- Des milliers de Sud-Africains, dont des communautés indigènes, se sont mobilisés dimanche 5 décembre lors d'une manifestation nationale contre un projet d’étude sismique prévu par la société Shell, pour rechercher des réserves de pétrole et de gaz au large de la côte sauvage orientale du pays.
- Deux requêtes judiciaires ont été déposées pour contester le permis d'exploration pétrolière et gazière délivré par le gouvernement, et exiger le respect du droit constitutionnel à un environnement sûr et sain, ainsi que le respect d’un consentement libre et anticipé.
- Les activistes et les communautés craignent les conséquences de cette étude et d’une éventuelle extraction de pétrole sur la vie marine, ainsi que la pollution des écosystèmes côtiers dont dépendent les communautés Xhosa pour leur subsistance et leurs rituels traditionnels.
- Le ministre des ressources minérales et de l'énergie a signalé le soutien du gouvernement à la prospection pétrolière, critiquant les manifestants pour leurs actions et les accusant d’ “apartheid” et de “colonialisme d'un type particulier".
Durant l’une des manifestations spontanées les plus importantes de l’Afrique du Sud postapartheid, des milliers de personnes se sont rassemblées sur les plages de la côte est du pays, dimanche 5 décembre pour exprimer leur désaccord avec le projet d’une étude sismique 3D offshore, prévue par le géant pétrolier anglo-néerlandais Shell. D’autres manifestations sont attendues.
De nombreux manifestants sont issus des populations indigènes et des communautés locales (IPLC), qui considèrent l’océan non pas seulement comme une source de subsistance, mais comme un élément ayant une importante signification culturelle.
“Il y avait un seul message : L’océan appartient au peuple”, a déclaré Sinegugu Zukulu, président adjoint de Sustaining the Wild Coast, lors d’un entretien téléphonique. “Le gouvernement n’a pas le droit de prendre des décisions sans d’abord s’entretenir avec ceux qui seront les plus touchés.”
Membre de la communauté Mpondo, Zukulu est également le principal plaignant dans l’une des deux demandes d’interdiction déposées contre le ministre sud-africain des ressources minérales et de l’énergie, le ministre des forêts, de la pêche et de l’environnement, Shell, BG International Ltd et Impact Africa.
Ces actions en justice visent à contester la légalité des activités d’exploration de l’entreprise Shell.
“Notre argument porte sur l’absence de consultation”, souligne Nonhle Mbuthumba, résident et porte-parole du Comité de crise d’Amadiba (ACC), une organisation de défense des droits coutumiers des communautés indigènes contre les projets miniers destructeurs. “Il n’y a pas eu une seule réunion d’information sur la manière dont Shell va forer (pour rechercher) le gaz et le pétrole”.
Le dimanche 5 décembre, l’ACC a mené l’une des plus grandes manifestations, avec près de 1 000 personnes réunies à l’embouchure de la rivière Mzamba, une zone située au cœur de l’endroit où les activités pétrolières sont censées se dérouler.
Les ondes de choc, un danger pour la vie marine
L’annonce par Shell, début novembre, du lancement en décembre de tests sismiques sur 6 000 kilomètres carrés au large de la côte sauvage, a provoqué la réprobation générale des militants écologistes, communautés indigènes et défenseurs de l’environnement dans le pays.
L’étude prévue entre décembre 2021 et le printemps 2022, consiste en l’exécution d’ondes de choc semblables à des explosions qui seront envoyées à travers le fond marin à des intervalles de 10 secondes pendant 24 heures tous les jours. Dans une réponse écrite à Mongabay, Shell a affirmé avoir “une longue expérience dans la collecte de données sismiques en mer et (prendre) grand soin de prévenir ou de minimiser les impacts potentiels sur les poissons, les mammifères marins et autres espèces sauvages.”
Le ministère des Ressources minérales et de l’Énergie (DMRE) a assuré par écrit à Mongabay, avoir pris note des préoccupations concernant l’étude sismique. Il a toutefois souligné qu’un audit indépendant entrepris en 2020 avait conclu que “les mesures contenues dans le programme de gestion environnementale (EMPr) prévoient -de manière suffisante- d’éviter et d’atténuer les impacts environnementaux potentiels.”
A l’exception d’une étude qui a démontré les effets négatifs des essais sismiques sur le plancton, il existe peu de données scientifiques concernant les impacts sur les autres espèces océaniques. Les scientifiques suggèrent toutefois que le bruit puissant et constant émis par les canons à air a des effets néfastes sur la vie marine.
