Nouvelles de l'environnement

Les vêtements à base de plantes pourraient aggraver la déforestation – ou la réduire

  • Les tissus à base de cellulose sont faits de fibres extraites de plantes et transformées pour la confection de vêtements. Les fibres cellulosiques représentent aujourd’hui la croissance la plus rapide de l’industrie textile – croissance due en grande partie aux promesses de plus haute intégrité écologique.
  • Les entreprises dominant le marché ont entraîné avec elles leur lot de problèmes systémiques : déforestation, assèchement des zones marécageuses et mauvaise gestion des déchets.
  • Malgré les questions soulevées sur la durabilité, l’avenir du marché reste prometteur selon les experts, car les entreprises pourraient y voir une chance d’innover et d’apporter de nouvelles matières et de nouveaux procédés de fabrication sur le marché.

Les scientifiques et les entreprises misent sur une petite section du marché du textile pour répondre aux menaces de l’industrie de l’habillement sur le climat et les écosystèmes. Les tissus à base de cellulose sont faits de fibres extraites de plantes, tissées et transformées pour la confection de vêtements. Les fibres cellulosiques représentent aujourd’hui la croissance la plus rapide de l’industrie textile – croissance due en grande partie aux promesses de plus haute intégrité écologique.

Toutefois, jusqu’à présent, les entreprises dominant le marché ont entraîné avec elles leur lot de problèmes systémiques : déforestation, assèchement des zones marécageuses et mauvaise gestion des déchets. Selon les experts, l’avenir du marché reste cependant prometteur, car les entreprises pourraient y voir une chance d’innover et d’apporter de nouvelles matières et de nouveaux procédés de fabrication sur le marché.

« À condition que [l’industrie du textile] se retire des forêts anciennes et menacées. Il n’y a absolument rien qui justifie leur présence dans ces forêts », déclare Peter Wood, militant principal auprès de Canopy Planet. Le groupe de protection des forêts anciennes et menacées estime que 200 millions d’arbres sont abattus chaque année pour la confection de vêtements à base de fibres de cellulose qui jouent un rôle – même s’il reste limité aujourd’hui – de plus en plus déterminant dans le développement de l’agrobusiness.

Chefs de file d’une nouvelle vague de recherche et de développement, start-up et entreprises bien établies expérimentent de nouvelles méthodes de création de fibres textiles, que ce soit à base de bois issu de forêts certifiées renouvelables, ou encore de déchets fermentés ou de coton recyclé. Les nouvelles techniques de fabrication pourraient contribuer à considérablement réduire les émissions de l’industrie textile. Selon les estimations, l’industrie est responsable de plus d’émissions de gaz à effet de serre que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni réunis. Toutefois, ces innovations se heurtent à d’importants obstacles de financement, tandis que les grandes entreprises qui dominent le secteur s’appuient sur des matériaux et des procédés inefficaces du point de vue de la réduction des émissions.

« Aujourd’hui la situation est différente, car les marques de vêtements se soucient non seulement de la disponibilité des matières premières, mais aussi des questions environnementales », observe Ali Harlin, chercheur au Centre technique de recherche VTT de Finlande et partenaire de la coordination du projet GRETE, dont l’Union européenne (UE) assure le financement des recherches de textiles biologiques.

Le pétrole sous forme de polyester et de nylon est le principal composant des matières textiles, mais pour atteindre le niveau de réduction des émissions qui permettrait d’éviter un cataclysme climatique mondial, les réserves de combustibles fossiles vont devoir rester enfouies dans le sol. La fibre de coton, qui représente un tiers de la production, continuera à être très utilisée, soulignent les experts, mais la production plafonne car les questions climatiques et celles liées au droit du travail mettent des barrières à son développement. Cependant, la demande de nouveaux vêtements atteint de nouveaux sommets chaque année, et les entreprises continuent d’attirer de nouveaux clients avec des prix de plus en plus tirés vers le bas.

A display of clothes on mannequins.
Une présentation de vêtements confectionnés à partir d’un mélange de tissus, polyester, viscose, rayonne, nylon et coton, constituant la majorité de la composition des matières textiles. Image de Regan Vercruysse via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Cela créé un « déficit en cellulose », indiquent les scientifiques, et fait des fibres cellulosiques artificielles (MMCFs en anglais), telles que la rayonne de viscose, le segment de marché enregistrant la plus grande croissance. Les entreprises promeuvent l’utilisation de fibres à base de plantes pour leur côté écologique, car lorsque les matériaux sont issus des plantes, ces dernières peuvent tout naturellement repousser. Les fibres elles-mêmes peuvent également être biodégradables. Mais les vêtements ne peuvent pas séquestrer le carbone très longtemps, et les moyens de surveillance des entreprises et de leurs procédés de fabrication peuvent rapidement transformer des forêts en fils de fibres.

