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Un rapport conclut que l’ouest de l’océan Indien a perdu 4 % de ses mangroves en 24 ans

  • Une analyse présentée dans un nouveau rapport conclut que l'ouest de l'océan Indien (WIO : West Indian Ocean) a perdu près de 4 % des forêts de ses mangroves entre 1996 et 2020.
  • La région du WIO comprend les zones côtières du Kenya, de la Tanzanie, de Madagascar et du Mozambique, qui représentent au total 5 % des mangroves de la planète.
  • Le rapport conclut que la plus grande partie de la disparition des mangroves est due à une exploitation forestière non durable, au déboisement pour l'agriculture et aux conséquences des tempêtes et des inondations.
  • Les mangroves fournissent des services écosystémiques vitaux aux populations côtières et aux habitats, et elles séquestrent de grandes quantités de carbone.

Une récente analyse de données satellite montre que la région occidentale de l’océan Indien a perdu environ 4 % de ses mangroves au cours des 25 dernières années. Dans un rapport qui étudie l’état de ces mangroves, les auteurs soulignent que leurs conclusions apportent aux décideurs les données fiables et de qualité dont ils ont besoin pour protéger ces forêts côtières menacées.

Publié en juillet 2022 par Wetlands International, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le Fonds mondial pour la nature (WWF), le rapport se penche sur la situation des mangroves au Kenya, en Tanzanie, à Madagascar et au Mozambique, qui représentent au total 5 % des mangroves de la planète.

The mangroves of the Western Indian Ocean are spread along the coasts of four countries: Kenya, Tanzania, Mozambique and Madagascar.
Les mangroves de l’océan Indien sont réparties le long des côtes de quatre pays : le Kenya, la Tanzanie, le Mozambique et Madagascar.

Le rapport se base sur une analyse des données satellite collectées par une plateforme de monitoring en ligne, Global Mangrove Watch (GMW), et s’appuie sur un rapport à l’échelle mondiale de 2020. C’est la première de plusieurs études qui examineront de plus près ce qui peut être fait pour restaurer les mangroves dans des régions précises, explique Paul Erftemeijer, océanographe indépendant et l’un des auteurs du rapport.

Les analystes ont utilisé un algorithme pour extraire les informations des images satellite, de façon à obtenir une carte qui montre l’étendue des forêts des mangroves existantes. En concentrant leur étude sur une région précise, les chercheurs peuvent extraire des informations bien plus détaillées qui, en les associant au travail de terrain classique, permettent « une approche systématique qui nous donne une image aussi proche que possible de la réalité », affirme Paul Erftemeijer.

Le rapport couvre la période de 1996 à 2020 et révèle que la région a perdu 30 156 hectares (soit 3,9%) de ses mangroves sur ces 24 années. Ce phénomène est dû à une combinaison d’exploitation forestière incontrôlée, au déboisement des terres pour la culture et aux conséquences des tempêtes et des inondations. Mais on peut aussi constater que, à l’exception du Mozambique, les pertes se sont stabilisées depuis 2007.

« Il y a sans aucun doute une stabilisation générale, et c’est une très bonne nouvelle et une tendance radicalement différente après le déclin sévère des précédentes décennies » se réjouit le chercheur.

Mangroves provide habitat for innumerable species, such as this mangrove kingfisher (Halcyon senegaloides). Image by Steve Garvie via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0).
Les mangroves fournissent un habitat à d’innombrables espèces comme ce martin-pêcheur (Halcyon senegaloides). Photo de Steve Garvie via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0).

Par le passé, explique Paul Erftemeijer, les données étaient au mieux fragmentaires, et rarement fiables, le succès des programmes de restauration souvent surestimés et les échecs minimisés. Selon Lilian Nyaega, une représentante régionale de Wetlands International, 8 % seulement de l’environnement marin de l’océan Indien est officiellement protégé. Elle nous explique que les autorités régionales « ne savent tout simplement pas par où commencer », et ajoute qu’elles manquent de données suffisantes et régulières.

Mais l’ensemble des données rassemblées par Global Mangrove Watch est en la possession de quelques-unes des plus importantes organisations de protection de la nature telles que le WWF, Wetlands International et l’UICN, et ces données sont examinées de très près par des experts indépendants. Et c’est ce qui, selon Paul Erftemeijer, « apporte de la cohérence et une plus grande certitude sur ce qui existe réellement », et ce qui en fait un outil puissant et pertinent pour les décideurs de toute la région.

Le rapport souligne également l’importance des mangroves en tant que que puits de carbone. À surface égale, les mangroves séquestrent cinq fois plus de carbone que les forêts pluviales tropicales, grâce à leur biomasse au-dessus du sol et aussi sous la surface. Parce qu’elles poussent dans des écosystèmes de marais saturés en eau, les matières organiques se décomposent plus lentement, créant la tourbe marine, tandis que leurs systèmes de racines entremêlées retient les débris comme les feuilles mortes.

