- L'APAC Kawawana est née de l’initiative de pêcheurs autochtones Jola en Casamance. En presque dix ans, ils ont réussi l’exploit d'y restaurer une biodiversité presque disparue.
- La biodiversité et les ressources restaurées, la vie des villageois a retrouvé sa stabilité. Mais l'APAC a fait face à de nombreux défis tels que l’indifférence de l’État face aux braconniers ainsi que l'exode des jeunes.
- Au fil du temps, Kawawana a gagné en notoriété et en reconnaissance au niveau national et le gouvernement est aujourd’hui plus impliqué dans sa conservation. Convaincus par le succès du modèle, les jeunes sont également de retour et adhèrent à sa conservation.
- Malgré le succès du modèle, l'APAC Kawawana a subi et subit encore de plein fouet les impacts d’événements qu'elle ne peut contrôler, tels la pandémie de Covid-19 et le changement climatique.
Salatou Sambou, un pêcheur et père de cinq enfants, est engagé envers l’aire du patrimoine autochtone et communautaire (APAC) Kawawana au Sénégal depuis 2008. L’un des premiers membres du consortium-APAC, il est aujourd’hui le coordinateur régional du consortium des APAC pour les écosystèmes marins et côtiers l’Afrique de l’Ouest. Avec les efforts d’initiative des pêcheurs locaux et des communautés Jola en basse Casamance, le consortium a en effet permis la naissance de l’APAC de Kawawana.
Kawawana est aujourd’hui la première APAC reconnue officiellement au Sénégal par les autorités régionales, et englobe une aire côtière et maritime de 9 665 hectares, entièrement gouvernée, gérée et conservée par les communautés locales.
Après des années d’efforts, cette initiative autochtone a permis le retour de la vie sauvage dans les écosystèmes fluviaux et maritimes de Kawawana, lui valant une reconnaissance à l’international. Les bras fluviaux saumâtres de la région abritent en effet une biodiversité aussi unique que fragile et qui a été fortement menacée par les pressions anthropiques. Les pêcheurs locaux ont alors pris l’initiative de protéger leur territoire et source de vie, et ont réussi à instaurer un subtil équilibre entre besoin de ressources et conservation de la vie sauvage.
Aujourd’hui, les fleuves de l’APAC comptent deux fois plus d’espèces de poissons qu’il y a 10 ans, tel que le gros capitaine (Polydactylus quadrilfilis) et l’otolithe sénégalais (Pseudotolithus senegalensis). De plus, Kawawana a évolué et compte trois axes d’intervention : fluvial, terrestre (englobant une superficie de 20 000 hectares) et la caisse communautaire. Il s’agit notamment d’une avancée importante dans la mesure où l’APAC n’intervenait au départ qu’au niveau fluvial. La création de ces axes d’intervention a pour objectif d’élargir les zones de conservation de la biodiversité locale, tout en offrant des opportunités aux villageois qui ne vivent pas forcément de la pêche.
Grâce à ces projets d’extension, la vie des villageois de Kawawana s’est nettement améliorée. Il y a eu une diminution de l’exode rural, et la caisse communautaire a permis à environ 250 personnes de concrétiser leurs projets, d’après le rapport de Christian Chatelain et de Sylvie Trécourt en mars 2021.
Toutefois, les réussites de l’APAC sont néanmoins jalonnées de défis. Elle a fait notamment face à l’exode des jeunes et à l’indifférence du gouvernement et des autorités locales, face aux braconniers. La pression de ces derniers est notamment subit autant par la partie fluviale que terrestre (pêche illicite et non réglementaire, coupe de bois et feu de brousse). De plus, à l’instar de beaucoup d’aires protégées dans le monde, le changement climatique et la pandémie de Covid-19, ont eu des impacts importants sur la conservation.
