- Des organisations de défense des droits de l’homme et de l’environnement affirment qu’une entreprise indienne aurait escroqué des communautés en République démocratique du Congo. Elle les aurait convaincues de renoncer à leur droit de vendre les crédits carbone issus de la reforestation, de la déforestation évitée ou de la restauration de forêts gérées localement.
- L’initiative CFCL intervient dans l’administration de ces forêts. D’après ses partisans, elle redonne aux communautés le contrôle sur leurs terres et l’accès aux ressources qu’elles peuvent en tirer.
- Toutefois, d’après les organisations, ces contrats pourraient restreindre l’accès futur aux forêts pour plusieurs générations. Or, les clauses n’auraient pas été énoncées clairement ou équitablement aux membres des communautés concernées.
- Ces organisations et les communautés appellent désormais le gouvernement congolais à annuler ces accords.
Iluka Alain est le chef de Bofekalasumba, un village au nord-ouest de la République démocratique du Congo (RDC). En décembre 2021, il a été surpris par l’arrivée de deux hommes à moto. Ils parlaient lingala, une langue répandue en RDC, et se sont présentés comme employés d’une entreprise nommée KMS. Ils semblaient tout particulièrement pressés et ont cherché à savoir si Bofekalasumba avait un comité de gestion pour sa concession forestière locale (CFCL).
Iluka Alain leur a répondu que non, ils n’en avaient pas encore constitué. Les individus lui ont alors immédiatement dit de réunir sept personnes pour en former un temporaire. N’étant pas homme à refuser quoi que ce soit à ses invités, Iluka Alain a obtempéré. Peu après, ce comité ad hoc écoutait l’explication, toujours empressée, des deux inconnus. La forêt représentait selon eux une opportunité financière pour la communauté, grâce à la vente de crédits carbone sur les marchés internationaux. Pour profiter de cette occasion, il leur suffirait de signer le contrat de 19 pages qu’ils avaient apporté.
Face à ces explications, les membres du comité ont accepté de renseigner les détails sur la surface de la CFCL et ont apposé leur signature sur le document. Ce n’est qu’à ce moment que les deux hommes ont remis une copie de l’accord, accompagnée de 5 000 francs congolais (soit environ 2,30 € ou 2,50 $) à Iluka Alain et à chacun des membres du comité improvisé. Puis, ils sont remontés sur leur moto et ont quitté le village. Cette interaction a peut-être duré 35 minutes, en tout et pour tout.
C’est alors qu’Iluka Alain et les autres se sont penchés sur le document. Celui-ci était rédigé en français et en anglais, mais sans traduction en lingala ou dans une autre langue nationale. Ils sont toutefois parvenus à déchiffrer le contrat. Ils ont ainsi découvert qu’ils avaient renoncé à leurs droits sur les crédits carbone de leur forêt, et possiblement sur d’autres services rendus par celle-ci, pour les 100 prochaines années. Cette interaction les laissait avec beaucoup de questions, mais aucune réponse : venaient-ils de perdre l’accès à leurs champs, à leurs jardins, à leurs terrains de chasse, tous situés au sein de leur forêt communautaire ? En tireraient-ils vraiment un jour de quelconques avantages, monétaires ou autres ?
« KMS est venu à nous comme un voleur », raconte Iluka Alain dans un témoignage vidéo tourné par GASHE, une ONG congolaise de protection de l’environnement et des droits de l’homme. « Nous ne pouvons désormais plus gérer notre forêt en toute souveraineté. »
D’après un exemplaire obtenu par Mongabay, le contrat nécessite « l’approbation complète et libre et préalable de tous les membres de la communauté [et du] Chef de secteur / Chef » pour la mise en œuvre d’un projet REDD. REDD+ ou « reducing emissions from deforestation and forest degradation » (« réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts ») est une initiative des Nations unies. L’objectif des programmes qui entrent dans son cadre est de permettre le développement économique de communautés, tout en préservant les forêts.
