Nouvelles de l'environnement

Les scientifiques affirment que les travaux visant à réduire la quantité du rayonnement solaire et refroidir la Terre doivent être stoppés

  • Les chercheurs appellent les institutions politiques à imposer des limites à la recherche dans le domaine de la géo-ingénierie solaire afin qu’elle ne soit pas déployée de façon unilatérale par des pays, entreprises ou des particuliers.
  • Les universitaires à l’origine de la pétition affirment que l’intervention sans précédent de la géo-ingénierie est à long terme dangereuse, et ne devrait donc ni être expérimentée, ni recevoir de brevets, de fonds publics ou de soutien international.
  • La principale proposition de la géo-ingénierie solaire consiste en l'injection de milliards de particules d'aérosol dans la stratosphère, ce qui pourrait avoir des conséquences graves, non désirées et imprévues. La modélisation suggère qu'elle pourrait provoquer l'assèchement de la forêt amazonienne.
  • De plus, si la géo-ingénierie solaire était déployée, elle nécessiterait des décennies de maintien. Une discontinuité soudaine conduirait la Terre à subir ce que les scientifiques appellent le choc terminal, avec une augmentation soudaine de la température due aux émissions de carbone atmosphérique existant, qui auraient été masquées par le refroidissement des aérosols stratosphériques.

Bloquer les rayons du soleil grâce à un bouclier constitué de particules artificielles lancées dans l’atmosphère terrestre pour réduire les températures mondiales, est un trucage technologique de plus en plus convoité comme dernier ressort pour contenir la crise du climat. Mais, selon une coalition de plus de 60 académiciens ayant signé une lettre ouverte et un article parus le 17 janvier dans la publication en ligne de WIREs (Wiley Interdisciplinary Reviews) Climate Change, il faut y mettre un terme.

“Il est des choses que nous devons simplement restreindre dès le commencement”, a déclaré à Mongabay l’auteur en chef, Aarti Gupta, professeur de gouvernance internationale de l’environnement à l’université de Wageningen. Gupta place la géo-ingénierie solaire dans la catégorie des technologies à haut risque qui doivent être interdites, comme le clonage et les armes chimiques. “Elles peuvent être conduites mais sont trop risquées”.

La couleur du ciel pourrait changer. La composition chimique de la couche d’ozone et des océans pourrait se trouver altérée de façon permanente. La photosynthèse qui dépend de la lumière du soleil, pourrait être freinée, causant possiblement du tort à la biodiversité et à l’agriculture. Les modèles mondiaux du climat pourraient changer de façon imprévisible.

Malgré les dangers potentiels, il n’existe pas aujourd’hui de mécanismes pouvant empêcher un individu, une entreprise ou un pays de lancer une mission de façon unilatérale, dénonce Gupta. Pour prévenir cela, la lettre ouverte suggère cinq mesures urgentes de protection: pas d’expérimentations de terrain, pas de mise en œuvre, pas de brevets, pas de financements publics, et pas de soutien de la part d’organismes internationaux comme les Nations Unies.

L’éruption du volcan Mont Pinatubo, aux Philippines, en 1991, a projeté suffisamment de sulfate et d’autres particules aérosols dans la stratosphère pour refroidir la Terre. Image du sergent Val Gempis.

La géo-ingénierie solaire: trop de risques

Plus de 60 universitaires ont signé la lettre, dont Dirk Messner, président de l’Agence allemande pour l’environnement, Mike Hulme, climatologue de l’université de Cambridge, Åsa Persson, directrice de recherche de l’Institut de l’environnement de Stockholm, et l’auteur primé, Amitav Ghosh.

Les scientifiques savent que les particules d’aérosol peuvent temporairement refroidir la surface de la Terre. Les fines particules de cendre de l’éruption du Mont Pinatubo en 1991 – l’éruption volcanique la plus importante de ces 100 dernières années – ont provoqué une baisse des températures globales de 0.5 degrés Celsius pendant deux années environ.

Mais, pour compenser le réchauffement global causé par les émissions de carbone, un bouclier artificiel de particules d’aérosol aurait besoin d’être constamment renouvelé durant plusieurs décennies, ce qui va à l’encontre des objectifs de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques visant à prévenir une “intrusion humaine dangereuse dans le système climatique”.

