Nouvelles de l'environnement

Cameroun: Cohabitation avec une carrière devient un calvaire pour des communautés

Un aperçu des maisons d’habitations agrippées sur le mont Nkol-Bifouan. Image © Yannick Kenné.

Un aperçu des maisons d’habitations agrippées sur le mont Nkol-Bifouan. Image © Yannick Kenné.

  • Une carrière de pierre exploitée par la société chinoise Jinli Cameroun Sarl se trouve dans une zone habitée où plusieurs maisons présentent des fissurations et sont menacées de destruction du fait des vibrations ondulatoires entrainées par les opérations de tirs explosifs.
  • Les communautés accusent aussi les activités de la société impacte de destruction de l’environnement, de pollution de l’air, et surtout de non-respect de ses engagements en faveur du développement de la localité.
  • Le responsable de la carrière bat en brèche ces allégations, et évoque l’aménagement de la route conduisant à la mine, qui a permis de désenclaver le village.
  • La mairie de la localité se contente de collecter la redevance sur les produits issus de la carrière, sans réinvestir en contrepartie.

FEBE, Cameroun – Dans la localité du village Febe située à 6 kilomètres du centre-ville de Yaoundé la capitale camerounaise, une carrière de pierre surplombe une des pentes du mont Nkol-Bifouan. À proximité de la mine exploitée par la société chinoise Jinli Cameroun Sarl, se dressent plusieurs maisons d’habitations construites anarchiquement.

L’une d’elles est le domicile de Ambroise Ondoa, chef de la localité de Nkol-Bifouan. Cette bâtisse faite de matériaux définitifs présente une allure défraichie. Le toit a été emporté par les intempéries, et les murs sont lézardés de fissures. Ce sexagénaire arc-bouté à sa canne s’est recroquevillé avec sa famille dans l’une des pièces encore partiellement couverte, en attendant désespérément de pouvoir réunir des économies issues de l’agriculture pour réaliser des travaux de réfection sur sa maison.

Le domicile en décrépitude d’Ambroise Ondoa, chef de la localité de Nkol-Bifouan, impacté par les vibrations ondulatoires de la carrière de Febe-village. Image © Yannick Kenné.
Le domicile en décrépitude d’Ambroise Ondoa, chef de la localité de Nkol-Bifouan, impacté par les vibrations ondulatoires de la carrière de Febe-village. Image © Yannick Kenné.

Cet habitat en décrépitude résulte en partie des vibrations ondulatoires émanant de l’intense activité de la carrière susmentionnée, à en croire son propriétaire : « les séquelles sont perceptibles presque partout sur les maisons qui sont dans cette zone. Il n’y a qu’à voir les effets sur ma maison, avec le toit détruit et les fissures un peu de partout, alors que je suis à une distance relativement éloignée », témoigne Ambroise Ondoa.

Il ajoute : « lorsqu’ils procèdent à des tirs, nous ressentons des vibrations, et il y a même les petits enfants qui s’écroulent ».
En dépit des effets néfastes des activités de la carrière dans cette localité, les maisons d’habitations continuent de germer aux environs, en violation de la distance de sécurité de 500 mètres prescrite par l’article 66 du code minier camerounais adopté en 2016, mais dont l’applicabilité est toujours subordonnée à un décret du président camerounais Paul Biya.

Au sein des communautés, la question de la relocalisation n’est pas à l’ordre du jour, les riverains se prévalant d’être les premiers occupants des lieux. Au demeurant, elles exigent des compensations pour les effets polluants de l’activité sur leur environnement. En vain.

Elles manquent encore un soutien de poids pour les accompagner dans ce combat, déçues par l’indifférence des autorités administratives locales, précisément celles de la sous-préfecture de Yaoundé II, qui n’ont pas donné de suite à la demande d’informations de Mongabay.

Entrée principale de la carrière de Febe-village. Image © Yannick Kenné.
Entrée principale de la carrière de Febe-village. Image © Yannick Kenné.

Temps d’arrêt et impact sur les communautés

En effet, la société chinoise a recours aux explosifs pour dynamiter les moellons avant de les concasser en matériaux divers aux fins de commercialisation. Elle réalise l’opération au moins deux fois par mois, et a mis sur pied un système d’alerte pour prévenir les riverains, afin qu’ils s’éloignent du village le temps des explosions.

À moins d’un kilomètre de la mine, les écoliers du G.S.B Maristan, une école primaire située dans la localité, se voient souvent contraints de suspendre les cours et de quitter la zone pour ne replier que des heures après l’opération, sous l’encadrement du personnel enseignant.

« Quand ils veulent faire les tirs et qu’ils nous préviennent en donnant une heure, on arrête les cours à cette heure-là, puis on éloigne les élèves pour éviter des désagréments plus importants », raconte Julienne Song, responsable administratif dans cet établissement scolaire.

Plusieurs heures après les tirs d’explosifs à la mine, un nuage de poussière blanchâtre se propage dans le ciel du village, et est inéluctablement inhalée par les populations riveraines.

Le chimiste-organicien Auberlin Maffo explique que la pierre fréquemment exploitée dans les carrières est le basalte, lequel compte une pléthore de minéraux, dont les métaux lourds.

« Le concassage se fait avec du nitrate et de la dynamite, qui sont composées de substances chimiques. Lorsque la poussière s’élève, elle emporte des déchets de nitrate et de dynamite restés dans la roche lors du dynamitage, et ce sont ces substances qui sont susceptibles de constituer un danger chez les populations qui les aspirent aux alentours des mines », précise-t-il.

Opération de concassage de pierres dans l’enceinte de la carrière de Febe-village. Image © Rural.info (website).
Opération de concassage de pierres dans l’enceinte de la carrière de Febe-village. Image © Rural.info (website).

