- Les autorités congolaises ont multiplié ces dernières années les initiatives pour diversifier les recettes du pays et favoriser son développement socio-économique.
- Outre le cuivre et le cobalt dont la République démocratique du Congo est l’un des grands exportateurs, Kinshasa développe des politiques pétrolières en vertu de contrats d’exploitation pétrolière signés parfois à vil prix.
- Les défenseurs de l’environnement soutiennent que ce projet est en parfaite contradiction avec l’engagement de la RDC qui se veut un « pays solution » aux changements climatiques.
- Sa concrétisation posera, selon eux, des risques énormes pour ce vaste puits de carbone ainsi que pour les droits des communautés riveraines.
Début avril, en conseil des ministres, le gouvernement congolais a approuvé un projet de « mise aux enchères » de seize blocs pétroliers, dont au moins neuf dans l’écosystème de la Cuvette centrale. Le projet vise à gonfler les recettes de l’État et à augmenter du même coup la production nationale, laquelle doit quitter la zone modeste de 25 000 barils par jour.
« C’est une erreur historique qui doit être corrigée immédiatement », laisse entendre Irène Wabiwa Betoko. La cheffe de projet pour la forêt du bassin du Congo chez Greenpeace Afrique regrette que les autorités actuelles de la RDC choisissent le pétrole plutôt que la forêt et les droits de la personne. Dans un communiqué, l’ONG mentionne que « la Cuvette centrale est un complexe riche en tourbières » qui contient environ trente gigatonnes de carbone , l’équivalent de trois ans d’émissions mondiales de gaz carbonique.
De son côté, Joe Eisen, directeur général de l’ONG Rainforest Foundation UK, craint que la concrétisation de ce projet n’entraîne des risques importants pour ce vaste puits de carbone ainsi que pour les droits de centaines de communautés locales et autochtones. Les infrastructures d’envergure requises pour transporter le pétrole ouvriraient également la voie à une cascade de déforestation due à d’autres utilisations des terres, y compris dans les zones reculées.
Les estimations scientifiques publiées en 2017 sont catégoriques : les écosystèmes de toutes les zones visées sont uniques et contribuent fortement à la stabilité climatique mondiale. Cette année-là, une équipe scientifique dirigée par l’écologiste Simon Lewis à laquelle se sont joints des chercheurs congolais a annoncé la découverte d’une tourbière massive dans le bassin du Congo. Lewis et ses collègues soulignent que les émissions résultant du drainage des tourbières sont parmi les plus difficiles à suivre et à mesurer, même dans les pays développés.
Carbone sur carbone : le pétrole et les tourbières du bassin du Congo
À l’occasion d’une interview avec Mongabay, l’écologiste britannique a sonné l’alarme : « si le Congo engage une quelconque activité sur place, des centaines de millions de tonnes de dioxyde de carbone seront émises dans l’atmosphère ». Le Washington Post a récemment révélé que le développement des tourbières dans les forêts tropicales entraîne également une déforestation généralisée, ce qui détériore d’autant plus l’environnement déjà pollué par les gaz à effet de serre.
Or le pouvoir actuel en RDC ne ménage aucun effort pour sortir sa population de la précarité. Le pays repose sur des ressources que les autorités ne veulent pas sacrifier et met de l’avant l’économie au profit de l’environnement. Dans un avis d’expert publié en octobre 2019, le président de la Chambre africaine de l’énergie NJ Ayuk laisse entendre que le potentiel pétrolier de la RDC est estimé à 20 milliards de barils provenant d’installations terrestres ou marines. Le Congo serait ainsi le deuxième détenteur de pétrole en Afrique subsaharienne derrière le Nigeria.
On trouve des hydrocarbures dans vingt-quatre des vingt-six provinces congolaises confirme l’ancien ministre congolais du pétrole Aimé Ngoy Mukena. Devant la presse locale, ce dernier a argué que la loi congolaise permettait d’explorer dans n’importe quelle partie du pays. « Notre pays doit aller de l’avant, nous devons trouver de l’argent », avance Didier Budimbu Ntubuanga, ministre congolais responsable des hydrocarbures. Il a révélé au Washington Post que des études préliminaires effectuées par son ministère montrent qu’avec seulement deux blocs d’exploration pétrolière proposés dans des zones de tourbières, la RDC engrangerait plus d’un milliard de dollars américain par mois.
Les défenseurs de l’environnement et la société civile soutiennent en revanche que ce projet va à l’encontre de l’objectif souvent affiché par le gouvernement de la RDC de devenir un « pays de solutions » dans la lutte contre les changements climatiques et la dégradation de la biodiversité. Cet engagement a été réitéré de nouveau à la COP26 qui s’est tenue en novembre dernier à Glasgow, en Écosse. En marge de ce sommet mondial autour du climat, des bailleurs de fonds ont promis d’injecter 500 millions de dollars pour soutenir les ambitions climatiques de la RDC et aider les autorités du pays à protéger la forêt tropicale. On ignore encore si les pays donateurs accompagneront de mesures la politique de développement qui tient à cœur aux autorités congolaises.
D’ores et déjà, Greenpeace invite dans son communiqué les bailleurs de fonds à prendre conscience de l’ampleur du chaos qui prévaut dans la gestion des forêts congolaises et à « aborder les plans louches et chaotiques pour remplacer les forêts tropicales et les tourbières par du pétrole ». Selon Joe Eisen, les partenaires internationaux de la RDC doivent combler les lacunes de leurs accords de protection des forêts car ils donnent le feu vert à l’exploitation pétrolière. Ils doivent aussi fournir des incitations appropriées pour les protéger de manière à respecter les droits de ceux qui vivent dans cette ressource vitale et qui en dépendent.
Il est aussi difficile de dissuader les populations riveraines, celles d’Ikenge par exemple, frappées d’un appauvrissement continu malgré les nombreuses ressources qui les entourent. Bien que les chercheurs insistent sur la nécessité de protéger la biodiversité, en montrant des exemples d’autres pays à l’appui, il leur est pratiquement impossible d’établir de façon rationnelle que la tourbe doit être laissée sous terre pour éviter une hécatombe.
Les défenseurs de l’environnement qui prêchent la nécessité de sauvegarder la biodiversité sur place pour préserver l’humanité de toute calamité sont accusés d’agiter des épouvantails et d’abuser de l’ignorance des populations pour piller les tourbières, affirme Irène Wabiwa Betoko de Greenpeace Afrique.
Mais les autorités congolaises doivent savoir que les impacts de toute activité au niveau des tourbières sur l’environnement local peuvent dépasser les bénéfices économiques potentiels, renchérit Joe Eisen. Il ajoute que le contexte actuel en RDC se démarque par l’absence de conditions de gouvernance idoines garantissant que les revenus ne soient pas siphonnés par les élites politiques. À son avis, les besoins de développement du Congo seraient mieux servis en investissant dans les communautés locales et en leur donnant les moyens de sécuriser, gérer et protéger leurs terres coutumières, notamment par le biais de forêts communautaires.
Image de bannière : forêt pluviale du bassin du Congo de Corinne Staley via Flickr (CC BY-NC 2.0).