La production mondiale de fibres a oscillé autour de 110 millions de tonnes pendant la pandémie, selon Textile Exchange, un institut de recherche qui encourage la durabilité au sein du secteur, soit près du double de la production par rapport à 2009. Il est difficile d’obtenir d’autres statistiques du marché, et de les vérifier. La consommation mondiale de vêtements a été évaluée entre 80 et 150 millions de pièces par année, et il a été estimé que sur cinq articles confectionnés, trois finissent leur cycle de vie dans des décharges chaque année. Six pour cent des matériaux produits pour le textile en 2020 étaient des fibres cellulosiques artificielles.

Traçabilité des arbres

La plupart des fibres cellulosiques commencent leur cycle de vie sous la forme d’arbres sur les plantations d’arbres à pâte qui ont de tout temps alimenté l’industrie de la pâte à papier et du papier. C’est cette étape, l’acquisition des matériaux, qui contribue à la majorité des émissions de l’industrie du textile. Mais, comme le souligne Peter Wood de Canopy Planet, la chaîne logistique est truffée d’éléments obscurs. « C’est un peu comme une boîte noire. Ces matériaux proviennent du monde entier. Ils entrent dans les processus de fabrication à un endroit et ressortent à l’autre bout du monde. »

Le premier producteur Sateri, implanté en Chine, est impliqué, via ses filiales et sociétés sœurs, dans la création de plantations sur des tourbières en Indonésie. Les tourbières sont des zones marécageuses qui contiennent une forte concentration de carbone. Si elles ne représentent qu’un dixième de la taille des forêts du monde, elles peuvent stocker autant de carbone que ces dernières, comme le souligne une étude mondiale parue dans Nature. L’entreprise Sateri a affirmé s’être engagée à s’approvisionner uniquement auprès de fournisseurs qui se sont eux-mêmes engagés à ne pas détruire les forêts et à ne pas développer leur activité sur des tourbières.

Le manque de transparence rend la traçabilité des fibres de cellulose difficile. Textile Exchange n’a pu identifier l’origine que de 42 % de l’approvisionnement des matériaux des entreprises qui ont participé à l’étude publiée dans son rapport – lequel sert généralement de référence aux entreprises et aux organisations à but non lucratif. La Chine et l’Inde ont assuré respectivement 18 et 5 % de ces approvisionnements. L’Indonésie et L’Autriche ont tous deux contribué pour 3 % des approvisionnements, ce qui ne reflète probablement pas la réalité, au vu de la taille des plantations et des usines en Indonésie.

Le manque de transparence permet aux entreprises de se dérober à leur obligation de rendre des comptes. Royal Golden Eagle (RGE), la société mère de Sateri, a également été accusée d’échapper à ses responsabilités pour la destruction des tourbières en Indonésie. Les activités d’une autre filiale ont été identifiées dans des zones de conservation. Les engagements de durabilité de RGE lui permettent de développer des plantations dans les tourbières.

Peat forest being burned in Sumatra.
Une tourbière incendiée à Sumatra (Indonésie). Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

La plupart de ces matériaux proviennent de plantations qui ont été précédemment créées pour subvenir aux besoins de l’industrie de la pâte à papier et du papier. Le secteur est ainsi dominé par les grandes entreprises qui ont des chaînes d’approvisionnement bien établies et difficiles à modifier, déclare Peter Wood de Canopy. Les contrats d’approvisionnement à long terme et l’intégration verticale sont autant d’obstacles à des changements profonds.

Les programmes de certification tels que le Forest Stewardship Council (FSC, système international de certification forestière) ont profité d’un marché en pleine expansion pour honorer leurs engagements en matière de durabilité. Une certification FSC stipule que les matériaux sont issus d’activités d’exploitation qui soutiennent la conservation, la protection des forêts et les droits des peuples autochtones. En 2020, les consommateurs ont, pour la première fois, eu l’occasion d’acheter des vêtements étiquetés FSC. Vingt-quatre fabricants de vêtements, tels que H&M et Masai, ont rejoint le Fashion Forever Pact du FSC, s’engageant à rendre leur approvisionnement de fibres cellulosiques artificielles transparents et, potentiellement, circulaires.

« Les marques ne représentent pas vraiment un défi. Il y a beaucoup de sociétés qui sont véritablement engagées au niveau du développement durable. Je pense que c’est la chaîne d’approvisionnement qui pose problème », a déclaré Jeremy Harrison, directeur principal des marchés du FSC, à Mongabay. Les marques de vêtements sont toujours assez surprises lorsque le FSC assiste à des défilés de mode, et, de plus en plus, elles s’intéressent aux discussions portant sur la variété des matières qui pourraient être issues des forêts.

