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Alors que les banques financent un oléoduc, les militants remettent en question leurs engagements environnementaux

Une femme manifestant contre le projet EACOP . Image Flickr

Une femme manifestant contre le projet EACOP . Image Flickr

  • Selon les militants, certaines banques qui ont adhéré aux Principes de l’Équateur ne respectent pas leur engagement d’évaluer correctement les risques environnementaux et sociaux des projets qu’elles financent.
  • Standard Bank, en Afrique du Sud, et Sumitomo Mitsui Banking Corporation, au Japon, facilitent le financement du projet d’oléoduc en Afrique de l’Est (EACOP).
  • Lorsqu’il sera pleinement opérationnel, le pétrole brut transitant par l’oléoduc générera 34 millions de tonnes métriques d’émissions de gaz à effet de serre chaque année.
  • Selon les militants, l’EACOP, dont la longueur prévue est supérieure à 1 400 kilomètres, traversera plusieurs zones écologiquement sensibles et sa construction a déjà affecté 12 000 ménages qui n’ont pas été correctement indemnisés.

Des militants ont accusé une association de banques qui affirment adhérer à des principes de protection des personnes et de l’environnement « d’écoblanchiment ». Deux signataires des Principes de l’Équateur conseillent actuellement les gouvernements d’Afrique de l’Est et leurs principaux partenaires pétroliers afin de garantir le financement de l’oléoduc EACOP.

Les banques qui signent les Principes de l’Équateur s’engagent à respecter un ensemble de directives volontaires par lesquelles les impacts environnementaux et sociaux des grands projets industriels sont pris en compte. Plus de 130 institutions financières autour du globe en sont signataires, parmi lesquelles le Sud-Africain Standard Bank et le japonais Sumitomo Mitsui Banking Corporation (SMBC).

Pourtant, Standard Bank et SMBC continuent de faciliter le financement de l’oléoduc d’Afrique de l’Est (en anglais « East African Crude Oil Pipeline », EACOP).

« Les banques font beaucoup de promesses, mais ne s’engagent à aucune action. Elles prêchent l’eau et boivent le vin », déclare Omar Elmawi, coordinateur de la campagne StopEACOP.

La construction de l’oléoduc a débuté l’année dernière. Une fois terminé, ce sera le plus long oléoduc chauffé au monde, allant du lac Albert en Ouganda, jusqu’au port de Tanga en Tanzanie. Le français TotalEnergies et China National Offshore Oil Corporation sont les parties prenantes les plus importantes du projet.

Construction d’une route près du parc national Murchison : la machinerie et les poids lourds destinés à la construction d’une section de l’oléoduc au sein du parc ont perturbé la faune et la flore. Image de Thomas Lewton.
EACOP's route stretches 1,445 kilometers from Hoima to the port of Tanga in Tanzania. Image by Sputink via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).
Il est prévu que l’EACOP parcoure 1 443 kilomètres, depuis Hoima jusqu’au port de Tanga en Tanzanie. Image de Sputink depuis Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

« Standard Bank ne devrait pas poursuivre le projet EACOP, car son financement est contraire aux Principes de l’Équateur », affirme M Elmawi, faisant référence au rapport produit par l’Institut africain pour la gouvernance énergétique (en anglais « Africa Institute for Energy Governance », AFIEGO), Inclusive Development International et BankTrack en juin.

Jusqu’à présent, Standard Bank a cessé de financer directement l’EACOP, affirmant qu’elle ne le fera que si le projet se conforme aux principes auxquels elle a souscrit. Le rapport d’AFIEGO a révélé que les communautés affectées n’ont pas été correctement informées et consultées, que le projet ne parvient pas à atténuer les risques environnementaux pour les écosystèmes protégés et les sources d’eau qu’il traversera, et que le processus d’acquisition des terres était inapproprié.

« Nous avons recueilli des plaintes de personnes affectées par le projet qui affirment que les compensations étaient insuffisantes et retardées », rapporte Diana Nabiruma pour AFIEGO. « Leurs revenus ont diminué et elles ne peuvent pas nourrir leurs enfants. »

« De nombreux éléments prouvent que ce projet ne se conformera pas aux principes », affirme Ryan Brightwell, directeur de recherche pour BankTrack. « De notre point de vue, c’est tout blanc ou tout noir. »

D’après TotalEnergies toutefois, les consultants embauchés pour conduire l’analyse de risques du projet destinée aux investisseurs n’ont pas rapporté d’élément alarmant qui serait considéré comme rédhibitoire pour le financement. Le rapport en question, mené par Golder Associates pour le compte de Standard Bank, n’a pas été rendu public malgré la promesse du PDG de la banque en mai dernier.

