Nouvelles de l'environnement

Les animaux facteurs de dispersion des graines suivent la voie du dodo, les plantes de la forêt sont menacées

  • De nombreuses plantes dépendent des animaux pour se reproduire, se régénérer et se disséminer. Mais la sixième extinction de masse en cours est en train de faire disparaître les animaux facteurs de la dispersion des graines, altérant ainsi des écosystèmes entiers.
  • Des milliers d'espèces permettent de maintenir la flore en vie, qu'il s'agisse des oiseaux, des chauves-souris ou des éléphants, des primates et des rongeurs.
  • Les animaux donnent aux plantes la capacité de « se déplacer », le besoin de mobilité étant exacerbé par le réchauffement des températures et les événements climatiques extrêmes. Transportées ailleurs, les plantes peuvent ainsi « échapper » à un climat devenu trop chaud.
  • Les efforts s'intensifient pour restaurer ces interactions et processus écologiques : protéger et restaurer les espaces naturels, identifier et remettre en liberté les principaux animaux facteurs de la dispersion des graines, reboiser les habitats détruits et mieux réglementer les pratiques d'exploitation agricoles et forestières destructrices.

Les quelques forêts pluviales subsistant sur l’île Maurice résonnent encore des échos de leurs anciens habitants, aujourd’hui disparus.

Cette île de l’océan Indien, autrefois luxuriante, est restée en grande partie inhabitée jusqu’en 1598, année où elle devint un port d’escale hollandais. Quand le gouvernement français prit la relève quelques 150 ans plus tard et y importa des esclaves pour ses plantations de canne à sucre, les dégâts écologiques étaient déjà irréparables. Le dodo avait disparu, et deviendrait par la suite un symbole de l’extinction animale. Dans le même temps, alors que la jungle s’amenuisait et que les humains et les animaux domestiques s’imposaient, tortues, perroquets, pigeons, chauves-souris frugivores et lézards géants se raréfiaient également avant de disparaître.

D’autres disparitions sur l’île ont été moins remarquées : des arbres et des plantes qui dépendaient de ces espèces disparues pour disséminer leurs graines et leurs semences. Les changements dans le royaume végétal sont moins aisément perçus, car « on ne voit plus les arbres dans la forêt », remarque Tammy Mildenstein, biologiste de la faune sauvage de l’université de Cornell, en Iowa. Mais l’absence de cette flore a également ses conséquences, réduisant la faune qui dépend de ces plantes pour se nourrir et s’abriter.

Dans certaines forêts, jungles, régions de marais ou prairies, « la végétation est relativement dense, mais vous n’y entendez que le silence », explique Evan Fricke, spécialiste de l’écologie à l’université de Rice. C’est un phénomène qu’on appelle le « syndrome de la forêt vide ». « Si elles n’abritent ni oiseaux ni mammifères, que deviennent ces forêts ? » demande Evan Fricke.

Dans une étude récente, son équipe a fait état d’un important déclin mondial des espèces qui disséminent les semences. Ses conclusions sonnent l’alarme et démontrent une inquiétude croissante sur la capacité des plantes à se reproduire et à survivre sur le long terme dans un climat qui se réchauffe, dans un environnement qui évolue, avec une faune en déclin.

Aujourd’hui, les chercheurs se penchent sur les nombreux mystères inexplorés des relations plante-animal, en vue d’éclaircir les différentes manières dont la flore et la faune se soutiennent mutuellement. Les défenseurs de l’environnement commencent également à inclure les « disperseurs de graines » dans les projets de repeuplement et de régénération des forêts afin de restaurer des écosystèmes sains à travers le monde.

The web of life having been shattered by human disruptions on Mauritius, it is not known what seeds the now-extinct dodo may have spread on the island.
Le fragile équilibre de la vie sauvage ayant été détruit par l’homme dès la période coloniale sur l’île Maurice, on ne sait pas quelles semences le dodo aujourd’hui disparu peut avoir répandu sur cette île de l’océan indien. Image Richard Owen dans « Memoir of the Dodo » (1866) (Domaine public).

Voyages de graines

Certaines graines, comme celles des pissenlits et des érables, sont emportées par le vent. Certains fruits explosent, éjectant leurs graines au loin. Mais de nombreux arbres et plantes ont établi une relation avec la faune qui se nourrit de leurs fruits, de leurs baies, graines ou autres noix, et les aide à se reproduire.