Textile Exchange, dans son rapport d’étude de marché 2021, a découvert que seulement la moitié de la production des fibres cellulosiques artificielles était issue de forêts certifiées pour leur gestion durable. La majorité de ces forêts étaient certifiées FSC, et PEFC, Programme for the Endorsement of Forest Certification, pour le reste. Le PEFC attribue généralement des certifications aux plus petits propriétaires forestiers.

Les produits issus de forêts certifiées ont également été remis en cause, après que des entreprises certifiées ont été impliquées dans des violations de droits humains. Le FSC certifie également les forêts primaires. « Nous voulons atténuer autant que possible les pressions sur les forêts, et nous croyons en une gestion responsable lorsque la situation le permet », a souligné Jeremy Harrisson. Les sociétés de plantations qui ont été créées sur des terres défrichées après novembre 1994 ne peuvent pas prétendre à la certification FSC et les entreprises doivent conserver un minimum de 10 % de l’échantillon représentatif de leurs unités de gestion.

« En même temps, la demande émanant des entreprises pour les produits dérivés de la forêt augmente », a indiqué Simone Seisl, une consultante qui a travaillé pour Adidas et Textile Exchange. « La question est de savoir si nous voulons concentrer nos efforts sur le secteur de la fabrication ou sur d’autres produits qui présentent une période de séquestration du carbone plus longue que la création de fibres qui ne dure que quelques années. »

A eucalyptus plantation.
La plupart des fibres cellulosiques commencent leur cycle de vie sous la forme d’arbres sur les plantations d’arbres à pâte qui ont de tout temps alimenté l’industrie de la pâte à papier et du papier. Image de Patrick Shepherd/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Transformation d’un arbre en fibres

Récemment, une autre filiale de RGE, Asia Pacific Rayon, a fait part des projets d’expansion de son usine de fabrication en Indonésie, qui devrait ainsi devenir la plus grande usine de cellulose (de rayonne de viscose) dans le monde. La viscose est la fibre de cellulose la plus produite, mais d’après les chercheurs, sa fabrication est le résultat de processus inefficaces qui exposent les ouvriers et les écosystèmes à des produits chimiques toxiques. (Asia Pacific Rayon souligne qu’elle lutte pour que l’industrie adopte les meilleures pratiques en matière de récupération chimique et de gestion des déchets).

La cellulose comprend au maximum 40 % de chacun des arbres abattus pour produire la rayonne de viscose. Le disulfure de carbone est utilisé pour dissoudre la pulpe de bois, mais il peut également être rejeté dans l’air et l’atmosphère durant le processus, mettant alors en danger les ouvriers et les habitants vivant à proximité de l’usine. Chez les humains, l’exposition a été liée à des impacts neurologiques, incluant des hallucinations et des troubles maniaques. À proximité des usines de fabrication de rayonne de viscose, les concentrations de disulfure de carbone peuvent être supérieures aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour des expositions limitées. Ces solvants, en plus des rebuts des arbres, représentent des déchets importants, et il appartient aux entreprises d’assurer leur gestion.

« Vous ne voulez en aucun cas voir un accident se produire dans une usine de viscose, à cause des rejets potentiels de disulfure de carbone », a fait observer Simone Seisl, qui a écrit un chapitre dans un ouvrage sur les textiles durables issus de fibres cellulosiques artificielles.

Au cours des dernières décennies, Lenzing AG, l’un des plus grands producteurs de fibres de cellulose, a dirigé l’élaboration du processus de fabrication du Lyocell, qui utilise un solvant moins nocif entièrement recyclable. La technologie a depuis été adoptée et adaptée par les entreprises, représentant aujourd’hui un huitième du marché des fibres cellulosiques artificielles. Si les solvants sont plus coûteux, les scientifiques s’accordent à dire qu’il s’agit de l’option la plus écologique sur le marché. Les émissions des processus de fabrication du Lyocell représentent la moitié de celles de la viscose.

« On voit beaucoup de start-up émerger dans l’industrie, ce qui signifie que dans 10 ou 15 ans elles se seront vraiment développées », déclare Ali Harlin. Bon nombre de ces start-up se sont imposées sur le marché en affichant l’étiquette de la durabilité, revendiquant pouvoir éviter de nombreux problèmes qui affectent le reste du marché.

