- Dans le sud-est du Cameroun, les politiques de zonage et de sédentarisation ont poussé le peuple autochtone Baka à abandonner peu à peu son mode de vie de chasseur-cueilleur dans la forêt tropicale. Ils ont alors dû se tourner vers l’agriculture et la pêche afin de garantir sa sécurité alimentaire.
- La communauté dépend fortement de diverses sources de nourriture dans et hors de la forêt. Leur régime alimentaire comprend environ 60 espèces animales, 83 espèces sauvages comestibles, six espèces de poissons, 32 cultures différentes et 28 variétés de plantain.
- Selon Yon Fernández-de-Larrinoa, chef de l’Unité Peuples autochtones de la FAO, le mode de vie durable des Baka devrait être pris en compte par le gouvernement lors de l’application de politiques qui remettent en question la résilience du système alimentaire du groupe.
- Cet article est le premier d’une série en huit parties présentant les systèmes alimentaires indigènes abordés dans le rapport le plus complet de la FAO à ce jour.
À Gribé, un village situé dans le sud-est du Cameroun, la communauté Baka « Dimgba » fait partie des dizaines de groupes de chasseurs-cueilleurs du bassin du Congo qui diversifient leurs sources alimentaires pour maintenir un mode de vie autonome et durable.
Les Baka, communément appelés « peuple de la forêt », vivent dans les forêts sempervirentes et semi-décidues du Cameroun depuis plus de 4 000 ans. Dans cette forêt tropicale se trouvent près de 831 espèces de plantes, dont la moabi (Baillonella toxisperma), un arbre très apprécié pour son huile, et plus de 50 espèces de mammifères selon les estimations.
Le groupe Dimgba dépendait fortement de la forêt et de ses ressources pour maintenir sa subsistance.
Cependant, après la Première Guerre mondiale, le gouvernement français a mis en place une politique de zonage qui a forcé les peuples autochtones, dont les Baka des forêts tropicales du Cameroun, à résider dans des villages le long de la route. La promotion de cette politique s’est poursuivie après la déclaration d’indépendance du pays, contraignant les Baka à renoncer lentement à leur mode de vie nomade.
« Bien qu’ils soient conscients de leurs droits collectifs sur les ressources forestières, [les Baka] sont désormais limités par une politique de zonage qui établit des aires de chasse, de cueillette et de pêche », explique un rapport de l’ONU sur le système alimentaire des Baka.
Plus tard dans les années 1990, le gouvernement camerounais a mis en place une politique de zonage qui a contribué à la lente transition des Baka d’un mode de vie nomade à un autre, qualifié de post-cueilleur.
La forêt pluviale a ainsi été divisée en forêt non permanente et forêt permanente, la première constituant une zone agroforestière de trois kilomètres de chaque côté de la route qui traverse Gribé. La zone forestière permanente a été transformée en zones protégées ou a fait l’objet de concessions pour l’exploitation du bois.
L’agriculture est autorisée uniquement dans la zone agroforestière, tandis que la pêche, la chasse et la cueillette sont permises dans les deux types de zones. Dans les aires protégées, la chasse est totalement interdite, mais la collecte de produits forestiers non ligneux est autorisée si elle est incluse dans le plan de gestion.
Aujourd’hui, les Baka pratiquent de plus en plus l’agriculture itinérante, l’agroforesterie, la vente et l’achat occasionnel de produits alimentaires au marché et le travail salarié pour les Bantous, un autre groupe autochtone vivant à Gribé.
Ils ont néanmoins réussi à maintenir un système alimentaire majoritairement basé sur les ressources de la forêt. Selon un rapport de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de l’ONU, 81 % de leur alimentation provient de la chasse, de la cueillette et de la pêche. Ce nouveau rapport scientifique fournit le compte rendu le plus détaillé et le plus complet à ce jour des systèmes alimentaires durables des peuples indigènes du monde entier.
Lors d’un entretien avec Mongabay, Yon Fernández-de-Larrinoa, qui dirige l’Unité Peuples autochtones de la FAO, a déclaré que le système alimentaire des Baka prouve que les communautés autochtones sont les meilleurs protecteurs de la biodiversité. Leur système alimentaire a toutefois commencé à changer il y a de cela des années et cette transformation va se poursuivre.
La diversification des sources alimentaires
Le peuple Baka s’approvisionne auprès de 12 groupes alimentaires, dont sept proviennent de l’agriculture, et huit de la forêt, permettant de varier leur régime.
