- Le 5 décembre 2022, Mongabay présentait un article écrit par le journaliste Justin Catanoso dans lequel le tout premier informateur venant du secteur de la biomasse se manifestait pour lancer l’alerte et discréditer les déclarations de durabilité écologique faites par Enviva, le plus grand fabricant mondial de granulés de bois destinés à la production d’énergie.
- Le 15 décembre, citant cet article et des données scientifiques récentes selon lesquels Enviva contribue à la déforestation dans le sud-est des États-Unis, les Pays-Bas ont décidé d’arrêter de verser des subventions à toutes les entreprises du secteur de la biomasse identifiées comme étant malhonnêtes dans leurs méthodes de production de granulés de bois. Les Pays-Bas donnent actuellement des subventions importantes à Enviva.
- Les conséquences à long terme de la décision des Pays-Bas sur les subventions dans le secteur biomasse sont incertaines. On ignore également l’impact de cette décision sur le processus de certification européen du Sustainable Biomass Program (SBP), que les critiques déclarent être fondamentalement insuffisant et peu fiable.
- Également en décembre, l’Australie est devenue le premier grand pays à révoquer sa désignation de la biomasse forestière comme une source d’énergie renouvelable, ce qui soulève des questions sur le fait que des parties de l’accord de Paris des Nations Unies puissent soutenir une opposition à des politiques relatives aux énergies renouvelables, en particulier en ce qui concerne la biomasse, un problème que les négociateurs de la COP28 devront résoudre en 2023.
Motivée par un reportage exclusif de Mongabay, la Chambre des représentants du Parlement néerlandais a adopté une motion qui force son gouvernement à arrêter de payer des subventions aux fabricants de granulés de bois qui ne diraient pas la vérité sur leurs pratiques d’exploitation forestièrel.
Le 14 décembre, la Chambre néerlandaise a approuvé par un vote de 150 à 114 une motion présentée par le représentant Lammert van Raan d’Amsterdam, un membre du parti progressiste pour les animaux. Dans cette motion, van Raan remarque qu’un montant allant jusqu’à 9,5 milliards d’euros a été réservé par le gouvernement jusqu’en 2032 pour subventionner l’achat de granulés de bois de fabrication nationale ou étrangère pour la production d’énergie ou de chaleur.
« Le risque de fraude avec la certification de durabilité de la biomasse est significatif », a écrit van Raan. Après quoi, en référence à un article de Mongabay publié le 5 décembre, il a ajouté : « Un lanceur d’alerte qui a travaillé pour Enviva, le plus grand fabricant de granulés de bois au monde, a affirmé que toutes les revendications écologiques d’Enviva sont fausses [et] d’après une récente étude scientifique importante… Enviva contribue à la déforestation dans le sud-est des États-Unis. »
Van Raan conclut sa motion en écrivant que la Chambre « demande au gouvernement de faire en sorte que toutes les subventions ne se retrouvent pas versées à des parties qui commettent des fraudes en matière de certification de durabilité ».
La motion approuvée exige que le gouvernement néerlandais obtienne un niveau de preuve plus élevé dans le cadre du processus de certification par une tierce partie du Sustainable Biomass Program (SBP). Enviva participe déjà au SBP, mais les critiques font remarquer que le processus de certification est fondamentalement insuffisant et peu fiable, en particulier en matière d’impacts sur le climat et la biodiversité de l’exploitation forestière.
La motion de Van Raan cherche à s’attaquer à ces problèmes, car les normes du SBP utilisées par l’Union européenne ne semblent pas suffisantes pour demander des comptes aux fabricants de granulés sur leurs pratiques d’exploitation. Des ONG et des journalistes ont montré par exemple que la coupe rase de forêts indigènes riches en biodiversité est une pratique courante des entreprises du secteur, et que de tels abattages sont tout de même certifiés comme durables. Le défi des Pays-Bas est de rendre le processus du SBP plus rigoureux et transparent. Et si ces normes plus strictes ne sont pas respectées, les fabricants de granulés comme Enviva pourraient perdre des millions en subventions.
Un lanceur d’alerte s’exprime
L’article de Mongabay ayant précipité la motion néerlandaise incluait le témoignage du premier employé du secteur de la fabrication de granulés de bois, un secteur brassant des milliards, à s’exprimer publiquement. Le lanceur d’alerte, un responsable haut placé d’une usine Enviva qui a souhaité rester anonyme a dit à Mongabay que les déclarations d’Enviva selon lesquels ce sont principalement des cimes d’arbre, des branches et des déchets de bois qui sont utilisés pour produire les granulés étaient fausses, tout comme les autres déclarations relatives à la politique de durabilité.