Mongabay a interviewé Sambou par vidéoconférence, afin de comprendre les réussites et les nouveaux défis auxquels Kawawana fait actuellement face. L’on aura aussi un apperçu de comment la pandémie de Covid-19 et le changement climatique ont impacté l’APAC.
ENTRETIEN AVEC SALATOU SAMBOU
Mongabay : Quelles sont les dernières réussites qui ont marqué Kawawana ?
Salatou Sambou : Nous avons aujourd’hui un nouveau Maire [Sekouna Datta, en fonction depuis mars 2022], et c’est la première fois qu’un Maire participe vraiment aux missions de surveillance et est vraiment attaché à la surveillance de Kawawana. De plus, il était professeur de biologie à l’Université de Cheick Anta Diop de Dakar et offre de très bonnes perspectives pour l’APAC. C’est très enrichissant autant en collaboration qu’en considération quand vous avez un élu qui comprend ce que vous faites. Nous sommes vraiment très contents quand il nous a dit : « si le temps me le permet, je laisse ma veste de mairie et je vais avec vous ». C’est une première pour nous !
Nous travaillons aussi aujourd’hui avec un agent de pêche du gouvernement, qui a vraiment compris l’importance de la conservation par les communautés. Il nous accompagne dans nos missions de surveillance et nous sommes plus en sécurité qu’avant, face aux braconniers. Il existe aussi maintenant une association nationale des APAC au Sénégal, ce qui montre une bonne reconnaissance qui commence entre les communautés et les services étatiques.
Mongabay : Est-ce que les lacunes concernant la surveillance de l’APAC ont été comblées ?
Salatou Sambou : Nous avons des matériels de surveillance qui sont vraiment plus efficaces par rapport à ceux d’avant. Nous avons aussi amélioré cette surveillance grâce à nos 25 surveillants qui sont tous dotés d’équipements et effectuent des sorties régulières. De plus, nous allons construire des miradors pour permettre une bonne visualisation.
Pour la partie terrestre, des communautés de surveillance villageoises ont été mises en place. Chaque village a donc créé des communautés pour surveiller les parties les plus proches d’eux, parce que les forêts communautaires se trouvent à l’intérieur et autour des villages. Chaque communauté sillonne ainsi de temps en temps pour voir s’il y a non-respect des règles, et pareil pour la partie fluviale.
Mongabay : Y-a-t-il de nouveaux changements dans les règlements ?
Salatou Sambou : Ce qui a changé par rapport à avant, c’est que nous avons autorisé les pirogues à moteurs de petite taille pour mieux accéder à la ressource. On a décidé cela parce qu’on a vu que les personnes qui ont travaillé depuis l’initiation de Kawawana ont aujourd’hui pris de l’âge et ne peuvent plus aller à la pêche à travers les rivières. Comme leur vie dépend des ressources et comme ils n’ont plus l’énergie pour aller pêcher et nourrir leurs familles, leur vie était en danger. Nous avons alors accepté les pirogues à moteurs mais de petite taille, et les anciens de Kawawana ont pu reprendre leurs activités.
Il n’y a pas de risque de surexploitation car les pirogues sont de petite taille et ne peuvent pas embarquer beaucoup de matériels. De plus, nous ne pouvons pas avoir de problèmes de ressources car nous les utilisons seulement pour des besoins bien définis. Et comme nous ne sommes pas tous des pêcheurs professionnels, nous n’avons pas tous des pirogues motorisées. Par ailleurs, il y a des périodes où les activités se retrouvent dans la partie terrestre et les gens migrent vers cette partie. Ce qui fait que l’on a des gens qui n’épuisent pas les ressources mais les exploitent de façon responsable.
Pour le cas des personnes qui viennent de l’extérieur, les pirogues motorisées de petite taille peuvent aussi être un moyen de diminuer l’accès à certaines zones, parce que l’on ne peut pas aller partout avec ces petites pirogues (contrairement aux pirogues à rames des villageois qui peuvent aller partout et sans risques). Il y a donc peu de dangers pour les locaux.