Selon le rapport de la FAO, ils dépendent d’environ 60 espèces animales, de plus de 83 espèces sauvages comestibles, d’au moins 6 espèces communes de poissons et de 32 espèces végétales cultivées. Ils sont connus pour cultiver une diversité raisonnable de cultigènes et de cultivars. C’est notamment le cas pour le plantain (28 variétés) et le manioc (18 variétés).
Tout au long de l’année, les Dimgba de Gribé entreprennent des activités de génération et de production de nourriture dans le village et la forêt. Par exemple, les ressources alimentaires sont plus rares pendant la saison sèche de Gribé, car le terrain dur rend difficile la plantation de cultures ou la mise en place de pièges pour capturer les animaux sauvages. C’est en revanche la période idéale pour défricher des terres pour leurs activités agricoles artisanales. Cependant, avant de s’engager dans cette activité, plusieurs facteurs sont pris en compte, notamment la qualité du sol, la croissance des cultures et la végétation forestière.
Selon le rapport, le groupe évite de cultiver dans les zones où l’on trouve des mèndì (Sclerocroton cornutus), car ils répandent une toxine dans le sol qui empêche la croissance des autres plantes. Au contraire, les endroits où pousse l’ayous (Triplochiton scleroxylon), qu’ils appellent gbado, sont considérés comme bons pour la culture. Après la première année de culture, les Baka seront capables de déterminer la fertilité du terrain en fonction du temps que la culture met à se faner.
Si le sol est jugé suffisamment productif, la culture se développera et les Baka travailleront cette parcelle pendant trois ans avant de l’abandonner pour lui permettre de se régénérer. Toutefois, si les plantes se flétrissent rapidement au cours de cette première année, ils renonceront à exploiter le terrain et chercheront un sol plus fertile.
Pendant que les terres sont défrichées, les Baka se déplacent dans la forêt en petits groupes de foyers et établissent des camps forestiers, appelés bala, pour récolter les ignames sauvages annuelles comme le sapà (Dioscorea praehensilis). Les deux espèces d’ignames constituent un pourcentage important de l’alimentation de la communauté pendant la saison sèche, car c’est la seule période de l’année où l’on peut les trouver en abondance, réparties en parcelles dans la forêt.
« Les déplacements fréquents entre la forêt et le village et la possibilité de passer d’une activité de recherche de nourriture à une activité agricole contribuent grandement à la sécurité alimentaire des Baka », indique le rapport.
Au fil des saisons
Lors de leur expédition de récolte d’ignames, les Baka pratiquent également la pêche de subsistance. La grande et la petite saison sèche sont des périodes idéales, car la baisse du niveau d’eau de la rivière facilite la mise en œuvre de la pêche au barrage.
Ils amassent des arbres qui sont tombés et de la terre qu’ils disposent de manière à bloquer le flux de la rivière et ainsi créer des déversoirs, construits à intervalles d’environ dix mètres les uns des autres. De larges feuilles sont utilisées pour ratisser l’eau qui s’accumule et, à mesure que le niveau diminue, les poissons tels que les carpes, les poissons-chats, les crevettes, les crabes et les têtards sont capturés à la main.
Le groupe s’assure de retourner à Gribé avant la fin de la saison sèche afin d’être employé pour défricher les terres agricoles des Bantous. Les salaires ainsi gagnés sont dépensés pour acheter des produits agricoles manufacturés pour la saison des pluies à venir. Ils échangent également de la nourriture avec les Bantous pour garantir la sécurité alimentaire.
Une fois les champs défrichés, les Baka attendent le début de la petite saison des pluies pour commencer à planter des cultures telles que le plantain, la banane, le taro, la patate douce, les ignames domestiques et le manioc. Après avoir travaillé dans les champs pour la journée, un groupe se rend de nouveau dans la forêt. Cette fois, c’est pour cueillir des espèces végétales sauvages comestibles. La plus populaire est une plante herbacée (Aframomum spp.) qui est consommée et utilisée pour traiter des maladies courantes comme les maux de gorge, la diarrhée et les douleurs physiques.
Le groupe Dimgba alterne entre la vie au village et dans la forêt tout au long de la saison jusqu’à ce que le retour de la petite saison sèche sonne l’heure de la récolte dans les champs. À ce stade, la forêt est utilisée pour des activités mineures de chasse, de pêche et de cueillette pour compléter leurs repas abondants.