Si ce bouclier cesse soudainement d’être renouvelé, l’effet de refroidissement masquant du nuage d’aérosol protecteur diminuerait rapidement, ce qui conduirait tous les gazes à effet de serre accumulés dans l’atmosphère à frapper la planète d’un seul coup. Les températures globales atteindraient soudainement des records, quatre à six fois plus rapidement que le récent changement climatique, selon une étude de Yale datant de 2018, publiée dans le Nature Ecology & Evolution.

“Comment pouvons-nous garantir aux générations futures que nos systèmes de gouvernance sont suffisamment robustes pour qu’il n’y ait pas de choc terminal?” S’interroge Gupta.

Selon les experts politiques ayant publié la lettre ouverte, un consensus international de tous les gouvernements du monde s’étendant sur plusieurs générations n’est simplement pas faisable démocratiquement.

La NOAA utilise des ballons comme celui-ci (lâché dans un laps de temps photographique) pour mesurer la taille et le nombre d’aérosols dans la stratosphère. Les aérosols produits par l’homme sont déjà à l’origine de problèmes environnementaux majeurs sur Terre, comme le vaste nuage asiatique de pollution atmosphérique, qui a été lié aux perturbations des moussons dans la région. Image de Patrick Cullis, CIRES/NOAA GML.

De la fiction à la réalité

Durant des décennies, les propositions de grande envergure en termes de géo-ingénierie, ont frôlé la science-fiction. Mais lors de ces dernières années, ces technologies sont devenues communes dans les discussions sur le climat, représentant l’ultime option politique, suscitant l’attention ainsi que des millions de dollars de financement.

En 2019, le Congrès des États Unis a octroyé 4 millions de dollars à l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), pour la recherche sur la géo-ingénierie solaire. En mars 2021, les Académies nationales américaines des sciences, de l’ingénierie et de la médecine ont appelé le pays à dépenser un montant supplémentaire de 100 à 200 millions de dollars. Le milliardaire américain Bill Gates a également fait des dons personnels à la principale unité de recherches sur la géo-ingénierie solaire à l’université de Harvard.

L’un des principaux chercheurs à la tête de l’initiative sur la géo-ingénierie solaire et professeur de physique appliquée à Harvard, David Keith, a répondu à la lettre ouverte en disant partager les préoccupations quant au manque de certitudes, à l’aléa moral et aux défis en termes de gouvernance. Toutefois, il affirme ne pas être d’accord avec une interdiction permanente et de facto de la géo-ingénierie.

Pollution par aérosols au-dessus de l’est de la Chine. L’augmentation de l’utilisation du charbon et du bois pour le chauffage en hiver en Asie entraîne souvent une brume sèche généralisée, comme celle que l’on peut voir sur cette image MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer) prise par le satellite Terra le 9 février 2004. La topographie accentue l’effet, car cette région est entourée de montagnes, ce qui empêche la pollution de se disperser. Le relief du globe, comme la cordillère des Andes à l’ouest de l’Amazonie brésilienne, pourrait avoir des répercussions imprévues sur la dérive des aérosols atmosphériques. Image de Jacques Descloitres, MODIS Rapid Response Team, NASA/GSFC.

“Il est difficile de justifier un accord permanent de non-utilisation d’une technologie qui – selon les études et rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’Académie nationale des sciences des États-Unis – pourrait considérablement réduire les risques liés au climat”, a déclaré Keith dans un email à Mongabay. “Il semble exagéré de suggérer que nous devrions bloquer la recherche sur des technologies potentiellement utiles, parce que les mécanismes de gouvernance ne sont pas idéaux”. Le professeur ajoute que les préoccupations quant à la gouvernance se sont également posés pour la technologie à ARNm, à l’origine de plusieurs vaccins Covid-19, ainsi que pour le développement d’internet, mais qu’aucune de ces craintes ne justifie une interdiction permanente.

L’année dernière, l’équipe de Harvard a été contrainte d’annuler son premier essai en extérieur de géo-ingénierie; qui devait être réalisé en partenariat avec la société spatiale suédoise, à la suite d’une manifestation publique menée par le peuple autochtone Sami.

