Nouvelles de l'environnement

Étude : de minuscules particules de plastique s’accumulent dans les eaux d’amont des rivières

  • Les chercheurs ont modélisé le parcours des microplastiques rejetés par les effluents des stations d'épuration dans des rivières de tailles et de débits différents, en se concentrant sur les plus petits fragments de microplastiques, d'une taille inférieure à 100 micromètres (0,004 pouce), soit la largeur d'un cheveu humain.
  • L'étude a révélé que les microplastiques s'accumulaient plus rapidement et restaient plus longtemps dans les cours d'eau à faible débit, souvent situés dans des régions reculées et riches en biodiversité, que dans les tronçons de rivière à débit plus rapide.
  • L'accumulation de microplastiques dans les sédiments pourrait représenter le "plastique manquant" que l'on ne retrouve pas dans les comparaisons entre les niveaux de pollution des cours d'eau et ceux des océans. Les particules piégées peuvent être libérées lors des tempêtes et des inondations, ce qui entraîne un décalage entre la contamination de l'environnement et le rejet dans la mer.
  • Il suffit de quelques heures dans les sédiments des cours d'eau pour que les plastiques se transforment chimiquement et que des microbes se développent à la surface. La plupart des études de toxicité des microplastiques utilisent des plastiques vierges. Ces plastiques transformés par l'environnement représentent donc un risque inconnu pour la biodiversité et la santé.

Selon une étude de modélisation informatique publiée le mois dernier dans Science Advances, de minuscules particules de plastique peuvent résider pendant des années dans les cours d’eau à faible débit.

Les affluents et les rivières coulent de la source à l’estuaire, en passant par des paysages ruraux, urbains et industriels. Ils ont donc de nombreuses occasions d’accumuler des particules de plastique et de les transporter jusqu’à l’océan. Mais nous ne savons pas encore davantage sur ce qui se passe en chemin, sur la durée de ce voyage turbulent et sur ses impacts environnementaux.

« De nombreux processus physiques se produisent dans un cours d’eau », a déclaré Jennifer Drummond, auteure principale et chargée de recherche à l’université de Birmingham, au Royaume-Uni.

Des sacs en plastique jonchent les berges d’une rivière en Europe. Image de Ivan Radic sur VisualHunt.com.

La modélisation du transport des microplastiques qui tient compte uniquement des forces gravitationnelles indique que les très petites particules resteront à flot et seront rapidement transportées vers l’océan. Mais ces particules peuvent également être influencées par la dynamique de l’écoulement à la frontière entre l’eau courante et les sédiments, appelée zone « hyporhéique ». Les particules de plastique peuvent être entraînées de la surface vers le bas par les turbulences. Aussi, de petites variations de pression atmosphérique peuvent forcer l’eau à pénétrer dans les sédiments et y déposer des microplastiques. Ces échanges entre l’eau courante et les sédiments représentent “la pièce manquante du puzzle” aux explications précédentes relatives au transport des microplastiques, a expliqué Drummond.

Les chercheurs ont modélisé le parcours des microplastiques rejetés par le traitement des eaux usées dans des rivières de tailles et de débits différents, en se concentrant sur les plus petits fragments de microplastiques, d’une taille inférieure à 100 μm (0,004 in), soit la largeur d’un cheveu humain. Ces fragments sont plus fortement influencés par les différences de pression atmosphérique entre les eaux de surface et la zone hyporhéique. Ils ont découvert que les processus d’échange hyporhéique, jusqu’ici ignorés, peuvent attirer les microplastiques dans les sédiments à un taux moyen de 5 % par kilomètre (8 % par mile).

“Ce type d’échange n’avait pas été modélisé et pris en compte auparavant et il semble être important”, a affirmé Sherri Mason, directrice du développement durable à la Penn State Erie en Pennsylvanie (États-Unis), qui n’a pas participé à l’étude. Une meilleure compréhension des processus hyporhéiques “nous permet de nous rapprocher d’une meilleure comptabilisation générale de la localisation de l’ensemble des plastiques”, a-t-elle ajouté.

Les particules enfouies dans les sédiments y resteront tant que le débit de la rivière restera relativement faible. La modélisation a démontré que pour un tronçon de rivière de 10 km (6,2 mi), les particules pouvaient passer en moyenne 30 heures dans les sédiments et y rester jusqu’à 3 ans. Les cours d’eau plus lents et les eaux d’amont retiennent plus de microplastiques et pendant plus longtemps. En effet, 8 % des particules de plastique ont pénétré dans les sédiments de ces rivières par kilomètre et le faible débit pouvaient les y maintenir jusqu’à 7 ans. Ces résultats indiquent que les tempêtes et les inondations, qui deviennent plus graves et plus fréquentes en raison du changement climatique, pourraient déclencher la libération de millions de particules de microplastiques accumulées dans les sédiments des rivières.