Parmi les aliments qu’ils trouvent dans la forêt, il y a les incontournables noix de pékié (Irvingia gabonensis), des sortes de mangues sauvages, qu’ils vendent pour gagner de l’argent ou préparer des sauces. Les femmes, généralement accompagnées de leurs enfants, partent à la recherche de plantes comestibles telles que les champignons et les feuilles d’okok (Gnetum africanum). Ces dernières sont sélectionnées à partir de la vigne persistante de la plante et ajoutées à des soupes ou utilisées comme remède pour les maux de gorge et les nausées.
« Les utilisations de la forêt par les Baka n’entravent pas la dynamique de régénération naturelle et peuvent même contribuer à une augmentation de la disponibilité de plantes utiles », explique l’auteur du rapport. « La perturbation à petite échelle de la végétation par la récolte du miel et la construction de camps forestiers facilite également la régénération et la dispersion des plantes utiles exigeant de la lumière et crée incidemment des niches favorables à la faune. »
L’évolution de l’environnement met la résilience à l’épreuve
Bien que les Baka parviennent à maintenir leur sécurité alimentaire, l’accès de plus en plus restreint à la forêt menace les connaissances traditionnelles du groupe et la résilience de leur système alimentaire.
« La relation avec la forêt et leurs voisins offre une bonne résilience au système alimentaire des Baka et une grande souplesse face aux changements environnementaux qui affectent leurs moyens de subsistance quotidiens », indique le rapport. « Cependant, les tentatives d’adaptation des Baka à l’environnement changeant ne résolvent pas tous les problèmes. »
Selon les auteurs du rapport, l’accès limité à la forêt est un facteur compromettant sérieusement la sécurité alimentaire des Baka de Gribé. L’exploitation forestière, l’intensification du commerce de la viande de brousse, la chasse sportive, les aires protégées et la politique de zonage du gouvernement sont des facteurs de changement cumulatifs qui remettent constamment en question la résilience du système alimentaire de ce peuple.
« [Ces activités] génèrent des tensions, car elles réduisent drastiquement l’accès aux ressources forestières, qui sont d’une importance primordiale, surtout pendant la grande saison sèche », affirment les auteurs du rapport.
L’accès restreint à la forêt empêche également les expéditions à long terme et, par conséquent, limite la contribution des tubercules d’igname sauvage à l’alimentation des Baka.
La coupe abusive de certains arbres, dont les sapélé (Entandrophragma cylindricum), a entraîné un déclin des populations de chenilles comestibles et, plus généralement, de toutes les espèces animales depuis le début des années 2000.
« Cette préoccupation, connue sous le nom de crise de la viande de brousse, a conduit au syndrome de la forêt vide », indique le rapport.
Toutefois, les Baka de Dimgba estiment que la biodiversité locale n’est pour l’instant pas gravement menacée et que la faune a encore la capacité de se remettre d’une chasse excessive. En pratique, lorsque les Baka perçoivent une diminution des captures de gibier, ils retirent leurs pièges. Selon le rapport, en limitant leurs activités de piégeage, les Baka pourraient faciliter le rétablissement des populations de certaines espèces de mammifères, par exemple le céphalophe bleu (Philantomba monticola), qui est la proie la plus importante.
Par conséquent, les Baka ne s’attendent pas à ce que leurs moyens de subsistance changent radicalement dans les années à venir. Ils sont néanmoins conscients qu’ils ne dépendent plus autant de la forêt pour leur alimentation. En cause : leur dépendance accrue vis-à-vis des revenus monétaires et des produits alimentaires manufacturés. Cela pourrait, selon eux, entraîner la disparition des savoirs et savoir-faire traditionnels.
Les connaissances liées à la chasse et à la cueillette risquent de ne plus être transmises, amenant de nombreuses femmes à craindre que la perte des savoirs relatifs à l’utilisation des plantes forestières ait un impact sur leur médecine traditionnelle.
Selon Y. Fernández de la FAO, les gouvernements nationaux doivent reconnaître que certaines politiques peuvent avoir des effets négatifs sur les peuples autochtones. Les politiques de zonage et de sédentarisation remettent toujours en question la résilience du système alimentaire des Baka. Au cours des trois dernières décennies, le régime alimentaire de la communauté a considérablement changé.
Aujourd’hui, afin de maintenir sa sécurité alimentaire, le groupe est obligé de continuer à adapter son système alimentaire aux bouleversements qui se produisent autour de lui.
Photographie de bannière : Des Bala cueillent des champignons dans le sud-est du Cameroun. Photographie reproduite avec l’autorisation de M. Hirai/Université de Kyoto via Flickr.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/02/indigenous-hunter-gatherers-in-cameroon-diversify-food-sources-in-the-face-of-change/