« Nous prenons de grands arbres entiers. Nous ne nous soucions pas de leur provenance », a dit le lanceur d’alerte, qui ne travaille plus pour Enviva, « La notion de forêts gérées durablement est absurde. Nous n’arrivons pas à amener du bois dans les usines suffisamment vite. »
Mongabay a confirmé une grande partie des allégations du lanceur d’alerte en novembre lorsque ce journaliste a été directement témoin d’une coupe rase de forêt dans l’est de la Caroline du Nord où près de la moitié des arbres d’un site industriel de 21 hectares ont été réduits en copeaux et transportés jusqu’à une usine Enviva de fabrication de granulés. D’autre part, une étude récente du Southern Environmental Law Center a montré que l’abattage des arbres par Enviva depuis l’ouverture de sa première usine en 2011 en Caroline du Nord contribue à la déforestation nette sur la côte de la Caroline du Nord et de la Virginie du Sud.
En réponse, Enviva a dit à Mongabay que l’entreprise maintenait ses déclarations publiques relatives à la durabilité de ses pratiques d’abattage du bois. L’entreprise a également dit qu’elle pensait que les allégations du lanceur d’alerte n’étaient pas crédibles.
Des doutes à l’échelle mondiale sur la biomasse en tant que source d’énergie renouvelable
En avril, les Pays-Bas ont voté pour arrêter de subventionner les granulés de bois pour environ 50 nouvelles centrales thermiques à bois. Mais les centrales existantes (200 pour la production de chaleur, et quatre pour la production d’énergie qui fonctionnent par combustion combinée de granulés de bois et de charbon) reçoivent encore près de 600 millions d’euros de subvention par an. En 2021, les Pays-Bas ont importé 1,2 million de tonnes de granulés de bois du sud-est des États-Unis, une grande partie provenant d’Enviva.
La décision des Néerlandais de demander des comptes aux fabricants de granulés sur leurs affirmations d’abattage durable, une première dans l’Union européenne, arrive au moment où le secteur de la biomasse a essuyé son premier revers international. Le 15 décembre, l’Australie a modifié sa politique en matière d’énergie renouvelable pour exclure la biomasse d’origine forestière provenant de forêts indigènes des sources d’énergie renouvelable. Cette décision empêche essentiellement le secteur de la biomasse, qui n’est pas présent en Australie, de s’y implanter.
D’autres problèmes pourraient se profiler pour Enviva. Un cabinet d’avocats basé à Seattle, Hagens Berman, recherche des plaignants pour des poursuites en recours collectif contre l’entreprise cotée en bourse.
Le cabinet d’avocats enrôle des investisseurs d’Enviva qui pensent avoir subi un préjudice financier du fait de ce que les avocats appellent un discours écologique de façade. Ils lancent cet appel aux investisseurs en raison des notations en matière d’ESG (environnement, social et gouvernance), alors qu’en fait, l’entreprise nuirait à l’environnement et contribuerait au changement climatique.
Enviva nie également ces allégations. Hagens Berman a fixé la date limite du 3 janvier 2023 pour la présentation des plaignants.
Le malaise croissant des gouvernements à l’égard de la qualification de la biomasse comme source d’énergie renouvelable subventionnée arrive après des années de pression de scientifiques et de défenseurs des forêts qui ont présenté des preuves et soutenu que brûler des forêts pour produire de l’énergie est plus polluant que le charbon, tout en portant atteinte aux écosystèmes et en réduisant la capacité de stockage de carbone des forêts, alors même que les crises du climat et de la biodiversité s’intensifient.
Mongabay a publié plus de 60 articles sur la biomasse depuis 2014, alors que d’autres sources médiatiques attirent de plus en plus l’attention sur le sujet.
Des activistes insistent fortement depuis des années pour inscrire une discussion sur la biomasse à l’ordre du jour lors des sommets sur le climat des Nations unies, sans succès, mais ils se sentent encouragés par les événements aux Pays-Bas et en Australie. Ils disent qu’ils restent optimistes sur le fait que les mesures prises par les décideurs concorderont bientôt avec l’opposition publique grandissante à l’utilisation du bois de forêts pour la production d’énergie en situation de crise climatique.
Justin Catanoso est un contributeur régulier de Mongabay et un professeur de journalisme à l’Université américaine de Wake Forest.
Image de bannière : Une vue aérienne partielle de l’usine de granulés de bois d’Enviva à Ahoskie en Caroline du Nord montrant l’usine de production de granulés et des piles de copeaux de bois en attente d’être transformés en granulés et expédiés outre-Atlantique. Image par la Dogwood Alliance.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/12/the-netherlands-decides-to-stop-paying-subsidies-to-untruthful-biomass-firms/