- Le mois dernier, des hommes armés, dont deux en uniforme de policier, ont attaqué la maison de l'avocat congolais Timothée Mbuya et ont déclaré à sa famille qu'ils étaient venus le tuer.
- Le mois dernier, des hommes armés, dont deux en uniforme de policier, ont attaqué la maison de l'avocat congolais Timothée Mbuya et ont déclaré à sa famille qu'ils étaient venus le tuer.
- Les militants affirment que le procès et l'agression au domicile de l'avocat reflètent une tendance de harcèlement envers les activistes des droits humains et de l'environnement en RDC.
LUBUMBASHI, République démocratique du Congo. Des assaillants armés ont récemment attaqué le domicile de l’avocat congolais de la cause environnementale Timothée Mbuya. Celui-ci, leader de l’ONG de défense des droits humains Justicia, fait face à un procès en diffamation après avoir critiqué l’emplacement d’une propriété agricole de l’ancien Président de RDC, Joseph Kabila. Bien que rien n’ait encore été établi concernant les responsables de l’attaque contre le domicile de l’avocat, les militants affirment que l’agression reflète une tendance plus large de harcèlement et d’intimidation des activistes dans la province de Katanga et au-delà.
Le 12 janvier dernier, vers minuit, au moins six hommes armés de marteaux et de fusils AK-47 et portant des cagoules ont percé à coup de masse un grand trou dans le mur de la maison de l’avocat à Lubumbashi, capitale provinciale du Katanga, alors que son épouse, ses enfants et d’autres membres de sa famille s’y trouvaient endormis.
Pendant plus d’une heure, les hommes ont menacé de tuer les membres de la famille présents, y compris le fils de l’activiste âgé de 9 ans, s’ils ne leur révélaient pas où se trouvait son père. Les assaillants, dont deux portaient des uniformes d’officiers de police, sont finalement partis, emportant les téléphones, un ordinateur portable et des bijoux.
« Ils ont répété à plusieurs reprises qu’ils avaient été envoyés pour me tuer, » a déclaré Timothée Mbuya à Mongabay par téléphone, depuis un lieu maintenu secret.
L’avocat pense que l’attaque est liée à un rapport dénonçant un empiètement sur des zones protégées publié par Justicia en Septembre 2021, qui dénonçait entre autres le fait que la propriété de Kabila, la Ferme Espoir, empiétait illégalement sur le parc national de Kundelungu.
« Vu comment ces hommes sont arrivés, à quel point ils étaient en colère, tout le temps pendant lequel ils sont restés sans être dérangés, le fait d’avoir dit qu’ils ne s’étaient pas trompés d’adresse et qu’ils savaient qui ils recherchaient, oui, on peut dire qu’il doit y avoir un lien, » explique l’homme de loi. « Peut-être que quelqu’un veut me punir pour avoir, selon eux, humilié Kabila pendant la procédure judiciaire. »
Avant l’audition en diffamation du 10 janvier (ajournée pendant deux semaines), Justicia avait reçu de nombreux messages sur Whatsapp, venant de numéros inconnus, accusant l’ONG de s’en prendre aux intérêts de la population locale du Katanga en critiquant la Ferme Espoir. « Nous n’aurions jamais pensé qu’une journée après l’audition il serait soumis à une attaque de cette envergure, » raconte Jonas Mulumba, l’un des collègues de Timothée Mbuya chez Justicia.
C’est lui qui a aidé l’avocat à déclarer l’attaque du 12 janvier au procureur militaire de Lubumbashi et à déposer une demande de protection. Il lui a été répondu qu’il devrait payer 100 dollars par jour et pour chaque officier de police attaché à sa protection, une somme prohibitive en RDC, où les trois quarts de la population vivent avec moins de 1,90 USD par jour.
Les avocats de la Ferme Espoir n’ont pas répondu à nos multiples demandes de commentaires pour Mongabay.
Un climat hostile pour les activistes
Justicia n’est pas la seule organisation à avoir protesté contre les activités de la Ferme Espoir au Kundelungu.
« Nous avons été nombreux à tirer le signal d’alarme à propos de l’accaparement des terres du parc national de Kundelungu, » a déclaré à Mongabay Rams Wasolela, coordinateur du mouvement citoyen La Voix du Peuple.
En mai 2020, Rams Wasolela a été enlevé par trois individus, encore non identifiés à ce jour. Sa disparition a eu lieu après qu’il ait publié une série d’articles sur les réseaux sociaux dans lesquels il déplorait les conditions de sécurité à Lubumbashi et appelait les habitants à manifester contre cette situation. L’activiste a été détenu quatre jours pendant lesquels il a été battu et affamé avant d’être forcé à manger une nourriture mélangée à une substance inconnue. « Je n’ai toujours pas guéri totalement de cet empoisonnement, » conclut-il.
Aucune arrestation n’a eu lieu à la suite de son enlèvement. Selon Rams Wasolela, la situation reste tendue pour toute personne qui se risque à dénoncer d’éventuels abus de pouvoir. « Le climat dans lequel nous opérons est toujours aussi précaire. Nous n’avons pas le droit à la parole. Si vous critiquez ceux qui sont au pouvoir, ou si vous vous exprimez contre la gestion de ce pouvoir, dénoncez les traitements que subissent les militants des droits humains ou exprimez votre opposition, on vous poursuit et on vous menace de mort. L’activisme n’est pas un crime. »
Jean-François Mombia Atuku, président du RIAO RDC, un réseau d’organisations de défense de l’environnement et des droits humains qui rassemble plusieurs dizaines d’ONG et d’associations agricoles dans le pays, est revenu en RDC en octobre 2020, après huit ans en exil. En juin 2021, il a été convoqué par la Haute Cour de Kinshasa, accusé de diverses « infractions » sans autres précisions. Aucun plaignant n’était désigné sur l’assignation, qui a coïncidé avec ses tentatives de sensibilisation du public à la pollution industrielle du fleuve Aruwimi dans le nord-est du pays.
