- À la suite de la crise énergétique provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays européens se tournent vers l’Afrique pour ses réserves de gaz naturel.
- Cette décision est un revirement par rapport aux dernières années, où bon nombre des mêmes pays se sont engagés à arrêter de financer les projets d’énergies fossiles sur le continent.
- Certains des chefs d’États africains avec leurs alliés dans le secteur ont salué le changement et ont déclaré que l’extraction de gaz aidera à financer la transition vers les énergies renouvelables.
- Mais les défenseurs de l’environnement sur le continent expriment leur opposition et disent qu’une nouvelle ère d’extraction de combustibles fossiles ne fera que créer davantage de misère et nuire à l’environnement.
Il s’agissait d’une victoire pour les militants africains contre le changement climatique et leurs alliés en Europe et aux États-Unis : un groupe d’institutions et de pays puissants, incluant les États-Unis, le Canada et la Banque européenne d’investissement ont annoncé l’année dernière au sommet sur le climat de la COP26 à Glasgow en Écosse qu’ils mettraient fin à des décennies de soutien à des projets d’exploitation pétrolière et gazière en Afrique avant la fin de 2022. Dans la foulée d’un engagement de la Banque mondiale à commencer à retirer progressivement le soutien en faveur des combustibles fossiles, cela ressemblait à un glas potentiel pour des plans visant à exploiter de grandes quantités de gaz naturel au Sénégal, au Mozambique et au Nigeria.
Puis la Russie a envahi l’Ukraine.
En moins d’un an, les projets d’exploitation de gaz en Afrique sont revenus à la mode, alors que les pays européens se précipitent pour compenser les pénuries d’énergie provoquées par leur impasse avec la Russie. En mai dernier, par exemple, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu au Sénégal pour des pourparlers avec le président Macky Sall concernant son intérêt à obtenir un approvisionnement sûr en gaz en provenance des gisements en mer du pays financés par BP. Et le 16 août, Reuters a annoncé que l’Union européenne prévoit de considérablement renforcer l’assistance en matière de sécurité pour le projet gazier en difficulté du Cabo Delgado au Mozambique qui, ces dernières années, a été le théâtre d’une insurrection islamiste meurtrière, et qui, il n’y a pas longtemps, risquait d’être abandonné.
Pour certains gouvernements africains, le revirement est bienvenu et représente un changement de cap nécessaire à l’opposé des restrictions liées au climat qui menaçaient de bloquer leurs plans d’utiliser les réserves de gaz pour le développement économique et l’amélioration de l’accès à l’énergie pour les pauvres. Dans un discours à Glasgow l’année dernière, le président nigérian Muhammadu Buhari a critiqué le communiqué de la COP26, et plus tôt cette année dans une tribune dans The Economist, son vice-président Yemi Osinbajo, a écrit que l’Afrique « ne peut pas accepter la politique climatique régressive comme une autre injustice ».
Le Nigeria a les plus grandes réserves recensées de gaz naturel du continent, suivi de l’Algérie, du Sénégal, du Mozambique et de l’Égypte. Tous sont des partisans de l’utilisation du gaz naturel comme « énergie de transition », qui selon leurs dirigeants facilitera le développement économique et préparera le terrain pour les investissements dans les énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien et l’hydraulique.
Les besoins sont clairs : l’accès à l’énergie en Afrique est bien inférieur à celui des autres régions. Plus de 600 millions des 1,3 milliard de personnes du continent vivent sans électricité, et en dépit d’avoir un dixième de la population mondiale, en 2019, le Japon à lui seul a consommé plus d’énergie que tous les pays africains réunis.
Mais alors que leurs présidents signent des contrats en catimini, des organisations de la société civile sur le continent expriment leur opposition, récemment à l’Union africaine, où une « position africaine commune sur l’accès et la transition énergétiques » demandant à ce que le gaz naturel fasse partie de la stratégie énergétique africaine a été adoptée par le conseil exécutif de l’Union africaine. Dans une lettre ouverte, une coalition de groupes de défenseurs a déclaré que cette position était « dangereuse et irréfléchie ».
« Cela n’a pas de sens de poursuivre de nouveaux projets d’extraction de pétrole et de gaz qui aggraveront la crise climatique et rendront impossible d’atteindre les objectifs climatiques », a dit Thandile Chinyavanhu, une militante pour le climat et l’énergie de Greenpeace Afrique. « Le futur est renouvelable, et les pays africains ont l’occasion de guider le monde vers un nouvel avenir alimenté par les énergies renouvelables qui laissera les combustibles fossiles polluants dans le passé et le sous-sol. »
Une note détaillée accompagnant la lettre critiquait les efforts visant à accroître la production de gaz, et expliquait que l’extraction de combustibles fossiles supplémentaires risquait d’aggraver les impacts du changement climatique en Afrique et que les profits avaient de fortes chances d’être à nouveau captés par des investisseurs étrangers. La note citait les décennies au cours desquelles le continent n’a pas réussi à se développer par le biais de l’extraction de gaz et de pétrole et décrivait ce bilan comme ayant « permis à de petites élites puissantes d’extorquer des rentes et de conserver le contrôle économique et politique, alors que leurs populations n’ont pas accès à l’énergie, à une alimentation convenable et à d’autres services essentiels et continuent à vivre dans la pauvreté ».