C’est là une stratégie efficace qui a été adoptée par près de 90 % des espèces d’arbres sous les tropiques et la moitié de celles des régions tempérées, déclare Haldre Rogers, spécialiste de l’écologie à l’Université d’État d’Iowa.

De très nombreuses espèces animales disséminent les graines : oiseaux, chauves-souris, rongeurs, primates, insectes et toute une armée de petits et grands mammifères. Avec quelques 73 000 espèces d’arbres connues et peut-être 435 000 espèces de plantes, ces animaux ont fort à faire.

La faune sauvage donne aux graines les pattes et les ailes qui leur manquent pour survivre, explique Haldre Rogers. La future descendance des plantes est véhiculée par des bouches, des becs et des estomacs, accrochée à des pattes et des poils, transportée, lâchée, régurgitée ou excrétée à quelque distance de la plante mère. Sur de nouveaux territoires, les graines ont plus de chances d’éclore sans une concurrence trop forte, sans être privées de lumière, infectées par des agents pathogènes ou mangées par des prédateurs.

The coati, an opportunistic omnivore that spreads seeds throughout the Americas.
Le coati, un omnivore opportuniste qui répand des graines à travers les Amériques. Crédit photo : Mauro Galetti.

Ces mécanismes naturels sont bien conçus : Ainsi, la digestion offre aux graines un service de nettoyage puissant, avec les acides qui les débarrassent de leur pulpe et qui neutralisent les composés qui attirent les moisissures et les pathogènes, un processus qui permet de faciliter la germination. Les animaux défèquent ensuite les graines, les déposant dans leur propre dose de fertilisant.

Mais l’activité humaine perturbe ces mécanismes : la chasse, l’exploitation forestière, l’agriculture, le développement et maintenant, le changement climatique, sont des facteurs d’extinction animale, et de nombreuses espèces subissent aujourd’hui un déclin rapide à l’échelle mondiale. Les pertes de faune sauvage se répercutent à travers les écosystèmes qui ont évolué de manière synchronisée depuis des millénaires. Quand les animaux ne distribuent plus les graines, la végétation change et certaines espèces disparaissent. Puis, disposant de moins de buissons et d’arbres fruitiers, les espèces animales, des insectes aux éléphants, ne trouvent plus de quoi se nourrir, déclenchant la vague suivante de déclin des espèces ou des extinctions locales.

Cette « cascade trophique », ou effet domino, est facilement déclenchée dans les forêts tropicales, qui abritent les quatre cinquièmes de la biodiversité mondiale, affirme Haldre Rogers. Le parc national de Yasuní, en Équateur, en est un très bon exemple, avec 670 espèces d’arbres trouvées dans un seul hectare de forêt primaire tropicale.

Les plantes rares vivant dans des milieux très réduits et spécifiques sont les plus menacées quand elles perdent leurs disperseurs de graines. Selon les espèces, il peut y avoir un long décalage avant leur disparition complète, puisque certains arbres vivent plusieurs centaines d’années, bien après la disparition des animaux qui les aident à se reproduire.

Le naturaliste John Muir a bien décrit le processus « Quand nous essayons d’isoler un élément quelconque, nous nous apercevons qu’il est lié à tout le reste de l’univers. » Quand un domino tombe, il en entraîne un autre, puis un autre.

Indian flying fox in flight in Tamil Nadu, India.
Renards volant d’Inde en vol à Tamil Nadu, en Inde. Pour certaines plantes, la distance parcourue est critique et ces chauves-souris géantes parcourent de longues distances, jusqu’à 88 kilomètres en une nuit, ou même des centaines lors de leur migration. Photo Vinod.Kumar.IFS via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Des chauves-souris et des oiseaux aux lémurs et aux éléphants

L’histoire des disparitions d’espèces déclenchées par l’homme est bien longue, des pertes dont nous pouvons tirer un enseignement. Le lémur géant en est une des plus anciennes victimes. Ce primate de Madagascar a disparu il y a quelques 2 000 ans, après l’arrivée des humains sur l’île. Le lémur géant transportait alors des graines dans son estomac et participait à la conservation des forêts endémiques.

