Nouvelles de l'environnement

Rapport : le recyclage chimique, ou comment les plastiques « verts » polluent davantage

  • L’industrie du plastique affirme que les technologies de « recyclage chimique », ou « recyclage avancé », sont une alternative plus « verte » au recyclage mécanique. Ces techniques recourent à la chaleur ou à des solvants pour convertir les déchets plastiques en matières premières chimiques. Ces dernières peuvent ensuite potentiellement être retransformées en plastiques.
  • Mais selon un rapport récemment mis en ligne, cinq des huit installations américaines évaluées utilisent des procédés chimiques pour produire du combustible, et non de nouveaux plastiques. En outre, les usines éliminent de grandes quantités de déchets dangereux qui, dans certains cas, contiennent du benzène (une substance cancérogène connue) du plomb, du cadmium et du chrome.
  • Les critiques affirment que les processus d’incinération en plusieurs étapes de l’industrie du recyclage chimique sont polluants et émettent des gaz à effet de serre sans pour autant réduire la demande de plastique vierge. Les permis environnementaux de six installations américaines autorisent le rejet de polluants atmosphériques dangereux pouvant causer des cancers ou des anomalies congénitales.
  • Un nouveau plan des Nations unies pour lutter contre la pollution plastique dans le monde pourrait offrir aux pays une certaine souplesse quant à la manière d’atteindre les objectifs de recyclage. Cela permettrait à l’industrie de faire pression pour obtenir des incitations politiques et des exemptions réglementaires pour les techniques de transformation du plastique en carburant. Or, les experts estiment que de telles politiques pourraient menacer l’environnement et la santé publique.

Une multitude de technologies de pointe en matière de traitement des plastiques, connues sous le nom de « recyclage chimique », libèrent de grandes quantités de substances toxiques et dangereuses dans l’environnement. Mais la majorité d’entre elles, selon un récent rapport du National Resources Defense Council (NRDC), ne visent pas à fabriquer du plastique recyclé, mais plutôt du carburant et des produits chimiques.

Avec plus de 240 millions de tonnes de nouveaux plastiques produits chaque année, la montagne mondiale de déchets plastiques menace désormais de déstabiliser les systèmes de fonctionnement de la Terre. Ainsi, les conditions climatiques et biogéochimiques grâce auxquelles les civilisations humaines ont pu survivre pendant près de 12 000 ans pourraient être remises en question.

Les États-Unis sont l’un des principaux producteurs de plastique au monde, mais moins de 9 % des déchets sont actuellement revalorisés, notamment par le biais d’un processus bien établi : le tri et le broyage mécaniques. Les représentants de l’industrie du plastique affirment que les technologies de pointe de « recyclage chimique » ou « recyclage avancé » constituent la meilleure solution de traitement. Ces techniques ont pour particularité d’utiliser la chaleur ou des solvants pour transformer les déchets plastiques en carburants ou en matières premières chimiques. Les groupes de défense de l’environnement, dont le NRDC, ont quant à eux exprimé des inquiétudes au regard des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution toxique générées par ces processus.

Plus de 240 millions de tonnes métriques de nouveaux plastiques sont produites chaque année dans le monde, mais seule une petite partie est recyclée. Avec d’autres nouveaux polluants chimiques, les déchets plastiques et leurs impacts menacent de pousser la Terre en dehors de la zone habitable pour l’humanité. Image de EFRH depuis VisualHunt.

Le recyclage chimique pollue-t-il ?

Dans le cadre de son enquête, le NRDC a parcouru les bases de données de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) et les documents de permis environnementaux accordés par les États aux usines de recyclage de produits chimiques du pays. L’équipe a ainsi rassemblé toutes les informations disponibles au public au moment à l’été 2021. Cela leur a permis d’identifier huit sites qui étaient déjà opérationnels ou qui devaient le devenir dans un avenir proche.

Les archives de l’EPA ont révélé que plusieurs d’entre elles traitent une grande quantité de déchets dangereux, dont des produits chimiques comme le benzène (une substance cancérogène connue), ainsi que du plomb, du cadmium ou du chrome. Les permis environnementaux délivrés par les États à six de ces installations autorisent l’émission de polluants atmosphériques nocifs pouvant causer des cancers ou des anomalies congénitales.

