- Une récente opération menée par Forêts et développement rural (FODER), révèle que 71,7% d’orpailleurs dans des sites miniers artisanaux au Cameroun sont infectés au mercure, à une concentration supérieure à la limite recommandée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
- Le recours à cette substance dans les activités d’exploitation minière artisanale est pourtant interdit par le gouvernement camerounais depuis 2019, dans un environnement où les morts se comptent par centaines sur les sites miniers.
- Ces hécatombes sont la résultante d’un développement anarchique de l’activité aurifère dans les sites miniers camerounais, où des entreprises entretiennent des rapports très conflictuels avec les communautés, alors que la législation nationale en matière minière tarde à entrer en vigueur.
BATOURI, Cameroun – À Kambelé III, un site minier artisanal de l’arrondissement de Batouri dans la région de l’Est, situé à 415 kilomètres de Yaoundé la capitale camerounaise, les creuseurs d’or, hommes, femmes, adolescents et enfants, ont déjà le cœur à l’ouvrage en cette matinée ensoleillée du jeudi 20 octobre 2022.
Drapés de guenilles disparates et sans protection aucune, ils creusent, fouillent et retournent le sous-sol de ce site éventré sur des hectares de terres à perte de vue. Certains transportent des quantités importantes de terre et des pierres vers des moulins concasseurs, dont les vrombissements offrent un concert assourdissant. De part et d’autre, des installations archaïquement montées en bois sont érigées en laboratoires, et servent à peaufiner le traitement de ces molécules de terre pour en extraire l’or.
Les mains nues plongées au fond d’une cuvette en cuivre, Saliou Hassana, jeune orpailleur de 17 ans, mijote sans cesse le contenu du récipient, une eau boueuse et jaunâtre qui contient des particules. L’opération réalisée avec minutie par le garnement, vise à extraire l’or des particules. Au bout de quelques minutes d’exercice, il obtient des sédiments noirâtres dans lesquels sont enfouies des pépites d’or.
Pour finaliser le processus d’exfiltration du trésor, Saliou fait recours à un réactif jalousement conservé dans un morceau de tissu en laine : le mercure. Le résultat, 0,15 micron d’or, est immédiatement vendu chez un collecteur à l’affût, pour moins de $7,58 (5 000 FCFA).
Saliou se procure le mercure au marché noir auprès des collecteurs d’or. Ceux-ci l’écoulent discrètement aux orpailleurs à dose homéopathique, et pour un bouchon de 3 centimètres de diamètre, l’artisan minier doit débourser jusqu’à 22,63$ (15 000 FCFA). Les collecteurs se montrent peu diserts sur les quantités écoulées au quotidien, encore moins sur la provenance de ce réactif.
L’organisation non-gouvernementale Forêts et développement rural (FODER), engagée sur les questions environnementales et à celles relatives aux droits humains, a publié en octobre les résultats des analyses après des prélèvements de cheveux sur 60 orpailleurs dans les arrondissements de Batouri, Kette, Ngoura et Bétaré-Oya.
Ceux-ci ont révélé que 43 parmi les sujets prélevés, soit 71,7%, ont des concentrations maximale, minimale et moyenne de mercure dans les cheveux, de 8,97 mg/kg, 0,78 mg/kg et 2,1±1,8 mg/kg, soit une concentration totale de mercure supérieure à la limite recommandée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
D’après l’étude, la plupart de ces orpailleurs infectés ont été exposés à l’usage du mercure entre deux et dix ans, ce qui les exposent à un risque d’intoxication aigue au mercure, à en croire le docteur Ralph Obase Musono, médecin spécialiste de santé et sécurité, par ailleurs consultant dans le cadre de cette étude.
« Il est important de préciser que lorsqu’il y a une intoxication aigue au mercure, on court le risque de développer des maladies de la peau. Si c’est par inhalation d’une quantité importante, la personne peut développer une pneumonie, mais c’est fonction du contexte », explique-t-il.