La taille des microplastiques varie de 5 millimètres (0,2 pouce) à plusieurs dizaines de micromètres. On pensait que les plus petits fragments de moins de 100 μm (0,004 in) traversaient rapidement les rivières jusqu’à la mer en raison de leur flottabilité, mais la modélisation montre que la dynamique de l’eau à petite échelle peut conduire ces particules dans les sédiments et les bloquer pendant de longues périodes. Image de l’université d’État de l’Oregon sur VisualHunt.

Les microplastiques relocalisés peuvent se retrouver sur les plaines inondées lorsque l’eau se retire après une tempête ou être transportés en aval vers l’océan. « Le temps écoulé entre les [inondations] déterminera vraiment la quantité de [plastique] relocalisé par rapport à la quantité qui peut rester et s’accumuler », précise Drummond.

L’équipe a constaté que le taux d’accumulation des microplastiques indiqué dans le modèle correspondait de près à un ensemble de données publiées provenant du Roter Main, en Allemagne. Des carottes de sédiments prélevées en aval d’une station d’épuration en Allemagne contenaient entre 4500 et 30 000 fragments de plastique de moins de 50 µm (0,002 in) de diamètre pour chaque kilogramme de sédiments séchés, ce qui est proche de la prédiction du modèle qui était de 10 000 à 50 000 particules par kilogramme.

« Il s’agit d’une étude importante et complexe qui nous aide à comprendre les processus intervenant dans l’accumulation des microplastiques sur les lits des rivières », a déclaré Jamie Woodward, professeur de géographie physique à l’université de Manchester, au Royaume-Uni. Il a salué le fait que l’étude se concentre sur les microplastiques de moins de 100 µm (0,004 in), expliquant que « les microplastiques les plus fins peuvent représenter le risque écologique le plus grave. »

Les microplastiques ont plusieurs origines ; les bouteilles en plastique et autres emballages qui se dégradent, les fragments de vêtements synthétiques, ainsi que les effluents industriels et les déchets agricoles qui passent par les stations d’épuration ou ruissellent vers les affluents, les rivières et finalement l’océan. Image de Ivan Radic sur Visualhunt.com.

A la recherche du plastique manquant

Les microplastiques retenus dans les sédiments pourraient être à l’origine de ce que l’on appelle le “plastique manquant”, détecté en comparant le taux de rejet de plastique provenant de sources connues et les mesures de la contamination microplastique dans les océans. “Il a été établi qu’une partie de ce plastique manquant se trouve probablement dans les sédiments”, a déclaré Mason, et cette étude confirme que l’échange hyporhéique est un mécanisme qui peut attirer de très petites particules de microplastique dans les sédiments et les y maintenir pendant des heures ou des jours.

Une particule de plastique peut complètement changer au bout de quelques heures dans les sédiments. Des processus chimiques peuvent commencer à la briser en fragments plus petits ou à la convertir en gaz, et elle peut se transformer en nourriture ou habitat pour les organismes vivants. « De nombreux produits chimiques et microbes peuvent se fixer sur ces particules de plastique », explique Drummond, et plus la particule est petite, plus la surface sur laquelle les microbes et les produits chimiques s’attachent est grande.

Pour les insectes et les poissons qui vivent dans et autour des rivières, les particules de plastique imprégnées de microbes et de produits chimiques peuvent ressembler à un délicieux en-cas. « Le lit d’une rivière est une partie essentielle de l’écosystème fluvial où de nombreuses espèces vivent, se nourrissent et se reproduisent », souligne Woodward. « Si le lit de la rivière est contaminé par des microplastiques, il y a de fortes chances que certaines de ces particules de microplastique entrent dans la chaîne alimentaire. »

Le Roter Main, dans le sud de l’Allemagne, est un affluent important du Rhin. Des carottes de sédiments prélevées en aval d’une station d’épuration contiennent entre 4500 et 30 000 fragments de microplastique par kilogramme, ce qui est proche des prédictions du modèle de la présente étude. Image du Domaine public par GertGrer sur Wikimédia.
Les stations d’épuration, telle que celle-ci à Moscou, en Russie, sont une source majeure de pollution par les microplastiques qui se déversent dans les rivières car de nombreuses particules sont trop petites pour être filtrées. Les chercheurs ont modélisé le parcours des particules microplastiques provenant de ces sources infinies pour comprendre comment la dynamique de l’eau à petite échelle affectait le mouvement des microparticules. Image de A.Savin sur Wikimédia Commons.

