Nouvelles de l'environnement

Forêts communautaires : le project Miombo tente de répondre aux expropriations en RDC

  • Les paysans du village Kinandu au Sud de la République Démocratique du Congo s’organisent en communautés forestières autour de Lubumbashi alors que la région assiste à une vraie course à la terre.
  • Entre la peur de perdre des terres sur lesquelles plusieurs sont nés et ont grandi, et une prise de conscience des enjeux environnementaux, la forêt claire de Miombo semble trouver sa chance de restauration.
  • Par contre, cette restauration se produira à condition d’organiser des moyens de substitution pour les acteurs appelés à changer de mode de production des biens essentiels.
  • Selon Jonathan Ilunga, professeur à la faculté d’agronomie et directeur adjoint de l’Observatoire Urbain des Forêts Claires, lorsque le projet de foresterie communautaire s’arrête en juillet 2022, il va falloir que le gouvernement prenne le relai après la FAO et continue d’encadrer les communautés.

KINANDU, République Démocratique du Congo — Dans la savane boisée, en lambeaux sous l’effet d’une demande chaque année croissante de charbon de bois par la ville de Lubumbashi, un petit groupe d’habitants du village Kinandu, à 19 km à l’Ouest de Lubumbashi, s’éloigne de la localité. Le sentier qu’ils empruntent les conduits jusqu’à une sorte de clairière, mais qui n’est en réalité qu’un espace entouré d’un léger tas d’arbres témoins d’un paysage forestier qui recule. Ils attendent leur tour d’être abattus, et carbonisés ou, aux fins d’agriculture. Aux pieds de ces arbres, des herbes envahissent une pépinière.

L’équipe conduit un invité spécial, Moïse Kiwele. Il est chargé de sensibilisation pour la mise en œuvre des forêts communautaires au sein de l’ONG Action pour la Protection de la Nature et des Peuples Autochtones du Katanga (APRONAPAKAT). Sa visite à la pépinière, avant la formation qu’il vient animer, tombe au bon moment. Les herbes envahissent la pépinière. Tout le monde se met tout de suite à nettoyer les plantules.

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Nettoyage d’une pépinière. Image de Didier Makal.

« Cette terre prend beaucoup d’eau », explique Marie Kayakez, secrétaire de la Concession forestière des communautés locales de Kinandu, en arrachant les herbes. Elle compte parmi les habitants de Kinandu venus souvent arroser les plantes.

La pluie régulière n’est tombée que vers la mi-décembre en 2021. Durant la longue période sèche qui l’a précédée, depuis avril-mail, la zone a enregistré de nombreux feux de brousse. Ceux-ci constituent un véritable danger à la protection des plantes mises en terre en guise de reforestation. Si la technique de feux précoces est utilisée pour séparer les plantations des herbes alentours, il arrive qu’au cours de grands feux, certaines plantes ne résistent pas.

En juin 2021, une agricultrice a perdu sa plantation de manioc (Manihot esculenta), ravagée par le feu de brousse. Le comble de malheure c’est que les victimes ne peuvent espérer une intervention des pompiers. Le service reste quasiment mourant à Lubumbashi, sous-formés et sous équipé.

Des communautés forestières pour se prémunir des accaparements

Depuis le début de la décennie, le couvert forestier recule autour de la ville de Lubumbashi. La région subit une déforestation continue sous une double pression de la demande de bois-énergie et charbon de bois surtout, et une agriculture itinérante qui voit aussi augmenter une vague de mécanisation. Les deux connaissent, depuis 2006, une expansion rapide depuis l’explosion démographique suscitée par le boom minier de la roche en cuivre et cobalt qui attire vers la région du Katanga de nombreuses populations congolaises, et étrangères.

La pression démographique agit alors sur les forêts, amplifiée par un taux d’accès à l’électricité de moins de 10%. En même temps, cette démographie galopante induit une forte demande des terres agricoles, voire une course à la terre. Pour Jean-Pierre Djibu, climatologue et observateur des forêts de miombo depuis plusieurs années, ce qui se passe est un accaparement des terres.

Et la résolution des différends prend parfois beaucoup de temps, à l’instar des villages Kipili et Kintu, sur la route Likasi. Forcés à une délocalisation sans indemnisation comme souhaité, ils ont fini par rester sur les terres de leurs aïeux, à côté des carrières cuivre et de cobalt.

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« Il nous arrive que quelqu’un débarque de Lubumbashi avec des documents dûment signés, et revendiquer une portion de terre. Nous qui vivons ici, sommes toujours perdants », s’inquiète Marie Kayakez.

Sa collègue Rose Yumba explique que son village a décidé de s’engager dans le projet Miombo pour se prémunir des pertes.

« Il n’y a plus assez de terre. On est surpris de voir les gens prendre de grandes concessions, et nous originaires du village on n’a rien. Après l’avoir appris du village Kikonke, plus proche, nous avons décidé nous aussi de nous engager », assure-t-elle.