Aujourd’hui, au milieu de la sixième extinction de masse de la planète, de nombreux déclins d’espèces sont en cours, y compris les éléphants victimes du braconnage pour leur ivoire en Afrique ; les oiseaux décimés par le serpent brun arboricole invasif à Guam ; les tapirs, singes et autres mammifères chassés hors de la forêt atlantique du Brésil ; et les nombreuses espèces disparues des forêts boréales du Canada, exploitées pour l’énergie de leur biomasse, de leurs sables bitumineux et pour leur sable.

À travers le monde, des milliers d’espèces participent au maintien de la flore. Un seul fruit charnu peut être l’aliment de base d’un animal spécifique. D’autres espèces ont des goûts plus éclectiques. Tous les oiseaux qui mangent un fruit ont un rôle à jouer : ils sont les chevaux de trait de la dissémination des graines. Les chauves-souris jouent un rôle identique, « plus important que je ne l’aurais cru », admet Tammy Mildenstein. Avec ses collègues, elle a décompté 1 072 espèces de plantes consommées par 75 espèces de chauves-souris frugivores, un animal qui répand les semences sur d’immenses étendues à travers le monde.

Certaines graines se font transporter par de nombreuses créatures. Mais d’autres plantes, comme le figuier étrangleur d’Asie, ont évolué en relation avec un animal spécifique qui peut être crucial pour leur survie à long terme. Tammy Mildenstein nous explique que des oiseaux, des singes, des cochons sauvages et d’autres animaux se nourrissent des figues, mais que ce sont les renards volants qui sont les plus efficaces pour la reproduction de cet arbre. Les renards s’élancent bien au-dessus de la canopée et défèquent les graines qui tombent sur les branches les plus en hauteur. Sur le sol, à l’ombre de la dense végétation tropicale, les graines du figuier n’arrivent pas à se développer, mais exposées au soleil, elles germent et forment des racines jusqu’au sol de la forêt. Les figuiers sont une partie importante de la végétation de ce milieu, disponibles toute l’année pour nourrir les animaux, même quand peu d’autres aliments s’offrent à la faune sauvage.

Fruits and seeds exist in vast variety, and evolved along with the many animal species that disperse them.
Fruits et graines se présentent sous de multiples formes et ont évolué avec les nombreuses espèces animales qui les dispersent. Crédit photo : Mauro Galetti.

Pour certaines plantes, la distance parcourue est critique. Les chauves-souris géantes parcourent de longues distances, jusqu’à 88 kilomètres en une nuit, ou même des centaines lors de leur migration. Les calaos, surnommés les « fermiers de la forêt » en Afrique et en Asie, déplacent plus de 700 espèces de plantes sur près de 11 km en une journée. Les chimpanzés répandent d’énormes quantités de graines sur des kilomètres dans les savanes et les forêts du Sénégal.

« Mais le champion de tous les disperseurs est l’éléphant », affirme John Poulson, spécialiste de l’écologie tropicale à la Nicholas School of the Environment de l’université de Duke. Avec ses 3,5 tonnes, il est le plus gros mammifère frugivore des forêts d’Afrique Centrale et transporte un nombre incalculable de différentes variétés de graines dans ses entrailles sur des distances qui peuvent aller jusqu’à 100 km. Il ingère également les fruits trop gros à avaler pour les autres animaux.

Mais en raison du braconnage, il est devenu difficile pour les arbres et arbustes fruitiers de survivre dans des régions comme celles du parc national Minkébé, au Gabon, où plus de 25 000 éléphants de forêt ont été massacrés pour leur ivoire entre 2004 et 2014.

Evan Fricke met le doigt sur le cœur du problème. « Malheureusement, les gros animaux qui sont les plus importants pour la dissémination des graines sont aussi les espèces qui sont souvent les premières à disparaître de nos écosystèmes. »

A seedling fertilized by and growing in elephant dung.
Une pousse d’arbre fertilisée et se développant dans une bouse d’éléphant. Photo Ahimsa Campos-Arceiz.

Le besoin de se déplacer

Les plantes étant des organismes immobilisés par leurs racines, elles doivent faire déplacer leurs graines pour se reproduire et se répandre, tout particulièrement avec les perturbations environnementales majeures d’aujourd’hui et les effets croissants du changement climatique.

Mais cela s’avère plus difficile avec le déclin de la faune sauvage et la fragmentation des paysages en ce que le biologiste de la conservation George Powell appelle la « rougeole verte », des lambeaux d’habitat traversés de clôtures et constellés de champs cultivés, de pâturages, de routes et de villages.

