- L’espèce de bois de rose (Pterocarpus erinaceus) est depuis les années 2000 massivement exploitée en Afrique de l’Ouest, ce qui en fait la première région productrice au monde et le nouveau terrain de jeu des trafiquants.
- La CITES a annoncé la suspension de tout commerce de ce produit en provenance d’Afrique de l’Ouest, à moins que les états puissent démontrer que le commerce international est conforme à la Convention ou décident d’arrêter officiellement le commerce.
- Cinq pays – Cameroun, Guinée-Bissau, Mali, Gambie et Burkina Faso – déclarent avoir les ressources suffisantes pour exploiter durablement le bois de rose; l'évaluation est en cours.
Le bois de rose (Pterocarpus erinaceus), aussi appelé vène ou kosso, est depuis les années 2000 massivement exploité en Afrique de l’Ouest, ce qui en fait la première région productrice au monde et le nouveau terrain de jeu des trafiquants. Malgré des conventions internationales et des mesures gouvernementales pour la protéger, l’espèce sauvage continue d’être exploitée illégalement et non durablement.
Face à ce pillage, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a annoncé la suspension de tout commerce de ce produit en provenance d’Afrique de l’Ouest.
Trafic généralisé et hors de contrôle
Dès 2016, les seize gouvernements de la région Afrique de l’Ouest ont fait bloc pour obtenir l’inscription de l’espèce du bois de rose à l’annexe III puis II de la CITES en janvier 2017, conscients des menaces pesant sur cette espèce très demandée sur le marché chinois. Des permis de la CITES, émis par des autorités de gestion, doivent désormais justifier d’une exploitation légale et durable de cette espèce protégée afin de lutter contre le commerce illégal.
L’initiative est également renforcée par des mesures locales. « L’adoption de décrets par les États d’Afrique de l’Ouest prouve la prise de conscience de l’urgence de protéger les ressources. Soixante‑dix p. cent des pays ont mis en place des formes de protection pour l’abattage et l’exportation », dit Raphaël Edou, responsable du programme Afrique pour les campagnes forestières à l’Environmental Investigation Agency (EIA).
Pour lutter contre la coupe illégale de bois apparue en 2010 en Casamance, au sud du Sénégal, les autorités ont adopté en novembre 2018 un nouveau code forestier interdisant l’exportation du bois et limitant l’exploitation locale au bois mort. Le nombre d’agents des services des eaux et forêts a triplé entre 2014 et 2020 pour surveiller les ressources forestières et sensibiliser les populations.
« La dégradation des forêts est un facteur aggravant les vulnérabilités qui compromet l’avenir en hypothéquant les moyens de survie. Progressivement, il y a une prise en compte des menaces de la coupe effrénée. Des comités villageois se constituent pour surveiller les forêts et jouer le rôle de sentinelles », dit à Mongabay, Abdou Sané, géographe et environnementaliste casamançais.
Selon Edou, les efforts restent cependant insuffisants au vu de l’ampleur du phénomène. « Les pays essayent mais ils n’ont pas assez de moyens et font face à des filières internationales. »
Le trafic s’étend en Afrique de l’Ouest, profitant des frontières poreuses, de l’instabilité politique et de la précarité économique. Il prospère ainsi entre la Gambie et le sud du Sénégal, en proie à un conflit armé qui oppose l’État et des rebelles indépendantistes depuis quarante ans. La rébellion tire ses principaux revenus de ce juteux trafic de bois qu’elle contrôle, le bois gambien étant en réalité issu du Sénégal.
« Les trafics transfrontaliers sont généralement ancrés dans des réseaux criminels bien organisés qui relient des chefs de communauté, des négociants en bois locaux, régionaux et nationaux, les autorités et des hommes d’affaires étrangers chargés de l’exportation », selon Edou.
Adama Barrow, président de la Gambie. Image courtesy Chatham House via Flickr (CC BY 2.0) |
Le commerce de bois de rose entre le Sénégal, la Gambie et la Chine prospère ainsi en violation de l’annexe II de la CITES et des législations africaines. Entre juin 2012 et avril 2020, environ 1,6 million d’arbre de bois rose ont été coupés illégalement au Sénégal et introduits clandestinement en Gambie pour un chiffre d’affaires de 500 millions de dollars selon l’EIA.
Vue comme un allié dans la lutte contre le trafic de bois de rose, en opposition à son prédécesseur Yahya Jammeh, l’élection d’Adama Barrow en Gambie a déçu le Sénégal. « Le Sénégal comptait beaucoup sur Barrow mais, face à cette coopération inefficace et au manque de transparence et de sincérité, le pays reprend les choses en main », rapporte Mouhamadou Kane, chercheur au Global Initiative Against Transnational Organized Crime. Un positionnement réaffirmé dans le discours du 4 avril dernier du président sénégalais Macky Sall où il déclarait « nous ne pouvons plus accepter un seul arbre abattu en Casamance pour être exporté hors de nos frontières ».
