- Une bande de terre boisée qui se trouve être l'une des dernières zones de verdure de Dakar pourrait être rasée pour faire place à la construction d'un nouveau projet d'expansion urbaine.
- La zone plantée de filaos accueille également de petits exploitants agricoles qui cultivent des fruits et légumes bio qu'ils vendent sur les marchés locaux et dont la présence protège les arbres contre l'extraction du sable et l'urbanisation illégale.
- En juin 2021, le président du Sénégal a autorisé un nouveau plan d'urbanisme qui a « déclassé » 150 hectares de la zone de filaos, leur retirant leur statut de zone protégée ; 43 % de la zone seront consacrés à la construction de nouveaux logements et 21 % à de nouvelles routes.
- Les agriculteurs ont protesté contre le projet, arguant qu'ils contribuent à la protection de l'écosystème des filaos et à l'économie locale.
Depuis une dizaine d’années, une association de petits exploitants cultive des légumes au milieu d’une zone boisée de filaos qui poussent sur les dunes de sable longeant la côte de la banlieue nord de Dakar, au Sénégal. Leur activité fournit des légumes frais aux marchés de la ville et contribue à la protection des arbres contre l’extraction du sable et l’urbanisation illégale. Mais en juin 2021, un nouveau plan d’urbanisation a déclassé 150 hectares de forêt, autorisant les autorités locales à remplacer les arbres par de nouvelles constructions, menaçant ainsi les moyens de subsistance de centaines de personnes et accélérant la dégradation de l’un des derniers espaces de verdure de la capitale sénégalaise..
Les fermiers ont commencé à planter le long de la bande boisée en 2011, raconte Ousmane Sow, président de l’association des fermiers de Warouwaye. « Depuis que nous nous sommes installés sur ces terres, les fermiers ont développé leur activité. Aujourd’hui, nous sommes 168 exploitants à y cultiver des légumes pour les vendre sur les marchés. »
Les fermiers vendent leurs produits issus d’une agriculture bilogique sur les marchés de la ville. Leur association est également un rempart pour la protection des arbres, constamment menacés par l’océan, le changement climatique et surtout par le développement frénétique de la ville de Dakar.
Histoire de la zone des Niayes
Jusqu’à 80 % des légumes du Sénégal sont cultivés dans les niayes, ces zones de basses terres situées entre les dunes qui s’étalent sur 180 kilomètres entre Dakar et Saint-Louis. Depuis la fin des années quarante, des filaos (Casuarina equisetifolia), une variété de pins originaire d’Australie et de la région Pacifique, ont été plantés pour stabiliser les dunes, constituant ainsi une bande de terre boisée protectrice couvrant plus de 9 000 hectares. Mais depuis les années soixante-dix, les filaos et les niayes de la périphérie de Dakar sont menacés par le développement de la ville.
Les quatre districts municipaux traversés par la forêt de filaos étaient encore majoritairement inexploités jusqu’au milieu des années quatre-vingt. Mais entre 1984 et 2019, la part de zones construites est passée de 18 % à 75 %, mettant ainsi une pression accrue sur la zone boisée selon les chercheurs Néné Makoya Touré Diop et Giacomo Pettenati.
Dakar est l’une des plus grandes villes d’Afrique écrivent-ils dans une étude parue en 2021. Sa population, estimée à 400 000 habitants dans les années soixante-dix, a quadruplé en l’espace de vingt ans, en raison d’un exode rural dû à la sécheresse.
Les quartiers nord de la capitale ont vu un nouvel afflux de population en 2011, cette fois des fermiers qui fuyaient les inondations touchant d’autres régions du Sénégal. Certains d’entre eux ont commencé à cultiver des légumes dans la bande boisée de filaos, suite à un accord avec le département des eaux et forêts du ministère de l’Environnement sénégalais, l’organisme responsable de la gestion des forêts et des zones protégées du pays.
« L’accès à la terre n’est pas gratuit pour les fermiers », explique Ousmane Sow, « nous devons contribuer à la protection de l’environnement du filao et de son rôle écologique. »
Ousmane Sow nous montre quelques unes des parcelles cultivées dans le département de Pikine où des dizaines de personnes de tous âges travaillent entre les arbres, répandant de l’engrais à base de coques d’arachides et arrosant les cultures. Toutes sortes de légumes sont cultivées ici: aubergines, poivrons, gombos, oignons.
