Nouvelles de l'environnement

La solution pour éviter les catastrophes écologiques se trouve juste sous nos pieds

  • Il y a des milliards d’années, les premiers sols servaient de berceaux à la vie terrestre. Aujourd’hui, ils soutiennent une industrie agricole mondiale de plusieurs milliers de milliards de dollars et assurent l’alimentation de près de huit milliards d’humains, ainsi que d’innombrables espèces sauvages et domestiques. Mais les sols traversent une crise mondiale.
  • Nous avons maintenant franchi la « zone de danger » pour quatre des neuf limites planétaires : le changement climatique, la perte de la biodiversité, le changement d'utilisation des sols et la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore. Toutes les quatre sont étroitement liées à la santé du sol. Les sols contiennent 80 % de l’ensemble du carbone stocké sur Terre.
  • La détérioration de la santé des sols génère déjà des impacts extrêmement sérieux sur les populations et leurs moyens de subsistance. La dégradation des terres due aux activités humaines s’élève à environ 10 % du produit mondial brut. Associée aux effets du réchauffement climatique, la dégradation du sol pourrait, au niveau mondial, réduire le rendement des récoltes de 10 % d’ici à 2050.
  • Il y a bien sûr un décalage entre le fait de reconnaitre l’ampleur des problèmes au niveau mondial, d’adopter des solutions pour y répondre et d’observer des résultats sur les services écosystémiques. C’est pourquoi, c’est maintenant que nous devons agir si nous voulons investir dans la préservation des écosystèmes des sols pour lutter contre les changements environnementaux catastrophiques qui sévissent à l’échelle mondiale.

Lorsque nous parlons de solutions à la crise environnementale et climatique mondiale, un composant essentiel est souvent négligé : le sol.

Il y a des milliards d’années, les premiers sols ont préparé le terrain à l’humanité et à la vie terrestre. Aujourd’hui, ce modeste terrain qui se trouve juste sous nos pieds soutient une industrie agricole mondiale de plusieurs milliers de milliards de dollars et assure l’alimentation de près de huit milliards d’humains, ainsi que d’innombrables espèces sauvages et domestiques.

Le sol est un élément essentiel dans notre relation avec la Terre et joue un rôle crucial dans à peu près chacun des processus clés responsables du maintien des conditions stables sur notre planète. La civilisation, l’humanité et toute autre forme de vie sur Terre sont toutes dépendantes, pour leur survie, d’un sol en bonne santé constante.

Soil forms the foundation of all terrestrial ecosystems, wild and cultivated. The growth of crops like lettuce, pictured here, depends on the geology, climate and biology of the soil.
Le sol constitue la base de tous les écosystèmes terrestres, sauvages et cultivés. La croissance des cultures telles que la salade verte, en photo ci-dessus, dépend de la géologie, du climat et de la biologie du sol. Photographie de Julie via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

Les sols en bonne santé sont des points chauds de la biodiversité, offrant un habitat à diverses communautés de bactéries, de champignons et d’invertébrés, dont bon nombre sont bénéfiques, voire indispensables, à la végétation. Les sols contiennent 80 % de l’ensemble du carbone stocké sur Terre, ce qui fait d’eux des acteurs clés pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. En outre, ils sont importants pour le cycle de l’eau douce, le stockage de l’eau et le filtrage des agents polluants.

Mais les sols traversent une crise mondiale. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a déclaré que 75 milliards de tonnes de sol de terres arables étaient perdus chaque année à cause de l’érosion Au cours de ce processus, de grandes quantités de gaz à effet de serre sont émises dans l’atmosphère, diminuant la résilience des services écosystémiques essentiels.

D’après le concept de limites planétaires, proposé par Johan Rockström en 2009, nous nous rapprochons de plus en plus du seuil qui pourrait faire basculer la Terre en une planète beaucoup moins habitable. Selon les dernières analyses de 2015, nous vivons désormais dans une « zone en danger » pour quatre des neuf limites planétaires : le changement climatique, la perte de la biodiversité, le changement d’utilisation des terres et la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore.