“La plupart des animaux sous l’eau communiquent, s’accouplent et évitent les prédateurs grâce au son”, explique à Mongabay, Lorien Pichegru, directeur par intérim de l’Institut de recherche côtière et marine de l’Université Nelson Mandela à Port Elizabeth. “Un niveau élevé de bruit les affecte”. Pichegru a notamment observé un changement dans le comportement des manchots suite à des tests sismiques en 2013.
En 2016, la province sud-africaine du Kwazulu Natal a enregistré un nombre record de 74 animaux marins échoués sur le rivage. Bien qu’aucun lien direct n’ait été établi, ce phénomène a été attribué à une étude sismique qui s’est prolongée durant la saison des baleines.
Une nouvelle loi face à un ancien droit d’exploration
Le droit d’exploration en question a été accordé à Impact Africa, une société d’exploration privée, suite à une décision prise par le DMRE en avril 2014. Shell a acheté une participation de 50 % en 2020.
Ce droit a précédé de peu une modification de la loi sud-africaine sur l’environnement, qui exige désormais qu’une autorisation environnementale (AE) soit soumise parallèlement à toute demande de renouvellement d’un droit d’exploration existant.
Le 3 décembre, le tribunal a rejeté la première demande pour l’annulation de ce droit, déposée par des associations locales et des organisations de justice environnementale. La seconde demande, menée par Zukulu et d’autres parties prenantes de l’IPLC, a été entendue le 17 décembre.
“Nous avons des droits. Selon la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones (UNDRIP), nous dépendons toujours des ressources naturelles de nos terres”, a rappelé Zukulu à Mongabay.
La province du Cap-Oriental est l’une des régions les moins urbanisées du pays, la majorité de la population vivant dans des zones rurales. Pour Zukulu, Shell et le gouvernement sud-africain agissent en violation des droits des populations indigènes, au consentement libre, préalable et éclairé, comme le souligne l’UNDRIP, ainsi que de leur droit constitutionnel à un environnement sûr et sain.
“Contrairement à d’autres zones côtières d’Afrique du Sud, les peuples indigènes ont conservé la possession de ces terres malgré les vagues d’agressions coloniales et d’apartheid”, a écrit Zukulu dans sa déclaration sous serment devant le tribunal.
Des moyens de subsistance et une spiritualité liés à l’océan
La Wild Coast est une section de la province sud-africaine du Cap oriental, qui s’étend de la rivière Mtamvuna au nord à la rivière Great Kei au sud. Elle est habitée depuis des siècles par le peuple indigène Xhosa, qui estime qu’il subira de plein fouet les conséquences de l’étude sismique et de l’éventuelle extraction de pétrole et de gaz.
Les habitants des royaumes xhosa de Pondoland, Thembuland, Gcalekaland et Rharhabeland rejettent fermement le projet du gouvernement d’autoriser les compagnies pétrolières et gazières à pénétrer sur leurs territoires. Les personnes qui dépendent de la collecte des ressources marines et de la pêche craignent de perdre leurs moyens de subsistance.
“Nous avons beaucoup de pêcheurs dont les revenus dépendent de l’océan”, a précisé Mbuthumba de l’ACC. Si celui-ci est affecté, les gens perdront leur emploi. “Et nous savons que dans les activités de forage (de Shell), il n’y a pas d’emplois pour nous”.
Ntsindiso Nongcavu est un autre plaignant. Pêcheur au sein de la communauté Scanbeni, à 30 minutes de marche de la côte, il gagne sa vie grâce à l’océan et vend ses poissons sur les marchés. Nongcavu est gravement préoccupé par les opérations de prospection de Shell.
“Notre crainte est que si cela continue, nos moyens de subsistance seront détruits car aucun écosystème de l’océan ne peut survivre à l’exploitation minière”, s’inquiète-t-il lors d’un entretien téléphonique avec Mongabay.
Les membres communautaires et les activistes font référence aux déversements de pétrole qui ont eu lieu ailleurs sur le continent suite aux activités extractives de Shell. Nongcavu rappelle l’histoire des déversements au Nigeria depuis les années 1970, avec en 2008 et 2009, des fuites majeures aux impacts dévastateurs. Selon Amnesty International, Shell et ENI ont été responsables de plus de 3 000 fuites.