Il s’avère que le cas du village de Bofekalasumba n’est pas isolé. En décembre, des représentants de Kanaka Management Services (KMS) sont parvenus à obtenir les droits sur 25 CFCL de l’Équateur d’une manière tout aussi confuse et pressante, selon les communautés. D’après son site internet, KMS est une société de conseil spécialisée dans les projets de gestion des émissions de gaz à effet de serre. Elle opèrerait également dans au moins cinq autres provinces du pays.
Selon les témoins présents durant de la tournée de KMS dans l’Équateur en décembre 2021, l’entreprise promettait une compensation financière pour les communautés et, dans certains cas, l’ouverture de comptes bancaires à leurs noms. Mais les personnes interrogées sont unanimes : partout où ils sont allés, les hommes ne se sont pas attardés sur les détails et ne leur ont pas laissé l’occasion de lire le document avant de le signer. Les 25 communautés demandent l’annulation des contrats. Elles affirment que KMS n’a pas expliqué de manière adéquate ce qu’elles acceptaient, alors que la Constitution de la RDC l’y oblige.
Les membres de la communauté soutiennent que KMS a eu recours à la « ruse », en tirant parti du fait que de nombreux habitants de l’Équateur sont analphabètes et ne parlent ni français ni anglais.
Ils estiment également que les deux individus ont précipité un processus d’approbation qui ne représentait ni l’ensemble de la communauté ni la totalité de ses intérêts. Les chefs locaux et les militants rappellent par ailleurs que les communautés sont dépendantes de la forêt pour leur survie.
Un climat propice aux crédits carbone
Les forêts tropicales sont de plus en plus considérées comme une arme essentielle du combat contre le réchauffement climatique, car elles absorbent le CO2 de l’atmosphère. Parallèlement, de plus en plus d’études soulignent que l’implication des communautés autochtones et locales qui vivent dans ou autour de ces forêts dans leur protection est généralement la meilleure stratégie pour encourager la gestion durable. En outre, cette approche est souvent plus efficace que la création de zones protégées clôturées.
En novembre dernier, Glasgow, en Écosse, a accueilli la conférence des Nations unies sur le climat. À cette occasion, les gouvernements et les entreprises ont renouvelé leur engagement en faveur de l’objectif zéro émission nette. Une promesse qui a déclenché une véritable frénésie au niveau mondial : les acteurs du secteur cherchent à obtenir des droits sur les terres, généralement pour plusieurs siècles à la fois. La théorie veut que la restauration, la reforestation ou toute déforestation évitée mènent à la séquestration d’une plus grande quantité de carbone atmosphérique. Ce CO2 capturé est ensuite « converti » en crédits carbone, qui peuvent alors être vendus aux entreprises et aux pays afin de compenser la part incontournable de leurs émissions. Idéalement, une partie des bénéfices générés reviendrait aux communautés telles que Bofekalasumba, qui pourraient l’investir dans l’emploi, l’éducation ou la santé.
Les défenseurs des droits de l’homme ont toutefois souligné que ces procédés pourraient priver les communautés de leur contrôle sur les forêts, alors même que celles-ci sont souvent très bien gérées. Elles pourraient également perdre l’accès aux ressources qu’elles en tirent, sans vraiment comprendre les droits qu’elles abandonnent ou comment elles pourraient profiter de ces accords.
Quelle est la part équitable pour les communautés ?
Les contrats signés entre KMS et les communautés en RDC stipulent que l’entreprise peut vendre les crédits carbone accumulés tout au long de la période prédéterminée de 100 ans. Les bénéfices ainsi réalisés seraient répartis comme suit : 50 % pour le gouvernement de la RDC, 40 % pour KMS et 10 % pour les CFCL.
