- Des réfugiés nigérians et des villageois camerounais participent aux efforts visant à reboiser la zone autour du camp de réfugiés de Minawao près de la frontière entre les deux pays.
- L’afflux de réfugiés, chassés de chez eux par l’avancée du groupe islamiste Boko Haram, a entraîné une recrudescence d’abattage pour du bois de chauffe et de construction, et a également provoqué des conflits avec les habitants.
- Un programme de reboisement soutenu par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), l’ONG de développement française ADES et la Fédération luthérienne mondiale (FLM), et réalisé par des réfugiés et des habitants, a à ce jour planté plus de 400 000 arbres sur 100 hectares.
- À l’origine, les experts du gouvernement ont choisi les arbres à planter en fonction de leur capacité à pousser rapidement et à survivre en zones arides, mais depuis 2017, les membres de la communauté ont été inclus dans le processus de décision, car les responsables du projet ont réalisé qu’une approche participative pourrait générer de meilleurs résultats.
MINAWAO, Cameroun — Le camp de réfugiés s’anime peu après l’aube, certains résidents portent sur leurs épaules des outils et se saluent en chemin vers les petites fermes qu’ils ont établies en périphérie, d’autres ouvrent des stands qui vendent le petit déjeuner, un arôme de levure et de sucre se développant à mesure que les premiers « puff-puff » (des beignets à la levure de boulanger) sortent de l’huile chaude. Joshua Bejeme choisit un bâton à mâcher, met ses bottes et se dirige vers une pépinière proche du cœur du camp.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a installé le camp de Minawao en juillet 2013 pour héberger un nombre croissant de réfugiés fuyant la violence du groupe islamiste Boko Haram au Nigeria voisin. L’organisation pensait héberger environ 15 000 personnes sur un site de 623 hectares ici, à 70 kilomètres de la frontière. En septembre 2015, il accueillait plus de 58 000 personnes, et les bois clairsemés autour du camp avaient été coupés pour du bois de chauffe ou pour construire des abris.
Lorsque Sani Habu est arrivé au camp en 2014, il faisait partie de ceux qui coupaient les arbres et vendaient le bois pour joindre les deux bouts. « Je n’imaginais pas les dommages que je causais. La seule chose qui m’importait, c’était de gagner de l’argent pour m’occuper de ma famille », dit le réfugié nigérian. Aujourd’hui, il est l’un des bénéficiaires les plus enthousiastes de l’initiative de reboisement mise en œuvre dans le camp. Sa maison en briques de boue au toit de chaume est entourée d’arbres qu’il a plantés.
Une pépinière pour l’avenir
Cette partie du Cameroun appartient à la région semi-aride du Sahel qui s’étend dans l’Afrique de l’Ouest, une zone entre les forêts tropicales du sud et le désert du Sahara au nord. Le milieu écologique de toute la région est devenu moins accueillant au cours des dernières décennies en raison de la hausse générale des températures moyennes et de la réduction des précipitations.
À leur arrivée, les réfugiés dépendaient entièrement du bois de chauffe pour la cuisine, de la même façon qu’ils en dépendaient dans le paysage comparable autour des maisons dont ils avaient été chassés. Leurs nouveaux voisins de la communauté autour de Minawao utilisent également le bois et le charbon de bois pour la cuisine : au moins 75 % des ménages au Cameroun utilisent du bois de chauffe pour la cuisine, selon une enquête nationale menée auprès des ménages.
Les forêts limitées de Minawao ne pouvaient pas supporter les besoins de dizaines de milliers de nouveaux arrivants pendant bien longtemps et les collines ont rapidement été dépouillées de leurs arbres.
Mais la pépinière au cœur de Minawao nourrit les pousses vertes d’un renouveau.
Tous les matins, Bejeme marche entre les maisons construites avec de la terre séchée au soleil et couvertes en chaume ou par des bâches blanches décolorées de l’UNHCR jusqu’à un lieu où une barrière solide de plantes épineuses protège la pépinière de Minawao des animaux errants. À peu près 40 par 20 mètres, c’est l’une de quatre ; les trois autres sont situées dans les communautés environnantes de Gawar, Gadala et Zamay.
Bejeme est volontaire à la pépinière aux côtés d’Hawa Dawa, où ils vont chercher de l’eau dans l’un des puits de forage à proximité pour arroser des rangées de jeunes plants matin et soir. Ils plantent également des graines et désherbent les rangées bien alignées de jeunes plants dans des sacs de polyéthylène noirs.
