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Nouvelle raffinerie au Nigeria : « c’est une véritable catastrophe » pour la réserve forestière

  • La réserve forestière de Stubbs Creek, au sud du Nigeria, s’étend sur près de 300 kilomètres carrés et abrite en son sein des espèces sauvages menacées ainsi que des essences précieuses.
  • Malgré la protection offerte par son statut de réserve naturelle, une grande partie de son couvert forestier a disparu au profit des activités humaines telles que l’abattage des arbres et l’agriculture.
  • D’après les résidents, la construction de la nouvelle raffinerie a exacerbé la déforestation déjà en cours dans la réserve forestière de Stubbs Creek. Les fonctionnaires du gouvernement, quant à eux, considèrent le développement de la réserve comme « une véritable catastrophe pour la forêt ».
  • Les résidents craignent également que la raffinerie n’intensifie les conflits entre les différentes zones de gouvernement locales.

IWOCHANG, Nigeria — C’était un matin de la mi-mars, le canoë en bois glissait silencieusement à travers la rivière Ibeno, à Akwa Ibom, un État au sud du Nigeria. Un jeune garçon et un homme âgé pagayaient à un rythme régulier vers la rive d’Iwuochang, où les passagers ont débarqué près d’un groupe de pêcheurs en pleine conversation et une pile de rondins de bois. D’après les résidents, ils sont destinés à alimenter les fours de cuisine et ont été coupés dans la réserve forestière de Stubbs Creek, non loin de là.

La réserve forestière de Stubbs Creek (SCFR) est riche de ressources naturelles. Parmi celles-ci, on compte notamment des essences précieuses telles que l’acajou africain (Khaya ivorensis), l’olon dur (Zanthoxylum gilletii), le fraké (Terminalia superba) et le coula (Coula edulis). Ces arbres sont également vitaux pour de nombreuses espèces de primates, dont certaines sont menacées. C’est le cas du cercopithèque de Sclater (Cercopithecus sclateri), du singe mona (C. mona), du hocheur (C. nictitans) et du cercocèbe à collier blanc (Cercocebus torquatus). Des chimpanzés, des lions et des éléphants de forêt auraient peuplé la réserve il y a cinquante ans.

Stacks of timber harvested in and near Stubb's Creek Forest Reserve await purchase along the bank of the Ibeno River in Iwuochang, Nigeria.Image by Orji Sunday for Mongabay.
Des piles de bois coupé dans la réserve forestière de Stubbs Creek et ses alentours attendent d’être vendues sur les rives de la rivière Ibeno, à Iwochang au Nigeria. Image d’Orji Sunday pour Mongabay.

Afin de protéger ses richesses, une ordonnance coloniale britannique de 1930 a officiellement déclaré la zone bordant Stubbs Creek comme réserve forestière. Mais ses ressources en faisaient un lieu de prédilection pour les agriculteurs, les pêcheurs, les ramasseurs de bois, les chasseurs et les bûcherons. D’après une étude publiée en 2021 dans le International Journal of Research and Scientific Innovation, en 2019, le couvert forestier de la SCFR avait été réduit à seulement 27 % de son ancienne surface.

Les données satellites visualisées sur Global Forest Watch montrent que les dernières parcelles de forêt primaire de la SCFR sont reléguées au milieu de la réserve. Mais si ces zones ont été relativement épargnées par la déforestation des vingt dernières années, la perte de couvert forestier a plus que quadruplé entre 2020 et 2021. Les images satellitaires de 2022 font apparaître de grandes étendues brunes caractéristiques qui se propagent de plus en plus profondément dans les forêts primaires. Les données de la National Aeronautics and Space Agency américaine (NASA) montrent quant à elles que les défrichements les plus récents dans la SCFR sont dus à des incendies.

Stubb's Creek Forest Reserve (orange) contains the largest tracts of primary forest remaining in the region.
La réserve forestière de Stubbs Creek (en orange) possède la plus importante parcelle de forêt primaire restante de la région.

Une nouvelle menace

Plus récemment, la SCFR s’est trouvée face à une nouvelle menace : la production d’énergie fossile. Début 2021, BUA International Limited, l’une des plus grandes entreprises d’exploitation minière, de fabrication, de meunerie et de transformation alimentaire d’Afrique, a annoncé qu’elle avait commencé à construire une raffinerie de pétrole dans la réserve. Selon les résidents, ce projet n’a fait qu’aggraver la déforestation dans la SCFR.

La raffinerie, qui devrait être pleinement opérationnelle d’ici 2025, devrait avoir un rendement de 200 000 barils par jour de carburant pour véhicules à moteur conforme à la norme Euro-V et de polypropylène. Les médias locaux rapportent que le gouvernement de l’État considère cette raffinerie comme le pilier du développement économique futur, vantant les créations d’emplois et de routes. De manière générale, le projet devrait réduire la dépendance du Nigeria à l’égard des importations de carburant et de produits pétrochimiques.

