- Le secrétaire d’État américain a promis que des études d’impact environnemental doivent être effectuées avant la concrétisation du projet d'explorations de blocs pétroliers et gaziers en République Démocratique du Congo.
- Le président congolais a réitéré le besoin de la RDC de bénéficier de ses différentes ressources naturelles. Felix Tshisekedi a aussi reconnu la nécessité de trouver l’équilibre entre le bien-être des populations et la protection des écosystèmes biologiques.
- Pour Irène Wabiwa Betoko, la chargée de campagne forestière pour Greenpeace Afrique, il ne faut, pour aucune raison, attribuer des blocs pétroliers, particulièrement dans la Cuvette centrale.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a annoncé le mardi 9 août à Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo, la mise en place d’un groupe de travail pour protéger les forêts et les tourbières en RDC. Cette annonce fait suite aux inquiétudes suscitées par l’attribution aux enchères d’une trentaine de blocs pétroliers et gaziers dont l’exploitation mettrait en péril l’environnement.
« Il s’agit d’une « structure qui devra nous aider à concilier la nécessité de voir les Congolais jouir de leurs richesses naturelles et de protéger le patrimoine commun de l’humanité », a déclaré Christophe Lutundula, le ministre congolais des affaires étrangères en conférence de presse conjointe avec le diplomate américain. « Nous restons fermes par rapport à notre engagement de protéger la biodiversité ».
Blinken n’a pas caché les préoccupations des États-Unis à l’annonce de ces appels d’offres parce que certains de ces blocs pétroliers, explique-t-il, « contiennent des tourbières et d’autres touchent les aires protégées comme par exemple le parc des Virunga ».
Le secrétaire d’État américain, qui a promis que des études d’impact environnemental doivent être effectuées avant la concrétisation du projet, a assuré que le groupe de travail apportera un appui concret à la RDC pour préserver ses forêts et créer des opportunités aux populations congolaises.
Les autorités congolaises saluent la collaboration des États-Unis, jugeant la position de Washington « moins hostile » au sujet de la vente aux enchères de vingt-sept blocs pétroliers et gaziers dont certains se trouvent sur des zones abritant des tourbières.
Ces tourbières, dont la plus importante réserve au monde a été découverte par une équipe de scientifiques congolais et de chercheurs britanniques en octobre 2017 en territoire de Bikoro dans le nord de la RDC, contient des espèces mesurant entre 3,37 et 3,50 mètres de profondeur et datant de plus de 10 mille ans.
Trois des blocs pétroliers mis aux enchères par le gouvernement congolais sont dans le bassin côtier, neuf se trouvent dans la cuvette centrale, onze dans le Graben du Tangannyika et quatre dans le Graben Albertine a expliqué Didier Budimbu, le ministre congolais des hydrocarbures. Il dit que les trois blocs gaziers sont situés dans le lac Kivu.
Selon les données du gouvernement, la vente des 27 blocs pétroliers officiellement lancée le 18 juillet devrait rapporter environ 2000 milliards de dollars américains dans les caisses de l’État, en ajoutant que ces recettes pétrolières et gazières vont servir à accélérer le processus de développement du pays et améliorer les conditions de vie des populations.
Lors de sa rencontre avec le secrétaire d’État américain à Kinshasa, le président congolais a réitéré le besoin de la RDC de bénéficier de ses différentes ressources naturelles. Felix Tshisekedi a aussi reconnu la nécessité de trouver l’équilibre entre le bien-être des populations et la protection des écosystèmes biologiques. Ce qui est important pour nous, estime le président congolais Felix Tshisekedi, « c’est que tous ceux qui ont la technologie nécessaire pour nous permettre de sauvegarder l’équilibre écologique seront les bienvenus et nous comptons sur l’expertise des pays amis de tout le temps comme les États-Unis pour répondre à ce besoin de protéger la nature ».
Mais pour Irène Wabiwa Betoko, la chargée de campagne forestière pour Greenpeace Afrique, il ne faut, pour aucune raison, attribuer des blocs pétroliers dans la Cuvette centrale qui est naturellement riche en tourbières et en biodiversité et contient environ 30 gigatonnes de carbone, ce qui équivaut à trois ans d’émissions mondiales de CO2. Sa concrétisation avertit-elle, pourrait avoir d’énormes conséquences sur le quotidien des communautés rurales.
Cet argument est balayé du revers de la main par la ministre congolaise de l’environnement. À la télévision publique, Eve Bazaiba a affirmé que les droits d’exploration dans la Cuvette centrale ont été attribués à l’issue d’études appropriées conduites par des experts qualifiés et indépendants. (Les études évoquées par la ministre Bazaiba n’ont pas été rendues publiques.)
Carbone sur carbone : le pétrole et les tourbières du bassin du Congo
Le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, ajoute que des ONG ne peuvent lui dicter des orientations à suivre pour son développement. « Nous savons que nous avons des engagements en ce qui concerne la protection de l’écosystème mais ces engagements, de notre point de vue, ne sont pas techniquement incompatibles avec notre volonté de produire le pétrole ».
Pour Greenpeace Afrique, la déclaration de Muyaya est contraire aux estimations des scientifiques qui préviennent que tout nouveau projet de combustibles fossiles rendra impossible l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris sur le climat. Wabiwa Betoko, sa chargée de campagne forestière, soutient qu’il « n’existe pas de projets de combustibles fossiles dans le monde sans pollution locale et qu’il est pratiquement impossible que l’environnement reste intact après une exploitation de combustibles fossiles, peu importe les mesures prises et utilisées ».
Ce que craint Greenpeace et même la société civile congolaise, c’est un effondrement climatique sur les communautés riveraines avec l’initiative des autorités congolaises. « Il ne s’agit pas ici de regarder seulement les intérêts financiers ou économiques, mais il y a la vie de millions de communautés congolaises, de millions de personnes à travers le monde qui serait en jeu, et donc il n’y a aucun chiffre en termes de dollars qui pourrait compenser cela », déclare Wabiwa Betoko.
On ne peut pas extraire du pétrole des tourbières et des aires protégées tout en prétendant être un « pays solution » à la crise climatique, ajoute-t-elle en référence à l’engagement de la RDC d’être un pays solution aux impacts déjà inquiétants du changement climatique lors du dernier sommet sur le climat. Étant donné qu’il s’agit de blocs pétroliers onshore dont beaucoup chevauchent des écosystèmes très sensibles, les impacts environnementaux attendus sont désastreux, ajoute Wabiwa Betoko qui garantit la disponibilité de son organisation aux côtés des communautés locales opposées à la destruction de leurs terres.
La composition du groupe de travail voulu par Washington et Kinshasa n’est pas encore connue ni son champ d’action. Mais les défenseurs de l’environnement en particulier l’ONG Greenpeace, appellent les États-Unis et tous les autres pays pollueurs à utiliser leur capital politique pour s’éloigner des combustibles fossiles chez eux et déployer tous les outils diplomatiques nécessaires pour dissuader les autres pays d’explorer et de forer du gaz et du pétrole.
Image de bannière : Vue aérienne d’une riviere dans le bassin du Congo à Mbandaka, en République Démocratique du Congo. Photo de Greenpeace.