Toutes les quatre sont étroitement liées à la santé du sol, qui, elle-même, dépend du climat, de la géologie et des communautés écologiques qui vivent à la fois sous terre et sur terre. En résumé, l’avenir de l’humanité est extrêmement dépendant de la santé du sol.

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Au sein de la rhizosphère sauvage et biodiversifiée

Si les plantes ont besoin de lumière, d’eau et de dioxyde de carbone pour se développer, les nutriments tels que l’azote et le phosphore, absorbés par leurs racines, sont eux aussi deux composants essentiels à leur croissance. La région du sol située autour des racines des plantes, connue sous le nom de rhizosphère, constitue le noyau d’une activité chimique et microbienne permanente, et vitale à la santé du sol.

« Les plantes peuvent stocker de grandes quantités de carbone [au-dessus du sol] et les feuilles ont la capacité de capter l’énergie solaire ; tout ceci est en fait généré par ce qui [est invisible à l’œil nu et] se produit sous le sol à travers le système racinaire », a expliqué Paul Hallett, physicien spécialiste des sols à l’Université d’Aberdeen, au Royaume-Uni.

Les plantes sécrètent des acides qui pénètrent dans le sol, et ensuite libèrent de l’azote et du phosphore qu’elles absorbent par la suite. Reformulant les propos de Jethro Tull, agronome du 18e siècle, Paul Hallett a décrit la rhizosphère comme « en quelque sorte les intestins des plantes dans le sol. » « Les végétaux sécrètent des acides tout comme le fait votre estomac », a-t-il ajouté.

Dans la rhizosphère, les végétaux, les champignons, les archées et les bactéries interagissent, échangent des nutriments, et parfois, vont jusqu’à rivaliser pour ces derniers. Chaque gramme de sol contient une diversité astronomique et microscopique d’espèces, dont plus de 50 000 espèces de micro-organismes différents, faisant du sol l’un des écosystèmes les plus biodiversifiés de notre planète.

Les bactéries jouent un rôle important ici : elles participent à la décomposition de la matière organique, libèrent les nutriments des roches solides, et absorbent l’azote dans l’atmosphère. En complément, certains champignons forment des symbioses avec les racines des végétaux, appelées mycorhizes, à travers lesquelles ils échangent du carbone et des minéraux.

« Les plantes puisent leurs nutriments dans le sol », a déclaré Paul Hallett, mais « en même temps, ce carbone qui est absorbé [par les plantes] dans l’atmosphère est libéré par les racines et interagit avec les particules et les organismes du sol, qui vont ensuite permettre l’agrégation du sol, vont piéger le carbone, et stabiliser la structure [du sol]. » Jusqu’à un cinquième du carbone fixé par les plantes durant la photosynthèse est libéré dans le sol par leurs racines et leurs mycorhizes.

Des sols en bonne santé : une vaste réserve de carbone

La teneur gigantesque du sol en matière organique confère à ce dernier un potentiel de stockage énorme et fait de lui un allié important dans nos efforts de lutte contre le réchauffement climatique. Mais c’est une arme à double-tranchant. En effet, s’ils ne sont pas gérés correctement, les sols, parce qu’ils stockent de larges quantités de carbone, peuvent aussi se transformer en sources massives d’émissions de gaz à effet de serre.

« Les sols, au niveau mondial, contiennent environ 3 000 milliards de tonnes de carbone, dont au minimum 1 500 milliards sont piégés dans l’horizon supérieur des sols », a indiqué Jonathan Sanderman, scientifique spécialiste du carbone des sols au Centre de recherche sur le climat de Woodwell, dans le Massachusetts, aux États-Unis. Si vous comparez cela aux 600 milliards de tonnes de carbone contenus dans la végétation terrestre, cela vous donne une idée de l’importance de la protection des sols pour la stabilité du climat.

Les organismes du sol représentent 25 % de toute la biodiversité présente sur Terre et constituent la base de l’ensemble des écosystèmes. Les vers de terre jouent un rôle particulièrement important, car ils participent à la décomposition de la matière organique et la réintègrent dans le sol. Leurs mouvements dans le sol créent une structure du sol complexe, importante pour la rétention en eau et la disponibilité des nutriments. Image supérieure : ver de terre par Luukyi via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0). Image inférieure : collembole par Thomas Shahan via iNaturalist (CC BY-NC-ND 4.0).