Bassey Peter, a logger and timber dealer who depends on Stubb's Creek Forest Reserve for his livelihood. Image by Orji Sunday for Mongabay.
Bassey Peter, bûcheron et négociant en bois, est l’une des nombreuses personnes qui dépendent de la réserve forestière de Stubbs Creek pour leur subsistance. Image d’Orji Sunday pour Mongabay.

Bien qu’il soit l’un des plus importants producteurs de brut au monde, le Nigeria ne raffine pas lui-même ses énergies fossiles. Les régulateurs et les autorités locales affirment qu’en établissant des raffineries dans le pays, la SCFR comprise, le Nigeria sera capable de renverser cette tendance et de devenir un exportateur net d’essence et autres produits pétroliers dans un avenir proche. Il est prévu que la raffinerie Dangote, en cours de construction à Lagos, soit la plus grande d’Afrique.

Ce qui redonne espoir aux économistes nigérians inquiète toutefois les défenseurs de l’environnement. Mongabay n’a pas été en mesure d’identifier l’emplacement exact de la future raffinerie. Des sources assurent cependant que BUA a débuté un défrichement à grande échelle en sein de la SCFR afin de permettre la conduite d’études sismiques, la planification des puits de pétrole, la construction de bâtiments et le développement d’autres infrastructures. En outre, il sera nécessaire d’abattre plus d’arbres encore en vue de créer des routes d’accès et des logements pour les travailleurs, indique Esiere Obot, employé du directoire de la Foresterie et la préservation de l’environnement de l’État d’Akwa Ibom.

Face à la construction de la raffinerie, Mr Obot affirme être inquiet pour l’avenir de la SCFR. En cela, il n’est pas le seul. Daniel Afia, chef de village de la communauté pétrolière d’Iwochang, a déclaré avoir passé une grande partie de sa vie d’adulte à lutter contre la pollution causée par la Nigerian National Petroleum Company (NNPC) et par Mobil Producing Nigeria Unlimited.

« À l’époque la pêche était excellente et nous étions riches. Aujourd’hui, à cause des déversements de pétrole, il n’y a plus de poissons dans les rivières », explique-t-il à Mongabay. « La fertilité des sols a également été anéantie par les déversements… Initialement, nous avions des bigorneaux dans les marais, mais ce n’est plus le cas. » Selon lui, les nombreuses pétitions lancées par la communauté concernant les terrains agricoles, les rivières et les forêts de mangrove détruites ont été ignorées par le gouvernement.

L’échec de ces lettres a engendré un bras de fer judiciaire entre les compagnies pétrolières et les communautés d’Ibeno. En juin 2021, une décision de la Haute Cour fédérale de la capitale du Nigeria a forcé Mobil Producing Nigeria Unlimited et la NNPC à verser 197 819 $ (82 milliards de nairas) de dommages et intérêts.

Bien que la raffinerie de BUA ne soit pas encore opérationnelle, le projet est déjà marqué par des conflits. Les médias locaux font état d’escarmouches, de menaces et de disputes entre les zones de gouvernement local (LGA) telles qu’Ibeno et Esit Eket pour la propriété de la partie de la réserve où se trouve la raffinerie. La propriété joue un rôle dans la distribution des droits, y compris les bénéfices réalisés par la location de terrains et l’attribution d’emplois.

Esit Eket is a Local Government Area (LGA) that claims ownership of part of Stubbs Creek Forest Reserve. Image by Orji Sunday for Mongabay.
Esit Eket est une zone de gouvernement local (LGA) qui revendique la propriété d’une partie de la réserve forestière de Stubbs Creek. Image d’Orji Sunday pour Mongabay.

Friday Edowo, chef de la communauté d’Oniok Edor, qui se trouve à Esit Eket, affirme que sa résidence dans la SCFR a été attaquée par des groupes armés d’Ibeno en janvier 2022.

« Ils ont incendié ma maison. Mes outils et mes biens ont été réduits en cendres. Mon téléphone, mes vêtements et mes ustensiles de cuisine ont été brûlés », raconte-t-il à Mongabay. « Ils nous ont dit que la forêt leur appartient. »

Les disputes foncières entre les LGA dans le sud-est du Nigeria ne sont pas nouvelles : les guerres communales sur les délimitations des zones durent depuis des décennies. Les procès, les négociations et le tracé des frontières n’ont pas permis de créer une paix durable. La période la plus tristement célèbre du conflit est la crise de 1992-1993, qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de personnes. Le conflit n’a pris fin qu’après une intervention militaire imposée par le gouvernement.

« Tant de vies ont été perdues dans les deux camps », raconte Mr Edowo.

Alors que la tension monte autour de la SCFR, il s’inquiète de voir une crise similaire se profiler à l’horizon. Selon lui, le gouvernement a les moyens de restaurer la paix, mais il s’interroge sur son engagement auprès des communautés d’Ibeno et d’Esit Eket.