Mais l’ampleur de l’impact sur la faune et la flore ou sur l’homme est encore inconnue. La plupart de nos connaissances sur la façon dont les microplastiques agissent sur les organismes vivants provient d’études en laboratoire sur du plastique vierge n’ayant pas subi ces modifications chimiques et biologiques. « Lorsqu’elles atteignent l’océan, [les particules de plastique] ont changé », a déclaré Drummond, et « ce sont ces plastiques transformés par l’environnement » qui s’attardent dans les écosystèmes d’eau douce et finissent par être transportés vers l’océan, présentant un risque inconnu pour la biodiversité marine et d’eau douce.

Les eaux d’amont se situent souvent dans des régions reculées et riches en biodiversité, mais leurs eaux à faible débit sont plus susceptibles de conduire les microplastiques dans les sédiments et de les y conserver plus longtemps. Cela signifie que « ces particules ont plus de temps pour s’intégrer dans la matrice environnementale », explique Drummond, ce qui peut entraîner des répercussions sur l’ensemble de la chaîne alimentaire.

« La qualité de l’environnement du lit de la rivière a un impact sur l’ensemble de l’écosystème fluvial », a noté Woodward. « Au plus ces particules sont maintenues dans cet environnement, au plus le risque s’accroît. »

Les plastiques peuvent prendre des centaines d’années pour se dégrader complètement. Les Nations unies se réunissent ce mois-ci pour entamer l’élaboration d’un traité mondial sur les déchets plastiques. Ivan Radic sur Visualhunt.com.

Une limite planétaire franchie à cause de la pollution plastique

A l’échelle mondiale, notre utilisation et notre élimination laxistes des plastiques ont désormais dépassé les niveaux de sécurité. La limite planétaire de la pollution chimique a donc été franchie et le système de survie de la Terre a pris un nouveau cours vers un état moins habitable.

De plus, on suppose que le dépassement d’une limite planétaire peut en déstabiliser une autre, telle une ligne de dominos qui tombent. L’intensification du changement climatique, une limite planétaire déjà franchie, s’accompagne de phénomènes météorologiques extrêmes plus graves et plus fréquents, qui pourraient avoir des effets considérables sur le transport et la rétention des microplastiques dans les rivières. Des sécheresses plus intenses et plus fréquentes réduiront le débit des cours d’eau, laissant davantage de particules microplastiques dans les sédiments où ils pourront se frayer un chemin dans la chaîne alimentaire, avec des conséquences potentielles imprévues pour la limite planétaire de la biodiversité. À l’inverse, des tempêtes et des inondations de plus en plus fréquentes et sévères peuvent relocaliser ces fragments piégés, ainsi que l’ensemble des microbes ou produits chimiques fixés à leur surface, et leur permettre d’être transportés vers l’océan, où ils peuvent avoir un impact sur la vie marine.

Les microplastiques piégés dans les sédiments continueront à étendre le délai entre la contamination environnementale dans les rivières et le rejet des polluants dans l’océan, ce qui pourrait ralentir les efforts de nettoyage. « Si nous devions arrêter la production de plastique aujourd’hui, combien de temps encore verrons-nous ces substances s’infiltrer dans l’environnement ? » se demande Mason. « Il y a toujours un certain temps de réaction quand il s’agit de l’environnement ».

« Cela donne matière à réflexion », déclare Drummond. « Chaque fois que vous utilisez du plastique, il est très probable qu’il finisse dans vos rivières et qu’il y reste pendant très, très longtemps. »

Références :

Drummond, J. D., Schneidewind, U., Li, A., Hoellein, T. J., Krause, S., & Packman, A. I. (2022). Microplastic accumulation in riverbed sediment via hyporheic exchange from headwaters to mainstems. Science advances8(2), eabi9305. DOI: 10.1126/sciadv.abi9305.

Image de bannière : Les déchets plastiques sont devenus omniprésents dans l’environnement depuis les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Image de Ivan Radic sur VisualHunt.com.

Les eaux d’amont de la rivière Lehigh en Pennsylvanie, aux États-Unis. Les eaux d’amont se trouvent souvent dans des régions reculées et riches en biodiversité, mais le modèle de l’étude indique qu’elles sont particulièrement sujettes à l’accumulation de microplastiques en raison de leur faible débit, avec des conséquences inconnues sur la vie dans ces régions. Image de Nicholas_T sur Flickr.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2022/02/tiny-plastic-particles-accumulating-in-river-headwaters-study/

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