Nouvelles de l'environnement

Fuites d’hydrocarbures près d’une rivière font craindre pour l’eau potable au Cameroun

  • Les activités de la société pétrolière Green Oil, dans la ville de Mbalmayo laissent s’échapper des fuites de produits pétroliers qui apparaissent à proximité de la rivière Kongolo.
  • Les analyses d’eau ont révélé la pollution de la nappe phréatique dans une zone proche de la rivière, laquelle se jette dans le fleuve Nyong, capté et transformé en eau potable pour les métropoles.
  • Les communautés riveraines crient au scandale et ont alerté les autorités locales, y compris le président la république Paul Biya, afin qu’ils interagissent pour contraindre la société à leur verser des compensations du fait de son activité.
  • En réaction, la société Green Oil a plutôt a été soumise à une réévaluation de ses installations sous la diligence du ministère des Mines, de l’industrie et du développement technologique.

MBALMAYO, Cameroun — À l’entrée de sa station de lavage de véhicules dans la ville de Mbalmayo, vers le pôle sud du Cameroun, Patrick Ebanga Fouda a dressé une pancarte avec l’inscription suivante : « l’eau n’est plus potable ; elle est infectée par les hydrocarbures ; à ne pas consommer ».

Un message qui s’adresse aux clients potentiels qui accourraient naguère vers cet endroit pour dépoussiérer leurs véhicules, mais également aux populations riveraines qui s’abreuvaient à l’eau potable d’un forage aménagé sur le lieu. À l’arrière de cette station, un étang d’eau marécageux stagne et laisse apparaitre à la surface des dépôts d’étranges substances dont les effluves à l’odorat trahissent sur la présence de produits pétroliers.

En amont, se trouve une station-service, appartenant à la société camerounaise Green Oil, spécialisée dans la distribution des produits pétroliers finis. Pour Patrick Ebanga Fouda, il n’y a pas de doute, cette transformation soudaine de son environnement est l’œuvre de cette société implantée dans localité de Ngallan en 2019.

Une station-service exploitée par la société Green Oil / © Green Oil/website
Une station-service exploitée par la société Green Oil. Image © Green Oil/website.

Et depuis ce temps, la nature subit le contrecoup des activités de la société dans la zone, avec à la clé la perte de ses poissons (silures et carpes) issus de la pratique de la pisciculture qu’il exerçait pour ses besoins de subsistance, du fait de l’apparition d’hydrocarbures dans son étang.

« Dès que la société s’est installée, on n’a plus jamais eu l’eau potable. J’ai enregistré des cas de maladie, avec mes enfants qui faisaient régulièrement la diarrhée. Je me suis rendu avec eux à l’hôpital à Yaoundé, et les médecins m’ont dit que c’était dû à la qualité de l’eau consommée », raconte Patrick Ebanga Fouda.

L’eau en question est une eau obtenue grâce au forage du sol sur plusieurs mètres. Un dispositif préférentiel des ménages au Cameroun pour faire face aux pénuries d’eau potable

Le chimiste-organicien Auberlin Maffo, spécialiste des risques liés au stockage des hydrocarbures en milieux urbain, explique que : « l’exposition prolongée aux hydrocarbures aromatiques polycyclique présent dans les hydrocarbures peut causer des cancers chez les populations environnantes ».

L’étang d’eau à l’arrière du domicile de Patrick Ebanga Fouda, huiles et de graisses issues des hydrocarbures de la société Green Oil / © Yannick Kenné.
L’étang d’eau à l’arrière du domicile de Patrick Ebanga Fouda, huiles et de graisses issues des hydrocarbures de la société Green Oil. Image © Yannick Kenné.

Un audit réalisé par le ministère de l’Environnement en 2013 avait révélé que 31 stations-service d’essence sur les 105 sont responsables d’infractions environnementales diverses, notamment la pollution du sous-sol par le déversement des huiles ou des eaux usées, le défaut de réalisation de l’audit environnemental, la pollution de l’eau et de l’air, etc.

Selon les données du ministère de l’Eau et de l’Energie, le nombre de stations-service a triplé au cours des quinze dernières années. Elles sont passées de 300 en l’an 2000, à 814 en 2021 disséminées dans le pays.

Pollution de la nappe phréatique

Patrick a entrepris de commander des analyses d’échantillons d’eau dans l’emprise de ses installations suite à ce phénomène. Lesdits analyses effectuées par le laboratoire camerounais APVAZ-LABO ont conclu à une « eau infectée », caractérisée par la « présence des huiles et graisses ainsi que des hydrocarbures » dans les échantillons d’eau.

Les autorités locales, ainsi que celles de l’administration centrale ont été alertées par les plaintes des populations, sur la nocivité des activités de la société pétrolière. Un responsable du ministère des Mines a confié à Mongabay qu’il y avait des fuites dans la tuyauterie installée par la société.

L’eau souillée de la station de lavage de véhicules n’est plus potable. © Yannick Kenné.
L’eau souillée de la station de lavage de véhicules n’est plus potable. Image © Yannick Kenné.

Une correspondance a même été adressée par Patrick au président camerounais Paul Biya, le 15 septembre 2022, dans laquelle il exige que « la société Green Oil cesse, dans les plus brefs délais, cette pollution de l’environnement et l’intoxication de l’ensemble de [sa] famille, accompagné du paiement des dommages et intérêts conformément aux lois camerounaises ».

