- Le feuilleton de la pollution de la rivière Kasaï semble avoir été oublié par le gouvernement congolais, mais le dossier est loin d’être clos. Cet important affluent du fleuve Congo a été pollué par le déversement de déchets toxiques d’une société minière basée en Angola.
- La pollution des rivières congolaises est observée depuis la fin de juillet 2021 en amont du bassin versant de la rivière Tshikapa, un affluent de la rivière Kasaï dont la source est en Angola.
- La pollution de la rivière Kasaï a exposé plus d’un million de personnes des populations riveraines. Elle a occasionné l’arrêt spontané de toute activité sur la rivière comme la pêche et empêche l’approvisionnement en eau à usage domestique.
- La République démocratique du Congo fait face, ces derniers jours, aux phénomènes de pollution notamment liées aux sociétés minières internes ou externes de ce pays de l’Afrique centrale.
Depuis que la rivière Kasaï en République démocratique du Congo est polluée, aucune action n’a été faite pour rétablir dans leurs droits les familles touchées par ce drame environnemental et écologique. Au regard de cette situation, un collectif conduit par le député de la circonscription du Kasaï, en l’occurrence Guy Mafuta Kabongo, a engagé des poursuites en droit civil contre Catoca Mining Company qui procède à l’extraction de diamants. La minière est basée à Lunda Sul, province angolaise.
La partie plaignante représentée par Guy Mafuta Kabongo souligne plutôt que la réparation des préjudices causés aux populations riveraines par la pollution ne doit pas s’assimiler à une procédure politico-diplomatique. Pour le député national élu de la province du Kasaï initiateur de la plainte à l’endroit de Catoca, il s’agit d’une poursuite en droit civil qui vise à rétablir les populations riveraines dans leurs droits.
« Entendons-nous bien : ma démarche ne vise pas à rétablir la faune et flore aquatiques des rivières polluées en procédant par le principe pollueur-payeur », informe le président du collectif Guy Mafuta Kabongo.
Il indique par ailleurs que la procédure est très longue et qu’il invite le gouvernement congolais à s’en occuper.
La démarche a été engagée par un collectif d’à peu près 8 000 personnes qui se sont rassemblées pour se défendre, souligne-t-il.
« Nous avons récolté auprès des populations riveraines au moins 7 879 plaintes et le procès aura lieu le 21 mars prochain à Tshikapa, au Kasaï. Nous espérons avoir gain de cause. »
Par ailleurs, Catoca a été déjà assignée depuis trois mois comme le principe le stipule, ajoute le député.
Appel aux ONG et aux citoyens
Guy Mafuta Kabongo a lancé un appel à toute personne désireuse de se joindre à lui dans cette démarche. Il s’adresse notamment aux ONG, activistes de l’environnement, médias nationaux et internationaux, ainsi qu’aux élus et au gouvernement congolais les priant de l’épauler.
Son appel a été entendu dans certains milieux. Alain Nkashama Mwana, coordonnateur provincial de la Nouvelle Société Civile Congolaise au Kasaï se réjouit de l’initiative entreprise par le député.
« Cette démarche est bonne à mon avis. Elle vise à rétablir les populations riveraines de Tshikapa et du Kasaï en général dans leurs droits. » Il ajoute qu’il est disposé à réfléchir avec l’élu national pour « établir ce que nous pouvons faire ».
« Nous avons connu une crise liée à l’eau. Les populations riveraines avaient du mal à avoir accès à l’eau potable et aux soins de santé appropriés. Des personnes ont contracté des maladies à cause de cette situation. Les femmes présentaient des brûlures vaginales, des éruptions cutanées, des maladies infectieuses et d’origine hydrique. La destruction de la population aquatique a affecté les marchés locaux des poissons », insiste-t-il.
Léthargie du gouvernement ou simple laisser-aller ?
En août 2021, le Centre de Recherche en Ressources en Eau du Bassin du Congo (CRREBaC) de l’Université de Kinshasa a organisé un atelier composé de scientifiques et d’experts. L’objectif était d’analyser la situation de la pollution de cet affluent du Congo. À l’issue de l’atelier, une note technique comportant cinq thématiques a été envoyée aux décideurs. L’une des thématiques porte sur l’environnement biologique.
Il s’agit d’identifier et d’analyser des groupes taxonomiques (faune et flore) infectés et le nombre d’espèces touchées puis d’établir la gravité de l’intoxication.
La note technique prône aussi la mise en place d’unités mixtes de suivi des bio-indicateurs de pollution (espèces sensibles et sol) dans les grandes rivières, baies et zones inondées des aires protégées. Elle suggère d’explorer le pouvoir auto épurateur des cours d’eau concernés et, enfin, de procéder à l’inventaire biologique et à l’analyse des espèces dans d’autres sous-bassins susceptibles d’être affectés par les polluants des foyers miniers de la sous-région (Angola, Burundi, Congo, République centrafricaine, Zambie et Tanzanie).
Cela dit, en janvier dernier, l’expert en hydrologie de l’Université de Kinshasa Raphaël Tshimanga a déclaré « ne pas avoir eu les moyens de descendre sur le terrain avec des services pour évaluer la situation et recueillir toutes les nouvelles données ».
« Nous ne pouvons pas estimer l’état actuel de la rivière Kasaï, son biotope, etc. Il faudrait une descente sur le terrain pour se faire une idée exacte de la situation et obtenir des données. » Huit mois plus tard, rien n’a encore été fait et le centre de recherche de la grande université du pays n’a pas encore obtenu les fonds pour financer la descente sur le terrain.
Les espoirs des experts en la justice
L’avocate congolaise environnementaliste Dignité Bwiza Visser estime qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs, la justice peut faire mieux.
« D’emblée, je tiens à rappeler que la séparation des pouvoirs rend la justice indépendante de la politique. Ainsi donc, une poursuite judiciaire devant un tribunal du Kasaï ne doit pas être subordonnée à une action politique ou diplomatique », précise-t-elle, tout en saluant l’action de Guy Mafuta Kabongo.
« Intenter des poursuites est louable et nécessaire pour non seulement favoriser l’application du droit environnemental congolais, mais aussi pour que la protection de l’environnement congolais soit effective ».
Une infraction passible d’une amende de plusieurs millions de dollars
Au regard de la loi congolaise, selon l’avocate, la pollution des rivières Tshikapa et Kasaï est le fruit de trois infractions environnementales au droit congolais.
« La première infraction qui est spécifique au cas de la pollution des deux cours d’eau est l’atteinte aux écosystèmes aquatiques congolais par des rejets ou effluents d’origine étrangère », explique-t-elle.
Cette infraction est passible de peines d’emprisonnement ne pouvant être inférieures à dix ans et d’une amende de mille milliards de francs congolais, soit près de 505 millions de dollars américains, cela sans possibilité de choisir entre les deux.
Les autres infractions sont, selon l’avocate, le déversement de substances nuisibles aux écosystèmes aquatiques ainsi que l’atteinte à l’équilibre des écosystèmes aquatiques via des effluents connexes.
Image de bannière : Maitre Guy Mafuta avec un enfant présentant des boutons corporelles liées à la pollution du Kasai.