- Les systèmes de fonctionnement de la Terre sont restés en équilibre relatif pendant des milliers d’années, ce qui a permis à la civilisation de prospérer. Toutefois, les actions de l’humanité ont provoqué la transgression de plusieurs limites planétaire, et entraîné la déstabilisation de ces systèmes de fonctionnement vitaux.
- Cette semaine, des scientifiques ont annoncé que l’humanité a enfreint la limite planétaire de l’eau douce. Les autres limites qui ont déjà été franchies sont le changement climatique, l’intégrité de la biosphère, les cycles biogéochimiques (pollution par l’azote et le phosphore), le changement d’utilisation des sols, et les entités nouvelles (pollution par des substances synthétiques).
- Auparavant, la limite de l’eau douce est uniquement définie par « l’eau bleue », une mesure de l’utilisation par l’humanité des lacs, rivières et nappes phréatiques. Mais des scientifiques ont désormais étendu cette définition pour inclure « l’eau verte », c.-à-d. les précipitations, l’évaporation et l’humidité du sol.
- Les scientifiques disent que les conditions d’humidité du sol changent des forêts boréales aux tropiques, avec la fréquence accrue de sols anormalement secs et humides, ce qui risque d’entraîner des changements des biomes. L’Amazonie, par exemple, est en train de devenir de plus en plus sèche, ce qui pourrait lui faire atteindre un point critique qui la ferait passer d’une forêt tropicale à une savane et relâcherait de grandes quantités de carbone stocké.
La modification du cycle de l’eau par l’humanité a poussé le monde au-delà d’un espace de fonctionnement sûr pour la poursuite de la vie sur terre, selon les scientifiques. Une réévaluation de la limite planétaire de l’eau douce qui comprend désormais les précipitations, l’humidité du sol et l’évaporation, ce que l’on appelle « l’eau verte », a constaté que la limite était « considérablement enfreinte », et que la situation allait vraisemblablement s’aggraver avant que des renversements de tendance puissent être observés. Précédemment, les chercheurs avaient seulement pris en compte les rivières, les lacs et les nappes phréatiques dans leurs évaluations.
« Les modifications de l’eau verte provoquent désormais des risques croissants pour les systèmes de la Terre à une échelle que les civilisations modernes pourraient n’avoir encore jamais rencontrée », selon les chercheurs du Stockholm Resilience Centre en collaboration avec des collègues d’Allemagne, des Pays-Bas, de Finlande, d’Autriche, d’Australie, des États-Unis et du Canada. Les résultats ont été publiés cette semaine dans la revue Nature Reviews Earth & Environment.
« C’est un signal d’alarme que nous devons arrêter notre façon de modifier l’eau verte », dit l’auteure principale Lan Wang-Erlandsson du Stockholm Resilience Centre de l’Université de Stockholm. « Nous changeons le cycle de l’eau en profondeur », dit-elle, précisant que cette déstabilisation des systèmes de la Terre affecte désormais la santé de la planète entière, la rendant significativement moins résiliente aux chocs environnementaux.
À la lumière de ces résultats, l’eau est aujourd’hui la sixième limite à être dépassée sur les neuf limites identifiées par le cadre des limites planétaires. Publié en 2009 et mis à jour régulièrement, le cadre délimite un espace de fonctionnement sûr pour l’humanité, au-delà duquel la civilisation pourrait s’effondrer, et la vie comme nous la connaissons pourrait être transformée. Les autres limites déjà dépassaient sont le changement climatique, l’intégrité de la biosphère, les flux biogéochimiques (pollution à l’azote et au phosphore), le changement d’utilisation des sols, et également depuis 2022, les entités nouvelles, limite qui inclut la pollution par les plastiques et d’autres substances d’origine humaine.
Jusqu’à maintenant, on considérait que la limite de l’eau douce se trouvait dans une zone sûre. Ce que l’on appelle la limite de « l’utilisation de l’eau douce », était basée sur la consommation humaine acceptable, et a été fixée à 4 000 km3/an d’eau utilisée et non retournée sous la forme de ruissellement. Elle évaluait l’eau extraite des rivières, des lacs et des nappes phréatiques, ce que l’on appelle « l’eau bleue ».
La nouvelle évaluation utilise l’humidité du sol dans la zone des racines des plantes pour mesurer la limite de « l’eau verte » parce que celle-ci est directement influencée par les pressions humaines et parce qu’elle a une incidence sur une gamme de dynamiques écologiques, climatiques, biogéochimiques et hydrologiques à grande échelle.
