- À la conférence pour le climat des Nations Unies (COP26) en 2021, 22 organismes philanthropiques et gouvernements se sont engagés à donner 1,7 milliard de dollars pour soutenir la tenure forestière des autochtones et des communautés comme moyen de lutter contre le changement climatique, mais un récent rapport annuel révèle que seulement 7 % des fonds déboursés au cours de la première année de cet engagement sont allés directement à des organisations autochtones ou communautaires.
- En réponse à une tendance globale dans laquelle une petite partie de l’aide relative au climat va directement à ces organisations, celles-ci se sont unies afin d’élaborer des mécanismes de financement auxquels de gros donateurs peuvent contribuer. Ces organisations contrôlent ensuite la distribution de l’argent à des organisations plus petites, ce qui permet un meilleur contrôle sur les priorités financées.
- Pour appuyer ces efforts, l’Alliance pour le climat et l’utilisation des terres basée aux États-Unis, un collectif de plusieurs fondations privées, travaille avec un groupe plus large de donateurs philanthropes s’intéressant au climat afin de développer « un système “d’aplomb” pour ces financements » par l’intermédiaire de la Forests, People, Climate Collaborative.
- Les leaders autochtones disent que davantage d’argent est nécessaire pour protéger les forêts et atténuer les effets du changement climatique, mais l’engagement de 2021 a ouvert la porte à de nouveaux moyens d’impliquer les organisations autochtones ou communautaires dans l’allocation des fonds.
La protection des forêts par l’investissement dans les peuples autochtones et les communautés locales (PACL) est de plus en plus considérée comme l’un des moyens les plus efficaces d’atténuer le changement climatique et d’arrêter la perte mondiale de biodiversité. Le problème est qu’une grande partie des financements n’arrive pas jusqu’aux organisations dirigées par des PACL qui peuvent s’attaquer à ces questions, dit Lindsey Allen, la directrice générale de l’Alliance pour le climat et l’utilisation des terres (Climate and Land Use Alliance, CLUA).
« Aujourd’hui, il existe une discordance incroyable entre ce qui a été démontré comme étant efficace pour protéger les forêts tropicales et soutenir les communautés, et les projets qui reçoivent la majorité des financements », dit Allen dans un e-mail à Mongabay. « Cela doit changer. Il est impossible d’arrêter la déforestation sans qu’une plus grande partie des financements n’atteignent des organisations dans les pays où se trouvent les forêts tropicales, et en particulier des organisations autochtones et communautaires. »
En réponse à cette déconnexion, des organisations de PACL s’unissent afin d’élaborer des mécanismes de financement auxquels de gros donateurs peuvent contribuer. Pour appuyer ces efforts, la CLUA basée aux États-Unis, un collectif de plusieurs fondations privées, travaille avec un groupe plus large de donateurs philanthropes s’intéressant au climat afin de développer ce qu’Allen appelle « un système “d’aplomb” pour ces financements ». L’objectif est de transférer des fonds plus efficacement là où ils peuvent avoir le plus grand impact.
La recherche scientifique a clairement fait ressortir le rôle important que les PACL jouent dans la gestion des forêts. Les terres ancestrales contiennent 36 % des forêts intactes restantes qui renferment de vastes quantités de carbone décisives pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. Mais dans de nombreux endroits, les droits des PACL ne sont pas légalement reconnus. Ces organisations font également face à de nombreux obstacles qui bloquent l’acheminement des contributions des donateurs. Les organisations des PACL ne sont souvent pas en mesure de satisfaire les exigences en matière de surveillance et de rapports, et les financements qu’elles reçoivent peuvent ne pas être suffisamment flexibles pour être adaptés aux priorités sur le terrain.
Qui plus est, les organisations de PACL sont souvent de petite taille et trop nombreuses pour que les donateurs interagissent directement avec elles. Cela peut rendre difficile la communication, dit Levi Sucre Romero, un leader autochtone Bribri au Costa Rica, dans un message enregistré à Mongabay.
« Nous avons réalisé qu’il est difficile [ou] impossible de travailler avec tout le monde ou de parler à tout le monde en même temps », dit Sucre, qui est également co-président de l’Alliance mondiale des communautés territoriales (Global Alliance of Territorial Communities, GATC). La GATC représente des communautés traditionnelles dans 24 pays qui recouvrent 60 % des forêts tropicales de la Terre.
Des financements ont commencé à être dirigés vers des projets climatiques, en particulier depuis l’annonce d’un engagement de 1,7 milliard de dollars provenant de gouvernements et de financeurs privés annoncé à la conférence des Nations Unies pour le climat en 2021. Mais les leaders des PACL et les défenseurs des droits des autochtones s’inquiètent de ce que seulement 7 % des 321 millions de dollars distribués au cours de la première année de l’engagement sont allés directement à des groupes de PACL.
Sucre dit que les projets visant à restaurer des forêts, et ainsi à préserver le carbone qu’elles contiennent et la biodiversité qu’elles abritent, ont besoin de plus d’argent. L’Initiative des droits et ressources (Rights and Resources Initiative) calcule qu’il coûterait 10 milliards de dollars d’officialiser les titres de propriété des PACL d’ici à 2030 afin de limiter l’augmentation des températures mondiales. Mais, Sucre dit que l’engagement de 2021 a ouvert la porte à de nouvelles conversations autour des financements et a aidé les PACL à comprendre ce qui bloque l’accès à cet argent.