À l’instar des plantes, les micro-organismes présents dans le sol libèrent une part du carbone qu’ils consomment dans l’atmosphère, on parle de respiration cellulaire (c’est la source principale des émissions de carbone du sol), et le reste est retourné dans le sol à la mort des micro-organismes. La matière organique suit une décomposition à la chaîne, de micro-organisme en micro-organisme, jusqu’à libération quasi totale du carbone sous forme de CO2.

Si le carbone doit être séquestré dans les sols pendant des décennies ou sur une plus longue période pour ralentir le réchauffement climatique, il ne doit pas être consommé par les micro-organismes du sol. Ceci peut se produire si le carbone devient chimiquement lié aux particules du sol, ou si les micro-organismes du sol friands de carbone sont absents ou inactifs. Les sols saturés en eau, par exemple, sont privés d’oxygène – une condition toxique pour de nombreux micro-organismes. Les terres extrêmement humides tendent donc à fixer le carbone plus longtemps dans le sol. Les sols acides, salés et gelés tendent eux aussi à séquestrer plus longtemps le carbone.

Scotland’s “flow country” is home to Europe’s largest blanket bog
Le « Flow country » écossais abrite la plus vaste tourbière d’Europe avec sa grande réserve de carbone ancien. Des siècles de mauvaise gestion associés à une accélération du changement climatique contribuent à la dégradation de cet écosystème fort précieux, mais des efforts de conservation sont en cours pour le protéger. La Société royale pour la protection des oiseaux (Royal Society for Protection of Birds en anglais, RSPB), par exemple, dirige la restauration de 21 000 hectares à Forsinard (ci-dessus). Photographie de Banco de Imágenes Geológicas via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

Au cours des deux dernières décennies, les chercheurs ont suivi le cycle dynamique du carbone à travers les éléments vivants et non-vivants du sol – un voyage qui peut durer des heures comme des siècles.

« Les hypothèses anciennes sur la stabilité du carbone dans le sol ont été écartées », a déclaré Sanderman. L’opinion dominante aujourd’hui est la suivante : « l’accès des micro-organismes à la matière organique dépend des flux constants de carbone entrant dans le sol. »

Les micro-organismes peuvent rester inactifs dans le sol pendant des décennies, voire des siècles. Ils n’augmentent leur activité métabolique que lorsque des conditions adéquates se présentent. Mais les activités humaines altèrent la qualité du sol et risquent de réveiller des micro-organismes dormants, qui pourraient commencer à grignoter le carbone ancien stocké dans le sol. Une fois libéré, le carbone fait sa place dans l’atmosphère, au détriment de l’humanité.

The Arctic is feeling the brunt of climate change impacts, with temperatures in this region increasing at nearly twice the global average. Many frozen landscapes are beginning to thaw, rousing dormant microbes and releasing ancient carbon stores.
L’Arctique ressent aussi les effets du réchauffement climatique, avec des températures en hausse dans la région, atteignant près de deux fois la moyenne mondiale. De nombreuses régions glacées ont commencé leur dégel, réveillant les micro-organismes dormants et libérant les stocks de carbone ancien. Photographie de NPS Climate Change Response via Flickr (CC BY 2.0).

Les dégâts causés par les pertes de carbone des sols

Dans une étude réalisée en 2017, Sanderman et ses collègues ont évalué la perte de carbone des sols liée à l’agriculture à plus de 110 milliards de tonnes au cours des 200 dernières années. « Le carbone issu de la matière végétale, qui est censé se décomposer lentement, est en réalité transporté avec les récoltes », alimentant des milliards de personnes, a-t-il expliqué. En d’autres termes, au lieu de réapprovisionner nos réserves de carbone dans le sol, nous le mangeons.

Cette tendance à la hausse des émissions de carbone générées par l’agriculture est accentuée par le changement climatique, en particulier par le réchauffement. En Californie, une étude a souligné qu’une augmentation des températures des sols de 4 °C – à peu près la hausse attendue dans la région d’ici 2100 – pourrait mener à une augmentation de 35 % des émissions de carbone, qui serait due en majeure partie à une accélération de l’activité microbienne des sols.