L’échec de la protection

La réserve forestière de Stubbs Creek a longtemps souffert du manque de protection, qui s’est révélée inefficace malgré les efforts déployés. Les recherches menées dans les années 1990 ont estimé que, bien que la majeure partie de la SCFR ait été en grande partie convertie en terres agricoles, 80 km² (soit environ 30 % de la réserve) faisaient encore preuve d’un potentiel de conservation. Des primatologues avaient suggéré de consolider le statut de préservation dont jouissait la réserve au regard de son importance pour le cercopithèque de Sclater, une espèce menacée.

The endangered Sclater's guenon (Cercopithecus sclateri) is only found in Nigeria. Image by LaetitiaC via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).
Le cercopithèque de Sclater (Cercopithecus sclateri) est une espèce menacée qu’on ne trouve qu’au Nigeria. Image de LaetitiaC depuis Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Peu de temps après, la Nigerian Conservation Foundation (NCF) s’est attelée à établir un projet de conservation tangible dans la SCFR. Pour cela, elle a bénéficié de fonds de la part d’ExxonMobil Corporation Nigeria, dont les installations pétrolières occupent le coin sud-ouest de la réserve, ainsi que de l’aide de l’Agence de protection de l’environnement de l’État d’Akwa Ibom (aujourd’hui disparue) et de l’ONG Centre pour l’éducation, la recherche et la conservation des primates et de la nature (CERCOPAN).

« Beaucoup d’efforts et de travail ont été fournis à cette époque […]. On a fait beaucoup de sensibilisation, planté des arbres et mené des enquêtes socio-économiques », explique Emmanuel Owan, qui dirige la NCF depuis les bureaux de l’organisation dans l’État voisin, Cross River. « Le plus gros problème que nous avons rencontré a été le financement. […] Nous portons un intérêt particulier à Stubbs, et nous cherchons des fonds pour aller plus loin dans nos travaux de conservation. »

Lorsqu’un journaliste de Mongabay a visité la SCFR en mars 2022, il n’y avait visiblement aucune mesure de protection en place. Les bûcherons, les agriculteurs et les ramasseurs de bois semblaient avoir un accès illimité à la forêt. Les chasseurs abattaient des antilopes (genre Tragelaphus), des potamochères roux (Potamochoerus porcus), des porcs-épics à crête (Hystrix cristata), des grands aulacodes (Thryonomys swinderianus), des crocodiles et des tortues avec des armes à feu, des collets ou d’autres pièges.

« Pour l’instant, en l’absence de financement, le directoire de la foresterie ne peut pas faire grand-chose », confie Mr Obot à Mongabay. « Nous avons une idée claire de ce qui doit être fait. Mais nous [n’avons] pas les moyens de la mettre en œuvre. Je ne pense pas que nous ayons [ne serait-ce que] cinq gardes forestiers pour tout Stubbs Creek. L’État n’a pas un seul véhicule pour réaliser des patrouilles ou assurer les missions quotidiennes. »

A burned area in Stubbs Creek Forest Reserve. Image by Orji Sunday for Mongabay.
Une partie de la réserve forestière de Stubbs Creek à la suite d’un incendie. Image d’Orji Sunday pour Mongabay.

Le sort de la SCFR n’est pas encore scellé, mais son avenir s’annonce sombre, à en croire Mr Obot. Selon lui, l’administration chargée des forêts qui gère plusieurs réserves, dont Stubbs Creek, manque cruellement de financements, de main-d’œuvre et d’indépendance vis-à-vis des influences politiques. Il ajoute que la dégradation actuelle de la réserve est la preuve que les ambitions du gouvernement concernant le secteur forestier tendent plus vers le profit que vers la protection.

Mr Obot prévient qu’avec l’addition de la nouvelle raffinerie, les perspectives sombres de la réserve pourraient se réaliser en quelques années seulement.

« Avec la raffinerie de pétrole, une plus grande partie de la réserve sera tout à fait détruite », dit-il. « Il est impossible pour la faune, la flore et le reste de la biodiversité de survivre. C’est une véritable catastrophe pour la forêt. »

Mongabay a contacté BUA International Limited, les bureaux nigérians d’ExxonMobil et le ministère de l’Information et de la Stratégie d’Akwa Ibom, mais n’a pas été en mesure d’obtenir de réponse avant la publication de cet article.

 

Image de bannière : Un singe mona (Cercopithecus mona), l’une des nombreuses espèces qui peuplent la réserve forestière de Stubbs Creek. Image d’AlexisENVN depuis Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

À écouter aussi, avec le podcast de Mongabay : L’économie mondiale réclame des énergies propres et des produits peu chers et les matériaux nécessaires sont extraits à un rythme effréné en République démocratique du Congo. Mais les communautés en profitent-elles ? Écoutez ici (en anglais):

Article original: https://news.mongabay.com/2022/09/new-oil-refinery-a-huge-disaster-for-nigerian-forest-reserve/

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