Nouvelles de l'environnement

Selon une étude, la justice sociale est un élément clé pour enrayer la perte de biodiversité

  • Dans un nouvel article, une équipe de scientifiques affirme que les efforts visant à contrer la perte de biodiversité et à favoriser son rétablissement doivent chercher à mettre la nature et l’homme sur une voie positive.
  • Selon eux, cela serait possible en s’attaquant aux causes majeures de perte de biodiversité, en éliminant les inégalités entre les pays « pauvres » et les pays « riches », en reconnaissant que les objectifs et calendriers des actions de conservation sont peu réalistes et en combinant les efforts de conservation localisés à des mesures de justice sociale.
  • La publication a précédé l’ouverture du sommet COP15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) des Nations unies, durant laquelle des représentants des gouvernements, des scientifiques et des militants ont négocié un cadre mondial de préservation de la biodiversité post-2020.
  • La COP15 a commencé le 7 décembre à Montréal, avec pour ambition d’amener l’humanité à vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050.

Alors que nous continuons de perdre en biodiversité à travers le monde, une équipe de chercheurs internationale appelle à une approche plus holistique de la conservation, en la couplant à des mesures de justice sociale.

Dans un nouvel article publié le 5 décembre dans One Earth, les chercheurs affirment que de nombreux objectifs et calendriers visant à enrayer la perte de biodiversité et à favoriser son rétablissement sont en fait irréalistes. Ces objectifs risquent d’échouer s’ils ne s’attaquent pas aux principaux facteurs de perte de biodiversité et aux inégalités entre « les pays à faible revenu concernés par les plus grandes mesures de conservation et les pays à revenu élevé qui ont surconsommé leur juste part des bienfaits de la nature ». Pour les chercheurs, les efforts de protection localisés, qui ont largement prédominé, ainsi que l’a montré la très médiatisée campagne 30×30, ne peuvent être traités comme un objectif propre. Ils doivent être accompagnés d’autres mesures qui placent la nature et les personnes sur une voie positive.

La publication a précédé l’ouverture de la COP15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) des Nations unies, durant laquelle des représentants des gouvernements, des scientifiques et des militants ont négocié un cadre mondial de préservation de la biodiversité post-2020. Pour atteindre l’objectif du cadre, à savoir que les humains vivent en harmonie avec la nature d’ici à 2050, les nations devraient atteindre une série d’objectifs d’ici à 2030, parfois appelée voie positive pour la nature. Le sommet COP15 a débuté le 7 décembre à Montréal.

Boys fishing in Meghna River.
Deux jeunes garçons pêchant dans le fleuve Meghna, au Bangladesh. L’étude propose une feuille de route pour le rétablissement de la biodiversité en s’attaquant directement aux facteurs de perte : en élevant les standards minimaux de bien-être pour tous, en réduisant la surconsommation et en respectant les droits et les responsabilités de toutes les communautés. Image de Mohammad Mahabubur Rahman/WorldFish depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Les auteurs, dont beaucoup sont membres de la Earth Commission, un groupe d’experts travaillant à définir les paramètres pour un monde « sûr et juste », réitèrent l’urgence et l’importance d’atteindre les objectifs du cadre. Ils proposent également une feuille de route pour le rétablissement de la biodiversité en s’attaquant directement aux facteurs de perte. C’est-à-dire en élevant les standards minimaux de bien-être pour tous, en réduisant la surconsommation et en respectant les droits et les responsabilités de toutes les communautés.

L’argument central de l’article s’articule autour de l’idée de vivre dans les limites du système terrestre, soit non seulement dans les limites de fonctionnement de la Terre, mais aussi dans les limites qui permettent à tous de vivre en toute sécurité et de manière équitable. Le concept de limites du système terrestre est similaire à celui de la théorie des limites planétaires, selon laquelle la Terre fonctionne via l’interaction de neuf systèmes et processus, chacun avec sa propre limite de stress environnemental qu’il peut supporter. Toutefois, le concept de limites du système terrestre va au-delà, en se concentrant sur la notion d’accès équitable aux ressources par les individus.

« Le message fondamental de ce papier est peut-être évident : nous devons nous attaquer aux moteurs de la perte de biodiversité, de destruction de la nature », explique Tim Lenton, co-auteur de l’article et professeur spécialiste du changement climatique et de la science du système terrestre à l’université d’Exeter, au Royaume-Uni. « Nous ne pouvons pas seulement essayer de guérir les symptômes. »

Pr Lenton affirme que la surconsommation, notamment par les grandes entreprises, est l’un des facteurs clés de la perte de biodiversité.