Les réserves de carbone sont inégalement réparties à travers le globe. Les estimations actuelles révèlent que plus de 110 milliards de tonnes de carbone des sols ont été perdus au cours des 200 dernières années à cause de pratiques agricoles non durables. Ces informations sur le carbone stocké dans le sol dans le passé et aujourd’hui s’appuient sur des données de Soils Revealed, un programme mené en collaboration par The Nature Conservancy, l’Université de Cornell, le Centre international de référence et d’information pédologique (ISRIC) et le Centre de recherche climatique de Woodwell, visant à fournir de meilleurs outils d’aide à la prise de décision pour les gestionnaires des terres et les décideurs politiques. Image reproduite avec l’autorisation de Soils Revealed.

Les sols ont le potentiel de se transformer en allié ou en ennemi dans notre lutte pour atténuer les effets du changement climatique. Comme le montrent les cartes du projet Soils Revealed, les pratiques de restauration, telles que la plantation de cultures de couverture, utilisant des engrais verts et limitant le labour pourraient permettre de stocker de larges quantités de carbone atmosphérique sous nos pieds d’ici à 2038 ; d’un autre côté, la poursuite de méthodes agricoles actuelles, transformant plus de zones forestières en zones agricoles et accentuant la dégradation du pâturage pourrait libérer des stocks de carbone massifs dans l’atmosphère, ce qui aggraverait les effets du changement climatique.

Dans les latitudes plus élevées, les changements climatiques connaissent une progression plus rapide, menant à une fonte rapide des pergélisols – des sols qui ont été gelés pendant des millénaires – et réveillant les micro-organismes dormants qui viennent ensuite activer la libération du carbone piégé dans le sol.

La réserve totale de carbone dans le pergélisol de l’Arctique est estimée entre 1 400 et 1 750 milliards de tonnes – soit à peu près la moitié du stock de carbone contenu dans les sols au niveau mondial. Les experts affirment qu’entre 5 et 15 % de ce carbone pourrait être libéré au cours des 80 prochaines années, ce qui viendrait alors accélérer le réchauffement climatique (menant à plus d’émissions de carbone des sols dans l’atmosphère – un cercle vicieux). Une fois perdues, ces réserves de carbone sont difficiles à recouvrer.

Au niveau mondial, il a été estimé que 286 milliards de tonnes de ce carbone difficile à recouvrer étaient piégés dans les tourbières, les marais, les mangroves, les forêts primaires et autres écosystèmes riches en carbone.

Si nous échouons à protéger ces anciennes réserves, il faut s’attendre à ce que les émissions de carbone laissent, à l’humanité, des marques irréversibles sur le tableau de bord du changement climatique.

Les scientifiques peuvent collecter des mesures quasi continues des émissions de carbone du sol dans des expérimentations contrôlées s’appuyant sur des systèmes automatisés tels que Skyline (voir photographie ci-dessus), au Centre d’écologie et d’hydrologie du Royaume-Uni basé à Lancaster (UKCEH). Une mauvaise gestion du terrain et le changement climatique augmentent les émissions de gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone, l’oxyde d’azote et le méthane. Les chercheurs du UKCEH ont simulé des inondations estivales, comme celles qui sont survenues avec l’accélération du changement climatique, et ont découvert des évolutions au niveau des microbiomes du sol et des augmentations des émissions de méthane, en particulier dans les sols des pâturages gérés de manière intensive. Image de Simon Oakley/UKCEH.

Protéger les stocks de carbone du sol pour protéger l’humanité

Dans la lutte contre le changement climatique, les sols ne se transformeront en alliés de l’humanité qu’à une seule condition : que nous mettions en œuvre des actions dès aujourd’hui pour protéger nos stocks de carbone ancien et que nous restaurions les écosystèmes dégradés et les terres arables. Les experts estiment que ces actions seules pourraient représenter un quart des mesures d’atténuation des effets du changement climatique – une partie des solutions essentielles au changement climatique fondées sur la nature.