« Ces usines rejettent, ou sont autorisées à rejeter, un large éventail de polluants atmosphériques dangereux », déclare Veena Singla, chercheuse pour le NRDC et auteure du rapport. « C’est certainement une préoccupation pour les communautés situées à proximité directe. » Selon le rapport, les populations concernées sont, de manière disproportionnée, des personnes à faibles revenus et des personnes de couleur. Près de 380 000 personnes vivent dans un rayon de moins de 5 km autour de ces usines et pourraient être affectées par les émissions toxiques.

Judith Enck, présidente du projet à but non lucratif Beyond Plastics, basé au Bennington College, dans le Vermont, et ancienne responsable régionale à l’EPA, a décrit le rapport du NRDC comme étant « inestimable », ajoutant que « tout élu qui envisage de soutenir les usines [de recyclage chimique] devrait d’abord le lire ».

Aux États-Unis, moins de 9 % des déchets plastiques sont recyclés, pour la plupart via des procédés mécaniques de tri et de broyage afin de produire des granules. Le recyclage mécanique du plastique s’est avéré difficile à développer à grande échelle en raison de la grande variété des types de plastique et des sources de contamination présentes dans les foyers et les déchets commerciaux. Des défis auxquels sont également confrontées les technologies de recyclage chimique du plastique émergentes. Image de Tony Webster depuis Flickr.
La production de plastique continue d’augmenter, laissant le monde face au délicat problème du traitement et de la réutilisation des déchets. Image reproduite avec l’autorisation de Our World in Data.

Néanmoins, le vice-président aux affaires gouvernementales de la Plastics Industry Association, Matt Seaholm, a accusé le rapport du NRDC d’utiliser « des exemples choisis, des données incomplètes et des allégations infondées ». Selon lui, « les attaques à l’encontre des technologies de recyclage avancé tendent à suivre le même modèle : elles ignorent les progrès et les investissements de nombre d’entreprises différentes, lancent des appels irréalistes à mettre fin à la production de plastiques et ne tiennent pas compte de la position de l’industrie sur la valorisation des déchets en tant que combustibles. Le rapport du NRDC n’est en rien différent. »

En réponse, V. Singla a invité les représentants du secteur à appuyer les affirmations de M. Seaholm : « S’ils détiennent des données supplémentaires, qu’elles concernent d’autres usines ou celles que nous avons déjà couvertes, nous serions plus qu’heureux de les analyser et de mettre à jour nos travaux en conséquence. » Elle note également que l’enquête incluait toutes les données accessibles au public au moment de l’étude.

L’American Chemical Council et le World Plastics Council se sont quant à eux refusés à tout commentaire auprès de Mongabay.

La conversion du plastique en combustible : greenwashing ou réalité ?

Le recyclage chimique est plébiscité comme une alternative au recyclage mécanique capable de satisfaire la demande grandissante en plastique recyclé tout en réduisant le volume de déchets incinérés ou enfouis. Toutefois, les projets de recyclage chimique « plastique vers plastique » ont rencontré une foule de problèmes au moment de passer de « théorie prometteuse en laboratoire » à « entreprise économiquement viable ». Ainsi, dans les faits, cinq des huit usines identifiées par le rapport du NRDC convertissent en réalité le plastique en combustible.

« Produire du combustible à partir du plastique n’est pas un procédé circulaire », souligne V. Singla. D’après les données obtenues durant l’étude, « ce n’est pas une solution pour un cycle de vie circulaire et non toxique des matériaux plastiques ».

Les techniques telles que la pyrolyse et la gazéification décomposent les plastiques en les soumettant à de très fortes températures dans un environnement pauvre en oxygène. Les déchets ainsi traités vont se changer en liquide ou en gaz qui pourra alors être transformé en combustible ou en produits chimiques. Malgré les affirmations du secteur, selon lesquelles ces procédés peuvent permettre la fabrication de nouveaux plastiques, le rapport du NRDC n’est pas parvenu à les appuyer et prouver qu’elles sont vraies en pratique. Pour les critiques, il s’agit en réalité de décomposer le processus d’incinération. En effet, les combustibles de qualité inférieure et les déchets chimiques produits sont, en fin de compte, brûlés, ce qui génère des gaz à effet de serre et des déchets dangereux. En outre, ces techniques ne permettent pas pour autant de réduire la demande des consommateurs en plastiques vierges.

