- En avril dernier, le Directeur général de l’Industrie touristique et hôtelière a mentionné un projet de développement d’un ressort de 1.000 chambres sur le site de Dahliafleur qui sera opéré par le groupe Accor.
- Dahliafleur s’étend actuellement sur 148 ha avec 91 ha de forêt bien conservée, huit hectares de forêt secondaire. Elle abrite en son sein 15 espèces de mammifères et 69 espèces d’oiseaux selon un inventaire récent.
- Les défenseurs de l’environnement se disent consternés par ce projet qui vise à détruire cette forêt urbaine où les amoureux de la nature se rendent pour respirer de l’air fraiche.
- En étroite collaboration avec l’Office ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR), le Domaine Bini gère Dahliafleur depuis février 2021, avec un concept écotouristiques préservateur de l’écosystème.
D’une taille 3 fois plus grande que le Vatican, la réserve naturelle Dahliafleur est un poumon d’air pur au cœur de la ville d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Elle est située dans la commune de Bingerville. Cette situation périurbaine facilite des randonnées des habitants de la capitale et des touristes.
Et par sa diversité végétale, Dahliafleur est classée à l’OIPR en tant que la seule et l’unique réserve favorable à la recherche scientifique. Mais le ministère du tourisme semble avoir d’autres orientations au regard de cette espace trois fois plus grande que le Vatican.
« (…) Il y a un projet de développement d’un ressort de 1.000 chambres sur le site de Dahliafleur d’une superficie de 148 ha (…) et cet hôtel de 1.000 chambres sera opéré par le groupe Accor appuyé par Fairmont Hôtels. Il comportera bien entendu un parc animalier, une galerie marchande et une smart city », a mentionné Fagama Klo, le Directeur général de l’Industrie touristique et hôtelière en Cote d’Ivoire.
Le fondateur du domaine se montre inquiet. Jean Marc Bini estime qu’il y a un réel risque pour un projet de cette envergure car il viendra anéantir son concept de l’écotourisme qui valorise et protège la faune et la flore.
« Notre concept est d’embellir Dahliafleur tout en la maintenant en son état naturel, en procédant au reboisement dans les parties qui ont subi de l’érosion ; toutes les activités écotouristiques entreprises dans cette réserve doivent respecter les normes de la protection de l’environnement et je suis convaincu que c’est ce que veut l’Etat malgré cette annonce », confie-t-il.
Avec plus de 470.000 personnes vivant autour du parc, Bini dit que le travail dans le parc avait permis aux habitants de trouver du travail et de bénéficier des revenus du tourisme que génère le parc.
Cependant, avec cette annonce, l’incertitude plane autour de cette population. Vue partielle de la reserve Dalhiafleur à Abidjan/ Photo Mireille Niyonsaba
La vie des humains et des animaux menacée.
« La réserve naturelle de Dahliafleur est d’une importance capitale et sa végétation est semblable au parc national de Taï et celui du Banco » selon Jean Marc Bini, deux autres parcs situés dans ce pays de l’Afrique de l’ouest.
Les trois forets, Dahliafleur, Tai et Banco sont des forêts denses sempervirentes et subéquatoriales qu’il faut à tout prix protéger, insiste Jean Marc Bini d’un air triste. On y trouve les essences telles que le Dabéma (Piptadeniastrum africanum), fromager (ceiba pentandra), acacia (acacia), Jacquier (artocarpus heterophyllus), bambous de chine (bambussa vulgaris), iriko (Milicia excelsa), liane (saba senegalensis) et certains peuvent atteindre 40 m de hauteur.
Le parc Dahliafleur abrite aussi des civettes (civettictis civetta), des cerfs et biches (cervidae), de gazelles (gazella), des varans (varanus), des rats (rattus), des écureuils (sciurus vulgaris), pangolin (pholidota), mangouste (herpestidae), etc. Marc-Anthelme Kouadio, consultant environnementaliste et expert cacao et forêts, raconte avec rancune :
« (…) cette forêt urbaine joue un rôle crucial en matière de la santé de la population environnante et protège des érosions de sa périphérie ».
Une perte de celle-ci ou un simple dérangement de cet espace priverait même d’un mécanisme de rétention des eaux des ruissellements et ça ferait des dégâts énormes, selon l’expert environnementaliste, « la destruction de cet écosystème va faire fuir tous ses espèces en voie de disparition et va endommager la nappe phréatique qui dessert le district d’Abidjan en eau potable », avertit Kouadio.