« Les autorités doivent immédiatement s’occuper des tentatives éhontées de KMS d’escroquer les communautés locales, » affirme Joe Eisen, directeur général de l’ONG Rainforest Foundation UK (RFUK) dans un courriel adressé à Mongabay. « Mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une tendance alarmante et pourtant tout à fait prévisible. Des entreprises opportunistes et des fonctionnaires corrompus vont chercher à s’enrichir rapidement sur le dos des communautés locales qui vivent dans ces forêts et les protègent depuis des siècles. »
C’était également le cas à Bornéo, le 28 octobre 2021. Des fonctionnaires malais ont ainsi signé un accord REDD de 100 ans avec une société singapourienne. Les clauses de ce contrat prévoient que 70 % des revenus de la vente des crédits carbone et d’autres formes de « capital naturel » iraient au gouvernement de l’État fédéré de Sabah. Tout comme pour les contrats de KMS, le document contient peu de détails sur la manière dont les paiements seront effectués.
Les observateurs extérieurs ont fortement décrié le projet de Bornéo, car il n’adhère pas au principe internationalement reconnu de consentement libre, préalable et en connaissance de cause (CLPCC) requis dans les relations avec les communautés autochtones et locales. Dans ce cas, il apparaît qu’il n’y a pas eu de réunions conviant les communautés, autochtones et autres, afin de leur présenter les conséquences du contrat sur leur accès aux forêts dont dépendent leur survie.
Les défenseurs de l’environnement ont également critiqué le modèle de compensation des émissions de carbone. En effet, ce système permet aux entreprises et aux États de continuer à polluer tout en s’inscrivant dans la démarche zéro émission nette d’ici à 2050 définie à Glasgow. Pendant ce temps, les communautés des pays moins industrialisés devront assumer la charge de renverser le cours du changement climatique mondial.
D’autres observateurs remettent en question la capacité de marchés du carbone peu régulés à entraîner une restauration des forêts ou une plus grande séquestration de CO2 atmosphérique.
Les concessions forestières communautaires
En RDC, ces forces internationales se sont heurtées à une nouvelle structure visant à donner plus d’autonomie aux communautés dans la gestion des forêts. En 2014, un décret présidentiel autorisait les communautés à déposer des demandes de concessions forestières (les CFCL) allant jusqu’à 50 000 hectares qu’elles pourraient administrer en fonction de leurs besoins. Un arrêté ministériel a ensuite transposé ce processus dans la législation.
Huit ans plus tard, les CFCL de RDC en sont pourtant, sur bien des aspects, toujours à leurs balbutiements. Certaines d’entre elles, dont Bofekalasumba, n’ont par exemple pas encore constitué de comité de gestion. Ailleurs, d’autres n’ont pas mis en place de « plans de gestion simples ». À noter que la loi de la RDC exige la création de ces deux structures et qu’elles sont jugées essentielles pour garantir l’équité des avantages offerts par les CFCL aux membres de la communauté.
Un principe fondateur de la gestion communautaire au cœur des CFCL est qu’elles doivent permettre à la terre et, en l’occurrence, à la forêt de répondre aux besoins du présent sans compromettre leur capacité future à fournir des ressources. Ainsi, la communauté doit pouvoir continuer à accéder à ces ressources, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles la durée de l’accord avec KMS, qui est de 100 ans, a été considérée par certains comme un « piège ».
Selon Étienne Kasereka, directeur des Programmes de GASHE, « une fois le contrat enregistré, il y a un risque que la communauté soit privée du droit d’user de sa forêt et donc de ses ressources puisqu’elle sera assujettie à l’interdiction d’usage des forêts. KMS s’octroie un monopole sur les forêts communautaires en empêchant les communautés de travailler avec d’autres structures. »
Pour ses partisans, l’approche CFCL offre aux communautés la possibilité de participer aux décisions concernant la gestion des terres et le partage des ressources. Ils sont également optimistes quant au fait que l’officialisation des droits sur ces terres favorise un sentiment d’appartenance et l’administration locale des forêts, garantissant ainsi la disponibilité de leurs ressources pour les générations futures.
