- Quelque 37 % des terres côtières au Ghana ont été perdues à cause de l'érosion et des inondations entre 2005 et 2017.
- De violentes ondes de tempête ont inondé plusieurs communautés en 2021, entraînant l'évacuation de milliers de personnes.
- Les recherches révèlent qu'environ 340 millions de personnes dans le monde seront touchées par l'élévation du niveau de la mer causée par le réchauffement climatique d'ici le milieu du siècle. Le gouvernement ghanéen réagit à cette crise grandissante en armant certaines zones côtières avec des digues, mais les chercheurs affirment que le fait de se contenter de digues peut faire plus de mal que de bien.
- Cette histoire a été réalisée avec le soutien du Centre Pulitzer.
ACCRA, Ghana — Des vagues blanches s’entrechoquent là où le fleuve Volta rencontre l’océan Atlantique, près d’Ada Foah. De l’air chaud et tropical flotte au-dessus du littoral ghanéen, mais la hausse des températures s’accompagne d’une élévation du niveau de la mer, ce qui complique les choses pour que l’océan puisse se maintenir à flot.
« La mer a commencé à envahir toute la communauté. Nous étions dévastés », a déclaré Akorli Simon, ancien résident de Fuvemeh. C’était autrefois un village de pêcheurs situé près de la lagune de Keta dans le golfe de Guinée, mais Fuvemeh a été abandonné après que la mer l’a submergé en 2016, emportant les sédiments et transformant la côte en petites îles qui abritent désormais des cochons sauvages et quelques cocotiers. Les habitants de Fuvemeh ont déménagé et Simon vit désormais dans une autre ville appelée Dzakplagbe. Mais Dzakplagbe reste un hameau de bord de mer, et Simon craint que sa nouvelle maison ne subisse le même sort que celle de Fuvemeh.
« Nous avons peur que si le gouvernement ne fait rien, c’est toute la communauté qui disparaîtra, mais pas uniquement la communauté », a confié Simon.
Le littoral constitue environ 7 % de la superficie du Ghana et environ un quart des habitants vivent au bord de la mer. Quelque 37 % des terres côtières au Ghana ont été perdues à cause de l’érosion et des inondations entre 2005 et 2017.
En novembre 2021, près de 4000 personnes du district côtier de Keta, au Ghana, ont été déplacées suite à un raz-de-marée matinal. L’eau s’est infiltrée dans les maisons, inondant les biens des résidents ainsi que leur lit pendant leur sommeil. Le gouvernement a alors présenté un plan visant à construire des structures temporaires pour les personnes déplacées par la tempête. Il a également annoncé des « investissements financiers considérables » dans des projets de protection côtière tels que des digues dans les régions de la Volta, du Centre, de l’Ouest et du Grand Accra, afin d’éviter d’autres dommages que pourrait causer une nouvelle élévation du niveau de la mer.
Cependant, certains chercheurs affirment que les digues peuvent faire plus de mal que de bien et que le gouvernement ghanéen devrait explorer des solutions plus holistes et naturelles pour lutter contre les inondations et l’érosion côtière.
Les conséquences du réchauffement climatique
Kwasi Appeaning Addo, professeur et directeur de l’Institut d’études environnementales et d’assainissement de l’Université du Ghana, effectue des recherches sur l’impact de l’érosion côtière depuis 20 ans et affirme que l’érosion est un « souci majeur ».
Les recherches indiquent que l’océan gagne jusqu’à 2 mètres sur le littoral du pays chaque année. Addo a déclaré que si l’érosion est un phénomène naturel dans une certaine mesure, le réchauffement climatique causé par les activités humaines lui fait atteindre des niveaux sans précédent.
Selon Addo, « l’élévation du niveau de la mer et la hausse des températures représentent les forces motrices de ce que nous observons ».
Selon Addo, les activités humaines locales contribuent également aux problèmes d’érosion. L’extraction de sable déstabilise le littoral et expose les communautés à une érosion plus importante, signale-t-il. Il explique que la nuit, les résidents extraient illégalement du sable qu’ils vendent à des promoteurs immobiliers ou utilisent pour construire des digues autour de leur propriété afin de protéger leur maison.
Addo a ajouté que la construction du barrage d’Akosombo sur la Volta en 1961 a réduit l’apport de sédiments qui permettaient autrefois de remplacer les terres côtières perdues par l’érosion.
L’estuaire de la Volta est connu pour ses eaux bleues cristallines, ses plages et ses vues panoramiques, qui attirent les visiteurs locaux et étrangers dans ses stations balnéaires.