« Face aux développements futurs, nous devons certainement faire beaucoup plus pour arriver à protéger les écosystèmes naturels qui offrent une haute densité de carbone, tels que les tourbières tropicales », a averti Sanderman.

Heureusement, bon nombre de sols riches en carbone sur Terre se trouvent dans les zones chaudes de biodiversité. La protection de ces écosystèmes pourrait être bénéfique au climat, à la biodiversité, à l’humanité, et à notre survie au sein de limites planétaires saines.

En complément, au vu de la quantité de terres agricoles qui ont été sévèrement dégradées, leur restauration pourrait être l’occasion en or pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre. En d’autres termes, en améliorant la qualité des sols, on arriverait à stocker davantage de carbone. Un hectare de sol agricole géré de manière durable peut séquestrer environ 0,3 tonne de carbone par an. En prenant en compte les terres actuellement disponibles, il est estimé qu’une bonne gestion du sol pourrait éliminer jusqu’à 3 milliards de tonnes de CO2 de l’atmosphère chaque année, soit près d’un dixième des émissions mondiales actuelles.

« Cette réduction du carbone est précisément la raison pour laquelle le carbone du sol suscite tant d’intérêt [en tant que solution climatique fondée sur la nature], mais il existe d’énormes obstacles à son adoption à grande échelle », a souligné Sanderman.

À l’heure actuelle, les pratiques agricoles intensives des entreprises agroalimentaires ont des effets extrêmement nocifs sur la santé du sol, menaçant au moins quatre des limites planétaires. Les équipements lourds tassent le sol, broient sa structure interne et réduisent sa capacité de rétention en eau (ayant un impact sur la limite planétaire de consommation d’eau douce). Le labour déchire les champignons mycorhiziens, ce qui favorise l’augmentation des émissions de carbone dans l’atmosphère (et impacte la limite planétaire relative au changement climatique) et accroit notre dépendance aux engrais de synthèse issus de l’industrie pétrochimique. L’utilisation excessive de ces engrais mène à une hausse des émissions d’oxyde d’azote, qui, elle-même, entraine la pollution des fleuves et des rivières, menace la vie aquatique (impactant la biodiversité), et perturbe le cycle global de l’azote (une quatrième limite planétaire).

« L’utilisation des engrais dans l’agriculture (y compris le lisier ou le fumier) est certes importante pour le développement des denrées…mais il faut savoir qu’il suffit que 5 % de ces engrais finissent dans les fleuves, les rivières et les cours d’eau voisins pour générer des effets catastrophiques chez les communautés aquatiques », a déclaré Elena Bennett, professeure en sciences de la durabilité à l’Université McGill au Canada qui a contribué à l’évaluation de la limite planétaire de 2015 relative à la consommation d’eau douce.

Si nous voulons restaurer les terres agricoles dégradées, nous devons nous attaquer aux multiples menaces qui pèsent sur le sol. Il s’agit ici d’une priorité si nous voulons répondre à l’urgence climatique de manière efficace et continuer d’offrir une sécurité alimentaire à la population humaine en pleine croissance.

Heavy farm machinery can compact agricultural soils, reducing their water-holding capacity and leaving surrounding areas vulnerable to flash flooding. The loss of soil structure also leaves it more vulnerable to erosion and harms soil micro-organisms.
Les équipements lourds agricoles tassent les sols, réduisent leur capacité de rétention en eau et rendent les zones avoisinantes vulnérables aux crues soudaines. La perte de structure du sol le rend également plus sensible à l’érosion et nuit aux micro-organismes qu’il abrite. Image de Werktuigendagen Oudenaarde via Flickr (CC BY-SA 2.0).

S.O.S : au secours de nos sols

En 1937, le président Franklin Roosevelt a adressé un courrier aux gouverneurs d’États et a déclaré : « Une nation qui détruit elle-même son sol. » Avec le recul historique, on ne peut que soutenir ses propos. Sanderman a indiqué qu’après l’étude des civilisations passées, de « nombreux chercheurs avaient conclu que la mauvaise gestion des sols était la cause immédiate » de nombreux de leurs échecs. Les Mayas d’Amérique latine et les Sumériens de Mésopotamie sont deux exemples de civilisations illustrant les conclusions des chercheurs.