Toutefois, les contrats de KMS placent les ressources forestières sous un verrou métaphorique pour les 100 prochaines années. Les restrictions d’accès aux forêts pourraient réduire la capacité des CFCL à répondre aux besoins des communautés. Cela est tout particulièrement vrai dans les endroits où les familles doivent s’assurer d’avoir suffisamment de ressources pour les années à venir.
« C’est au-delà de la compréhension des communautés et c’est trop », a déclaré Étienne Kasereka dans un courriel adressé à Mongabay.
Une question de compréhension
La nature à très long terme des contrats de KMS auxquels les communautés auraient consenti sans être pleinement informées n’est pas le seul problème soulevé par les victimes et les militants de GASHE entre autres associations. Ils affirment que les conditions favorisent largement la société aux dépens des communautés concernées, à commencer par la maigre part de bénéfices, qui ne s’élève qu’à 10 %.
« Pour moi, c’est une escroquerie », déclare Julien Mathe, un coordinateur de GASHE, dans un courriel adressé à Mongabay.
Les détracteurs de l’accord font également remarquer que KMS est en droit de sanctionner les communautés si elles n’organisent pas de patrouilles dans les forêts ou si elle considère que leurs activités provoquent une déforestation ou une dégradation des forêts. De tels manquements pourraient permettre à l’entreprise de réduire la part de bénéfices revenant aux communautés.
GASHE indique aussi que le contrat ne prévoit pas clairement les conditions de rémunération des communautés par KMS.
Pour sa part, KMS se réserve le droit de transférer l’accord « à toute autre partie », ce qui soulève des questions quant à l’engagement à long terme de la société dans le projet.
« En bref, l’accord n’est pas équilibré. [Il] impose plus d’obligations aux communautés qu’à KMS », affirme Blaise Mudodosi, avocat et coordinateur d’APEM, un groupe de défense des droits basé à Kinshasa.
Le fait que les contrats ont été rédigés en français et en anglais est un signe que KMS n’avait pas connaissance du contexte dans l’Équateur. À moins qu’elle n’ait jamais eu l’intention de donner aux communautés ciblées les clés nécessaires à la compréhension des clauses de l’accord avant de le faire signer, a déclaré Étienne Kasereka de GASHE. La plupart des personnes interrogées par Mongabay sont convaincues qu’il s’agit de la seconde hypothèse.
La loi congolaise relative au consentement libre, préalable et en connaissance de cause exige la traduction des textes dans l’une des quatre langues nationales de la RDC, dont le lingala, qui est parlé dans tout l’Équateur. À noter que la langue officielle du pays, utilisée par le gouvernement dans les procédures et les documents officiels, est le français. Selon Me Mudodosi, les communautés auraient mieux compris les termes du contrat si celui-ci avait été rédigé en lingala ou dans un autre dialecte local.
À la question linguistique s’ajoute le peu de temps accordé aux communautés par les représentants de KMS. En effet, plusieurs témoins ont affirmé que les échanges ne duraient que de 15 à 45 minutes. La structure même des documents est problématique : la copie obtenue par Mongabay est presque entièrement normative et ne laisse que peu de place à la négociation. Or, d’après la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, celle-ci fait partie intégrante du principe de CLPCC.
La formulation du texte suggère que le partage des bénéfices a été accepté « après concertation » entre chaque communauté et KMS. La réalité est néanmoins bien différente. Les représentants de KMS détenaient les documents finaux à leur arrivée, à l’exception des espaces nécessaires à renseigner les détails propres à chaque CFCL tels que la surface de la forêt et le terme de l’accord.
Afin d’attirer l’attention des autorités sur les activités de KMS, plusieurs organisations, dont GASHE, APEM et RFUK ont adressé une lettre énumérant leurs inquiétudes à Ève Bazaiba, ministre de l’Environnement de la RDC. Elles ont également publié le courrier sur le site internet de veille REDD-Monitor. La ministre s’est refusée à tout commentaire concernant les contrats.