Le tourisme est la raison pour laquelle Gladys Amele De-Tada a construit Fadzi’s Haven, un petit complexe hôtelier niché dans le village de Havui. Pour se rendre à Fadzi’s Haven depuis Ada, les visiteurs prennent de petits bateaux qui serpentent le long de la Volta et traversent des forêts de mangroves.
« J’ai toujours rêvé d’avoir un endroit où je pourrais accueillir les gens, les héberger et leur donner de délicieux repas », a expliqué De-Tada. « Ils se sentent en quelque sorte revigorés ».
Mais Havui, comme d’autres communautés côtières du Ghana, est également menacé par l’érosion due à l’élévation du niveau de la mer. De-Tada craint que son village ainsi que son ne deviennent les prochains Fuvemeh.
« Je pourrais me réveiller un jour et me retrouver dans l’eau. La mer est imprévisible », a déclaré De-Tada.
Le village de Salakope-Amutsinu se trouve à environ 9 kilomètres (5,5 miles) d’Ada, dans le district de Ketu sud. Sylvester Kumawu, membre de l’assemblée pour Salakope-Amutsinu, a déclaré que les résidents de cette communauté ont été victimes d’une série d’ondes de tempête en 2021 qui ont entraîné l’érosion et le sans-abrisme.
« Ils cherchent à se réfugier dans les églises et les écoles alors que d’autres dorment en bord de route », a déploré Kumawu.
De nombreux habitants des communautés côtières du Ghana dépendent de la pêche et de l’agriculture pour vivre. Les représentants des organisations de défense des droits civiques affirment que sans revenu, les personnes déplacées risquent de ne pas pouvoir accéder aux produits de première nécessité.
« L’accès à la nourriture, à l’eau potable, aux installations sanitaires et aux produits sanitaires pour les femmes sont parmi les principaux défis auxquels est confrontée la population touchée », a déclaré George Ayisi, directeur des communications de l’Organisation nationale de gestion des catastrophes du Ghana.
Dzifa Gomashie, député du district de Ketu sud, a déclaré que la récente onde de tempête a détruit 40 maisons et a touché plus de 1000 de ses concitoyens.
« Le ministre a déclaré officiellement que la construction du mur de défense maritime se poursuivrait en juin. Nous attendons toujours », a déclaré Gomashie.
Après les dernières tempêtes et inondations, le ministère des Travaux Publics et du Logement a déclaré dans un communiqué qu’il « travaille actuellement de manière active avec le ministère des Finances afin de réunir les fonds nécessaires à la mise en œuvre de la deuxième phase ».
Selon Reuters, le budget 2022 a été approuvé par le Parlement du Ghana fin novembre. Cependant, bien que l’approbation soit arrivée après des inondations dévastatrices, aucune aide aux victimes de l’élévation du niveau de la mer et aucun plan spécifique pour atténuer l’érosion côtière n’est prévu dans la Déclaration budgétaire et la Politique économique de 2022.
Une importante indignation publique a forcé le ministère des Finances à apporter des « modifications » au budget 2022 afin d’inclure une allocation de 10 millions de cedis ghanéens (environ 1,6 million de dollars) pour étendre les recherches de faisabilité et d’ingénierie afin « d’envisager une solution plus complète pour protéger les 540 kilomètres de littoral du Ghana ».
Gomashie, accompagnée de son groupe parlementaire, a voté contre le projet de loi. Elle déclare avoir été déçue par la modification.
« J’ai été choquée d’entendre le ministre dire qu’il engageait des ressources pour l’étude de faisabilité mais qu’il ne poursuivait pas la deuxième phase du projet de défense », a-t-elle précisé.
Les digues sont-elles la solution ?
Selon une recherche publiée en 2019 dans Nature Communications, quelque 340 millions de personnes dans le monde seront touchées par l’élévation du niveau de la mer d’ici le milieu du siècle. La construction de digues est l’une des principales méthodes utilisées par le Ghana pour lutter contre l’érosion côtière.
L’utilisation de digues date d’il y a plus de 150 ans, lorsque les communautés côtières utilisaient des pierres et des rochers de leur région pour construire des barrières. La construction de digues en béton a commencé au début du XXe siècle.