Une réponse de la communauté mondiale des PACL a été de créer un ensemble de caisses axées sur des régions géographiques qui servent de centres de diffusion pour les fonds des donateurs et distribuent de grandes subventions en tranches plus petites à des organisations locales. Les caisses dirigées par des PACL, dont les caisses the Mesoamerican Territorial Fund en Amérique centrale, Nusantara Fund en Indonésie, et Podáali Fund au Brésil, sont construites autour de la plateforme Shandia, qui se concentre sur le contrôle par les PACL de la dépense de l’argent destiné à lutter contre le changement climatique et la dégradation des terres.
Le leadership des PACL sur ces questions a incité les donateurs à créer des systèmes complémentaires qui sont reliés directement à ces mécanismes conçus par les PACL. Par exemple, CLUA travaille avec 13 organismes philanthropiques privés sur la Forests, People, Climate Collaborative afin d’amener plus d’argent aux PACL et d’en acheminer autant que possible par l’intermédiaire de ces mécanismes gouvernés par des PACL.
« Nous pensons que le plus souvent [les caisses territoriales] comprennent, ont accès et sont les mieux placées pour soutenir le paysage des organisations locales d’une façon qui n’est pas à la portée des financeurs à la tête de plusieurs millions de dollars », a dit Allen.
Les 13 donateurs privés impliqués se sont engagés à verser un montant cumulé de 780 millions de dollars pour des projets climatiques dans des pays où se trouvent des forêts tropicales, en particulier en Amazonie, dans le bassin du Congo et en Indonésie. Ils espèrent collecter un total de 1,2 milliard de dollars au cours des cinq prochaines années. Allen a dit que le groupe prévoyait d’utiliser des caisses territoriales existantes et d’aider à en créer de nouvelles là où cela est nécessaire.
Forests, People, Climate travaillera également à réduire les obstacles auxquels font face les groupes de PACL. Allen a dit que les groupes de PACL ont souvent des difficultés avec les exigences des donateurs en matière d’établissement de rapports sur les progrès des projets financés, ce qui détourne de l’énergie et des ressources du vrai travail qui bénéficie à l’atténuation du changement climatique.
« Nous avons entendu l’Alliance mondiale des communautés territoriales le décrire le mieux en demandant des “rapports basés sur les résultats” plutôt que des “rapports basés sur des reçus” », a-t-elle dit. « Autrement dit : les financeurs préfèreraient-ils utiliser le temps restreint d’une leadeuse autochtone en première ligne pour composer une réponse communautaire contre les intrusions liées à l’exploitation minière illégale, ou pour préparer un rapport des dépenses ? »
La reddition de comptes est tout de même essentielle, a ajouté Allen, et l’établissement de rapports et d’autres tâches administratives pourraient être des missions pour lesquelles les organisations de PACL pourraient choisir de travailler avec des intermédiaires, comme des ONG internationales, des banques de développement et des groupes de conseil.
Ils « jouent tous des rôles différents dans cet écosystème et la question est : qui est le mieux placé pour déployer un financement pour quoi ? », dit-elle. Forests, People, Climate vise à aider à déterminer à quel moment travailler avec un intermédiaire représentera un avantage pour le projet sur le terrain.
Sucre a dit qu’il était ragaillardi par le changement de cap de la conversation, car elle est maintenant centrée sur les meilleurs moyens de soutenir les PACL. La Forests, People, Climate Collaborative a été annoncée le 7 novembre pendant la conférence des Nations Unies pour le climat à Sharm el-Sheikh en Égypte. Sucre dit que l’Alliance mondiale des communautés territoriales continuera à travailler avec la CLUA et les financeurs pour élaborer une structure de gouvernance lors de la conférence des Nations Unies sur la biodiversité commençant le 7 décembre à Montréal.
L’ONG de défense de l’environnement Rainforest Foundation Norway (RFN) a rendu compte du manque de soutien apporté aux PACL, remarquant dans un rapport de 2021 que moins de 1 % de l’aide relative au climat va directement à ces groupes. RFN a également travaillé en tant qu’intermédiaire avec des PACL dans des pays comme l’Indonésie.
Torbjørn Gjefsen, le chef de l’équipe en charge des politiques à RFN et auteur principal du rapport de 2021 a salué ces mesures visant à réorienter les financements. (RFN reçoit des financements du Groupe Ballmer, qui fait également partie des 13 financeurs de Forests, People, Climate.)
« Il y a un engouement philanthropique accru pour financer la protection de la nature et la sauvegarde des droits fonciers, ce qui est à la fois bienvenu et nécessaire », a écrit Gjefsen dans un e-mail. « Mais il est important que cette croissance soit coordonnée et éclairée par l’expérience et les connaissances de ceux qui ont fourni des financements dans ces domaines dans la durée pour faire en sorte qu’ils atteignent les endroits qui en ont le plus besoin et où ils auront le plus d’effet.
« C’est une chose à laquelle l’initiative Forest, People, Climate peut contribuer », a-t-il ajouté.
Image de bannière : Une femme récolte des feuilles de liane okok (Gnetum spp.) dans le village de Minwoho au Cameroun. Image par Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/12/indigenous-peoples-and-communities-drive-climate-finance-reform/