« Nous avons observé ça au Nigeria et dans les pays africains ayant des projets liés aux combustibles fossiles », a dit Lorraine Chiponda, coordinatrice du Africa Coal Network, l’une des organisations signataires de la lettre. « Vous pouvez voir la pauvreté dont souffrent même les populations vivant dans les régions de ces projets, ça n’a donc pas de sens économiquement. »
Les auteurs de la lettre ont critiqué l’idée que le gaz pourrait être une passerelle vers un réseau d’énergies renouvelables. Il est plus probable, ont-ils écrit, que les infrastructures comme les pipelines et les centrales électriques au gaz détourneraient les fonds et l’attention à l’écart des énergies vertes.
Quelques partisans des projets gaziers en Afrique reconnaissent le mauvais bilan de l’extraction des ressources naturelles sur le continent. Au Mozambique, par exemple, la découverte de grandes réserves de gaz en mer a presque immédiatement été suivie d’un énorme scandale de corruption qui impliquait de hauts responsables ainsi que des banquiers européens.
Mais les analystes comme Imad Ahmed, un conseiller pour l’énergie et le climat au Tony Blair Institute for Global Change, dit que, avec la bonne approche, ces scandales antérieurs pourraient contribuer à élaborer des politiques plus solides qui assureraient que les investisseurs étrangers paient leur juste part et évitent de nuire à l’environnement.
« En restant financeurs du développement du gaz, les pays de l’OCDE peuvent faire en sorte que ces structures de bonne gouvernance soient intégrées dans des obligations contractuelles », a dit Ahmed à Mongabay.
Les partisans de l’extraction du gaz font remarquer que les pays africains sont parmi les pays ayant les plus faibles émissions par habitant de la planète, et qu’attendre d’eux qu’ils renoncent à l’utilisation de leurs ressources naturelles pour réparer les dégâts causés en grande partie par d’anciennes puissances coloniales est fondamentalement hypocrite.
« La prospérité que nous connaissons en Europe se fait sur le dos des émissions historiques. Nous ne pouvons pas prétendre que ce n’est pas le cas », a dit Ahmed.
Les défenseurs de l’environnement sont d’accord, mais ils disent que la restitution opportune serait que les pays riches fournissent le soutien et les fonds pour la transition vers les énergies renouvelables, comme ils ont promis de le faire dans le passé, plutôt que de persister à exploiter les ressources du continent pour leur propre compte.
« Même avant la crise du climat, de nombreuses communautés et de nombreux groupes issus de la société civile en Afrique et dans le reste du monde combattaient l’exploration de combustibles fossiles en raison de ses impacts sur les moyens de subsistance des populations et de l’augmentation de la pauvreté, des violations des droits humains, des spoliations de terres et de la corruption qu’elle apporte », a dit Anabela Lemos, fondatrice de Justiça Ambiental au Mozambique.
L’année dernière, Shell a accepté de payer plus de 100 milliards de dollars de dommages pour avoir déversé d’énormes quantités de pétrole dans le delta du Niger Delta pendant les années 1970.
Que les pays riches doivent des compensations aux pays africains ou pas pour le changement climatique sera probablement une question controversée au sommet sur le climat de la COP27 de novembre qui se tiendra en Égypte. Le groupe du G7 qui se compose des pays les plus riches a réussi à ne pas mettre à l’ordre du jour la question des « pertes et préjudices » lors des discussions préliminaires qui se sont tenues en Allemagne en juin, mais la plupart des spécialistes s’attendent à ce qu’elle prenne une place centrale à la COP27.
Pour de nombreux chefs d’État et dirigeants d’entreprise influents en Afrique, la réticence des pays riches à fournir des financements pour l’action climatique suffisants à leurs homologues moins fortunés est en soi un argument en faveur de l’exploitation des réserves de gaz du continent.
« Refuser à l’Afrique le droit de se développer et d’utiliser son propre gaz est moralement inacceptable », a dit le milliardaire soudano-britannique Mo Ibrahim plus tôt cette année.
Cependant, malgré leur manque relatif de ressources et de pouvoir, les défenseurs de l’environnement africains ne capitulent pas sans se battre. Dans la foulée de la controverse sur la position pro-gaz de l’Union africaine, les principaux négociateurs devant représenter le continent à la COP27 ont dit qu’ils ne l’adopteraient pas comme position officielle. Il s’agit d’une victoire pour la coalition anti-gaz, mais les défenseurs disent que si l’Europe continue sur sa lancée actuelle, cela pourrait conduire à une nouvelle ère d’extraction de combustibles fossiles en Afrique, et rendre bien plus difficile la transition écologique.
« Pour l’instant, la décision a été rejetée, mais cela ne veut pas dire que certains gouvernements en Afrique ne sont pas en train de signer des contrats avec des gouvernements en Europe », a dit Chiponda. « Alors nous devons continuer à résister. »
Image de bannière : Le chancelier allemand Olaf Scholz rencontre le président sud-africain Cyril Ramaphosa en mai 2022. Photo par Steffen Kugler pour Die Bundesregierung.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/08/as-europe-eyes-africas-gas-reserves-environmentalists-sound-the-alarm/