En 2019, le ministère des Travaux Publics et du Logement a annoncé son « plan de gestion côtière » qui vise à construire des digues pour protéger les endroits vulnérables le long de la côte ghanéenne. Le dernier projet en date concerne la construction d’une digue dans le district de Ningo Prampam. Selon le média ghanéen JoyNews, la digue aurait dû être terminée en décembre 2021 mais la construction a été interrompue faute de fonds suffisants.
Le gouvernement n’a pas répondu aux questions concernant le montant total dépensé pour la construction de digues ces dernières années, mais Construction Review estime que le chiffre s’élève au moins à 69 millions de dollars depuis 2019. Le projet de défense maritime de Keta, qui a débuté en 2010, aurait coûté environ 90 millions de dollars.
Selon Addo, si les digues offrent effectivement « un certain niveau de protection » au littoral ghanéen, leur construction est souvent réalisée sans plan de gestion approprié et sans recherches suffisantes pour bien comprendre la situation et obtenir des résultats efficaces.
« La mise en place de [murs] de défense maritime n’est pas la solution en soi », a déclaré Addo. « Il y a tellement de choses que nous devons comprendre et c’est cette compréhension qui nous aidera à proposer une solution fondée sur la science, sinon la solution devient ad hoc ».
Addo n’est pas le seul à être sceptique. Les recherches révèlent que les « structures dures » telles que les digues en béton ne sont peut-être pas totalement efficaces pour freiner l’érosion du littoral ouest-africain, et qu’elles peuvent même engendrer des problèmes environnementaux. Les digues bloquent l’accès aux plages et aux replats boueux, ces zones étant importantes pour de nombreux animaux et plantes du littoral. De ce fait, des études ont montré que les digues ont tendance à réduire la biodiversité.
Addo ajoute que les digues peuvent même contribuer à l’augmentation de l’érosion à d’autres endroits car elles modifient le caractère du littoral, déplaçant ainsi le problème au lieu de le résoudre.
« Une zone qui s’érode légèrement va commencer à subir une érosion extrême car la dynamique [a] changé », précise-t-il.
Selon une étude publiée en 2021 dans Global Environmental Change, le fait de se concentrer uniquement sur la construction de digues nous fait oublier l’existence d’autres solutions potentielles à l’érosion côtière.
Addo est en faveur d’une approche holiste basée sur la science qui permettrait à la fois d’aider à rembourser les coûts de construction de la digue tout en permettant à la nature de suivre son cours. Il a suggéré une « approche hybride » qui pourrait prévoir la relocalisation des habitants des communautés les plus vulnérables et la restauration de l’écosystème. Il a toutefois averti que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour s’assurer que cette approche est correcte.
La préservation de la végétation côtière, telle que les mangroves, est considérée comme l’un des meilleurs moyens de lutter contre les inondations et les ondes de tempête. De plus, les mangroves servent également d’habitat aux stocks halieutiques, notamment aux jeunes poissons, qui jouent un rôle important dans l’économie côtière du Ghana. Mais une grande partie des mangroves du pays ont été rasées pour servir de bois de chauffage. Selon les chercheurs, cette « surexploitation » a affaibli la résistance du littoral ghanéen.
Addo a déclaré que le reboisement de cocotiers et de mangroves dans les zones qui ont été défrichées pourrait contribuer à réduire les inondations.
« Nous avons réalisé que le système naturel peut être régénéré », a indiqué Addo. « Une fois que nous avons régénéré le système naturel, il se place dans la dynamique naturelle et se gère de façon naturelle ».
La proposition d’Addo n’apporte pas de solution immédiate pour les Ghanéens qui sont actuellement sans abri en raison des récentes inondations. Alors que Kumawu plaide, au nom de sa communauté côtière, pour « un mur de défense contre la mer et ce n’est pas négociable », il a déclaré que ce dont ils ont besoin maintenant, ce sont des tentes, des matelas, des couvertures et de la nourriture pour survivre.
Mais Addo a prévenu que si rien n’est mis en place pour lutter contre la hausse des températures et des taux d’émission de dioxyde de carbone, les difficultés que connaît actuellement le Ghana persisteront probablement et affecteront les générations à venir.
« La vie est trop précieuse pour attendre de perdre des gens », a déclaré Addo. « Nous pouvons reconstruire les infrastructures. Nous ne pouvons pas reconstruire un être humain ».
Cette histoire a été réalisée avec le soutien du Centre Pulitzer.
Image de bannière de la montée des eaux près de Havui, d’Erica Ayisi pour Mongabay.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/03/as-rising-seas-destroy-ghanas-coastal-communities-researchers-warn-against-a-seawall-only-solution/