Mongabay a par ailleurs sollicité KMS afin d’obtenir des explications et avis sur les accords et les allégations soulevées par les associations à l’origine de la lettre ouverte. En retour, l’entreprise a redirigé Mongabay vers une longue réponse envoyée à REDD-Monitor début mai, sans toutefois réagir aux demandes qui ont suivi.
Dans sa publication sur le site de REDD-Monitor, KMS a accusé les organisations s’opposant au projet REDD de vouloir contrecarrer les progrès et la quête de développement économique de Congolais qui en ont besoin.
« Les cobénéfices de ce projet peuvent assurément aider les communautés à améliorer leurs moyens de subsistance et renforcer leur détermination à obtenir un meilleur niveau de vie », écrit la société. « Tenter de porter atteinte aux moyens de subsistance et aux améliorations potentielles du niveau de vie des communautés locales n’est rien de moins qu’un crime contre l’humanité. »
L’entreprise estime par ailleurs que l’affirmation selon laquelle KMS recevra 40 % des bénéfices est inexacte. « La part de KMS est bien moindre. Les sommes dues au trésor public, les droits de concession forestière et les impôts à payer » viendraient réduire ce chiffre.
KMS dément également les conditions dans lesquelles les signatures ont été obtenues :
« Nous avons organisé des réunions en bonne et due forme avec les communautés dans les zones concernées. Elles ont pu participer pleinement à la prise de décision, rendant donc le processus de consultation des parties prenantes plus efficace. Ainsi, plus qu’une simple consultation, nous avons clairement obtenu le consentement libre, préalable et en connaissance de cause des communautés. »
Les contrats suggèrent aussi que la société avait contacté les communautés et recueilli leur approbation avant la visite de représentants à la fin de l’année 2021. La manière dont ces derniers ont obtenu ce consentement demeure toutefois floue. Toutes les communautés de l’Équateur ont indiqué à GASHE qu’elles n’avaient pas entendu parler des activités de KMS avant décembre 2021. Et si le document mentionne le CLPCC à plusieurs reprises, il ne précise pas le temps nécessaire à son obtention, les parties impliquées ou la forme sous laquelle il a été donné.
KMS a déclaré à REDD-Monitor qu’elle disposait de « photos et preuves adéquates de ces réunions », mises en ligne sur le site internet du projet, démontrant le caractère équitable de la procédure d’obtention du consentement. Si le site contient bien les éléments indiqués, Mongabay a tout de même estimé qu’il était nécessaire de spécifier en quoi ces médias constituent une preuve du processus consultatif. KMS s’est toutefois refusée à tout commentaire.
Selon Bikolo Florentine, résidente d’Irebu, les hommes ne sont restés que 30 minutes dans son village, soit à peu près aussi longtemps qu’à Bofekalasumba. En outre, ils avaient refusé de leur donner le contrat tant que celui-ci n’était pas signé. Après leur départ, Bikolo Florentine et les autres membres de la communauté présents ont découvert que le document était « un gros mensonge auquel nous n’avions pas consenti ».
« Nous connaissons la réalité du terrain et compte tenu du peu de temps passé à négocier avec les communautés, nous avons un doute quant à la validité du consentement obtenu », déclare Me Mudodosi.
Il semble également que les hommes chargés de recueillir l’autorisation des communautés n’étaient eux-mêmes pas suffisamment informés pour fournir une explication précise des bénéfices apportés ou des responsabilités engendrées par l’accord.
Selon Étienne Kasereka, « ces hommes ont été recrutés comme consultants, avec un contrat à court terme et une seule mission » : obtenir les signatures des communautés disposant d’une CFCL.
Dans leur lettre au ministère, les ONG affirment que KMS a tiré parti de son label supposément attribué par VERRA. VERRA est une société qui approuve les projets sur la base de leur adhésion à la norme verified carbon standard (VCS). Mongabay n’a cependant pas été en mesure de vérifier indépendamment si KMS a mentionné la certification reçue pour ce projet aux communautés en RDC.