La détérioration de la santé des sols entraine déjà des impacts extrêmement sérieux sur les populations et leurs moyens de subsistance. Dans certaines des régions les plus arides du monde, par exemple, les périodes de sécheresse à répétition causées par le changement climatique et associées au changement d’utilisation des sols et aux pratiques d’irrigation non durables ont transformé des écosystèmes autrefois productifs en déserts. Chaque année la désertification grignote une surface époustouflante de 12 millions d’hectares de terres, affectant la vie de plus de 500 millions de personnes.

« La désertification due au changement climatique et à la gestion des terres a atteint un point critique au niveau mondial », a souligné Sanderman.

Planting thin strips of soil-boosting plants like grasses and clover at the edge of agricultural fields can improve soil health. Research led by Jonathan Leake at the University of Sheffield revealed that grass-clover strips, left, measurably improved soil structure after just three years. Farmers hope that the benefits of these strips will extend into the rest of the field, boosting crop yields.
Dans des régions très arides, comme certaines terres d’Afrique de l’Ouest, les agriculteurs se trouvent pris au piège : les sécheresses assèchent le sol, formant une croute épaisse en surface qui, ensuite, agit comme une barrière lorsque la pluie arrive enfin et facilite les crues soudaines qui érodent la précieuse couche arable et les nutriments essentiels qu’elle contient. En Mauritanie, par exemple, les mauvaises récoltes dues à la sécheresse ont conduit à d’importantes crises alimentaires touchant plus de 700 000 personnes. Image d’Oxfam International via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

La dégradation des terres est estimée coûter à l’humanité 10 % de son produit mondial brut. Associée au changement climatique, la dégradation du sol pourrait réduire les rendements des cultures de 10 % à l’échelle de la planète, et jusqu’à 50 % dans certaines régions d’ici à 2050, selon une étude menée en 2018 par la plateforme scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).

Une bonne nouvelle tout de même : la restauration des terres dégradées pourrait générer des bénéfices jusqu’à 10 fois plus élevés que leur coût, a conclu le rapport.

Fort heureusement, il existe autant de solutions pour restaurer le sol que d’agents destructeurs. Certaines s’appuient sur les nouvelles technologies, d’autres se concentrent sur la restructuration de l’industrie agroalimentaire pour maintenir les fonctions naturelles d’un écosystème, et ainsi promouvoir des sols en bonne santé.

Citons, comme exemple, l’agrosylviculture, qui associe arbres, cultures et pâturages pour produire une variété de céréales, de fruits, de noix, de produits d’origine animale, voire de remèdes. Bien que cette méthode tende à ne pas être aussi productive à court terme que les monocultures industrielles intensives nécessitant l’utilisation massive d’engrais pétrochimiques, elle offre aux agriculteurs une meilleure sécurité contre les mauvaises récoltes et permet de restaurer la structure du sol et ses nutriments. Au Tadjikistan par exemple, l’agrosylviculture est utilisée avec succès pour restaurer les sols dégradés par des décennies de surexploitation des pâturages.

Il existe aussi des petites interventions qui s’adaptent mieux à nos systèmes existants de production alimentaire. Par exemple, la rotation des cultures soigneusement gérée, qui intègre une variété de plantes, offre un éventail de bénéfices pour le sol et peut prévenir une baisse des rendements – un problème classique rencontré par les agriculteurs qui peuvent voir les rendements de monocultures chuter de 25 % la seconde et la troisième année de récoltes et de réensemencement.

Certains agriculteurs ont aussi commencé à planter des rangs de plantes prolifiques, notamment des graminées et des trèfles, le long des terres cultivables, avec l’espoir que la qualité du sol acquise sous ces périmètres s’étende à l’ensemble des terres. Et cela semble fonctionner : La plantation de rangs de graminées de prairie le long de terres agricoles en basse altitude ont réduit le phénomène d’érosion du sol de 20 fois ; des rangs de graminées et de trèfles plantés près des cultures au Royaume-Uni ont amélioré la qualité du sol et augmenté la population de vers de terre en seulement une année.

