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Madagascar : Les origines douteuses d’une flotte chinoise sèment le trouble dans l’industrie de la pêche à la crevette

  • Trente-neuf chalutiers ont obtenu une licence les autorisant à pêcher jusqu’à 4 170 tonnes de crevettes dans les eaux malgaches durant la saison 2022, qui a officiellement ouvert le 1er mars.
  • La société chinoise Mada Fishery, qui détient pourtant huit droits d’exploitation, n’a pas déposé sa demande de licence cette année ; ses huit chalutiers sont restés à quai.
  • Trois de ces navires ont des antécédents de pêche illégale en Gambie. Conformément à la réglementation malgache, ils ne devraient plus être éligibles à l’exercice de la pêche dans les eaux du pays – sauf s’il y a eu changement de propriétaire.
  • Mais une série de documents douteux et un manque général de transparence sur la propriété des navires soulèvent de réelles interrogations ; les défenseurs du principe de la transparence soutiennent que la mise en place de simples mesures aurait pu faire toute la différence dans l’enquête sur Mada Fishery.

ANTANANARIVO – Cette saison, 39 chalutiers sillonneront les eaux malgaches pour y capturer un peu plus de 4 000 tonnes de crevettes. Mais l’une de ces sociétés, qui détient une licence d’exploitation côtière valable pendant cinq ans, n’a pas déposé sa demande de permis cette année. Ses chalutiers restés à quai font ressortir à la fois les progrès réalisés au niveau des réglementations et les failles potentielles du secteur en matière de surveillance.

L’entreprise chinoise Mada Fishery ne figure dans les registres locaux que depuis 2021. La société a acheté des droits d’exploitation pour huit navires. Elle indique avoir également acheté huit chalutiers, qui ont passé une partie de l’année 2021 en réparation au chantier naval public d’Antsiranana, à la pointe nord de l’île.

Les navires de Mada Fishery ont, toutefois, un passé assez troublant comme le révèle une enquête menée par Environmental Justice Foundation (EFJ), une ONG qui vise à promouvoir le principe de durabilité environnementale à travers le monde. EFJ indique que trois de ces chalutiers ont déjà enfreint les réglementations au large des côtes ouest-africaines et devraient par conséquent être interdits de pêche dans les eaux malgaches.

« Les navires ont été interceptés, pas plus tard que le 4 novembre 2020, par la marine gambienne, le département gambien des Pêcheries et la Sea Shepherd », a rapporté à Mongabay Steve Trent, fondateur et directeur général de l’organisation EJF basée à Londres.

« On a découvert que les chalutiers pêchaient dans les eaux protégées réservées exclusivement aux pêcheurs artisanaux gambiens », a-t-il ajouté.

« On a aussi découvert que les navires Gorde 105 et Gorde 107 utilisaient des doubles filets – autre violation des réglementations gambiennes. Au vu des résultats des investigations de la marine gambienne et du département des Pêcheries, Gorde 105, Gorde 106 et Gorde 107 ont été saisis par les autorités et escortés au port gambien de Banjul. »

Les réglementations malgaches stipulent qu’« aucun navire ayant des antécédents de pêche illégale ne devrait être autorisé à opérer dans les eaux du pays » – sauf s’il existe une preuve de changement de propriétaire.

Le Cap-Saint Augustin, un chalutier qui n’appartient pas à la flotte de Mada Fishery, naviguant au large de Nosy Faly. Image de Mongabay.

Des documents douteux

Selon EJF rien n’indique que les navires aient véritablement changé de propriétaire. Quand les chalutiers de la flotte de Mada Fishery ont fait escale aux Seychelles, lors de leur voyage vers Madagascar, les documents qui ont été remis aux autorités par les capitaines d’au moins quatre des navires semblaient avoir été falsifiés.