“Vous pouvez modéliser et conduire des expérimentations, mais nous ne pourrons connaître les effets finaux et d’échelle planétaire de la géo-ingénierie solaire, qu’après son déploiement”, a averti lors d’un entretien téléphonique, Frank Biermann, professeur de gouvernance internationale de la durabilité à l’université d’Utrecht et l’un des auteurs de la lettre. Biermann a soutenu l’opposition menée par les Sami contre les essais d’Harvard. “C’est une proposition extrêmement risquée” a-t-il conclu.

Les particules issues de la pollution atmosphérique, qui font partie du nuage brun asiatique, voyagent autour du globe et sont distribuées de manière inégale par les vents, avec des impacts variables. En avril 2001, les satellites de la NASA ont observé cette énorme tempête de poussière au-dessus de la Chine. La partie la plus dense de ce nuage d’aérosols s’est déplacée vers l’est, au-dessus du Japon, de l’océan Pacifique et, en une semaine, vers les États-Unis. La modélisation précise des aérosols est très difficile, car elle exige de connaître parfaitement les types et le mélange de particules, leur taille, leur couleur et leur forme. Image reproduite avec l’autorisation de la NASA.

Les possibles effets sur les limites planétaires

La géo-ingénierie solaire réduirait la quantité de radiation solaire atteignant la surface de la planète et aurait donc de profonds effets. La planète refroidirait mais pas de façon uniforme. Selon les modèles informatiques, la région de l’Amazonie pourrait devenir plus sèche et plus chaude, ce qui augmenterait la probabilité d’incendies majeurs de forêts, ainsi que de la disparition de la forêt tropicale, ce qui conduirait à son tour à une libération massive du carbone autrefois séquestré.

L’énorme rejet du carbone de l’Amazonie dans l’atmosphère serait un désastre pour la planète, augmentant dramatiquement le réchauffement global tout en réduisant la biodiversité. Ces effets pourraient s’avérer pires que les scénarios modérés du changement climatique du GIEC.

Selon le type de particules d’aérosol utilisées pour former le bouclier, le déploiement pourrait également amincir ou renforcer la couche d’ozone, avec des conséquences inconnues. Sans une forte réduction des émissions de carbone, l’acidification des océans continuerait de s’aggraver.

Les cinq mesures fondamentales qui, selon les scientifiques, sont nécessaires dans un accord international de non-utilisation de la géo-ingénierie solaire. Image de l’initiative “Solar Geoengineering Non-Use Agreement”.

La réduction du rayonnement solaire qui atteint la surface de la planète serait aussi contre-productive, car elle contrarierait la production de l’énergie solaire, l’une des alternatives les plus prometteuses aux énergies fossiles.

Alors que les défenseurs de la géo-ingénierie solaire soutiennent que cette nouvelle technologie peut seulement être efficace en parallèle d’une solide politique de décarbonisation, ses critiques pensent qu’elle mettra en péril les efforts de réduction des émissions carbone. Ces derniers estiment que les lobbyistes de l’industrie, les négationnistes du changement climatique ainsi que certains gouvernements feront une utilisation politique de cette technologie, pour retarder la régulation carbone.

“La meilleure option est de ne pas faire sortir le génie de la bouteille et de ne pas commencer avec ces technologies très dangereuses”, selon Biermann. “Nous ne devons pas focaliser notre attention sur ces fantaisies de technologies inexistantes, mais sur le réel problème qui se pose, et qui est la décarbonisation.”

 
Image de la bannière: Un essai de géo-ingénierie solaire avec un ballon stratosphérique était prévu l’année dernière par une unité de recherche de Harvard en partenariat avec la Swedish Space Corporation. Il a été reporté suite à l’opposition du public. Image reproduite avec l’autorisation de la Swedish Space Corporation.

Citations:

Biermann, F., Oomen, J., Gupta, A., Ali, S. H., Conca, K., Hajer, M. A., … VanDeveer, S. D. (2022). Solar geoengineering: The case for an international non-use agreement. Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, e754. doi: 10.1002/wcc.754

Trisos, C.H., Amatulli, G., Gurevitch, J. et al. Potentially dangerous consequences for biodiversity of solar geoengineering implementation and termination. Nat Ecol Evol 2, 475–482 (2018). doi: 10.1038/s41559-017-0431-0

 
Article original: https://news.mongabay.com/2022/01/efforts-to-dim-sun-and-cool-earth-must-be-blocked-say-scientists/

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