Jean-François Mombia a déclaré que des intérêts commerciaux et politiques utilisaient le système judiciaire pour harceler les défenseurs de l’environnement et des droits humains. « Aujourd’hui, avec le regard de la communauté internationale qui commence à peser sur la RDC, ils en sont arrivés à utiliser les tribunaux pour harceler les gens,» explique-t-il.
Implications du cas de Kundelungu
Le rapport de Justicia accuse la Ferme Espoir de clôturer illégalement des terres au-delà de ses limites, accaparant ainsi une zone du parc national de Kundelungu, avec toute la faune qu’elle contient. Le rapport de l’ONG a mis en lumière les conséquences de l’exploitation par les villageois à des fins de subsistance de « vastes zones appartenant au parc national », les chefs des villages affirmant qu’ils ne connaissent pas les limites de Kundelungu, et il a prévenu de la menace que représente le projet d’un barrage hydroélectrique dans le parc national de Upemba qui se trouve dans la même région.
La ferme en question, qui produit du maïs et des volailles, couvre au moins 700 hectares. La société possède et exploite plusieurs grandes fermes dans le pays et se trouve être l’un des plus gros acteurs du secteur agricole en RDC. Le Président Kabila, qui a été au pouvoir de 2001 à 2019, aurait une participation de 80 % au sein de cette société, le reste appartenant à son fils et à sa fille.
Une commission présidée par Albert Massi Bamba, le général qui commande le corps responsable de la sécurité dans les parcs nationaux et réserves apparentées (CorPPN), a visité l’exploitation du Katanga en octobre dernier afin d’évaluer « les pressions anthropiques sur le parc national de Kundelungu et la situation en lien avec la présence de la Ferme Espoir… et pour vérifier toute invasion ou empiètement éventuels ».
Le rapport du général, consulté par Mongabay, n’établit pas clairement si la ferme empiète effectivement sur les terres du parc national. Mais un officiel du gouvernement qui a tenu à rester anonyme, n’étant pas autorisé à parler aux médias, a déclaré à Mongabay qu’il y avait « pour le moins un chevauchement avec les terrains de chasse annexés, ce qui en soi est problématique ».
Bien que ne faisant pas partie du territoire du parc en lui-même, les terrains de chasse sont également une zone protégée qui relève de l’ICCN, l’Institut congolais pour la conservation de la nature. Mongabay a appris qu’une seconde délégation doit visiter la parc national de Kundelungu et la Ferme Espoir en février afin de déterminer l’emplacement précis de la ferme par rapport aux zones protégées. L’ONG Société civile environnementale et agrorurale du Congo (Socearuco) a également pris position contre la pression anthropique sur le Kundelungu. Son président, Josué Aruna, a suivi de près les événements de la semaine passée. Il a déclaré que les avocats de la ferme auraient dû poursuivre en justice tous les critiques de la Ferme Espoir, pas seulement Mbuya et Justicia.
« Nous travaillons tous ensemble pour veiller à ce que ce pays ait un comportement responsable en matière d’environnement, » a-t-il dit.
« Nombreux sont ceux qui parmi nous ont interprété ces événements (le procès en diffamation et l’agression au domicile de Timothée Mbuya) comme une tentative de faire peur aux militants de l’environnement pour les soumettre et les réduire au silence », a expliqué Josué Aruna à Mongabay.
« Nous ne pouvons pas prétendre être un pays de solutions contre le changement climatique tout en permettant la confiscation permanente de zones protégées, ce qui est un problème omniprésent en RDC, que ce soit par des acteurs nationaux ou étrangers », a-t-il continué. « Si les tribunaux jugent en faveur de la Ferme Espoir, nous n’aurons pas d’autre choix que de considérer que toutes les zones légalement protégées pourront ainsi être soumises aux mêmes abus. »
Josué Aruna a décrit l’agression au domicile de Mbuya comme une « réaction instinctive » issue d’un sentiment de frustration. « Dans le cas de la Ferme Espoir, l’audition du 10 janvier a mis la ferme en difficulté du point de vue judiciaire en exposant une faiblesse, et les partisans de la ferme ont trouvé un autre moyen de montrer leur force. »
Depuis le lieu où il s’est réfugié, Timothée Mbuya a déclaré que, même si l’agression lui a fait craindre pour la sécurité de sa famille, il ne comptait pas se laisser réduire au silence : « Il est impératif que nous réagissions de manière adéquate et que la justice suive son cours. Sinon, d’autres activistes seront découragés de manifester leur opposition, non seulement ici à Lubumbashi, mais dans tout le pays. »
L’avocat a lancé un appel à ses collègues pour qu’ils tirent force et fierté de l’incident. « C’est la preuve que ce que nous faisons est efficace, » ajoute-t-il, « et que nous attaquons ces gens exactement là où il faut. »
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/01/attack-on-environmental-lawyers-home-alarms-drc-rights-defenders/