- Le Ministre Lee White va au contact de la communauté de Massaha pour constater de lui-même et mieux comprendre les motivations de la demande de soustraction d’une portion du permis de TBNI et d’un classement en aire protégée.
- Après une visite de plusieurs sites dévastés, Lee White donne son OK et annonce l’arrêt immédiat des activités de l’exploitant chinois et fixe à 2 mois (fin mai 2022) le délai pour la finalisation du dossier technique.
- Le dossier Massaha est un cas d’école pour l’administration des Eaux et Forêts. Il faut tirer les enseignements sur le laisser-aller dans l’exploitation, mais aussi améliorer les insuffisances de la législation gabonaise.
MAKOKOU, Gabon — Depuis août 2020, la communauté de Massaha, dans la province de l’Ogooué-Ivindo, au nord-est du Gabon, a soumis une demande formelle au gouvernement afin de soustraire une portion de leur forêt coutumière inclue dans une concession forestière accordée à la société chinoise Transport Bois Négoce International (TBNI), dans le but de créer une aire protégée gérée par le village, malgré les signaux mixtes envoyés par le gouvernement pendant que l’exploitation avançait.
.
La demande de la communauté de Massaha vient de connaître un aboutissement heureux. Le Ministre de l’environnement gabonais, Lee White, a visité Massaha du 22 au 23 mars 2022. Il a échangé avec la communauté, il a visité un des nombreux anciens villages et au moins un site sacré rasés par TBNI dans la partie nord de la rivière Liboumba. Ensuite il a traversé au sud de la rivière et est allé jusqu’à un des sites sacrés encore intact.
A la suite de la visite d’un des sites sacrés qui l’a conduit au pied d’un arbre kévazingo ou il a été témoin des invocations des esprits des ancêtres conformément aux rituels, Lee White a dit que « ce n’est pas seulement la forêt qui me parle, mais aussi les ancêtres qui me parlent. On est venu à Massaha, comprendre la sollicitation de la population, inquiète de l’exploitation forestière qui va détruire les sites sacrés, donc on est venu pour les rassurer ».
Arrêt immédiat des activités forestières
Au terme de ces deux visites , le Ministre dira avoir constaté «des erreurs dans l’exploitation » et va ordonner le retrait de l’exploitant chinois de la zone incriminée. « Je demande à TBNI, rapidement de sortir , de sortir toutes les billes qui sont sur le site du village, pour préserver ce site. Après on va voir avec les anciens qu’est-ce qu’il faut faire pour apaiser », dira-t-il au cours de la séance travail avec la population, les autorités locales, et les représentants de TBNI.
En juin 2021, la société TBNI et son sous-traitant Wan Chuan Timber Sarl (WCTS)2, ne remplissant pourtant pas toutes les conditions exigées par la loi, vont se lancer dans une course contre la montre, afin d’exploiter au maximum les parties de la forêt visées par la communauté villageoise. Au terme de l’exploitation du côté nord de la Liboumba, la communauté de Massaha est montée au créneau pour condamner les cas de pollution et de dégradations de l’environnement, d’obstruction des cours d’eau, le non marquage des souches de bois abattu, la destruction d’anciens villages et de sites sacrés, l’abattage du bois à proximité des cours d’eau, etc.
Au sud de la rivière, une route qui pénètre dans la partie de forêt jamais exploitée est déjà ouverte, sans avoir fait l’objet d’une étude d’impact environnemental. Des cas d’infraction à la législation forestière ont été documentés et rendus publics sur les médias nationaux et par des organismes de plaidoyer international. Ces infractions ont été récemment inspectées par la Direction provinciale des Eaux et Forêts et l’ONG gabonaise Conservation Justice.
Pour le Ministre des Eaux et forêts, il est clair que TBNI n’a pas respecté la loi : « Quand on voit le fromager qui est là, quand on voit les autres arbres qui sont là, on sait que c’est un vieux village… C’est pour ça que dans les plans d’aménagement, en principe, on fait toujours l’étude socio-économique … cette étude est censée éviter ce type de problème » a dit le Ministre.