« Il n’est pas seulement question de faire fortune mais c’est une question d’étendre le concept écotouristique un peu partout en côte d’ivoire pour que tout le pays en profite », nous explique Bini Jean Marc.
Par son expérience, il est bien possible de réaménager la forêt en préservant la nature à moindre coût et gagner beaucoup au lieu de dépenser les millions et détruire la nature.
Place aux voix
Des voix se sont levées sur les réseaux sociaux et une pétition a été lancée pour contrer le projet de destruction de Dalhiafleur en faveur d’un hôtel.
À travers le communiqué rendu publique en mai dernier le ministre du tourisme Siandou Fofana a du apporter sa lumière aux déclarations du Directeur général de l’Industrie touristique et hôtelier du pays en arguant que l’annonce n’était pas bien faite.
Il précise que c’est un projet écologique et intégré à la nature. Celui-ci vise essentiellement la mise en valeur touristique du site en y intégrant intelligemment des modules écologiques qui contribueront à donner une vie à la Réserve et à la protéger de la pression urbaine.
« À terme, il est attendu de ce projet la mise en place d’un Complexe qui devrait intégrer un réceptif écologique, un parc animalier, un circuit d’écotourisme, une Maison de l’Environnement et des sites de loisirs », reconnait tout de même le communiqué du Ministère.
Dans ce communiqué, le ministre précise que le Groupe ACCOR n’est pas porteur de ce projet, mais que des pourparlers préliminaires avaient été engagés avec ce groupe en vue de son intervention à la phase d’exploitation de ce projet. Une des rues populaires d’Abidjan non loin de la Reserve Dalhiafleur/Photo: Mireille Niyonsaba
Genèse de Dahliafleur et qu’en dit la loi
Comme il apparait dans différentes écrits, un opérateur italien du nom d’Italo Barbeta, jardinier et fleuriste du Président Felix Houphouët Boigny, s’est installé sur ce site dans les années 60.
Il y a construit sa maison et y a fait des plantations. Houphouët Boigny lui céda, le 25 janvier 1994, en lettre manuscrite ce terrain qui avait à l’époque 200 ha.
Sur ce domaine, Barbeta monta un laboratoire de fleur, de greffe et de croisement entre plusieurs variétés de fleur et lui donnera le nom de Dahlia, sa fleure préférée.
Le fleuriste décéda en 2001 et fut enterré dans sa concession. Sa tombe et son laboratoire de fleurs sont toujours disponible dans ce domaine. Après sa mort une trentaine d’hectare a été déjà retiré de ce domaine et cédé à l’urbanisation rapide de la commune de Bingerville.
Pour épargner ce domaine de diverses convoitises, l’État de Côte d’Ivoire déclara Dahliafleur « domaine d’utilité publique » en octobre 2004, avec une superficie de plus de 176ha. En 2007, Dahliafleur est encore déclaré domaine d’utilité publique par le décret d’octobre 2007, avec cette fois-ci la dénomination « Réserve naturelle partielle de Dahliafleur ».
En février 2013, un autre décret va renforcer la protection de ce domaine en l’érigeant au rang de réserve naturelle partielle.
Selon Maître Vanessa Bah Leroux, avocate au barreau d’Abidjan en Côte d’Ivoire, lorsqu’un espace devient un parc national ou une réserve naturelle, il est soumis et protégé par une lois de février 2002 relative à la création, à la gestion et au financement des parcs nationaux et des réserves naturelles.
Cela implique l’interdiction de tous travaux de nature à modifier l’état du sol.
« L’État ne peut pas en disposer comme il veut car c’est lui-même qui décide de préserver les forêts, en leur donnant des qualifications comme parc national ou réserve naturelle », estime-t-elle.
« Ça fait l’objet d’une loi et si jamais l’État veut modifier cette qualification, il faut absolument passer par une loi pour changer l’état d’un espace naturel », dit la juriste.
La question de l’environnement ne devrait pas être une polémique, renchérie-t-elle, ajoutant que la nature reste un bien commun à tout le monde et un quelconque préjudice envers celle-ci affecte tout le monde, déclare Maître Bah.