Planting thin strips of soil-boosting plants like grasses and clover at the edge of agricultural fields can improve soil health. Research led by Jonathan Leake at the University of Sheffield revealed that grass-clover strips, left, measurably improved soil structure after just three years. Farmers hope that the benefits of these strips will extend into the rest of the field, boosting crop yields.
La plantation de minces rangs de plantes qui fertilisent le sol, comme les graminées et les trèfles, le long des champs agricoles peut améliorer la santé du sol. Des recherches menées par Jonathan Leake de l’Université de Sheffield ont révélé que les rangs de graminées et de trèfles laissés intacts avaient sensiblement amélioré la structure du sol après seulement trois ans. Les agriculteurs espèrent que ces bénéfices s’étendront au reste des champs, et stimuleront les rendements de leurs cultures. Image reproduite avec l’autorisation de Jonathan Martlew et Jonathan Leake.

Revitaliser la rhizosphère

Une simple réduction de notre degré d’intervention sur les sols, physiquement et chimiquement, peut générer des résultats positifs impressionnants. Un exemple : les réseaux délicats des champignons mycorhiziens sont facilement perturbés par les travaux de labour et sont lents à se régénérer ; certains agriculteurs essaient donc de minimiser cette perturbation.

Le labour de conservation (méthode de labour voire de non-labour qui vise à minimiser la perturbation) « peut faciliter le contrôle de l’érosion, qui mène ensuite à de meilleurs rendements des cultures [ce qui] permet aussi de réduire le volume de ruissellement des nutriments, contribuant à préserver la bonne qualité de l’eau », a expliqué Bennett. « Sachant que ces interactions existent, nous pouvons essayer de les mettre à profit en vue d’assurer des situations avantageuses pour tout le monde. »

Une façon de minimiser le labour est de planter des variétés de cultures vivaces qui ne nécessitent pas de réensemencement après chaque récolte. Par exemple, l’agropyre intermédiaire ou Thinopyrum intermedium, une céréale vivace d’origine sauvage, aujourd’hui cultivée. Sa repousse se fait année après année sans intervention humaine..

Les plantes alimentaires à durée de vie plus longue tendent aussi à créer des réseaux racinaires plus étendus, améliorant la structure du sol, protégeant de l’érosion et renforçant la résilience du sol à la sécheresse. En maintenant le couvert végétal agricole tout au long de l’année, les plantes vivaces contribuent aussi à séquestrer plus de carbone et à réguler les processus essentiels de régulation du climat, tels que l’évapotranspiration.

Actuellement, les agriculteurs se concentrent sur des considérations économiques à court terme telles que les rendements et l’efficacité en matière d’utilisation de l’eau, mais ils pourraient également se tourner vers des caractéristiques permettant d’alimenter une rhizosphère plus saine, a fait observer Hallett. Par exemple, ils pourraient choisir des variétés avec des racines plus longues, ou avec plus de radicelles.

Les radicelles « entrent dans de très petits espaces poreux, et elles peuvent ensuite absorber les nutriments tels que le phosphore. Elles assurent l’absorption de l’eau, d’une manière plus efficace », a-t-il poursuivi.

La sélection de cultures incluant des radicelles plus longues pourrait améliorer la résilience du sol à la sécheresse et réduire l’utilisation d’engrais azotés – deux précieux bénéfices à effet immédiat pour les agriculteurs – en plus de favoriser le stockage du carbone et d’améliorer la structure du sol.

Une réorganisation de l’industrie agroalimentaire mondiale

Toutes ces solutions tiennent leur promesse, mais une transformation à grande échelle de l’industrie agroalimentaire est loin d’être simple. Et les grandes entreprises de l’agroalimentaire ne sont pas les seules à devoir subir une transformation radicale. Relativement petites, les exploitations agricoles familiales représentent 75 % des terres agricoles mondiales, ce qui signifie que l’adhésion des petits exploitants est cruciale pour généraliser l’amélioration de la santé du sol.

« Il y a au moins un demi-milliard de personnes qui participent à des activités agricoles à l’échelle planétaire. Les encourager à modifier la façon dont elles travaillent exige donc un effort massif », a souligné Sanderman.