Dans les documents de validation et de vérification fournis à VERRA par KMS, l’entreprise a vanté les économies de carbone réalisées par son travail. Le projet permettrait « de prévenir l’émission » de l’équivalent de plus de 155 milliards de tonnes métriques de CO2 sur toute sa durée, notamment grâce à la déforestation évitée.
Selon les ONG, « VERRA a confirmé avoir ”rejeté” le projet REDD+ de KMS en RDC en septembre 2021, et ce, à la demande de l’administration congolaise qui considèrerait que KMS n’a pas rempli les conditions nécessaires dans l’état actuel du projet. » Les échanges de Mongabay avec VERRA ont corroboré les conclusions des organisations.
Dans sa réponse à REDD-Monitor, KMS qualifie plusieurs fois le projet REDD de la RDC de « projet VERRA VCS 2320 ». L’entreprise écrit également que l’audit du projet a été « temporairement arrêté par l’honorable ministre afin de compléter certains éléments d’harmonisation ».
Steve Zwick, porte-parole de VERRA, a déclaré à Mongabay que KMS ne devrait pas utiliser le nom de VERRA ou le label VCS.
De même, dans une interview publiée le 6 mai sur le site de REDD-Monitor, il affirme que VERRA a demandé à KMS de cesser toute référence de ce type. Il a également confirmé que le projet de KMS en RDC avait été rejeté « le plus tôt possible […], car il n’était pas conforme aux exigences de notre programme ».
Il faut trouver un moyen d’aller de l’avant
Désormais, la question porte sur le possible maintien des contrats par les autorités congolaises, et ce malgré les problématiques soulevées quant à la validité du consentement, des termes et de leur légalité. Le gouvernement aurait approuvé, au moins partiellement, le projet de KMS. Cela permettrait donc d’imposer l’application des accords.
En effet, KMS affirme avoir amorcé les négociations avec le ministère de l’Intérieur de la RDC dès 2018 et reçu l’autorisation de travailler dans le pays. Toutefois, ni KMS ni les porte-paroles du gouvernement n’ont répondu aux demandes de clarifications quant aux activités concernées par cette autorisation.
À ce jour, les communautés et les ONG réclament la suspension de toutes les activités de KMS dans l’Équateur. Elles exigent que les contrats soient annulés et que les permis accordés par le gouvernement soient retirés.
Les organisations à l’origine de la lettre à Ève Bazaiba souhaitent que les dirigeants de la RDC s’expriment sur le sujet dans un souci de transparence sur leur implication jusqu’à ce jour. À terme, elles veulent que les règles entourant les projets REDD du pays soient fixées définitivement. Elles avertissent également que KMS semble tenter d’obtenir les droits pour des projets REDD similaires dans cinq autres provinces : Tshopo, Maniema, Sankuru, Bas-Uélé et Tshuapa.
Si tous ces projets recevaient la permission des autorités d’aller de l’avant, « il s’agirait alors d’une escroquerie à grande échelle », écrivent-elles.
Au bout du compte, les communautés de l’Équateur ne pensent pas qu’elles verront un jour les bénéfices apportés par le projet REDD de KMS.
« Le gouvernement de la RDC et ses partenaires internationaux doivent maintenant se ressaisir et cesser cette vente au rabais des forêts et du patrimoine congolais », déclare Joe Eisen de RFUK.
Image de bannière : Une femme ramasse du bois dans la forêt. Les communautés ont accès aux ressources de la forêt en vertu de la CFCL. Image d’Ollivier Girard/CIFOR depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
John Cannon est rédacteur chez Mongabay. Retrouvez-le sur Twitter : @johnccannon
À écouter aussi, avec le podcast de Mongabay : Une discussion avec deux invités sur leurs reportages en Asie du Sud-Est qui soulignent l’importance des droits fonciers et du consentement préalable, libre et en connaissance de cause pour les communautés autochtones et locales. [En anglais]:
Article original : https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/06/thats-a-scam-indian-firms-redd-carbon-deal-in-the-drc-raises-concern/