Il exige une compensation financière de $17 000 (10 millions Francs CFA), pour le préjudice subi, et l’a signifié par voie d’huissier à la société.

En réaction l’administration centrale a dépêché plusieurs de ses agents dans la localité au cours de l’année dernière, pour s’enquérir de la situation, parmi lesquelles ceux du ministère des Mines, de l’industrie et du développement technologique.

Péril sur l’eau de consommation pour les métropoles ?

Non loin de l’étang jadis exploité par Patrick Ebanga, ruissellent les eaux de la rivière Kongolo, un des affluents du fleuve Nyong, capté et transformé par la société Cameroon Water Utilities Corporation (CAMWATER), en charge de la production et de la distribution de l’eau potable dans les métropoles camerounaises.

L’eau de la rivière Kongolo recouverte d’herbes / © Yannick Kenné.
L’eau de la rivière Kongolo recouverte d’herbes. Image © Yannick Kenné.

Pour Auguste Benjamin Owono, conseiller municipal à la mairie de Menguemé et habitant de la localité de Ngallan, il n’y a pas de doute que l’eau captée et distribuée par CAMWATER est souillée par les hydrocarbures en raison de l’intercommunication des eaux.

« Les déchets qui émanent de Green Oil se déversent dans la rivière Kongolo. Et cette rivière est un affluent du fleuve Nyong. Ce qui veut dire que Green Oil pollue l’eau qui est captée, traitée et distribuée à Yaoundé », affirme-t-il.

À la station de captage de la société CAMWATER à Mbalmayo, située à 8 kilomètres de la station-service, l’on assure plutôt qu’il n’existe aucun risque de pollution de l’eau captée et traitée pour la consommation finale des ménages.

L’un des responsables a confié à Monbagay que « la rivière Kongolo se jette effectivement dans le fleuve Nyong. Mais la zone où nous avons installé les dispositifs de captage de l’eau sur le fleuve, se trouve en amont à une distance d’au moins 5 kilomètres de l’endroit où la rivière Kongolo se jette dans le fleuve en aval. Il n’y a donc pas de risque de pollution ».

Il n’y a pas encore eu une évaluation du risque de pollution du fleuve, et la CAMWATER ne prévoit visiblement pas de le faire à en croire le responsable.

La rivière Kongolo recouverte d’herbes se jette dans le fleuve Nyong à 8 kilomètres de la localité de Ngallan / © Yannick Kenné.
La rivière Kongolo recouverte d’herbes se jette dans le fleuve Nyong à 8 kilomètres de la localité de Ngallan. Image © Yannick Kenné.

Quid de l’étude d’impact environnemental et social ?

La société d’ingénierie camerounaise SOPRAT Sarl, a été réquisitionnée par les autorités camerounaises pour procéder l’année dernière à une réévaluation des installations du marketer Green Oil à Ngallan, notamment à la révision des cuves et de la tuyauterie.

Selon un responsable du ministère susmentionné, cette opération a conduit à des résultats probants avec une atténuation des fuites des fosses de stockage d’hydrocarbures exploitées par la société.

Les dysfonctionnements dénoncés par les communautés riveraines et la réévaluation des installations de la station-service remettent clairement en doute la fiabilité de l’étude d’impact environnemental réalisée par la société Green Oil, propriété du milliardaire camerounais Guillaume Mbakam Chouga, par ailleurs député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir depuis 40 ans.

À la représentation locale du ministère de l’Environnement, de la protection de la nature et du développement durable, le délégué départemental se refuse à tout commentaire concernant la pertinence de cette étude. Au siège de l’entreprise à Yaoundé, Mongabay a tenté d’obtenir des explications sur la pertinence de cette étude, mais les responsables lui ont fermé la porte au nez.

Un potager situé à proximité de la station-service se meurt. © Yannick Kenné.
Un potager situé à proximité de la station-service se meurt. Image © Yannick Kenné.

Pour l’Environnementaliste Émile Temgoua, « le rôle de l’étude est de proposer toutes les mesures de bonification des impacts positifs, mais également d’atténuation de compensation d’élimination de tous les impacts qui vont être négatifs. La mise en œuvre de ce plan demande un acteur de mise œuvre de réalisation, mais également un acteur de suivi et de contrôle qui incombe essentiellement aux autorités administratives », indiquait-il dans un récent article de Mongabay.

Au Cameroun, un programme de marquage chimique des produits pétroliers a été institué en 2012 pour évaluer les risques de pollution liés aux activités des sociétés pétrolières. Il a permis de juguler l’ampleur de la pollution de ces sociétés, avec un taux de pollution passé de 36% en 2011 à 1,7% en 2020, selon des déclarations du premier ministre camerounais Joseph Dion Ngute en novembre 2020 à l’Assemblée nationale camerounaise.

 

Image mise en avant : La rivière Kongolo recouverte d’herbes se jette dans le fleuve Nyong à 8 kilomètres de la localité de Ngallan. Image © Yannick Kenné.

Reportages recommandés: Jusqu’à 72% d’orpailleurs infectés au mercure dans des sites miniers artisanaux au Cameroun

En savoir plus avec le podcast de Mongabay (en anglais) : Entretien avec Anuradha Mittal, directrice générale de l’Oakland Institute, et Christian-Geraud Neema Byamungu, chercheur congolais, sur l’impact de l’extraction des ressources sur les droits humains et l’environnement en République démocratique du Congo.

COMMENTAIRES : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’auteur de cet article. Si vous souhaitez poster un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.

Quitter la version mobile