Pendant les sécheresses, par exemple, les plantes peuvent continuer la photosynthèse et la transpiration en accédant à l’humidité du sol, mais une fois que ces niveaux d’humidité tombent en dessous d’un seuil critique, la mortalité végétale augmente, en particulier pour les plantes comme les arbres tropicaux qui n’ont généralement pas de stratégies d’adaptation alternatives à la sécheresse. L’étude indique que les anomalies de l’humidité du sol dans la zone des racines sont également des moteurs clés du cycle du carbone terrestre, et que les modifications de l’humidité du sol dans des conditions d’importantes émissions de carbone pourraient faire passer les terres d’un puits net de carbone à une source de carbone d’ici le milieu de ce siècle.
Des indications de ce processus d’escalade ont déjà été observées dans la résilience réduite d’écosystèmes critiques tels que les forêts d’Amazonie et du Congo qui stockent de grandes quantités de carbone et abritent une biodiversité immense. Ces deux biomes sont considérés comme vitaux pour les systèmes de fonctionnement de la Terre, mais pourraient être poussés au-delà de points critiques environnementaux par les transgressions de la limite de l’eau douce.
« La survie de la forêt amazonienne dépend de l’humidité du sol. Mais, il y a des indications que certaines parties de l’Amazonie s’assèchent. La forêt perd de l’humidité du sol en raison du changement climatique et de la déforestation », dit Arne Tobian, co-auteur de la nouvelle évaluation et doctorant au Stockholm Resilience Centre et au Potsdam Institute for Climate Impact Research. « Ces changements menacent de rapprocher l’Amazonie d’un point critique où de grandes parties pourraient passer d’un état de forêt tropicale à un état de savane », ajoute-t-il.
La nouvelle évaluation a observé le phénomène à l’échelle mondiale, l’humidité des sols étant en train de changer des forêts boréales jusqu’aux tropiques, des terres agricoles jusqu’aux forêts. De plus en plus, des sols anormalement humides et secs sont fréquents. Les évènements extrêmes liés au changement climatique entraînent une augmentation à la fois des sécheresses et des pluies torrentielles, alors que les changements de l’utilisation des sols pour l’agriculture et d’autres usages peuvent provoquer un assèchement des sols.
« L’eau est fondamentale pour tous les organismes vivants sur Terre », dit Wang-Erlandsson. « Il y a tellement de choses qui sont interconnectées, et qui changent aujourd’hui d’une façon sans précédent », ajoute-t-elle, faisant remarquer que les impacts sur le cycle de l’eau sont le résultat de nombreuses actions humaines qui dépassent de loin ce qui est prélevé pour la consommation. « Le cycle de l’eau est massivement affecté par le changement climatique, la gestion des terres, la dégradation des terres, et ainsi de suite. C’est un phénomène complexe qui est lié à nos activités humaines, à tout ce que nous faisons », explique-t-elle.
« Cette dernière analyse scientifique montre que nous, les humains, pourrions être en train de pousser l’eau verte bien en dehors de la variabilité que la Terre a connue sur plusieurs milliers d’années pendant l’ère de l’Holocène », conclut le co-auteur de l’évaluation, Johan Rockström, directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research et professeur au Stockholm Resilience Centre.
Avec six des neuf limites planétaires déjà dépassées, la résilience des systèmes de fonctionnement de la Terre en général est aujourd’hui assez basse, avertit Wang-Erlandsson. Une détérioration continue des systèmes de la Terre augmentera le risque de changement régional de régime environnemental. L’humanité doit agir pour inverser ces changements qui s’aggravent et revenir en zone sûre, dit-elle.
« Pour les systèmes terrestres, la réduction des risques liés au changement de l’eau verte demande aujourd’hui des mesures immédiates en matière d’eau pour contrer le changement climatique, la déforestation et la dégradation des sols », dit Ingo Fetzer, un co-auteur de l’évaluation et chercheur au Stockholm Resilience Centre.
À la lumière des résultats, « les tendances et trajectoires actuelles mondiales d’utilisation d’eau en augmentation, de déforestation, de dégradation des terres, d’érosion des sols, de pollution atmosphérique et de changement climatique doivent être rapidement arrêtées et inversées pour augmenter les chances de rester dans l’espace de fonctionnement sûr ».
Citation :
Wang-Erlandsson, L., Tobian, A., van der Ent, R.J. et al. A planetary boundary for green water. Nat Rev Earth Environ (2022).
Image de bannière : Terres agricoles équipées d’éoliennes destinées à extraire les eaux souterraines qui s’amenuisent, après huit ans d’une sécheresse dans la province du Cap-Nord en Afrique du Sud. Jusqu’à maintenant, on considérait que la limite de l’eau douce se trouvait dans une zone sûre, sur la base de la consommation humaine acceptable, une évaluation qui ne considérait que l’eau extraite des rivières, des lacs et des nappes phréatiques, ce que l’on appelle « l’eau bleue ». De nouvelles recherches qui incluent également « l’eau verte » (les précipitations, l’évaporation et l’humidité du sol) indiquent que la limite a été considérablement enfreinte. Image par Petro Kotze.
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/04/freshwater-planetary-boundary-considerably-transgressed-new-research/