Mongabay : Avez-vous réussi à surmonter le défi de l’exode des jeunes ?
Salatou Sambou : Les jeunes ont compris que pour gagner sa vie, il ne faut pas forcément aller en ville, mais même chez soi, on peut la gagner. Avant, les jeunes voulaient migrer en ville pour trouver du travail dans la bureaucratie. Mais aujourd’hui, ils savent qu’il n’y en a pas dans un pays africain en voie de développement. La seule chose qu’ils pouvaient faire était alors de revenir chez eux pour travailler et gagner leur vie.
Depuis leur retour, ils ont vraiment adhéré à la conservation de Kawawana fluvial, terrestre et aussi à la caisse communautaire. Ils y sont quand même un peu obligés pour pouvoir avoir des bénéfices. S’ils ne peuvent pas faire des activités de pêche ou d’agriculture, la caisse communautaire est là pour leur permettre de faire des activités de commerce ou d’élevages de poulets à vendre par exemple.
Mongabay : Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle impacté l’APAC?
Salatou Sambou : La Covid-19 a quand même impacté Kawawana, car au Sénégal quand le gouvernement a annoncé le décret de confinement, les gens n’avaient pas le droit d’être dehors à partir de 20 heures, jusqu’au matin. De plus, l’on sait tous qu’il n’y a pas de station d’essence dans le département du du Bignona ni dans notre arrondissement qui est Tendouck. Nous n’avons pas alors pu effectuer les surveillances.
Il y a alors eu plus de pression sur les ressources, car les braconniers ont profité du confinement et du fait qu’on n’avait pas de carburant pour aller surveiller. De plus, les pêcheurs qui ont accès aux carburants en ont aussi profité pour surexploiter. Ce n’est donc pas la maladie qui a impacté la communauté mais la baisse de ressources due à la recrudescence du braconnage et à la surexploitation des non-résidents.
Mongabay : Comment le changement climatique affecte-t-il Kawawana ?
Salatou Sambou : Tout d’abord, les facteurs peuvent être soit naturels, soit anthropiques. Si l’eau est trop salée par exemple, le poisson se déplace et cette salinisation peut être due à la surexploitation de la mangrove. La surexploitation par l’homme c’est encore quelque chose que nous pouvons gérer, mais nous n’avons pas encore pour l’instant de solution adéquate pour résoudre le problème du changement climatique en lui-même. Mais bien-sûr nous essayons toujours de voir à notre niveau ce que l’on peut faire pour y contribuer. De plus, Kawawana est aujourd’hui en partenariat avec l’Université Assane Seck de Ziguinchor, qui en cas de problèmes, peut nous apporter des solutions.
Pour les impacts directs, entre les mois d’avril et mai, l’eau est beaucoup plus salée et les poissons sont obligés de remonter les cours d’eau. Ensuite, ils reviennent en juin et c’est la période la plus difficile pour nous car même les grandes pirogues des non-résidents préfèrent venir pêcher ici, car il y a beaucoup de gros poissons dans les mangroves.
Mongabay : D’autres communautés ont-elles pu reproduire la réussite de Kawawana ?
Salatou Sambou : S’il y a aujourd’hui une association nationale des APAC, c’est que l’on se réfère à Kawawana. Il existe aujourd’hui 26 APAC au Sénégal qui ont tous l’espérance de réussir comme Kawawana.
Bien-sûr, nos attentes pour le futur sont que d’autres réussissent comme nous, car c’est quand même une garantie pour Kawawana. Nous ne devons pas être les seuls à avoir de bons résultats, car le poisson n’est pas un produit fixe, il bouge. Les autres APAC doivent donc aussi les préserver pour restaurer la ressource.
Image mise en avant : Salatou Sambou, Coordinateur régional du consortium des APAC pour les écosystèmes marins et côtiers l’Afrique de l’Ouest. Crédit photo : Salatou Sambou
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