Nouvelles de l'environnement

Rapport : Le caoutchouc utilisé par les fabricants de pneus européens lié à la déforestation en Afrique

  • Un nouveau rapport d’enquête examine les accusations de déforestation et de violations de droits fonciers en Afrique centrale et occidentale contre les fournisseurs des plus grands fabricants de pneumatiques européens tels que Michelin et Continental.
  • Bien que l’Union européenne (UE) ne produise pas elle-même de caoutchouc naturel, elle abrite les plus grands fabricants de pneumatiques du monde. Les importations de caoutchouc ne sont cependant pas actuellement concernées par les règlementations des nations européennes visant à freiner la déforestation.
  • Entre 2000 et 2020, 518 kilomètres carrés de forêts auraient été détruits pour faire place à des plantations industrielles d’hévéas dans six pays africains, lesquels ont, au total, exporté pour 503 millions de dollars de caoutchouc naturel vers l’UE en 2020.
  • Soulignant le rôle de l’UE, le rapport met en exergue les financements massifs que les entreprises propriétaires des concessions ont reçus des banques européennes telles que Rabobank, BNP Paribas et Deutsche Bank.

Selon un rapport de l’organisation non gouvernementale Global Witness, les plus grands fabricants de pneumatiques européens, notamment le français Michelin ou l’allemand Continental AG, s’approvisionneraient en caoutchouc auprès d’entreprises agro-industrielles impliquées dans la déforestation et les violations des droits fonciers en Afrique centrale et occidentale.

Le caoutchouc est utilisé pour fabriquer un très vaste éventail de produits, allant des chaussures aux préservatifs, mais les trois quarts de la récolte mondiale de caoutchouc naturel sont dédiés à la fabrication de pneumatiques. Si l’UE ne produit pas de caoutchouc naturel, elle en consomme plus d’un million de tonnes chaque année, ce qui la rend entièrement dépendante des importations d’Asie du Sud-Est et d’Afrique.

Son appétit gigantesque pour les produits importés fait de l’UE le second plus grand importateur, juste après la Chine, de matières premières liées à la déforestation. En 2017, le marché européen était responsable de 16 % de la perte de forêts tropicales générée par le commerce mondial. Avec l’UE cherchant à renforcer cette année les législations sur l’importation de matières premières qui contribuent à la déforestation, les importations de caoutchouc font l’objet d’une attention toute particulière, car elles ne sont pas pour le moment soumises à ces restrictions.

A rubber plantation in Gabon
Une plantation d’hévéas au Gabon. Si l’UE ne produit pas de caoutchouc naturel, elle en consomme plus d’un million de tonnes chaque année, ce qui la rend entièrement dépendante des importations d’Asie du Sud-Est et d’Afrique. Image de jbdodane via Flickr (CC BY-NC 2.0).

Le rapport s’intéresse particulièrement à l’impact de la demande européenne de caoutchouc naturel au Gabon, au Cameroun, au Nigéria, au Libéria et en Côte d’Ivoire. En 2020, les six pays africains ont exporté pour 503 millions de dollars de caoutchouc naturel vers l’UE. Selon les auteurs du rapport, une zone forestière de 518 mètres carrés, soit 16 fois la taille de Bruxelles, aurait été détruite entre 2000 et 2020 pour faire place à de vastes plantations d’hévéas dans ces six pays.

Tout comme beaucoup d’autres cultures commerciales, l’hévéa engrange de maigres revenus pour la plupart des pays cultivateurs, car la majeure partie de la transformation a lieu ailleurs. Aucun des plus grands producteurs de caoutchouc naturel du monde, qu’ils soient en Asie ou en Afrique, ne compte parmi les principaux exportateurs de produits en caoutchouc.

Si les plantations sont situées sur le sol africain, elles appartiennent à des entreprises étrangères multimillionnaires. Selon une nouvelle étude menée par Global Witness, les groupes agro-industriels singapouriens Olam et Halcyon Agri et le belge Socfin contrôleraient la majorité des plantations de caoutchouc associées à la destruction des forêts naturelles. Certains des plus grands fabricants de pneumatiques mondiaux, comme Michelin et Continental, ont utilisé du caoutchouc provenant des plantations d’Halcyon Agri et de Socfin dans le passé.

En mai, l’Institut d’Oakland a publié une déclarationcondamnant des violations de droits humains commises sur des concessions, directement ou indirectement contrôlées par Socfin, à travers le continent africain.

A monster truck with Michelin tires
Angleterre – Camion géant équipé de pneumatiques Michelin. Image de Wooly Matt via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Lors d’un entretien avec Mongabay, un porte-parole de Michelin a indiqué que le groupe s’approvisionnait en caoutchouc auprès de Socfin. « Les accusations portées contre ce producteur sont potentiellement graves puisqu’elles sont en contradiction avec la politique d’achats de caoutchouc naturel du groupe Michelin. Nous regrettons toutefois que ces accusations ne soient pas appuyées par des informations précises qui pourraient nous aider à en évaluer l’importance », a déclaré le porte-parole.

Au moment de la publication de cet article, Socfin n’avait pas donné suite à la demande de commentaires formulée par Mongabay.