Malgré ces préoccupations, la pression s’accentue sur les responsables politiques pour que le recyclage chimique, dont les procédés de transformation du plastique en carburant, soit classé comme technologie de fabrication et non comme incinération de déchets solides. Seize États américains ont déjà adopté une législation sur la revalorisation qui redéfinit les usines de recyclage de produits chimiques en tant que fabricants, Ainsi, les exigences de déclaration plus strictes imposées aux recycleurs de déchets solides ne peuvent être appliquées. À noter que des projets de loi similaires ont été présentés dans d’autres États, dont New York.

« C’est très inquiétant », confie V. Singla. « Le secteur est déjà très opaque, et reclasser [les usines de recyclage chimique] ne va pas aider. »

L’EPA se penche actuellement sur une manière d’inclure les technologies de pyrolyse et de gazéification dans la loi américaine sur la pureté de l’air. De leur côté, les lobbyistes de l’industrie mènent une campagne féroce pour empêcher que ces techniques de dégradation à haute température ne soient catégorisées comme de l’incinération.

Des usines pétrochimiques à Houston, Texas. Ces installations augmentent leur production de plastique à mesure que la demande de pétrole diminue dans le secteur de l’énergie, ce qui, à terme, va accroître la demande de solutions vertes pour l’élimination des déchets ainsi produits. Image de Louis Vest depuis Flickr (CC BY-NC 2.0).

Le recyclage chimique pourrait-il nuire aux efforts de lutte contre la pollution plastique ?

Le recyclage des produits chimiques fait l’objet d’une attention particulière au moment même où le monde s’accorde pour reconnaître et résoudre la crise du plastique. Début mars, 175 pays ont convenu de la mise en place d’un plan de lutte contre la pollution plastique de la production à l’élimination, rallumant la flamme de l’optimisme chez les défenseurs de l’environnement. Ces derniers mettent cependant en garde contre la souplesse prévue par le plan, qui permet à chaque nation de décider de la manière dont elle atteindra les objectifs de recyclage. En effet, elle laisse la porte ouverte à l’exploitation par les lobbyistes de l’industrie qui cherchent des incitations politiques et des exemptions réglementaires pour les techniques de transformation du plastique en carburant.

Certains experts affirment que le recyclage chimique, et en particulier les technologies qui génèrent du combustible plutôt que de nouveaux plastiques, n’est pas la solution au problème des déchets plastiques que le monde recherche désespérément. « J’étais véritablement déçue par les conclusions auxquelles nous sommes arrivés [dans notre rapport], parce que la crise des déchets plastiques est si visible, si imminente, je voulais qu’il y ait des mesures alternatives. Mais cela n’en fait pas partie », déplore V. Singla.

Pour J. Enck, le recyclage chimique est « une tentative de relations publiques de la part de l’industrie pétrochimique afin de freiner la recherche de solutions réelles au problème croissant de la pollution plastique ». Elle a encouragé les législateurs des États américains à introduire des lois interdisant les usines de recyclage chimique, étendant la responsabilité des producteurs pour décourager les emballages plastiques inutiles, et soutenant les programmes de consigne des bouteilles en plastique.

Référence :

Singla (2022) Recycling Lies: “Chemical Recycling” of Plastic Is Just Greenwashing Incineration (Issue Brief).

Image de bannière : : Des détritus plastiques déchargés dans une déchèterie dans le comté de Beaver, en Pennsylvanie. La production de plastiques a explosé après la Seconde Guerre mondiale et la pollution de l’air et de l’eau engendrée est désormais une crise globale. Image de Ted Auch/FracTracker Alliance.

Il faut parfois des centaines d’années pour que les plastiques se décomposent entièrement. Les Nations unies se sont réunies en mars en vue de mettre au point un accord international portant sur l’ensemble du cycle de vie du plastique, de sa production à son élimination. Au cours des deux prochaines années, l’industrie des plastiques exercera probablement une forte pression afin que le recyclage chimique soit inclus dans les plans d’action nationaux. Image de Ivan Radic depuis Visualhunt.com.

Article original: https://news.mongabay.com/2022/03/chemical-recycling-green-plastics-solution-makes-more-pollution-report/

Quitter la version mobile