« Elles sont les championnes du monde toutes catégories de la séquestration du carbone », affirme Paul Erftemeijer.

Selon les données de Global Mangrove Watch, les mangroves de l’ouest de l’océan Indien séquestrent 838 millions de tonnes de CO2 et de gaz à effet de serre, l’équivalent de plus de 1,9 milliards de barils de pétrole. Le rapport conclut que quelques 327 000 tonnes supplémentaires de CO2 pourraient être séquestrées annuellement par les plus de 40 000 hectares de terres disponibles.

En identifiant le carbone bleu sur la carte pour la première fois, Lilian Nyaega espère encourager plus de pays à inclure les mangroves dans leurs contributions nationales déterminées (NDC : programmes nationaux en vue de rester dans la limite des 1,5 degrés pour atténuer les effets les plus graves du changement climatique) et à donner à ces forêts l’importance accrue qu’elles méritent quand la COP27 se réunira en Égypte au mois de novembre.

La restauration des mangroves a aussi ses faiblesses. L’un des problèmes dénoncés par les écologistes est que certains groupes et organisations animés de bonnes intentions concentrent souvent leur action sur la plantation plutôt que sur le besoin de recréer les conditions nécessaires au rétablissement naturel de la mangrove. Les projets peuvent également échouer si la mauvaise essence d’arbre est plantée au mauvais endroit, entraînant un gaspillage de temps et d’argent.

Lilian Nyaega affirme que les projets devraient plutôt suivre les principes de la CBEMR (Community-Based Ecological Mangrove Restoration) car les populations locales ont une connaissance historique de la mangrove et « savent quelles espèces d’arbres pourront prospérer et quelles espèces vont dépérir et mourir. »

« Toutes nos actions se solderont par un échec » si les organisations de protection des mangroves ne consultent pas les populations locales, dit-elle.

Le nouveau rapport identifie le delta de Rufiji en Tanzanie comme une région où l’implication des habitants a permis de revitaliser la restauration, en creusant des canaux pour reconnecter des rizières abandonnées à la mer et en éliminant les plantes invasives. Les conditions sont ainsi recréées pour que les mangroves puissent recoloniser une zone, expliquent les auteurs.

Paul Erftemeijer est lui aussi d’avis qu’il est vital de puiser dans cette richesse des connaissances autochtones.

« La manière dont les mangroves sont durablement gérées, protégées et restaurées est en totale corrélation avec la communauté locale, il s’agit d’impliquer les habitants et de leur transférer la responsabilité », affirme-t-il.

Mangrove forest in Zanzibar, Tanzania.Image by Fanny Schertzer via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0).
Forêt dans une mangrove à Zanzibar, en Tanzanie. Photo Fanny Schertzer via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0).

Selon Paul Erftemeijer, dans de nombreux pays, les ressources sont maigres et les mangroves sont dans des lieux reculés, avec des gouvernements qui n’ont tout simplement pas l’argent ou le personnel pour s’en occuper correctement. Il pense que pour remédier à ce manque, les gouvernements doivent mobiliser les populations locales et leur donner les outils nécessaires pour qu’elles gèrent les mangroves par elles-mêmes. Les gouvernements peuvent alors agir en tant que « facilitateurs et non en tant que policiers », ajoute-t-il.

Il explique que, puisque les mangroves fournissent des ressources et des moyens de subsistance à quelques 40 millions de personnes dans la région, l’accent devrait être mis sur « une utilisation plus durable de ces ressources plutôt que sur la volonté de mettre des barrières autour. »

C’est une approche similaire qui est adoptée par les programmes de gestion nationale comme celui mis en œuvre dans le delta du Rufiji, qui fonctionne selon un système de zones et qui permet d’éviter les conflits entre les différents intérêts.

Dans le delta du Rufiji, la mangrove est divisée en quatre zones principales : Protection totale, Réhabilitation, Production et Développement. Dans la zone de Protection totale, les mangroves sont complétement protégées et il est interdit d’y couper les arbres, tandis qu’une exploitation forestière avec permis est autorisée dans la zone de Production. Dans la zone de Réhabilitation, on laisse les mangroves se régénérer et dans la zone de Développement, où le potentiel de restauration est faible, on met en place des actions de conversion et de développement.