Le projet Miombo, du nom d’une espèce d’arbre (genre Brachystegia) très présente dans la forêt claire du Sud-Est de la RDC, est dans sa phase expérimentale depuis plus de 5 ans dans la province du Haut-Katanga dont Lubumbashi en est la capitale.

En 2021, 20 localités ont obtenu des autorités de la province, les documents dûment signés par le gouverneur de province attestant leur propriété. Sauf pour extrême nécessité, conformément à la loi foncière congolaise, ils ne pourront plus en perdre une portion au profit des tiers.

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Jonathan Ilunga, Professeur à la faculté d’agronomie de l’université de Lubumbashi et vice président de l’observatoire des forêts claires de miombo. Image de Didier Makal.

A l’initiative du gouvernement congolais, et mis en œuvre par la FAO et naguère des ONG locales, le projet Miombo procède d’un autre plus vaste, sur les forêts communautaires. L’idée est d’encadrer les paysans afin qu’ils deviennent acteurs de la protection et d’une exploitation durable des forêts et des ressources qu’elles contiennent.

Les paysans apprennent des techniques de régénération des forêts, en plantant des espèces natives et des espèces exotiques utiles en vue d’enrichir la forêt. Ces espèces sont triées selon leur importance : plantes médicinales, plantes à chenilles, bois d’œuvre comme le miombo et le mukula ou bois rouge (Guibourtia coleosperma), qui a connu une ruée entre 2013 et 2018 dans le Haut-Katanga.

« Ici au village, c’est grâce aux forêts que nous avons nos ressources : nous cueillons les champignons, des fruits sauvages, nous abattons du gibie », explique le chef du village Lumbwe Kyabula Jean. « Tout cela, nous le vendons et avec l’argent obtenu, nous payons la scolarité des enfants et menons d’autres petites activités. C’est cela qui nous a poussés à nous mobiliser pour demander au gouvernement notre propre concession pour éviter d’arriver à ces difficultés-là », conclut-il.

Les pertes des terres, pour des villages entiers, ont bouleversé la conception et la relation des paysans à la terre et aux terres de leurs ancêtres. Ils savent désormais que, être nés sur une terre ne suffit plus. Il faut en avoir des droits inaliénables par un tiers, attestés par le cadastre, commente le chef Lumbwe Kyabula.

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Nettoyage d’une pépinière. Image de Didier Makal.

Vivre la peur au ventre

Si la peur de se retrouver hors de chez soi mobilise les paysans en faveur de la foresterie communautaire, les défis restent parfois entiers dans tout ce concept qui s’expérimente autour de Lubumbashi.

Les paysans ont conscience que plusieurs parmi eux ne verront peut-être pas renaître la forêt qu’ils ont contribué à détruire et qu’ils sont aujourd’hui appelés à restaurer. Il faut 20 ans, voire plus, pour que les jeunes plantes sorties des pépinières deviennent des arbres exploitables. Le projet peut ainsi vite lasser et sembler improductif pour certains.

Ensuite, les paysans s’occupent des forêts de leurs communautés non pas comme activité primordiale pour laquelle ils attendent des bénéfices immédiats, mais comme une activité secondaire. Puisqu’ils doivent cultiver leurs propres champs et s’occuper d’autres urgences en même temps. Cette situation de double occupation comporte un risque pour le suivi des activités de reforestation.

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Habitantes de Kinandu sur un site de fabrication de charbon de bois. Image de Didier Makal.

Il faut, en plus, des alternatives à la baisse de revenus que va causer la réduction des activités de carbonisations. Elle donne de l’argent rapide, mieux que les récoltes agricoles. Faute de substitution sérieuse, le renversement de la tendance actuelle pourrait être compliqué.

Pour le climatologue Jean-Pierre Djibu, les forêts communautaires ne peuvent pas être l’unique solution à la dégradation des forêts et à l’accaparement des terres auxquels font face les paysans. « Il faut qu’il y ait d’autres solutions. Il faut passer par le savoir-faire local. Les paysans ont déjà leur savoir-faire : il faut les utiliser », insiste-t-il.

Or, fait-il remarquer, ce savoir-faire traditionnel des populations très attachées à la terre a été fragilisé en RDC. La loi foncière congolaise proclame propriétés exclusives de l’Etat congolais, les sols et sous-sols. Il s’agit de ce qu’on appelle « la loi Bakajika », du nom de son initiateur.

« On exproprie ceux qui avaient la terre. Et cette fois-ci, on leur donne des concessions afin de leur faciliter l’exploitation », explique l’universitaire Jean-Pierre Djibu.

Le piège avec cette loi, c’est que les titres fonciers que les villages acquièrent ne garantissent rien non plus. Puisque l’Etat peut décider de les exproprier encore s’il y découvre des richesses minières exploitables, par exemple.