Kuura, par exemple, qui appartient à la société forestière finnoise Metsä Group, œuvre à l’amélioration d’un procédé de dissolution de pâte non séchée. Spinnova, utilisant un procédé de dissolution directe et une pulpe de bois certifiée, revendique éviter toute utilisation de solvants et séquestrer plus de carbone qu’elle n’en émet. BastCore aux États-Unis travaille sur la transformation de toute la cellulose d’une usine de chanvre en fibres textiles.

Le développement de ces produits à une échelle supérieure implique également une restructuration des chaînes d’approvisionnement, en particulier sur les sites des usines et des matières premières. Si le processus s’avère coûteux et polluant en raison de l’acheminement des matériaux, les entreprises préfèreront peut-être se pencher sur des solutions d’approvisionnement auprès de forêts où les infrastructures de pulpe de bois sont déjà en place. Certaines usines peuvent aussi être réaménagées pour transformer d’autres matières premières avec de nouveaux procédés.

Wayne Best, professeur adjoint de chimie à l’Université de Western Australia, a découvert une cellulose microbienne, qui a suscité beaucoup d’attention de la part des principaux acteurs et défenseurs de l’industrie. Après avoir terminé de mettre du vin en cuves, un vinificateur a vu une étrange bactérie commencer à se former à la surface de l’une d’elles. La bactérie semble s’être nourrie du sucre du vin et a créé une couche de cellulose pure en surface pour agir comme un dispositif de flottaison. Exploitant la croissance naturelle de la bactérie, l’entreprise de Wayne Best, Nanollose, a décidé de transformer les déchets d’eau de noix de coco, qui partent normalement au rebut ou servent à confectionner des flans à la noix de coco, en cultures pour la production de cellulose. Wayne Best a plus tard déclaré que d’autres rebuts agricoles ou de mélasses pourraient devenir des matières premières pour le tissu d’habillement.

A wet microbial cellulose pellicle
Une pellicule humide de cellulose microbienne est retirée d’une culture. Image de Lightenoughtotravel via Wikimedia Commons (Domaine public).

« C’est non seulement probablement beaucoup plus écologique, car nous n’avons pas besoin d’abattre d’arbres, mais nous n’avons pas non plus besoin de fabriquer la pâte. C’est aussi une fibre beaucoup plus solide », a souligné Wayne Best. Nanollose et la société indienne Aditya Birla, l’un des plus grands fabricants de fibres cellulosiques se partagent les brevets de cette nouvelle technologie.

Bon nombre des petites entreprises qui développent ces nouvelles technologies se trouvent confrontées à des obstacles financiers, et aux prix bon marché des anciennes matières comme la viscose. L’association Canopy s’est associée à des marques de vêtements pour exprimer formellement son intérêt à l’achat de 390 000 tonnes de fibres nouvelle génération par an, comme moyen de garantir des ventes aux nouveaux arrivants.

Canopy promeut les textiles en cellulose 100 % recyclés. Techniquement parlant, a précisé Ali Harlin, il est possible de transformer l’ensemble des tissus mis au rebut pour satisfaire la demande actuelle. Les problèmes surgissent quand les textiles recyclés sont en concurrence avec des produits dérivés de la forêt moins chers. Renewcell, une entreprise basée en Suède, a sécurisé des partenariats avec des marques populaires pour créer des textiles créés à partir de fibres 100 % recyclées. Infinited Fiber, société basée en Finlande a eu un succès similaire avec un tissu recyclé à base de cellulose qui a l’apparence du coton en fibres vierges.

« Quand vous pouvez sécuriser de meilleures teneurs en cellulose d’une manière plus efficace à partir de produits recyclés, c’est tout simplement insensé de continuer à utiliser de la fibre vierge », a fait observer Peter Wood. « Nous avons tellement de déchets de textile et de bois qui pourraient facilement être utilisés dans les matières à base de fibres cellulosiques artificielles. »

Si les innovations du marché suscitent beaucoup d’enthousiasme, Simone Seisl a rappelé que garantir que cette dynamique ne se trouve pas étouffée par les coûts, les concurrents, voire les sociétés partenaires implique des efforts supplémentaires.

« Les innovateurs ont besoin de ces signaux, ils n’ont pas uniquement besoin d’un soutien financier, mais également d’une manifestation d’intérêt et d’engagement de la part des acheteurs », a-t-elle déclaré.

 
Image de bannière :Transformation de la fibre abaca, également connue sous le nom de chanvre de Manille, une espèce de bananes des Philippines, utilisée dans le textile. Image de Ronald Tagra via Flickr (CC BY 2.0).

 
Article original: https://news.mongabay.com/2022/10/clothes-sourced-from-plants-could-expand-deforestation-or-abate-it/

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