EJF a établi que les numéros d’identification des quatre navires Gorde (105 à 108) correspondaient à une tout autre flotte, et appartenaient à une société dénommée Shandong Roncheng Dafa Fisheries Co. Ltd. Mais EJF a constaté qu’aucune société répondant à cette identification ne figurait dans les registres chinois. En Chine, chaque société dispose d’un numéro unique, le Unified Social Credit Identifier, or le numéro mentionné sur les documents de la flotte Gorde pour Shandong Roncheng Dafa ne correspondait à aucune société existante.

Par ailleurs, comme les documents et les coques des navires comportaient tous les mêmes indicatifs d’appels, il était difficile de les identifier individuellement. Aussi, il s’est avéré que les numéros à 16 chiffres utilisés par le gouvernement chinois pour identifier les navires de pêche étaient incorrects.

Compte-tenu de toutes ces irrégularités, les militants estiment que les navires ne devraient pas obtenir de permis de pêche jusqu’à présentation d’une preuve tangible de propriété. Cela explique peut-être pourquoi Mada Fishery n’a pas tenté d’obtenir de licence cette année pour les navires en question.

Mais qu’en sera-t-il dans le futur ? Si Mada Fishery est aujourd’hui propriétaire de ces huit chalutiers, ces derniers devraient pouvoir obtenir des licences de pêche.

« Cela peut être le cas s’ils respectent les lois et les réglementations existantes », a déclaré Mahatante Tsimanaoraty Paubert, ministre malgache de la Pêche et de l’Économie bleue, à Mongabay. « Les navires ont changé de nom et de propriétaire. Or, en vertu des lois et des réglementations malgaches, nous sommes autorisés à délivrer une licence tant qu’ils respectent nos législations en vigueur. Ils peuvent donc demander une licence de pêche, car ils détiennent des droits d’exploitation qu’ils ont préalablement achetés. »

Un chalutier pêchant au large de Nosy Faly, au nord-ouest de Madagascar. Image de Mongabay.

Améliorer la surveillance dans le secteur de la pêche

Si les navires de Mada Fishery sont restés à quai, il n’en demeure pas moins que les autres chalutiers opérant au large de l’île seront surveillés de plus près cette année. Mahatante Tsimanaoraty Paubert a indiqué que la surveillance offerte par les collaborations internationales viendrait s’ajouter à celle assurée par le gouvernement. « En dehors du Centre de surveillance des pêches (CSP) au sein de notre ministère, le Programme Ecofish financé par l’Union européenne, nous permet d’intercepter toute activité potentiellement illégale qui interviendrait dans nos eaux, et ce, grâce à l’OSIRIS II, un patrouilleur maritime sillonnant l’ouest de l’océan Indien. »

L’ONG Sea Shepherd Conservation Society basée à Amsterdam se prépare également à leur emboîter le pas. « Ils sont sur le point de mettre un navire avec un équipage à notre entière disposition pour patrouiller nos eaux sous la surveillance du gouvernement », a annoncé Mahatante Tsimanaoraty Paubert à Mongabay. « Madagascar n’aura pas à payer pour cette faveur. Tout ce que nous avons à faire, c’est envoyer à bord 25 de nos inspecteurs du secteur de la pêche et des marins de nos forces navales pour assurer la sécurité du navire. »

La nomination de Mahatante Tsimanaoraty Paubert à la tête du nouveau ministère de la Pêche ne date que de l’année dernière. Mais quelques semaines plus tard, Madagascar rejoignait déjà la FiTI (Fisheries Transparency Initiative en anglais), une initiative mondiale pour la transparence des pêches, qui vise à améliorer la durabilité de la pêche en augmentant le principe de la transparence gouvernementale dans la gestion des stocks.

 
Image de bannière : Un pêcheur artisanal près d’un chalutier à Madagascar. Image © Pierre Baelen / Greenpeace.

Article original: https://news.mongabay.com/2022/05/murky-provenance-of-a-chinese-fleet-clouds-madagascar-shrimp-fishery/

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