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Homme en train de récolter le charbon de bois après carbonisation à Kinandu. Image de Didier Makal.

Pour le Jonathan Ilunga Muledi, professeur à la faculté d’agronomie et directeur adjoint de l’Observatoire urbain des forêts claires, ce problème vient d’une interprétation erronée du code minier. Souvent, les décideurs ont donné primauté au code minier sur le code forestier.

Mais aujourd’hui, ce conflit a été résolu par la réforme du code minier qui a intégré davantage de principes de prévention des écosystèmes.

Encadrer les paysans et prévenir les moteurs de la déforestation

Au village Kinandu, comme dans tous les autres de la chefferie de Kaponda, les habitants vivent de l’agriculture itinérante sur brûlis. Dans la perspective des cultures d’autosuffisance alimentaire, la pression sur la forêt est moindre à l’échelle individuelle. Mais prises dans l’ensemble, ces activités ont un réel impact sur la destruction des forêts.

Une étude paru dans la revue belge Tropicultura (2017) classe dans l’ordre suivant les causes de régression de la végétation miombo autour de la ville de Lubumbashi : « le développement agricole, la production de charbon de bois, l’expansion de la ville et les activités minières. »

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La déforestation à but agricole prend de plus en plus d_importance. Cette image montre un arbre abattu, tombé sur un champ. Image de Didier Makal.

Les modes de production traditionnels, dans plusieurs villages de la région, changent constamment sous l’influence des villes. La culture commerciale de maïs et des légumineuses comme les haricots, par exemple, demande de vastes étendues de terres. Pour nourrir un peu plus de la moitié des 4.6 millions de la population de la province qui vivent dans les villes, la province du Haut-Katanga appelle depuis 5 ans, à augmenter la part des productions locales de maïs.

Depuis, des productions à l’échelle industrielle s’organisent. Et c’est grâce à elle, et au soutien aux petits agriculteurs par les autorités locales, qui a permis d’augmenter la part des productions locales.

Celles-ci devraient avoir dépassé les 200.000 tonnes depuis deux années, selon les autorités. Il faut chaque année quelques 800.000 tonnes de maïs, pour maintenir l’équilibre au niveau de la consommation. La région dépend, en tout cela, des importations d’Afrique australe. Cette mobilisation implique une croissance de la déforestation en faveur des terres agricoles, dans cette zone de savane boisée.

Par ailleurs, en l’absence de nouvelles sources d’énergie pour tous, la consommation globale en bois-énergie continue de grimper. À ce jour, cette consommation est estimée à 2,87 millions de tonnes d’équivalent bois pour une population estimée à 2,281 millions d’habitants à Lubumbashi. C’est ce qu’indique l’enquête « Programme de consommation durable et substitution partielle au bois-énergie » (septembre 2021) réalisée par Cirad (Centre de coopération International en Recherche Agronomique pour le Développement) pour l’Initiative pour les Forêts d’Afrique Centrale (CAFI).

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Sacs de charbons de bon à coûté d’une meule artisanale de charbon de bois. Image de Didier Makal.

La reconstitution du paysage dégradé ainsi que la sauvegarde de ce qu’il en reste s’avère laborieuse. Si à ce jour, 20 des 30 communautés forestières constituées ont acquis leurs actes de propriété, tenir longtemps les tâches qui vont avec la foresterie communautaire n’ira peut-être pas de soi.

« Il faut une responsabilisation, un civisme écologique et que les gens arrivent à comprendre que nous devrions prendre nos responsabilités pour la gestion de nos forêts afin de garantir l’avenir de nos générations », propose Jean-Pierre Djibu.

Au 31 juillet 2022, le projet de foresterie communautaire va s’arrêter, indique le professeur Jonathan Ilunga. Il va falloir prendre le relai et continuer d’encadrer les communautés. Et c’est un rôle que l’Etat peut jouer, selon lui.

Le danger, dit Ilunga, c’est de voir le gouvernement ne pas prendre le relai après la FAO.

Par ailleurs, la bonne nouvelle dans cette démarche, c’est que si à 2 ou 5 ans seulement après le démarrage l’engouement semble entier, c’est qu’avec l’éducation à l’écologie, des communautés entières peuvent s’engager dans des projets d’avenir tant que ceux-ci ont du sens pour eux. C’est cela qui peut bien être observé à Kinandu, à Kaputula ou encore à Shonongo, des villages que nous avons pu visiter depuis le début du projet Miombo.

 

Image mise en avant : Nettoyage d’une pépinière. Image de Didier Makal.

En savoir plus avec le podcast de Mongabay (en anglais) : Entretien avec Anuradha Mittal, directrice générale de l’Oakland Institute, et Christian-Geraud Neema Byamungu, chercheur congolais, sur l’impact de l’extraction des ressources sur les droits de l’homme et l’environnement en République démocratique du Congo.

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