Lilian Nyaega ajoute que le rôle des femmes dans la restauration des mangroves est vital. Elle recommande que les initiatives encouragent les femmes à avoir un rôle actif car ce sont souvent elles qui participent aux activités qui détruisent la mangrove, comme la riziculture. Elle explique que, en raison de la structure patriarcale de la société, les femmes « ne participent généralement pas aux processus décisionnels autant que les hommes, et elles ne sont donc pas forcément au courant de ce qui se passe dans le cadre légal. »

Elle ajoute qu’il est aussi important de donner une voix aux jeunes et de leur montrer que la conservation de la mangrove peut générer de nouveaux moyens de subsistance durables, comme avec l’écotourisme.

Le Mozambique affiche la plus grande surface de mangrove de tout le WIO mais celle-ci est également des plus dégradées, d’après le rapport, avec des zones côtières (où vivent les deux tiers de la population) souvent frappées par les tempêtes qui peuvent déraciner des arbres et entraîner une érosion sévère et des inondations. Les recherches montrent que les mangroves jouent un rôle important dans la protection du littoral et leur disparition laisse souvent les populations de la côte démunies face aux risques de tempêtes. La disparition des mangroves est également un problème pour l’industrie de la pêche, l’entrelacs des racines formant un important refuge propice à la reproduction, à la fois pour les crustacés et pour les principales espèces de poissons.

Barred mudskippers (Periophthalmus argentilineatus) is one of the many species that can be found in WIO mangroves. Image by Heinonlein via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).
Le Périophtalme rayé d’argent (Periophthalmus argentilineatus) est l’une des nombreuses espèces qui vivent dans les mangroves du WIO. Photo Heinonlein via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Cependant, le rapport mentionne également l’énorme potentiel de restauration dans le pays, avec 25 899 hectares de terres disponibles pour la restauration, soit près de deux fois plus que les trois autres pays réunis.

Le rapport se penche sur le vaste delta du Zambèze, au Mozambique, un point particulièrement important de stockage du carbone bleu. Le gouvernement est sur le point de se lancer dans le plus grand projet de restauration de mangrove en Afrique, en collaboration avec une organisation spécialisée dans la restauration, Blue Forest, pour planter 100 millions de jeunes arbres qui, s’ils survivent et arrivent à maturité en nombre suffisant, pourront séquestrer 200 000 tonnes supplémentaires de CO2 par an.

Le rapport démontre également que Madagascar a subi les plus importantes pertes de mangroves de la région WIO entre 1996 et 2020 en raison de coupes de bois incontrôlées pour la production de charbon, de bois combustible et de construction. Les données satellite de l’université du Maryland visualisées sur Global Forest Watch montrent qu’une importante déforestation a continué en 2021 et 2022, principalement dans la région de Diana, au nord, qui abrite quelques-unes des plus grandes zones de mangroves du pays.

Satellite imagery from Planet Labs Inc. captured July 2022 shows widespread deforestation in one of the areas of Madagascar's Diana region where mangroves are found.
Des images satellite de Planet Labs Inc. prises en juillet 2022 montrent une déforestation très étendue dans une zone de mangroves de la région de Diana à Madagascar.

Pour lutter contre la destruction des mangroves, le gouvernement malgache a donné l’opportunité aux habitants de s’impliquer directement dans leur protection, avec des villageois qui patrouillent dans les réserves locales et qui participent à l’application des nouvelles restrictions sur l’abattage.

Selon le rapport, les prochaines étapes doivent inclure la réduction de la dépendance des groupes de conservation locaux vis-à-vis des ONG en les encourageant à coopérer entre eux et à partager leurs données, tandis que le gouvernement s’efforce de renforcer la protection globale des mangroves via une nouvelle stratégie nationale pour une gestion durable.

Au Kenya, les écologistes luttent plus particulièrement pour les mangroves périurbaines qui se trouvent le long des cours d’eau et des bras de mer autour de la ville côtière de Mombasa et qui sont souvent déboisées pour du bois de construction et pour du bois combustible par les habitants. Paul Erftemeijer explique que la plus grande menace pour les mangroves de Mombasa est que personne n’en est vraiment propriétaire.

En conséquence, les mangroves ont subi des coupes incontrôlées et la pression sur le système d’assainissement de la ville entraîne des inondations d’eaux usées et des égouts qui les traversent. Elles ont également subi des marées noires venues de ports voisins.

Ces mangroves urbaines ont un rôle crucial dans le maintien de la qualité de l’eau, un problème croissant à Mombasa et aux alentours, selon Paul Erftemeijer. Il les compare à des reins qui filtrent toute l’eau sale de la ville. C’est un système d’épuration gratuit pour la ville… Si les gens s’en rendaient compte, ils donneraient plus de valeur aux mangroves.

 
Image de bannière : Forêt de mangrove de Nosy Lonjo, Antsiranana, Madagascar. Photo Kenguinaud via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Article original: https://news.mongabay.com/2022/09/the-western-indian-ocean-lost-4-of-its-mangroves-in-24-years-report-finds/

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