A la faveur d’une Assemblée Générale de la communauté, organisée cinq jours après la visite du Ministre, Arsène Ibaho, président du comité de gestion de la forêt communautaire, a soutenu que « nous-mêmes on savait que le Ministre ne pouvait pas refuser notre demande. Y’a des preuves de notre histoire que nous avons montrées. Dieu merci que Lee White lui-même est venu. Même si une partie a déjà été dévastée, nous allons reboiser ça. C’est un grand ouf de soulagement et un grand merci que nous disons au ministre ».
Améliorer les insuffisances de la législation et de l’administration gabonaises.
Huit lettres à l’attention de l’administration des Eaux et Forêts en 19 mois, deux missions de la Direction Générale de la Faune et des Aires Protégées à Massaha, de nombreuses tentatives d’intimidation des villageois et mêmes d’un responsable de la presse locale, et une forte pression de la part du Consortium APAC et de plusieurs ONG internationales sur le Ministre en charge de l’environnement (il l’a dit aux villageois). C’est dans ce décor qu’a évolué ce dossier qui a finalement suscité le déplacement du Ministre à Massaha. Sans oublier qu’au-delà de ses efforts administratifs, la communauté a invoqué les esprits de ses ancêtres afin que ces derniers touchent le cœur « du blanc » qui peut sauver cette forêt de l’exploitation et par la même occasion, sauver la culture du peuple Kota.
Bien que le terme « aire protégée en domaine de chasse » proposé dans la demande du village basée sur le code forestier actuel ne convienne pas au contexte communautaire, Lee White a dit pouvoir donner satisfaction à la requête des villageois : « On a déjà des cartes, y’a déjà une zone qu’on appelle série de conservation tout au long de la rivière, on peut peut-être augmenter cette série de conservation, mais il faut nous aider à compléter … une fois que c’est fait, on va de nouveau s’asseoir avec vous pour voir quel type de zone on peut créer et qui garantit que les populations peuvent continuer d’utiliser la forêt. Et on est en train de réfléchir dans le nouveau code forestier comment créer un nouveau type d’aire protégée », a dit le Ministre.
Il reste donc à voir comment exactement le Gabon va protéger cette partie de la forêt baptisé Ibola Dja Bana Ba Massaha (la réserve de tous les enfants Massaha), et quel sera le niveau d’implication (droits et responsabilités) des membres de la communauté dans la gestion de cette aire protégée. La forme juridique finale est d’un grand intérêt du fait qu’il s’agit de la première aire protégée établie au Gabon à la demande d’une communauté locale. En cela, le Gabon réitère son engagement total pour parvenir à l’objectif 30×30 issu des discussions de la COP15 à Genève.
A l’assemblée générale du village le 27 mars, Ibaho a dit , « Nous venons de constituer la liste des personnes qui vont partir en forêt pour bien délimiter les sites sacrés et les anciens villages comme le Ministre a demandé. C’est eux qui vont accompagner les techniciens que les Eaux et Forêts vont envoyer. On espère qu’il n’y aura plus d’autre blocage ».
Des instructions ont été données au Directeur Général des Forêts et au Directeur provincial des Eaux et Forêts de l’Ogooué-Ivindo pour finaliser le dossier technique dans un délai de deux mois, avec l’implication des villageois pour ce qui est de la localisation GPS des sites sacrés et des anciens villages, la cartographie de la zone et tous les autres aspects qui nécessitent l’implication de l’administration.
« Quand tout ça sera fini dans deux mois, le village va préparer et si je suis invité, je viendrai pour clore tout ça », a lancé le Ministre en terme de conclusion. Les équipes ont donc jusqu’à fin mai pour finaliser leur travail.
Benjamin Evine-Binet est le directeur de Ivindo FM, une station de radio communautaire à Makokou. Twitter: @ivindofm
Image de bannière : Chemin forestier près de la rivière Liboumba. Image fournie par Ivindo FM.