Globalement, la déforestation est la plus grande menace, à la fois pour la faune et pour la flore. Les terres sont déboisées pour le bois et pour l’agriculture industrielle : élevage, soja, latex, huile de palme et autres matières premières. Entre 2001 et 2020, la planète a perdu 4,1 millions de kilomètres carrés de couverture forestière, selon l’ONG Global Forest Watch.

De nombreux architectes de la nature ont besoin de vastes espaces du milieu naturel pour survivre. Dans des paysages morcelés et divisés, les populations animales et végétales se contractent en quantité et en diversité. Seuls quelques-uns des êtres vivants d’un milieu y restent s’il est morcelé, mettant fin aux interactions avec les anciens résidents qui participaient à la conservation du milieu.

The kea is the only alpine parrot on Earth, found at 600-2,000 meters (2,000-6,600 feet) above sea level on the South Island of New Zealand.
Le kéa est le seul perroquet de montagne au monde, il vit entre 600 et 2 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans l’île sud de la Nouvelle-Zélande. Jusqu’en 1971, une prime était offerte sur les becs de kéa et on estime à 150 000 le nombre d’animaux tués. Leur nombre a constamment diminué et il n’en reste aujourd’hui que quelques milliers. Des chercheurs de l’université de Canterbury ont trouvé que le kéa se nourrit d’un plus grand nombre d’espèces de plantes et consomme plus de fruits que l’ensemble de tous les oiseaux de montagnes. Crédit photo Karl Anderson via Unsplash.

Un climat qui change

Le besoin de mobilité augmente avec la montée des températures et la plus grande fréquence des événements climatiques extrêmes. Transportées plus loin, les plantes ont une chance d’échapper au réchauffement climatique, explique Beatriz Rumeu, écologiste insulaire à l’université de Cadix, en Espagne.

Selon Evan Fricke, certains organismes devront se déplacer vers des altitudes plus élevées, vers les pôles ou plus près de l’eau. Mais dans les régions de plaine, les espèces peuvent avoir besoin de migrer sur des dizaines de kilomètres par an pour maintenir des conditions environnementales constantes. « C’est un immense défi pour les plantes, surtout dans les zones où il n’y a pas d’animaux pour transporter les graines sur de longues distances », ajoute-t-il.

Il a mené une étude démontrant que, dans les milieux où le nombre d’oiseaux et de mammifères est réduit, le risque pour les plantes de se retrouver dans un environnement inhospitalier augmente d’au moins 60 %. Piégées en l’absence de leurs associés du monde animal, elles subissent incendies, inondations, chaleur, sècheresse et des épisodes de maladies plus fréquents.

Les airelles noires de Californie en sont un exemple parmi d’autres. Il y a maintenant un siècle que les grizzlis ont cessé de parcourir l’État où ils se gorgeaient de baies et disséminaient les graines de l’arbuste. Les oiseaux, renards et d’autres animaux mangent toujours les airelles, mais ils redistribuent les graines en moindres quantités et sur de plus courtes distances qui ne seront peut-être pas suffisantes pour distancer le changement climatique.

Les chercheurs ont identifié des effets de cascade similaires liés au changement climatique dans le parc national de Lopé, au Gabon. En 1993, l’écologiste Caroline Tutin a découvert que certains arbres du Gabon fleurissent et produisent des fruits uniquement si les températures nocturnes descendent au-dessous de 18 °C. Depuis, les températures ont augmenté, et il y a maintenant une disette de fruits. Dans les années quatre-vingt, un arbre sur dix portait des fruits à maturité. Ce nombre est descendu aujourd’hui à un sur 50, avec pour conséquence une détérioration visible de la santé des éléphants de forêt restant dans la région. Selon John Poulson, les braconniers viennent aggraver les problèmes de reproduction des arbres. La reproduction sur de longues distances, autrefois assurée par les éléphants, repose aujourd’hui principalement sur les cercopithèques, mangabeys, chimpanzés et gorilles, qui se déplacent sur de plus courtes distances.

Elephants in Botswana. Elephants provide excellent long-distance seed dispersal, but are being subjected to multiple threats in the wild. Image by Sharon Guynup.
Éléphants au Botswana. Les éléphants sont d’excellents vecteurs de dissémination des semences, mais ils font face à de nombreuses menaces dans la nature. Crédit photo Sharon Guynup.

