêcheurs locaux changeant leur activité pour se lancer dans l’élevage de crevettes. Selon l’article, il y a deux raisons à ce changement : en tant que produit d’exportation, les crevettes ont des prix plus stables, mais aussi des mesures incitatives gouvernementales, comme des crédits ou des subventions étaient accessibles aux exploitants pour agrandir les bassins crevetticoles.
Cette perte forestière a eu un certain nombre d’impacts sur la communauté locale, car elle a réduit la surface où ses membres pouvaient continuer leur utilisation traditionnelle des mangroves, comme le bois de chauffage, les matériaux de construction et les pièges à poissons. Elle les a également exposés à l’érosion côtière et à l’introduction d’eau de mer dans leur territoire, et a relâché les riches stocks de carbone présents dans les arbres de mangrove, selon l’article.
Ce changement de production a rendu les communautés locales plus vulnérables, car elles mettent tous leurs œufs dans le même panier, en centralisant leurs revenus dans l’élevage de crevettes, et en retirant la couverture protectrice des mangroves contre les changements climatiques, dit Ole Mertz, professeur au département de géosciences et gestion des ressources naturelles à l’université de Copenhague, et l’un des auteurs de l’étude menée en Sulawesi du Sud.
Mais Mertz est sceptique du fait que des généralisations mondiales peuvent être faites à partir d’une revue de la littérature seule, évoquant l’étude publiée dans Carbon Footprints, il dit que ces moteurs sont souvent dépendants du contexte.
Lorsqu’il parle de son expérience de travail avec des communautés en Asie du Sud-Est, le moteur le plus important de perte forestière par des communautés de petits exploitants (un terme qu’il préfère à « communautés durables », qu’il considère être une généralisation erronée) était la pression politique de développer le territoire en quelque chose de plus productif.
Cela inclut les politiques visant à promouvoir des industries comme l’huile de palme, le caoutchouc, ou dans le cas du Sulawesi du Sud, les bassins crevetticoles, qui ont plus à voir avec des décisions politiques que la situation socio-économique des communautés, dit-il.
« La pauvreté peut dans certains cas être un moteur de déforestation, mais je pense que c’est toujours en combinaison avec d’autres choses, d’autres moteurs », dit-il à Mongabay.
De plus grands besoins énergétiques entraînent plus de déforestation en RDC
Les communautés en République démocratique du Congo (RDC) ressentent déjà ces pressions extérieures, dit Raymond Achu Samndong, un responsable à la Tenure Facility, une organisation des PACL basée en Suède.
Dans son article de 2018, qui a été inclus dans l’analyse de la littérature des empreintes carbone, Samndong et ses collègues chercheurs ont examiné de plus près la déforestation au niveau communautaire dans les régions de Bikoro et Gemena, deux zones de projet REDD+ en RDC. Après avoir mené des interviews dans les communautés, 82 % des ménages ont déclaré qu’ils avaient pris part à une certaine forme de défrichement de forêt dans l’année précédant l’étude, malgré les mesures incitatives REDD+ de ne pas déboiser.
La totalité d’entre eux a dit que c’était à des fins agricoles, comme le déplacement ou l’expansion d’une zone de culture, alors que certains ont également dit que c’était pour récolter du bois, soit pour la production de charbon de bois ou l’exploitation forestière artisanale. Le charbon de bois et le bois de chauffe sont les principales sources d’énergie en RDC, où seulement 9 % de la population a accès à l’électricité, y compris dans la capitale Kinshasa.
À mesure que les besoins en énergie augmentent, en particulier pour les entreprises et les restaurants en ville, l’utilisation traditionnelle du charbon de bois est aujourd’hui un moteur inquiétant de déforestation.
La décision principale de défricher des forêts dans les zones REDD+ était la pauvreté économique, le manque d’autres moyens de subsistance ou d’activités rémunératrices, et le manque d’infrastructures et de services de base, selon l’étude.
Samndong dit que les communautés avec lesquelles il a travaillé en RDC voient déjà les effets du changement climatique, car les conditions météorologiques changeantes réduisent leurs récoltes. Ils sont conscients que davantage de déforestation contribuera au changement climatique et à la perte de biodiversité, mais les membres des communautés lui disent qu’ils n’ont pas d’alternatives économiques, « c’est comme une stratégie de survie », dit-il à Mongabay par vidéoconférence depuis chez lui en Suède.
Les solutions à la déforestation doivent examiner toutes les dimensions et tous les moteurs de celle-ci, ne pas seulement dépendre d’une incitation économique, comme le programme REDD+, pour la combattre, ajoute l’étude. Une meilleure planification de l’utilisation des terres, des droits fonciers pour les communautés, et des institutions plus comptables de leurs actions sont parmi les solutions nécessaires indiquées par les chercheurs.
Mais Samndong dit qu’il est essentiel que les communautés soient impliquées dans ces plans. Des milliards de dollars ont déjà été dépensés pour le développement de programmes dans la région au fil des ans et rien n’a changé, élabore-t-il.
« Le problème est que les programmes de développement ont été très difficiles au Congo parce qu’il s’agit de programmes dictés d’en haut », dit-il à Mongabay, et il ajoute que les communautés locales connaissent et comprennent tout de même mieux leurs forêts que les experts à la capitale, ou à l’étranger.
Conflit et cultures commerciales en Colombie
Il y a bien longtemps que la déforestation est un problème en Colombie, mais elle a explosé depuis 2016 quand la guérilla des FARC et le gouvernement colombien ont signé des accords de paix pour essayer de mettre fin au conflit. La déforestation s’est alors accélérée dans certaines parties de Colombie, atteignant un pic en 2017 avec 219 552 hectares de perte forestière, lorsque les FARC ont abandonné de nombreuses places fortes dans les forêts et sur les flancs de montagne, ce qui a ouvert des zones boisées à un développement économique illégal, comme la culture de petits champs de coca pour la production de cocaïne en tant que culture commerciale.
Une étude publiée en 2013 examine les conditions dans lesquelles les communautés locales plantent de la coca. Leur travail, qui est inclus dans l’analyse publiée dans Carbon Footprints, a trouvé une corrélation directe entre les zones de culture de coca et les zones considérées comme des zones rurales où les besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, ce qui indique que la pauvreté est un facteur majeur dans les zones où les populations prennent part à la culture de coca. Les autres facteurs incluent une faiblesse et une faible présence de l’état, la violence et le conflit armé, l’inaccessibilité et des conditions biophysiques favorables.
Vanegas Cubillos qui travaille depuis longtemps avec des communautés en Colombie et au Pérou dit que la Colombie est un cas très particulier, car le conflit armé en cours a eu un impact très fort sur les communautés rurales. La migration et les déplacements forcés ont poussé les populations à habiter de nouveaux territoires, entraînant souvent un certain degré de déforestation dans des zones où les terres fertiles sont limitées.
À la fois en Colombie et à l’échelle mondiale, il existe des possibilités pour les secteurs public et privé de créer des bénéfices économiques pour les communautés, et de casser le cycle de la déforestation, dit-elle.
« Jusqu’à ce qu’ils réalisent qu’ils doivent vraiment faire attention à ces populations », dit-elle, « je pense que c’est un problème qui peut continuer à s’aggraver. »
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Image de bannière : Un couple d’une communauté locale récoltant des feuilles de sagoutier sur les rives de la rivière Tuba dans un village de la province des Moluques en Indonésie. Image par Ulet Ifansasti/CIFOR.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/02/changing-circumstances-turn-sustainable-communities-into-deforestation-drivers-study/