Des recherches menées par l’ONU révèlent en outre que des décennies d’exploration pétrolière dans le delta du Niger ont causé des dommages environnementaux, et affecté des dizaines de milliers de personnes dans la région. La contamination de l’eau potable et des sols a provoqué des problèmes de santé parmi les communautés IPLC.
“Les procédures propres à la Shell Petroleum Development Company n’ont pas été appliquées, créant ainsi des problèmes de santé et de sécurité publiques”, indique le rapport. Comme certains déversements touchent des marécages et des forêts sacrées, le processus de nettoyage nécessitera une combinaison d’approches, des technologies innovantes et devrait prendre de 25 à 30 ans.
Les expériences du Nigeria renforcent les arguments contre ce que les communautés touchées par l’exploitation minière en Afrique du Sud appellent le “développement imposé”. Le peuple Xhosa attribue une signification importante à l’eau qui est utilisée comme lieu de guérison et de médecine. À ce titre, l’extraction de pétrole et de gaz peut non seulement affecter l’intégrité des écosystèmes marins, mais aussi endommager les sites culturels du peuple Xhosa et perturber ses traditions.
“Nos ancêtres résident dans l’océan” explique Nonhle Mbuthumba, de l’ACC. Dans leur culture, les guérisseurs traditionnels, appelés Sangomas, y accomplissent leurs rituels pour entrer en contact avec les ancêtres, qui sont considérés comme des guides, des mentors et des protecteurs. Toute activité de dynamitage ou de forage dans l’océan perturberait ces rituels.
“Ils [Shell] pensent peut-être que l’océan ne peut pas se battre pour lui-même. Mais il le peut: la mer monte, et quand elle monte, elle affecte les gens sur le terrain”, indique Mbuthuma. “Nous sommes liés à la nature”.
La décarbonisation est à mi-chemin
Dans la province du Cap-Oriental, le changement climatique se fait déjà sentir et les communautés indigènes sont les plus touchées. Au cours des dernières années, des précipitations imprévisibles, une augmentation des inondations qui endommagent les cultures, la propagation d’espèces envahissantes et une augmentation des sécheresses, ont été enregistrées. La province devrait connaître des conditions météorologiques encore plus extrêmes.
L’Afrique du Sud est actuellement le 13e plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde à cause de sa forte dépendance au charbon. Selon les militants du climat, le soutien du gouvernement au secteur pétrolier et gazier, mis en œuvre par le biais de l’opération Phakisa lancée en 2013, est un contraste frappant avec ses engagements comme signataire de l’accord de Paris pour réduire les émissions, et sa participation aux sommets sur le climat.
Lors du sommet climatique de la COP 26 de l’ONU en novembre, l’UE et une coalition de pays occidentaux ont promis un total de 8,5 milliards de dollars sur les 5 prochaines années pour appuyer les efforts de décarbonisation du pays. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a salué cet engagement et a reconnu “l’importance d’une transition juste vers une société à faible émission de carbone et résiliente au changement climatique, qui favorise l’emploi et les moyens de subsistance.”
Lors d’un point de presse, le ministre des ressources minérales et de l’énergie, Gwede Mantashe, a fustigé les détracteurs du pétrole et du gaz, déclarant considérer “les objections à ces développements comme de l’apartheid et du colonialisme d’un type particulier, maquillés en grand intérêt pour la protection de l’environnement”.
Pour les manifestants, le pays ne peut pas se permettre de nouvelles activités d’exploration pétrolière et respecter ses engagements climatiques.
“Nous voici, quelques semaines plus tard (après la COP 26), et l’Afrique du Sud est (toujours) partenaire de Shell pour l’exploration pétrolière”, dénonce Zukulu. Il est prêt à porter le combat juridique devant la Cour constitutionnelle si l’affaire est rejetée.
D’autres manifestations sont prévues contre Shell.
Image de la bannière : Manifestation du Comité de crise d’Amadiba sur la plage de Mzamba. Image reproduite avec l’autorisation du Comité de crise d’Amadiba.
Un podcast de Mongabay à écouter: conversation avec Daisee Francour, de Cultural Survival, et Anuradha Mittal, de l’Oakland Institute, sur l’importance de garantir les droits fonciers des communautés indigènes, dans le contexte d’une augmentation de la privatisation des terres dans le monde. Ecoutez ici (en anglais):
Article original : https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/12/indigenous-communities-in-south-africa-sue-protest-off-shore-oil-and-gas-exploration/