À la découverte des mystères de la relation plante-animal

Selon Lilisbeth Rodriguez, botaniste au Smithsonian Tropical Research Institute de Panama, on ignore encore beaucoup de choses sur les relations entre les plantes et les animaux disperseurs.

Afin de découvrir le secret de l’une de ces plantes peu connues, le Zamia pseudoparasitica, Lilisbeth Rodríguez s’est hissée dans les airs à l’aide de cordes (parfois jusqu’à 30 mètres de hauteur) pour installer des pièges photographiques dans les arbres. Cet épiphyte rare, un « fossile vivant » apparu il y a quelque 34 millions d’années, vit attaché aux arbres des forêts atlantiques de plaine et des forêts de nuages du Panama, mais personne ne savait qui venait manger ses grosses graines de quelques centimètres de long.

Les appareils photo sont restés dans la forêt pendant trois mois. La botaniste et ses collègues biologistes, Claudio Monteza-Moreno et Pedro Castillo-Caballero, les ont récupérés juste au début des premiers confinements liés à la pandémie de COVID-19, se trouvant contraints de dormir dans leur voiture alors qu’ils se déplaçaient d’un site d’étude à l’autre.

Les photos et les vidéos qu’ils ont pu prendre ont révélé un monde caché, montrant un oiseau (un toucanet) et sept mammifères (dont des opossums, des kinkajous, des écureuils et des singes) qui inspectaient les cônes de graines de la plante. Mais un seul animal, l’olingo commun a été filmé prenant et transportant des graines.

(À gauche) La botaniste Lilisbeth Rodríguez examine le Zamia pseudoparasitica, un ancien épiphyte en forme de palmier, au Panama. (À droite) Gros plan des cônes de graines de la plante. Crédit photo Lilisbeth Rodríguez et The Zamia pseudoparasitica Project.
A northern olingo inspecting a seed cone of a rare Panamanian epiphyte.
Un olingo commun inspecte le cône d’un rare épiphyte panaméen. Crédit photo The Zamia pseudoparasitica Project.

Cette seule étude montre bien les difficultés de telles recherches. Cependant, alors même que la science explore les relations particulières qui unissent les plantes aux animaux, de nombreuses interactions sont en train de changer. La majeure partie de ce que nous connaissons sur ces relations changeantes vient d’études menées sur des îles, qui sont exceptionnellement vulnérables aux changements écologiques. Avec leurs frontières limitées, des cycles de vie rapides, des espèces uniques et différentes, et parfois avec une pression humaine intense, les îles font office de laboratoires de terrain.

Les îles Galápagos font partie de ces laboratoires, un endroit où les espèces de plantes à fruits charnus sont dominantes. Beatriz Rumeu y a participé à des expéditions qui ont mis en exergue l’équilibre précaire entre plantes et animaux sur l’archipel. Les principaux frugivores y sont la tortue de San Cristóbal, deux espèces de lézard de lave, deux d’oiseaux moqueurs, et un gobemouche. Mais la disparition d’une seule espèce, le lézard de lave de Santa Cruz, pourrait s’avérer désastreuse car celui-ci dissémine plus de la moitié des espèces de plantes locales. La tortue géante joue également un rôle essentiel sur ces îles, étant le seul animal assez grand pour manger les gros fruits. Dans le même temps, des espèces envahissantes comme les fourmis de feu, les mouches parasites des nids, les chiens sauvages et les chats (ainsi que les phénomènes météorologiques extrêmes) mettent tout le système en danger.

Haldre Rogers nous fait part d’un scénario extrême. Sur l’île de Guam, le serpent brun arboricole, une espèce exotique introduit accidentellement, a détruit presque tous les disperseurs de graines de l’île : ses oiseaux et la plupart de ses chauves-souris. Quelques chauves-souris y vivent encore et les cochons sauvages se nourrissent aussi des fruits tombés au sol, mais l’écosystème est irrévocablement altéré. Selon Haldre Rogers, les « plantes pionnières » à croissance rapide, qui ont besoin de zones bien éclairées n’ont alors plus aucune chance. « Je crois que les gens ne reconnaissent pas l’importance phénoménale des animaux disperseurs pour le maintien de nos écosystèmes. » Guam est un avertissement dramatique qui nous montre ce qui arrive quand ces espèces disparaissent, ajoute-t-elle.