« Chez une femme enceinte par exemple qui est exposée au mercure, la substance inhalée se propage au niveau du placenta et bloque l’oxygénation de l’enfant, avec un risque d’avortement, un retard de croissance intra-utérine, ou des malformations congénitales. Et pour l’exposition au mercure sur le long terme c’est-à-dire chronique, l’orpailleur peut développer des cancers, de la peau, du cerveau, ou du foie ».
Pour des gains aléatoirement récoltés au quotidien dans l’extraction artisanale de l’or et dans des conditions dantesques, Saliou, originaire de la région du Nord (la deuxième qui concentrait 20,1% des populations pauvres du Cameroun en 2014), met en péril sa santé en ayant recours à une substance dont l’usage est interdit par le ministère des Mines, de l’industrie et du développement technologique depuis août 2019. Mais il n’a aucune connaissance.
« Je ne suis pas au courant de l’interdiction. Qui a interdit son utilisation ?», s’interroge-t-il, avant de confier à Mongabay que : « nous utilisons ça ici (Kambelé III) depuis toujours pour capter l’or. Sinon, comment allons-nous faire pour séparer l’or des débris ? ».
En effet, cette mesure gouvernementale semble qu’un pavoisement. Le ministère sectoriel brille par son absence dans le suivi de l’exécution de ladite mesure.
« Nous essayons de traquer les hors la loi, mais étant donné qu’au niveau de nos services déconcentrés, on n’a pas assez de personnels, le contrôle de cette activité échappe un peu à l’administration », avoue Evelyne Ngo Nyeck, cadre administratif de la Brigade nationale de contrôle des activités minières au ministère des Mines camerounais.
Un autre péril aux vies humaines
D’après Justin Landry Chekoua, chef du Projet mines, environnement, santé & société, phase II (ProMESS 2) au sein de FODER, l’étude a été en partie motivée par le nombre accru de décès enregistrés sur les chantiers miniers au cours des dernières années : « on a voulu, au-delà des décès, comprendre quels sont les causes fondamentales et les dangers auxquels ils sont exposés, afin qu’on en parle désormais avec des données scientifiques qui ne sont pas contestées », soutient-il.
Entre 2014 et 2022, cette ONG a déjà recensé 205 décès dans les sites miniers des régions de l’Est et de l’Adamaoua, la plupart du temps causés par des trous béants abandonnés après une exploitation artisanale semi-mécanisée à l’aide des pelles excavatrices.
En septembre 2021, FODER a décompté 703 trous sur les sites miniers, dont 139 lacs artificiels sur une superficie de 93,66 hectares, et dans lesquels ces sociétés déversent souvent des huiles usées et des hydrocarbures résultant de leurs activités. Ces trous sont abandonnés par les sociétés minières qui opèrent dans ces régions, en violation de la loi camerounaise en matière minière.
Le pays a adopté en 2016 un nouveau Code minier, lequel précise en son article 136 que « la restauration, la réhabilitation et la fermeture des sites miniers et des carrières incombent à chaque opérateur ». Et pourtant, cette disposition n’est pas respectée, car l’entrée en vigueur de cette loi reste conditionnée par un décret d’application dont l’exclusivité de la signature incombe au président camerounais Paul Biya, mais qui depuis six ans demeure dans l’expectative.
Par conséquent, l’activité minière au Cameroun est encore encadrée par l’ancien Code minier adopté en 2001.
Les compagnies minières, détenues dans leur majorité par des ressortissants chinois, profitent donc de cet imbroglio, et s’illustrent par des cas de violations multiformes des droits humains et la destruction sans vergogne de l’écosystème. Elles font également recours au mercure et au cyanure (une autre substance proscrite par le ministère des Mines) dans le cadre de leurs activités.
Au mois de juin dernier, l’organisation à but non lucratif Centre pour l’environnement et le développement (CED), révélait qu’en moyenne 40 litres de mercure et de cyanure sont déversées chaque jour par une entreprise chinoise dans les eaux qui arrosent la localité de Kambelé III.