« Nous voulons connaître la liste de communautés et de groupes de la société civile qui ont été consultés par Golder Associates », explique Mme Nabiruma.

Un porte-parole de Standard Bank a annoncé que « les conclusions du rapport sont actuellement revues par des experts en interne. L’évaluation finale de Standard Bank et la décision qui en découlera suivront les délais du projet. »

Stéphanie Platat, responsable relations presse pour TotalEnergies, a déclaré : « Tous les partenaires se sont engagés à mettre ces projets en œuvre de manière exemplaire, et en prenant en considération les enjeux environnementaux et de biodiversité ainsi que les droits des communautés concernées, en conformité avec les standards de performance exigeants de l’International Finance Corporation (IFC). »

« Selon les conclusions principales de ce rapport, qui a nécessité plus d’un an de travail, combinant examens de la documentation électronique, entretiens, ateliers et visites de terrain, le projet EACOP se conforme déjà, ou se conformera à la totalité des 8 normes de performance de l’IFC. »

En septembre, le Parlement européen a voté une résolution d’urgence condamnant le projet EACOP en raison de sa violation des droits de l’homme et des risques environnementaux posés. « C’est extraordinaire de dire qu’il n’y a aucun élément alarmant », affirme M Brightwell, qui a demandé la mise en place d’un mécanisme de réclamation permettant aux communautés concernées de demander directement des comptes aux banques lorsqu’elles ne respectent pas leurs engagements au titre des Principes de l’Équateur.

Suivant l’assemblée générale annuelle des Principes de l’Équateur d’octobre, l’organisation a annoncé de nouveaux « outils de diligence raisonnable » afin d’améliorer l’accès aux mécanismes de réclamation.

Si M Brightwell salue cette mesure, il note toutefois que ces outils n’abordent pas la question de la responsabilité au niveau de la banque.

« Elle n’est pas adaptée à l’objectif. Nous ne pouvons pas compter sur les banques pour faire ce qu’elles promettent. Mais il n’est pas question ici de jeter le bébé avec l’eau du bain. Nous reconnaissons le potentiel des Principes de l’Équateur pour garantir une meilleure gestion des risques dans le financement de projets. »

M Elmawi, quant à lui, pense que le système a besoin d’une refonte afin d’assurer que les banques contrevenant aux principes payent des amendes considérables. « Nous nous devons d’être sérieux. Ces principes doivent dissuader les personnes de faire du tort », dit-il à Mongabay.

En 2018, les sous-traitants de l’oléoduc ont acheté une parcelle de terrain traversant la ferme familiale d’Elizabeth Ayebare, mais sa famille n’a toujours pas été compensée. Image reproduite avec l’autorisation de Thomas Lewton.

BankTrack a également appelé les membres des Principes de l’Équateur à aller plus loin et refuser tout investissement futur dans le secteur du pétrole et du gaz. D’après BankTrack, presque 200 nouveaux projets fondés sur les énergies fossiles ont été financés par les signataires des Principes de l’Équateur depuis 2016. « Les banques tentent de donner l’impression qu’elles agissent face à la crise climatique, mais elles ne s’engagent à rien », affirme M Elmawi.

L’Agence internationale de l’énergie et le GIEC ont tous deux déclaré qu’il ne devait y avoir aucune nouvelle exploitation de combustibles fossiles si l’on voulait limiter la hausse des températures à 1,5 ° Celsius par rapport aux niveaux préindustriels (seuil au-delà duquel les chercheurs s’attendent à ce que les changements climatiques s’emballent) et si le monde devait atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Ces deux objectifs ont été fixés par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Or, l’EACOP générera plus de 34 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone chaque année.

En septembre, l’oléoduc a obtenu un premier engagement financier à hauteur de 100 millions de dollars de la part de la Banque islamique de développement, basée en Arabie saoudite, qui n’est pas signataire des Principes de l’Équateur.

Selon un porte-parole de Standard Bank : « Standard Bank s’engage à maximiser les opportunités de croissance soutenable et inclusive à travers le continent, tout en gérant les risques liés au changement climatique. »

Le porte-parole de TotalEnergies a quant à lui annoncé que : « Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir afin que ce projet soit un exemple de transparence, de prospérité partagée, de progrès économique et social, de développement durable, de responsabilité environnementale et de respect des droits de l’homme. »

Mongabay a sollicité l’association des Principes de l’Équateur, mais n’a pas été en mesure d’obtenir de réponse avant la publication de cet article.

 
Image de bannière : Phonothèque AT depuis Flickr (CC BY-NC 2.0)

Article original: https://news.mongabay.com/2022/11/as-banks-fund-oil-pipeline-campaigners-question-their-environmental-pledges/

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