Botanist Lilisbeth Rodríguez and conservation biology student Pedro Castillo-Caballero. deciding where to place the climbing rope to study a rare Panamanian epiphyte.
La botaniste Lilisbeth Rodríguez et l’étudiant en biologie de la conservation Pedro Castillo-Caballero décident où placer les cordes d’escalade pour étudier un rare épiphyte panaméen. Crédit photo Claudio Monteza.
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Un monde sans espèces pour disperser les graines

En disséminant les graines, les animaux permettent de disséminer tous les avantages que nous offrent les plantes : le stockage du carbone, contrôle des inondations et la fourniture d’eau, de bois, de nourriture, de fibres, de combustible et de remèdes, nous explique Evan Fricke. Sans ces espèces, l’humanité se trouverait face à de sérieux problèmes.

Mais des efforts croissants sont faits pour restaurer ce processus écologique essentiel. S’ils réussissent, ces projets pourraient offrir une foule d’avantages : prévention des extinctions, aide au rétablissement des plantes et des espèces sauvages menacées, récupération des terres sauvages et ralentissement du changement climatique. Une partie de ces efforts est organisée sous l’égide du programme des Nations unies de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes.

La protection des espèces animales clés sera utile, particulièrement pour les toucans, les éléphants, les primates et autres espèces qui se déplacent sur de longues distances et qui transportent de grosses graines. En raison du rôle capital des chauves-souris, des efforts sont faits au niveau international pour protéger les sites de reproduction.

Le ré-ensauvagement est une autre solution relativement peu coûteuse mais difficile à mettre en place en raison du besoin de permis, de quarantaines et d’un suivi strict. Une réussite dans ce domaine nous vient de la forêt atlantique du Brésil, d’où ont été chassés la plupart des mammifères, mettant en danger 45 espèces endémiques de palmiers. Les chercheurs, les responsables de la réserve et les gardiens ont réintroduit des agoutis dorés et des singes hurleurs bruns dans le parc national de Tijuca, près de Rio de Janeiro.

Ces animaux disperseurs de graines ont rempli un vide écologique important, avec un effet totalement « disproportionné sur la régénération de la forêt ». La réintroduction de tortues géantes, qui faisaient auparavant l’objet d’une chasse intensive, dans les Galápagos s’est également avéré être un succès, un signe de bon augure pour d’autres îles. Les forêts tropicales peuvent repousser relativement rapidement après avoir été brûlées ou abattues, tout particulièrement si des animaux sont présents pour faciliter l’ensemencement.

Castela galapageia, a shrub native to the Galápagos Islands.
Castela galapageia, un arbuste endémique des îles Galápagos. Crédit photo Beatriz Rumeu.
The Galápagos giant tortoise, the archipeligo’s only animal able to spread large seeds.
Tortue géante des Galápagos, le seul animal de l’archipel capable de répandre des graines de grande taille. Crédit photo Beatriz Rumeu.

Dans certaines régions, le reboisement pourrait restaurer les habitats détruits, mais seulement si des espèces endémiques importantes y sont plantées au lieu de monocultures exotiques, affirme Claudio Monteza-Moreno. Il est également essentiel de relier les habitats fragmentés et protéger les paysages sauvages encore intacts. L’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale apporte aujourd’hui une aide financière aux pays pour protéger leurs forêts.

John Poulson fait état d’une autre initiative importante qui a lieu au Gabon, un pays qui protégeait autrefois 13% de ses terres sous forme de parcs nationaux. Le Président Ali Bongo Ondimba a signé une loi en 2020 avec effet cette année exigeant des concessions d’exploitation forestières qu’elles opèrent de manière durable. C’est un modèle de fonctionnement important qui doit servir d’exemple pour l’agriculture et les autres industries responsables de déforestation.

Des choses positives sont faites, reconnaît John Poulson. « La question est de savoir si ces actions positives peuvent contrer le changement climatique, la chasse intensive, le braconnage, l’agriculture industrielle et la déforestation. »

Image de bannière : Couple de calaos bicornes. Les calaos, surnommés les « fermiers de la forêt » en Afrique et en Asie, déplacent plus de 700 espèces de plantes sur une distance allant jusqu’à 11 km en une journée. Photo chamnan phanthong via Adobe Stock.

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Article original: https://news.mongabay.com/2022/04/as-animal-seed-dispersers-go-the-way-of-the-dodo-forest-plants-are-at-risk/

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