En 2015, le cabinet H&B Consulting, spécialisé en hygiène, sécurité et environnement, a réalisé un audit environnemental et social pour le compte de la société Cimenteries du Cameroun (CIMENCAM), qui mène des activités similaires dans le pays.

Celle-ci révèle qu’à court terme, les poussières fines inférieures à 1μ atteignent les alvéoles et peuvent pénétrer dans le sang. Elles peuvent transporter d’autres polluants qui y sont adsorbés (SO2, métaux lourds…). Tandis qu’à long terme, ces polluants peuvent provoquer des maladies respiratoires telles : asthme, bronchite, emphysème, ou le cancer des poumons.

Le désastre écologique qui en découle est également préoccupant, à en croire le Professeur Émile Temgoua, environnementaliste et enseignant à l’université de Dschang, à l’ouest du pays : « il y a de très forts impacts sur la biodiversité résultant d’une telle activité. Tout ce qu’il y avait comme forêt, savane, animaux sauvages (sur près de 25 hectares de terres)…a disparu.

La poussière issue du concassage qui se répand dans l’air, au-delà de rentrer dans les systèmes respiratoires des humains, elle est également toxique pour les végétaux, qui vont faner et mourir ; la qualité physique de l’eau consommée dans le coin sera aussi impactée par cette poussière ».

Promesses non tenues par la société

La localité de Nkol-Bifouan, à l’image de plusieurs autres abritant des mines artisanales semi-mécanisées dans le pays, souffre d’un déficit criard d’infrastructures. Le village perdu dans les montages se trouve dans une zone aride, et l’approvisionnement des populations en eau potable relève d’un véritable défi.

Point d’eau aménagé au pied du mont par les villageois, et pas épargné par les effets polluants de la carrière. Image © Yannick Kenné.
Point d’eau aménagé au pied du mont par les villageois, et pas épargné par les effets polluants de la carrière. Image © Yannick Kenné.

Un point d’eau manuellement aménagé jaillit au pied d’une pente abrupte et abreuve le village. Ceci grâce aux modestes revenus collectés mensuellement par la chefferie auprès des riverains, à raison de $1,60 (1 000 Francs CFA) par habitat. Le village ne dispose pas d’hôpital, encore moins de points d’adduction d’eau potable, et est surtout desservi par une route crevassée et non bitumée.
Alors que ces projets figuraient parmi les promesses faites aux populations par la société Jinli Cameroun Sarl lors du démarrage de ses activités dans le village il y a trois ans.

Par le passé, les communautés courroucées ont manifesté pour protester contre l’opacité de la société chinoise, l’obligeant à réaménager un pont dans le village. Leurs rapports sont désormais moins conflictuels, mais restent sous-jacents. L’entreprise se gargarise plutôt d’avoir contribué à désenclaver la localité, en créant la route qui traverse le village jusqu’à la mine.

« Avant, on vendait le mètre carré de terre ici (Febe-village) à $0,81 (500 Francs CFA), mais maintenant, il coûte $20 (12 000 Francs CFA), grâce à la route qui a développé la zone », soutient Kevin, le responsable chinois de la carrière de Febe-village.

Lecture recommandée: RDC : Des attaques contre les chinois de l’industrie extractive

Une ruelle enclavée de la localité de Febe-village toujours en attente d’aménagement. Image © Yannick Kenné.
Une ruelle enclavée de la localité de Febe-village toujours en attente d’aménagement. Image © Yannick Kenné.

Laxisme des pouvoirs administratifs

À la mairie de Yaoundé II dont dépend administrativement le village, les questions liées au développement de la localité sont systématiquement renvoyées à la société chinoise. À la sortie de la mine, l’administration communale se contente de collecter la taxe sur les produits de carrière, à raison de $4,90 (3 000 Francs CFA) par camion pour renflouer ses caisses. Rien n’est investi en contrepartie au profit des communautés.

Les responsables ont d’ailleurs décliné toutes sollicitations de Mongabay pour tenter de démêler l’écheveau.

Pas plus que ceux du ministère des Mines, de l’industrie et du développement technologique, chargé de s’assurer du respect des engagements pris par la société dans le plan de gestion environnemental et social élaboré avant toute activité d’exploitation minière.

D’après le Professeur Émile Temgoua, « le rôle de l’étude est de proposer toutes les mesures de bonification des impacts positifs, mais également d’atténuation de compensation d’élimination de tous les impacts qui vont être négatifs. La mise en œuvre de ce plan demande un acteur de mise œuvre de réalisation, mais également un acteur de suivi et de contrôle qui incombe essentiellement aux autorités administratives », étaye-t-il.

Au Cameroun, l’engouement pour le développement des projets de carrières a considérablement baissé au fil des années. Les données disponibles contenues dans l’annuaire statistiques du ministère camerounais des Mines (version 2020) révèlent que sur la période 2018 à 2020, le nombre de carrières a baissé, passant de 434 en 2018 à 377 en 2020, soit une baisse de 13%.

 

Cet article a été publié ici sur le site anglais de Mongabay.

Image mise en avant : Un aperçu des maisons d’habitations agrippées sur le mont Nkol-Bifouan. Image © Yannick Kenné.

Reportages recommandés: Jusqu’à 72% d’orpailleurs infectés au mercure dans des sites miniers artisanaux au Cameroun

En savoir plus avec le podcast de Mongabay (en anglais) : Entretien avec Anuradha Mittal, directrice générale de l’Oakland Institute, et Christian-Geraud Neema Byamungu, chercheur congolais, sur l’impact de l’extraction des ressources sur les droits humains et l’environnement en République démocratique du Congo.

COMMENTAIRES : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’auteur de cet article. Si vous souhaitez poster un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.

Quitter la version mobile