« J’aime faire ce travail, parce que quand je regarde autour et que je vois les arbres qui sont déjà vigoureux, cela ravive mon âme brisée. Cela me donne de la joie et de l’espoir », dit Dawa. « La petite paie que je reçois en tant que volontaire me permet aussi de vivre. »
Dawa dit qu’elle est fière de participer à l’entreprise. « Nous avons épuisé les ressources naturelles ici quand nous sommes arrivés et nous avons rendu l’endroit désertique. La responsabilité de les renouveler nous appartient, étant donné que nous n’avons pas d’autre endroit auquel nous accrocher. », dit-elle à Mongabay. Elle dit qu’elle ressent les effets de son travail à la pépinière, car le camp et ses environs sont devenus plus aérés et plus frais.
Un projet qui porte ses fruits
D’après Tcheou Tcheou Samading Abel, délégué en matière d’environnement et d’énergie de l’ONG française de développement ADES qui gère actuellement le projet de reboisement, environ 400 000 arbres se dressent maintenant dans le camp et autour grâce au projet « Reverdir Minawao ». En additionnant les blocs de forêt à l’intérieur du camp et les plus petits bosquets autour des maisons des gens, ces arbres couvrent près de 100 hectares.
« Nous prenons soin de ces jeunes plants et nous les donnons à des familles dans le camp et à l’extérieur pour qu’ils les plantent. Nous les formons aussi à la plantation avec la technologie en cocons », dit Abel. Il ajoute que les réfugiés comme les habitants du coin ont accepté avec enthousiasme des jeunes plants d’arbres à planter, en particulier ceux qui produisent des fruits qui peuvent se vendre.
En raison du climat aride, les jeunes plants sont mis en terre en utilisant une technologie mise au point par la Land Life Company. Chaque jeune arbre est planté dans une bassine en forme de donut faite en carton recyclé. La bassine et un couvercle en forme d’anneau retiennent l’eau pour l’arbre en croissance, ralentissent la croissance des mauvaises herbes à la base des jeunes plants et le protègent contre les enfants, les animaux, le soleil et le vent. À mesure que l’arbre grandit et se renforce, la bassine en carton se décompose naturellement.
À l’origine, les experts des ministères de l’Environnement et de la Gestion forestière ont choisi les espèces d’arbres à planter en fonction de leur capacité à pousser rapidement et à survivre en zones arides. Mais depuis 2017, les membres de la communauté ont été inclus dans le processus de décision, car les responsables du projet ont réalisé qu’une approche participative pourrait générer de meilleurs résultats. Les espèces sont maintenant choisies en consultation avec les réfugiés et les habitants. Cette consultation a vu un assortiment d’espèces d’arbres différentes être plantées, y compris des arbres fruitiers qui n’ont jamais été cultivés à cet endroit avant : des goyaviers, des manguiers, des asiminiers trilobés, des limettiers.
« Ces arbres donnent déjà des fruits à leurs propriétaires dans plusieurs foyers », dit Abel. Il ajoute qu’ils ont également ouvert un verger commun appelé « l’espace fruit » qui est géré par la Fédération luthérienne mondiale (FLM) pendant que les arbres grandissent.
« Une fois que le verger commencera à donner des fruits, sa gestion sera confiée à un comité local », dit Abel à Mongabay.
Les autres espèces d’arbres plantés dans Minawao et autour comprennent le Cassia, le margousier, l’acacia, le Moringa, l’anacardier, et le Leucaena. La plupart de ces espèces sont résistantes à la sécheresse et leurs branches peuvent être taillées et utilisées comme combustible. Certaines feuilles peuvent également servir à soigner, être mangées ou servir d’engrais.
Perspectives d’avenir
Xavier Bourgois, le porte-parole pour l’agence des Nations unies pour les réfugiés à Yaoundé, dit que les espaces végétalisés seront là longtemps après le départ des réfugiés qui laisseront derrière eux un environnement plus sain et plus accueillant que lorsqu’ils sont arrivés. Bourgois dit qu’il appartiendra alors aux populations d’accueil de conserver cet héritage précieux.
« Plus de 400 000 arbres ont été plantés au bénéfice des populations de réfugiés et d’accueil, et ces plantations ont permis de développer l’agriculture à l’ombre des espaces végétalisés, de nourrir et de subvenir aux besoins des animaux et des personnes, de réduire considérablement les conflits liés au partage des ressources, de faire revenir les pluies, de protéger les femmes qui n’ont plus besoin de s’exposer à des risques d’attaque en allant chercher du bois de chauffe loin du camp », explique Bourgois à Mongabay.