D’une manière générale, il est davantage admis aujourd’hui que les pays ne sont pas uniquement tenus responsables de la déforestation qui se produit à l’intérieur de leurs frontières, mais aussi de celle qui a lieu à l’extérieur et qui résulte de leurs habitudes de consommation. Les importations de matières premières contribuant à la déforestation sont contrôlées par l’UE par le biais du Règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE). La dernière version du RBUE vise à renforcer les réglementations sur les importations de matières premières telles que l’huile de palme, le soja, le bœuf, le bois, le café et le cacao. Si le caoutchouc naturel, considéré comme une matière première essentielle, reste exclu du règlement RBUE, les groupes de défense de l’environnement tels que Global Witness et Mighty Earth continuent toutefois de lutter pour son inclusion.

Le nouveau rapport indique que les plus grands fabricants de pneumatiques européens sont parvenus à faire pression et à maintenir le caoutchouc naturel hors de la nouvelle proposition de règlement européen (qui devrait être finalisée cette année) grâce à l’intervention de l’Association européenne des fabricants de pneumatiques et de caoutchouc (European Tyre & Rubber Manufacturers Association en anglais, ETRMA). Cette confédération professionnelle représente des groupes tels que Michelin ou l’italien Pirelli et le fabricant de pneumatiques américain Goodyear.

Rubber drying in a production facility
Séchage du caoutchouc dans une usine au Libéria. Image de Erik Cleves Kristensen via Flickr (CC BY 2.0).

ETRMA soutient que l’empreinte du caoutchouc sur la déforestation n’est pas suffisante pour justifier son inclusion dans la liste des produits contribuant à la déforestation. Global Witness conteste cette affirmation. Lors d’une récente déclaration, l’industrie du pneumatique a indiqué que l’inclusion du caoutchouc dans la proposition de règlement de l’UE était « irréalisable ».

L’exclusion du caoutchouc des législations européennes plus strictes et plus encadrées ne protège pas uniquement les fabricants de pneumatiques des règles anti-déforestation, mais elle les éloigne aussi de leurs responsabilités envers les droits des communautés locales et des groupes autochtones. Au Cameroun, sur les concessions du projet Sudcam du groupe Halcyon Agri, des résidents se sont plaints auprès des analystes de Global Witness de n’être jamais consultés de manière appropriée sur l’établissement des plantations de caoutchouc naturel ni compensés pour la perte de leurs droits traditionnels au sein de la forêt.

Dans leurs déclarations à Mongabay, Olam et Halcyon Agri ont tous deux réfuté les répercussions de leurs activités sur la déforestation. Halcyon Agri conteste les rapports émis sur les violations de droits humains et fonciers sur ses plantations, notamment sur celle de Sudcam. « Protéger les forêts et les zones à haute valeur de conservation et éliminer les pratiques d’utilisation de terres jugées inacceptables est une priorité pour Olam et nous nous y employons à travers nos chaînes d’approvisionnement agricole à l’échelle mondiale », a déclaré un porte-parole d’Olam à Mongabay. Les entreprises ont partagé plus de détails (inclus dans ce rapport) sur certaines plantations avec Global Witness.

Les entreprises étrangères propriétaires de ces plantations ne sont pas les seules à satisfaire l’appétit européen pour le caoutchouc ; leurs activités sont en effet également fortement soutenues par les banques européennes. Le rapport met en lumière le rôle des banques comme Rabobank, BNP Paribas, Deutsche Bank et Barclays dans le financement de sociétés liées à la déforestation en Afrique.

Olam a par exemple bénéficié d’un accord de crédit de plus d’un milliard de dollars par la société néerlandaise Rabobank entre 2016 et 2020 et de plus de 750 millions de dollars par la banque française BNP Paribas.

Latex collection in a rubber plantation
Récolte de latex sur les plantations de caoutchouc naturel au Gabon. Si les plantations sont situées sur le sol africain, bon nombre d’entre elles appartiennent toutefois à des entreprises étrangères multimillionnaires. Image de jbdodane via Flickr (CC BY-NC 2.0).

« En tant que grande banque alimentaire et agricole – l’une des plus importantes du monde – nous avons des politiques et des systèmes de surveillance très stricts en matière de déforestation. Les petits exploitants et les sociétés qui déboisent les forêts de manière illégale n’obtiennent pas de prêts. Nos clients doivent s’adapter à nos niveaux d’exigence élevés », a affirmé un porte-parole de Rabobank à Mongabay. La banque coopère avec les ONG et suit à distance l’utilisation des terres. « Toutefois, nous ne sommes pas aux côtés des petits exploitants ni des entreprises 24 heures sur 24 ou 7 jours sur 7, et garantir à 100 % qu’ils suivent nos exigences à la lettre est malheureusement impossible », a admis le porte-parole.

Mongabay a tenté, vainement, de joindre les fabricants de pneumatiques Continental et Pirelli dans l’espoir d’obtenir leurs commentaires. De même pour BNP Paribas, Deutsche Bank et Barclays.

Le marché du caoutchouc continue de croître ; il devrait dépasser les 50 milliards de dollars d’ici à 2027 – une croissance stimulée en partie par la demande constante de véhicules automobiles. « C’est un paradoxe. Les gens en Europe qui conduisent des voitures de luxe n’ont pas idée que le caoutchouc contenu dans leurs pneus est cultivé dans un endroit où la population locale vit dans la misère », a déploré, lors d’un entretien avec Global Witness, Nahounou Daleba, militant environnemental de Côte d’Ivoire – l’un des principaux pays africains producteurs de caoutchouc.

 
Image de bannière : Un petit exploitant de caoutchouc saignant l’écorce d’un hévéa pour en récolter le latex sur une plantation au Libéria. Image de Bill E. Diggs / Solidarity Center via Flickr (CC BY-ND 2.0).

 
Article original:

Quitter la version mobile