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Cameroun : Une chaine de solidarité négative de la chasse à la consommation de la viande des animaux sauvages

Des restes d'animaux exposés au "marché des chèvres" au Cameroun/ Photode Christophe Nyemeck Beat

Des restes d'animaux exposés au "marché des chèvres" au Cameroun/ Photode Christophe Nyemeck Beat

  • Le commerce de la viande de brousse a généré au moins $ 413 millions pour le Cameroun, le Gabon et la République centrafricaine réunis pour l’année 2017 selon un rapport des experts.
  • L’interview par téléphone le 30 janvier 2023, de Ndongo Din, Professeur à l’université de Douala, révèle que les espèces sauvages sont vendues hors des lieux d’abatage, dans des marchés des capitales ou ailleurs au Cameroun. Pour certains activistes, ce n’est plus de la chasse de subsistance mais « du trafic », dit-il.
  • Les chasseurs, les bayam sellam (acheteuses revendeuses), les gérants de dépôts, les commerçantes, les autorités publiques et traditionnelles sont les acteurs du commerce de la viande de brousse selon des rapports.
  • Le marché central de Douala, subdivisé en plusieurs blocs, dont celui « marché des chèvres », dirigés respectivement par des chefs, est l’un des plus grands marchés du Cameroun.

Le Cameroun abrite certaines des espèces sauvages les plus diverses et les plus abondantes d’Afrique centrale. Il regorge au moins 297 mammifères dont 8 sont endémiques. Les grandes populations d’espèces emblématiques sont entre autre l’éléphant, les grands singes (Hominoidea), les lions (Panthera Leo), l’éland géant (Tautrotragus Derbanus) et l’antilope Bongo (Tragelaplus Eurycerus) selon le Fonds mondiale pour la nature au Cameroun.

L’information a été délivrée par l’universitaire Ndongo Din dans son interview à Mongabay : « Les espèces sauvages sans distinction de classe sont exposées aux chasseurs légaux et illégaux dans des forêts et des aires protégées camerounaises, au mépris des lois nationales et internationales ».

 

« Marché des chèvres »

Il est 9 h du matin, nous nous rendons au marché central de Douala au lieu dénommé « marché de chèvres ». Ici on vend des chèvres et des animaux sauvages, y compris ceux qui sont interdits à la consommation.

Des épaves d’animaux sont rangées sur des petites tables de fortunes et des femmes vêtues en kabas (habits traditionnels) sont présentes, à l’achat ou à la vente des chèvres ou des animaux sauvages.

Sur des tables de fortunes, on y voit certaines espèces endémiques dont les mammifères : le rat palmiste (Xerus Erythropus), le porc-épic (Hystrix Cristata), l’antilope Bongo (Tragelaplus Eurycerus) etc.

Ceux qui sont interdits à la chasse sont aussi présents selon notre constat, notamment les morceaux d’éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis) ; le pangolin géant (Manis giganto) mais les marchandes restent vigilantes contre toute éventuelle saisie par les autorités.

« Le marché de chèvres » est un hangar, construis en bois, d’une superficie d’environ 100 m² ; une cinquantaine de personnes majoritairement constituées de femmes commerçantes se baladent dans le hangar et à l’extérieur. D’autres sont assises sur des tabourets en bois, derrières leurs comptoirs en attendant l’arrivée des clients.

L’une des vendeuses, visiblement âgée d’au moins 50 ans, emballe des animaux tués, visiblement encore frais, dans un sac en plastique de 100kg de couleurs blanches.

Ici, elle est assistée par un jeune homme qui ramasse pangolin, biches, singes et les entasse dans ce sac qu’il ferme immédiatement. Le jeune homme prend le sac vers la poissonnerie où ces animaux sont gardés dans des frigos destinés au paravent à la conservation des animaux.

Des dizaines de sacs sont envoyés dans les poissonneries et chaque sac doit payer au moins $1 par jour, ce qui permet aux poissonneries de faire grand fortune.

Au marché des chèvres, des agents d’impôts et taxes de la commune du deuxième arrondissement prélèvent l’impôt libératoire d’occupation temporaire de la voie publique (OTVP) qui pourrait se fixer à 36000 FCFA ($58) l’année et le ticket qui est à 100 FCFA. Parmi les assujettis à ces taxes, il y a aussi les vendeurs de restes d’animaux.

D’où viennent ces animaux ?

Pauline* une commerçante qui a voulu rester anonyme et dont le nom a été changé pour sa sécurité répond que « les animaux viennent de partout au Cameroun, du nord, de l’est et aussi dans le département du Nkam ».

Selon la même source, le transport se fait par voie routière et des techniques de simulation sont utilisées pour ne pas se faire repérer par la police ou autre agent de l’Etat.

« Les conducteurs des trucks cachent les animaux sauvages dans les typhons, ou pour les petites voitures, les espèces sauvages sont cachées soient dans les malles arrières des véhicules et dans les sacs, soient en dessous de la banquette arrière » révèle Ntap Jean-Paul agent des eaux et Forêt en poste à la forêt communale de Makak, département du Nyong et Kelle, région du Centre.

Des saisies des agents des eaux et forêts

Le « marché des chèvres » connait des saisies fréquentes des animaux par des agents des eaux et forêts et mêmes aussi des agents de la gendarmerie » Claude*, commerçant d’écorce des arbres médicinales au « marché des chèvres », dont le nom a été aussi changé pour sa sécurité, raconte : « les vendeuses sont sur le qui-vive, raconte-il et à l’arrivée d’une personne nouvelle, le hangar devient silencieux, afin de l’identifier qui vient d’entrer ».

« Les femmes qui vendent la viande de brousse sont extrêmement prudentes. Les agents des eaux et forêts font des descentes fréquentes sur le terrain pour confisquer viandes, parfois certaines sont arrêtées. C’est pourquoi elles n’exposent plus beaucoup de marchandises » nous explique-t-il.

Du trafic des espèces animales à ciel ouvert

La majorité des animaux sauvages boucanés vendus au « marché des chèvres » sont tués dans d’autres localités et acheminés par moyens routiers dans la majorité.

« Les espèces sauvages arrivent de très bonnes heures entre 2 et 4 heures, en véhicules, dans les malles ou les portes bagages (…) » selon Alain un porteur de manioc interrogé au camp manioc juste derrière le « marché des chèvres ».

Dans ce trafic illégal des animaux, le pangolin est plus menacé que les autres. Le Gouvernement camerounais estime, en 14 ans, que plus de 2,7 millions d’individus de pangolin ont été tués en Afrique centrale.

Par conséquent, le pangolin est en voie de disparition à cause de la chasse intensive motivée par ses écailles qui ont des vertus médicinales, un côté artistique intriguant, et par sa chaire, selon le ministère des forêts et de la faune au Cameroun.

Photo debannièr: Des restes d’animaux exposés au “marché des chèvres” au Cameroun/ Photo de Christophe Nyemeck Beat

 

 

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