« Dans beaucoup de parties du monde, le système politique et économique est imparfait et permet une surconsommation grotesque qui s’avère néfaste pour nous tous, mais affecte surtout les personnes les plus vulnérables », dit-il. « Ceux qui souffrent le plus de la dégradation de la nature sont souvent les plus pauvres. »

Pour David Obura, premier auteur de l’étude et directeur de l’organisme de recherche marine CORDIO East Africa, beaucoup d’actions de protection de la nature n’atteignent pas leurs objectifs et les messages promouvant la conservation ne sont pas « tout à fait honnêtes quant au degré de changement nécessaire ».

Oil palm monoculture and rainforests of Malaysian Borneo.
Monoculture d’huile de palme dans la forêt tropicale de Bornéo, en Malaisie. Selon les experts, la surconsommation, notamment par les grandes entreprises, est l’un des facteurs clés de la perte de biodiversité. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

« J’espère que nous arrivons à un moment comme dans “Les Habits neufs de l’empereur”, où nous réaliserons que les solutions qui nous sont présentées n’en sont pas », confie-t-il à Mongabay. « Elles ont l’air bien, plaisent à beaucoup et peuvent même avoir de bons résultats à certains endroits, mais elles ne s’attaquent pas du tout au cœur de ce que nous devons changer. Nous devons reconnaître cette fâcheuse vérité et y faire face. »

Tout comme Pr Lenton, M Obura pense que la surconsommation est un facteur majeur, notamment par les habitants des pays les plus riches. Il note néanmoins que ce sont ces mêmes personnes qui financent les efforts de conservation.

« Une grande part des [financements pour la conservation vient] des personnes très aisées qui se sont enrichies dans le passé, et c’est une bonne chose que cet argent revienne », dit-il. Toutefois, il estime que les systèmes devraient être modifiés afin de garantir que certaines personnes ne puissent pas accumuler une richesse extrême, car celle-ci est « le reflet de ce qui n’est pas dépensé pour maintenir le système en premier lieu ».

Christopher Gordon, co-auteur et chercheur spécialiste de l’environnement à l’université du Ghana, pense que reconnaître le caractère irréaliste des calendriers d’exécution pour ces actions est une étape essentielle pour renverser le déclin de la biodiversité.

« Il faut réaliser qu’empêcher ce déclin, le ralentir et inverser la tendance, prendra du temps », dit-il à Mongabay.

Le cadre mondial de préservation de la biodiversité post-2020 de la CDB vise à mettre fin à la perte de biodiversité d’ici 2030 et à permettre de vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050. Toutefois, Pr Gordon affirme qu’un renversement de la tendance ne sera pas possible avant 2050 et qu’on ne verra de rétablissement de la biodiversité qu’à partir de 2090.

An Indigenous house in Bocas del Toro.
Une maison autochtone à Bocas del Toro, au Panama, où les communautés vivent en harmonie avec la nature qui les entoure. Image de Lon&Queta depuis Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

« On parle ici de processus longs », explique-t-il. « La supposition de départ c’est que, comme avec le changement climatique, tout le monde est prêt à faire ce qu’il faut […] en même temps […] Mais, on le sait, s’il est très facile de faire avancer les choses sur le papier, dans les traités et les conventions, c’est une autre histoire que de traduire le tout en action concrète. »

Bien sûr, les impacts du changement climatique menacent de dérailler les efforts de conservation, notamment si le monde continue sur une voie d’émissions élevées. Pour M Obura, ramener la nature à son état passé n’est peut-être pas possible, mais nous pouvons chercher des moyens de tenir compte des évolutions futures.

« Nous nous plaçons dans une position difficile, mais c’est une erreur que d’être catastrophiste à ce sujet, » dit-il. « Nos enfants et leurs enfants devront faire face aux conséquences des décisions prises aujourd’hui. Essayons donc de mettre en place des processus décisionnels beaucoup plus réalistes. Il faut se baser sur la science et présenter les choses de manière beaucoup plus honnête afin de déterminer ce qu’il convient de faire. »

Pr Lenton croit quant à lui qu’il est possible de bâtir un futur vivable et soutenable, mais que nous devons « accélérer le progrès dans la bonne direction ». Pour cela, dit-il, les efforts de conservation doivent impliquer les communautés autochtones et locales afin d’assurer que la nature soit protégée et profite à tous.

« Il est clair qu’en ce qui concerne la perte de nature, nous sommes toujours sur une pente descendante », ajoute-t-il. « Nous devons donc inverser cette tendance à la perte et il existe des moyens viables d’y parvenir. »

Référence :

Obura, D. O., DeClerck, F., Verburg, P. H., Gupta, J., Abrams, J. F., Bai, X., … Zimm, C. (2022). Achieving a nature- and people-positive future. One Earth. doi:10.1016/j.oneear.2022.11.013

 
Image de bannière : Une abeille posée sur une fleur. Image de TheWonderOfLife depuis Pexels (domaine public).

Elizabeth Claire Alberts est rédactrice pour Mongabay. Retrouvez-la sur Twitter : @ECAlberts.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2022/12/human-justice-element-is-key-to-stemming-biodiversity-loss-study-says/

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