Mesures fortes pour stopper la mafia du bois
« Les États continuent à commercialiser sans faire l’inventaire de leurs ressources, donc sans connaître la situation de l’espèce », renchérit l’ingénieur des eaux et forêts et membre du comité permanent Aba Sonko qui prépare actuellement une thèse sur le bois de rose. Ce spécialiste de la faune sauvage réalise un inventaire de l’espèce au Sénégal. Le dernier datait de 2004.
« Dans la région, aucun des pays n’a mis en place de mesures pour garantir la durabilité de ces ressources. Personne ne connaît la quantité de bois restant dans la région, dit Edou. Environ 90 % du commerce en Afrique de l’Ouest se fait avec des permis CITES illégaux car ils ne s’appuient sur aucun inventaire des ressources répertoriées. Ces permis sont devenus des armes de blanchiment du commerce illégal de bois de rose. »
La suspension du Nigéria en 2018 pour non-respect de la convention CITES et sa mise en œuvre par la Chine montrent l’impact d’une suspension du commerce régional sur le trafic régional et mondial du bois de rose. Mais cette approche ne peut fonctionner que si elle est régionale, cela en raison de l’imbrication des acteurs du trafic et du fait que le commerce soit transnational. C’est ce qui s’était produit avec le Nigéria : les trafiquants s’étaient rabattus sur la Sierra Leone.
« La détermination de certains États de l’aire de répartition pour relever le défi de la crise du bois de rose est impressionnante. Ils ont maintenant besoin du soutien du Secrétariat, des pays demandeurs et des autres parties à la CITES pour sauver leurs forêts et protéger les moyens de subsistance de ceux ou celles qui en dépendent et stopper l’hémorragie », dit le responsable de programme pour l’EIA.
Constatant que les permis CITES ne suffisaient pas à réguler le commerce, plusieurs États ont saisi la CITES pour qu’elle prenne une mesure « exceptionnelle ». En mars dernier, le secrétariat de la CITES a demandé que les États de l’aire de répartition de l’Afrique de l’Ouest démontrent que le commerce international est conforme à la Convention, sans quoi ils se verraient interdire officiellement de poursuivre cette activité.
Certains désiraient une suspension immédiate, dont le Sénégal.
Réactions et attentes
Douze pays ont répondu à la décision de la CITES. « La majorité a demandé un quota d’exportation zéro mais cinq pays, soit le Cameroun, la Guinée-Bissau, le Mali, la Gambie et le Burkina Faso, ont déclaré avoir les ressources suffisantes pour exploiter durablement le bois de rose », dit à Mongabay, Juan-Carlos Vasquez, chef de l’unité judiciaire à la CITES.
« L’évaluation est en cours et la décision devrait tomber d’ici la fin de ce mois », ajoute-t-il. Quatre pays n’ont pas répondu à la convocation : le Nigéria (déjà soumis au quota d’exportation zéro depuis 2018), la Centrafrique, la Guinée et le Togo.
Abdou Sané doute de l’efficacité de la mesure : « les pays concernés vont tarder à appliquer les mesures ou communiquer de fausses informations ».
De son côté, si l’EIA salue cette décision sans précédent. « Comme il y a de gros enjeux, cette décision pourrait faire évoluer les choses. Sauf si les plus gros exportateurs passent entre les mailles du filet. La Convention est là pour réguler mais ce n’est pas une convention policière », dit Raphaël Edou.
Entre janvier 2019 et décembre 2021, la Sierra Leone (673 000 tonnes), le Ghana (260 000 tonnes), le Mali (232 000 tonnes) et la Gambie (189 000 tonnes) étaient les plus gros exportateurs vers la Chine. « La Gambie est le troisième exportateur de bois de rose en Afrique de l’Ouest alors que l’espèce n’existe plus sur son territoire. Or elle prétend avoir les ressources suffisantes. Nous allons demander une enquête en Gambie et en Chine auprès de la CITES », dit Sonko.
Par suite des enquêtes de l’EIA révélant que du bois de rose était exporté par conteneurs, l’armateur français CMA-CGM a suspendu toutes ses exportations de bois au départ de la Gambie en juillet 2020. Les compagnies Maersk et MSC ont suivi. Il existe une autre possibilité : demander à la Chine d’être partie prenante. « La Chine veut être reconnue comme un acteur de la CITES et comme une puissance responsable et mature. Elle ne veut pas être mise au ban du commerce international. Le cas du Nigéria le prouve : elle a arrêté d’importer du bois », dit Edou. Le pays a également adopté une nouvelle réglementation forestière en juillet 2020 qui condamne l’exploitation forestière illégale et le commerce.
« Un changement se fait déjà sentir. Mais il y a toujours un risque de déplacement du trafic en cas d’interdiction dans une zone : ce peut être l’Afrique de l’Est ou l’Amérique Centrale. Ou bien, un intérêt pour une nouvelle espèce ».
Photo de bannière : Bateau remorquant une barge à bois au Sénégal. Photo de ISS Africa (CC BY-4.0)