Au point où Yakouba Djadaï, préfet du département de la Kadey, dont dépend administrativement Batouri, a suspendu au mois de juillet neuf sociétés opérant dans cet arrondissement, parmi lesquels six appartenant aux exploitants chinois, avant de les réhabiliter un mois plus tard.
L’une d’entre-elles, appartenant à un exploitant asiatique connu sous le nom de Wang, est également accusée d’accaparement de 8 hectares de terres dans la localité de Narké II (située à 5 kilomètres de la ville de Batouri) appartenant aux communautés villageoises.
« L’entreprise de Wang a traversé Kambelé II pour se retrouver à Narke II dans mon territoire. Il a détruit toutes les plantations avec ses engins. Nous avons perdu nos cultures, et il ne nous a rien versé comme compensations. Et pourtant aucun contrat ne lie le village à ce monsieur », déchante Rosette Gomane, cheffe de ladite localité.
Pour sa part, Mongabay n’a pas réussi à entrer en contact avec le mis en cause. Sur le site qui héberge les installations de cette entreprise à Kambelé II, l’accès est infranchissable, gardé par des hommes en civil, présentés par les riverains comme des militaires camerounais.
Les communautés villageoises ont tout de même trouvé des soutiens de poids au sein de la société civile pour les accompagner dans la reconquête de leurs terres. Trois organisations locales parmi lesquelles FODER, appuyées par la filiale camerounaise de Transparency International, ont saisi le préfet Yakouba Djadaï au mois d’août pour dénoncer la destruction des plantations agricoles des villageois de Narké II.
Le représentant de l’Etat central dans cette circonscription administrative a confié à Mongabay qu’« aucune exploitation minière n’est active à Narké II à ce que je sache. Lorsque les entreprises ont violé les droits des populations, j’ai réagi durement », a-t-il rétorqué.
Il révèle par conséquent qu’un projet de construction d’une station de pesage est en préparation dans localité, et qu’à l’occasion, l’Etat mettra tout en œuvre pour respecter les droits fonciers des communautés impactées : « elle sera bâtie sur 300 mètres carrés. Si on trouve qu’il y a des gens qui occupent des espaces sur le site, on va les indemniser avant d’entamer les travaux».
Or non-déclaré
Au Cameroun, l’orpaillage se développe anarchiquement, et échappe encore au contrôle du gouvernement. Les statistiques du ministère des Mines camerounais renseignent pourtant que l’or fait partie des substances minérales les plus recherchées par les sociétés minières implantées dans le pays.
À titre illustratif, en 2020, au total 37 permis de recherche ont été délivrés aux sociétés pour l’exploitation minière semi-mécanisée, parmi lesquels 19 pour l’or. Par contre, l’on observe une baisse de la production artisanale semi-mécanisée de l’or depuis 2017, passant de 679,59 kg à 317,34 kg en 2019. L’organisation CED a publié les résultats d’une récente enquête sur les pratiques frauduleuses qui gangrènent le secteur, dans laquelle elle déplore que « la totalité de la production d’or du Cameroun n’est pas déclarée, et que des producteurs mettent en place des stratégies actives de dissimulation, dans le but de se soustraire à la fiscalité ».
Elle révèle en outre qu’en 2018, l’or du Cameroun a été principalement importé par les Emirats Arabes Unis et l’Allemagne.
Image mise en avant : Saliou Hassana, jeune orpailleur de 17 ans, engagé dans une phase de traitement et de captage des pépites d’or au mercure à Kambelé III. Image © Yannick Kenné.
En savoir plus avec le podcast de Mongabay (en anglais) : Entretien avec Anuradha Mittal, directrice générale de l’Oakland Institute, et Christian-Geraud Neema Byamungu, chercheur congolais, sur l’impact de l’extraction des ressources sur les droits humains et l’environnement en République démocratique du Congo.
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