Bourgois dit qu’il pense qu’ils ont désormais réussi la partie la plus difficile du projet, qui est d’arriver à faire pousser les premiers espaces végétalisés. « Des fonds sont toujours utiles pour maintenir et développer ce type de programmes absolument essentiels, mais certains réfugiés sont déjà formés à la gestion de pépinière », ajoute-t-il.
Le projet a été financé à l’origine avec 2,7 millions de dollars provenant de la loterie néerlandaise des codes postaux. Les dépenses courantes sont satisfaites par des donneurs de l’UNHCR, selon Bourgois. Il dit que l’UNHCR mène également des programmes de reboisement dans les régions de l’est du Cameroun, qui accueille plus de 350 000 réfugiés d’Afrique centrale. « Toutefois, l’environnement et le climat de cette région sont plus propices à ce type d’opération, contrairement à [Minawao dans] l’extrême nord où le reboisement était un défi technique et environnemental », explique-t-il.
Mohamadou Bachirou, un ingénieur et chercheur en environnement au Centre d’études de l’environnement et du développement au Cameroun (CEDC), dit que le projet de reboisement est une bonne initiative.
« Minawao est une zone fortement dégradée par la demande accrue en bois depuis la crise sécuritaire. Le reboisement a été une solution pour compenser le déficit déjà important en bois dans la zone », dit-il à Mongabay. Mais, il remarque qu’il faut des années pour que les arbres puissent être pleinement exploités, que ce soit pour le bois ou les fruits, ce qui veut dire que le reboisement à Minawao doit au moins au début être complété par d’autres sources d’énergie alternatives comme le charbon de bois écologique.
Pour Kodji Paul, maître de conférence du département des sciences biologiques à l’université de Maroua, les efforts au camp de réfugiés doivent être étendus. « Le reboisement au camp de Minawao est uniquement symbolique, car ce reboisement n’est pas largement étendu aux villages voisins. Nous remarquons la dégradation de la végétation autour du camp, mais les ONG comme LWF qui s’occupe du reboisement se concentrent uniquement sur le camp. »
Paul dit que le Cameroun doit mobiliser des donateurs pour étendre la campagne de plantation d’arbres à tous les autres villages de la zone.
Fadimatou Hadjija vit à Gawar, l’un de ces villages voisins. Elle dit que même si seuls quelques arbres ont été plantés ici, le projet a aidé à réduire drastiquement la tension entre les habitants et les réfugiés.
« Regardez là-bas », dit-elle en pointant à un grand terrain qui ressemble à une piste d’atterrissage. « Dans mon enfance, nous jouions à cache-cache là. Mais, tous les arbres restants ont été coupés en moins d’un an à l’arrivée des réfugiés. Beaucoup ont eu le sentiment que les réfugiés étaient une épine dans notre chair, se battant avec nous pour les ressources limitées disponibles. »
D’autres à Gawar sont d’accord pour dire que les conflits avec les réfugiés, qui d’après eux ont dégénéré autour d’affaires d’enlèvement et de viol, se sont apaisés dans les dernières années.
La famille proche d’Hadjija a été impliquée dans un affrontement au sujet de bois de chauffage. « Il y a eu des blessures graves, y compris mon mari qui a eu une plaie à la joue et des ecchymoses aux genoux », dit-elle.
Elle et ses voisins disent qu’ils voient le projet de reboisement et un autre projet mené par ADES qui produit une alternative au charbon de bois à partir de déchets organiques d’exploitations agricoles et de ménages comme des interventions importantes pour enrayer l’impact des réfugiés sur les ressources naturelles de la zone.
ADES a créé des « clubs nature » destinés aux adultes et aux enfants dans un effort supplémentaire visant à construire une culture soucieuse de l’environnement à la fois chez les réfugiés et chez les habitants. Un groupe de travail réunissant des organisations locales et des services du gouvernement a également été mis en place pour assurer que le projet continuera même après que les réfugiés sont rentrés chez eux au Nigeria et que le camp est fermé.
Pour le moment, certains résidents de Minawao, comme Hani Babu, disent qu’ils se voient prendre racine ici à côté des nouveaux arbres. « Il s’agit de nous, de notre avenir et de celui de nos enfants », dit-il. « Pour moi, Minawao, c’est ma maison. Je ne repartirai pas. »
Image de bannière : La pépinière au cœur de Minawao nourrit les pousses vertes d’un renouveau. Image d’Amindeh Blaise Atabong pour Mongabay.
COMMENTAIRES : Remplissez ce formulaire pour envoyer un message à l’auteure de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/06/cameroons-nigerian-refugees-who-degraded-their-camp-are-now-vanguards-of-reforestation/