« Cette terre était l’objet de convoitises pour l’extraction du sable de construction, sans parler des riverains qui n’hésitent pas à couper du bois à brûler, » nous explique Ousmane. « Les fermiers sont aussi là pour empêcher ça quand ils travaillent, contribuant d’une part à l’économie, et protégeant d’autre part l’environnement et la terre. »
Omar Boudian est l’un des premiers exploitants qui se sont installés sur la bande de terre des filaos en 2011 et il a ensuite rejoint l’association Warouwaye. « Ce qui nous a poussés à venir ici, c’est la recherche d’une activité économique, d’un revenu. Ensuite, nous nous sommes organisés et nous avons vu qu’il était nécessaire de créer un système qui nous permette de contribuer à la protection de la forêt, » nous explique-t-il, assis sous un cocotier.
« Nous développons une activité agricole, mais nous travaillons aussi en partenariat avec le service des eaux et forêts, dans le but de développer une activité durable. »
À l’aide du financement de l’Union européenne et avec le soutien du CISV, une ONG italienne, les fermiers de Warouwaye ont peu à peu adoptés des méthodes de culture biologiques pour rendre plus fertile le sol sablonneux de la niaye. « Avant notre arrivée, les fermiers s’étaient regroupés de manière informelle mais travaillaient individuellement, » explique Ousseynou Mbodji, chef de projet du CISV. Le projet de l’Union européenne, en collaboration avec le service des eaux et forêts, a fourni aux fermiers des outils, des crédits et une formation, de façon à encourager un système de gestion participative.
« Avec notre projet, nous avons travaillé pour qu’ils soient mieux organisés, pour encadrer une production plus à même de répondre à la demande en légumes des municipalités voisines. Dans le même temps, grâce à des formations, nous avons aidé les fermiers à adopter des méthodes de culture écologiques, en éliminant l’utilisation des pesticides et en passant à des engrais biologiques, » raconte Ousseynou Mbodji.
Des arbres menacés
Mais une nouvelle menace est apparue l’an dernier. En juin 2021, le président sénégalais Macky Sall a donné son aval à un nouveau plan d’urbanisme qui déclasse 150 hectares de plantations de filaos, leur retirant leur statut de zone protégée, et transférant l’autorité du développement du service des eaux et forêts aux municipalités locales.
« Le déclassement était nécessaire au vu de l’emplacement des arbres, qui sont dans une zone soumise à l’érosion, proche de l’autoroute et à proximité de zones urbanisées, » justifie Pape Mama Fall, du bureau du maire de la municipalité de Wakhinane Nimzatt.
« Aujourd’hui, après le déclassement, nous avons l’intention de créer une nouvelle bande de filaos de l’autre côté de l’autoroute, dans une zone plus sûre, plus durable et plus résiliente face au changement climatique, » ajoute-t-il.
Ousseynou Mbodji nous dit qu’il doute que de nouveaux filaos soient plantés : « J’ai bien peur que cette forêt ne soit condamnée à mourir. »
Il déclare à Mongabay que les autorités locales ont délivré des permis de construire et que de nouveaux bâtiments ont déjà été construits.
« Les fermiers sont inquiets. Ils ont organisé de nombreuses manifestations, ils vont voir le préfet et le maire avec leurs réclamations, » affirme-t-il. « Mais les municipalités ont des projets de développement immobilier et d’infrastructures pour cette zone, ce qui met aussi en danger la partie de terre qui est encore protégée. »
Selon le nouveau plan d’urbanisme, 43 % des 150 hectares « déclassés » seront alloués à la construction de nouveaux logements, et 21 % supplémentaires à de nouvelles routes.
Les filaos ont une durée de vie d’environ 50 ans, après quoi les arbres plantés dans les niayes doivent être élagués, coupés juste avant les pluies. De nouvelles pousses sortent ensuite qui, si elles sont taillées soigneusement, peuvent donner de nouveaux arbres. Les fermiers de Warouwaye, déplacés jusqu’à la périphérie de la capitale par des inondations il y a dix ans, sont eux-mêmes devenus un modèle d’équilibre entre les moyens de subsistance, la production alimentaire locale et la protection de l’environnement.
Image de bannière : Des fermiers cultivent la terre à Dakar, Sénégal. Crédit photo Francesco De Augustinis pour Mongabay.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/04/small-farmers-take-a-stand-for-one-of-dakars-last-urban-woodlands/