Un récent rapport de la Microbiology Society a recommandé la mise en œuvre d’importantes mesures d’incitation gouvernementales pour faire de la santé des sols une priorité, notamment par le biais de nouvelles normes d’étiquetage des aliments permettant d’identifier les produits cultivés sur des sols bien gérés. Les experts ont déclaré qu’une réforme en profondeur des subventions agricoles visant à promouvoir non seulement des rendements plus élevés, mais aussi à favoriser les bonnes pratiques qui stimulent les services écosystémiques, pourrait aider à accélérer une transformation indispensable des systèmes agricoles et alimentaires au niveau mondial.

La qualité des sols est extrêmement dépendante du climat, de la géologie, de la végétation et des activités humaines. Ce montage photo d’échantillons de sols, collectés dans le cadre de l’étude menée par Rob Griffiths du Centre d’écologie et d’hydrologie du Royaume-Uni (UK Centre for Ecology and Hydrology en anglais, UKCEH) indique la variabilité des caractéristiques du sol présente à travers différents sites, et ce uniquement au Royaume-Uni. Image de Rob Griffiths.

En réalité, chaque nation sur Terre doit repenser ses pratiques agroalimentaires. Pour y parvenir, tout effort mondial mis en œuvre en faveur d’une gestion durable du sol doit suivre des stratégies spécialement adaptées à chaque région. « Je ne pense pas qu’il existe un livre de recettes [pour la gestion du sol] qui puisse s’appliquer partout », a indiqué Hallett.

Hallett travaille en collaboration avec une équipe de recherche internationale et interdisciplinaire de l’Observatoire chinois de la zone critique basé à Sunjia qui cherche à comprendre comment la géologie locale, l’hydrologie, la météorologie et la pédologie peuvent expliquer les phénomènes d’érosion sévère et les lessivages fréquents des sols rouges de la région. « Nous devons absolument adopter une approche plus holistique pour comprendre comment ces environnements se sont formés », a souligné Hallett.

L’équipe de chercheurs, par exemple, a découvert que dans les sols rouges, comme ceux identifiés en Chine, jusqu’à 90 % de la quantité d’azote nécessaire à la croissance des cultures était piégée à plus de deux mètres de profondeur et était donc inaccessible à la plupart des plantes. C’est le résultat de décennies de surutilisation d’engrais.

« Nous compilons maintenant ces informations pour créer des outils d’appui à la prise de décision qui aient des retombées positives à la fois pour l’environnement et pour les agriculteurs, à travers une réduction des coûts en matière d’utilisation d’engrais », a ajouté Hallett.

Dans ce contexte, et bien d’autres à travers le monde, nous avons déjà connaissance de bon nombre des remèdes en matière de santé du sol. Mais la connaissance et l’action ne sont pas simultanées. Il existe un décalage inévitable entre la découverte de solutions efficaces et l’adoption de nouvelles pratiques pour stimuler les services écosystémiques.

D’où l’état d’urgence : nous devons agir maintenant, et à grande échelle, si nous voulons investir dans la préservation des écosystèmes pour lutter contre les changements environnementaux catastrophiques qui sévissent à l’échelle mondiale.

Champs agricoles en carrés. Actuellement, les agriculteurs se concentrent sur des considérations économiques à court terme telles que les rendements et l’efficacité en matière d’utilisation de l’eau, mais ils pourraient également se tourner vers des solutions visant à alimenter une rhizosphère plus saine. Image du Ministère de l’Agriculture de l’Oregon via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Citations:

Rockström, J., Steffen, W., Noone, K., Persson, Å., Chapin, F. S., Lambin, E. F., … Foley, J. A. (2009). A safe operating space for humanity. Nature461(7263), 472-475. doi:10.1038/461472a

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Sanderman, J., Hengl, T., & Fiske, G. J. (2017). Soil carbon debt of 12,000 years of human land use. Proceedings of the National Academy of Sciences114(36), 9575-9580. doi:10.1073/pnas.1706103114

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Image de bannière : un tracteur utilisé pour la récolte de l’arachide Public Domain Pictures (CC0 1.0).

Article original: https://news.mongabay.com/2021/06/the-key-to-averting-environmental-catastrophe-is-right-beneath-our-feet/

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