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Après un répit lié à la pandémie, les bûcherons reviennent dans une forêt unique de Madagascar

  • La forêt de Vohibola est l’une des dernières forêts primaires restant dans l’est de Madagascar. Elle abrite les plus petites grenouilles du monde et d’autres espèces rares et menacées.
  • Pendant quelque temps, dans le calme imposé par les confinements de la pandémie de COVID-19, la forêt de Vohibola a connu un répit face à certaines des difficultés qui l’affectent depuis longtemps, notamment la déforestation, les incendies, et le trafic de bois et de charbon de bois.
  • Les populations locales ont uni leurs efforts pour planter des milliers d’arbres, et la forêt et sa faune avaient l’air de se détendre et de récupérer.
  • Cependant, aujourd’hui, Vohibola, une forêt communautaire gérée par un groupe de bénévoles sous-financés, semble revenir à sa situation d’avant, des incidents d’abattage illégal faisant leur réapparition.

FORÊT DE VOHIBOLA, Madagascar — La crise de COVID-19 a dévasté le secteur du tourisme à Madagascar, plongeant les communautés proches des forêts emblématiques du pays dans une période de difficultés économiques encore plus sévère qu’à l’habitude pour ce pays pauvre. C’est le cas autour de la forêt de Vohibola, l’une des dernières miettes de forêt primaire restant dans l’est de Madagascar qui abrite les plus petites grenouilles du monde ainsi que d’autres curiosités naturelles. En parallèle, quelque chose d’agréable s’est produit là-bas dans la nature laissée en paix lorsque les visiteurs ont disparu. En février dernier, des patrouilleurs ont été stupéfaits de rencontrer une famille de propithèques couronnés (Propithecus diadema), une espèce en danger critique de lémuriens qu’ils pensaient disparue de la forêt des années auparavant.

« La dernière fois que j’ai vu ces animaux à Vohibola, cela remonte à 2008 », a dit Cyril Nabe, qui travaille pour préserver la forêt depuis 2000. Il occupe actuellement le poste de patrouilleur en chef et est aussi un membre du conseil pour la commune d’Ambinaninony, où se trouve la forêt. « Il semble qu’il y ait maintenant des endroits dans la forêt présentant de meilleures conditions pour leur survie », a dit Nabe.

Le peuple malgache apprécie depuis longtemps le paysage idyllique, la faune inhabituelle et les vertus médicinales de la flore de Vohibola. Selon des anciens d’Andranokoditra, l’un des quatre villages principaux entourant Vohibola, le premier président de Madagascar, Philibert Tsiranana, qui a gouverné de 1959 à 1972, venait en vacances ici. Les vestiges de sa résidence sont encore visibles. Avant la pandémie, les quatre villages accueillaient des amoureux de la nature et des chercheurs étrangers, et dépendaient en partie des revenus qu’ils apportaient.

En février dernier, des patrouilleurs ont observé une famille de propithèques couronnés (Propithecus diadema), une espèce en danger critique de lémuriens qu’ils pensaient disparue de la forêt de Vohibola des années auparavant. Image par Rhett A. Butler/Mongabay.

Mais Vohibola a eu son lot de problèmes. Elle a perdu plus de la moitié de sa surface à cause de la déforestation depuis les années 1980. Elle a été touchée par des incendies. Les trafiquants de bois et de charbon de bois l’ont tenue d’une poigne de faire, semblant bénéficier du soutien des autorités locales selon des membres de Razan’ny Vohibola. Ce groupe local de bénévoles, qui a la charge de gardien officiel de la forêt depuis 2017, a parfois été la cible des trafiquants et des autorités. Des défenseurs ont essayé, et ont jusqu’à présent échoué, d’obtenir pour Vohibola, aujourd’hui une forêt communautaire, un statut protégé officiel. Et les engagements du gouvernement central à soutenir Razan’ny Vohibola tardent à se concrétiser. De nombreux animaux et plantes vivant dans Vohibola sont aujourd’hui désignés comme étant en danger critique, en danger ou vulnérable à cause du trafic et de la perte d’habitat due à l’exploitation forestière, aux incendies et aux cyclones.

Pourtant, pendant quelque temps, sous le couvert de la pandémie, de bonnes choses se sont produites à Vohibola. La déforestation a ralenti, selon les patrouilleurs de Razan’ny Vohibola. Les populations locales ont uni leurs efforts pour planter des milliers d’arbres, un effort pour réparer les dégâts des années précédentes. Et la forêt et ses habitants non humains, comme les propithèques couronnés, ont eu l’air de se détendre et de récupérer pendant l’absence des visiteurs.

Tel était le ressenti lors de la randonnée de Mongabay à travers Vohibola fin juin avec Angélique Decampe, responsable de Razan’ny Vohibola et copropriétaire d’un hôtel du coin, et de deux patrouilleurs. Nous sommes tombés sur trois boa terrestre de Madagascar bruns et noirs (Acrantophis madagascariensis) étendus dans une clairière, détendus. « C’est incroyable », a dit Decampe. « Les serpents sont généralement solitaires. C’est rare de les voir rassemblés au même endroit. »

Nous nous sommes arrêtés à maintes reprises pour nous émerveiller devant d’adorables petites orchidées et des champignons colorés sortant du sol.

Toutefois, quelques mois plus tard, Vohibola semble revenir à sa situation d’avant. Suite à la levée des confinements liés à la COVID-19 dans le pays en juin, les incidents d’abattage illégal ont augmenté insidieusement, une série s’étant produite ces dernières semaines.

Le chef des patrouilleurs de Razan’ny Vohibola, Cyril Nabe, utilise un récepteur GPS pour documenter les coordonnées d’un site de reforestation au bord de la forêt de Vohibola. Image par Rivonala Razafison pour Mongabay.

La forêt comme pharmacie naturelle

La forêt de Vohibola abrite un éventail d’habitats distincts et d’espèces de plantes endémiques qui en font un sanctuaire pour la faune diverse de l’est de Madagascar, selon le plan de gestion des paysages 2018 de la réserve. Un inventaire réalisé en 2018 a mis en évidence sept espèces de lémuriens, 50 espèces d’oiseaux, 11 espèces d’amphibiens et 19 espèces de reptiles parmi de nombreux autres animaux. En 2012, des scientifiques du Jardin botanique du Missouri ont découvert l’espèce de grenouille la plus petite du monde, Stumpffia vohibolensis, dont plusieurs tenaient sur un ongle, vivant là-bas. Une année auparavant, une nouvelle espèce de minuscule caméléon appelé Calumma vohibola a été décrit scientifiquement comme provenant de là également. Des recherches plus approfondies ne peuvent que mener à la découverte d’autres nouvelles plantes et animaux dans la réserve, a dit Guy Eric Onjalalaina, un étudiant en thèse malgache travaillant dans le domaine de la taxonomie des plantes à l’Académie des Sciences chinoise.

Les habitants d’Andranokoditra connaissent bien les vertus des plantes. Presque toutes les plantes de la forêt ont des vertus médicinales, selon Nabe, le patrouilleur. En fait, la dernière équipe de recherche internationale à s’être aventurée dans Vohibola avant le début de la pandémie comprenait une douzaine de scientifiques chinois qui sont venus en novembre 2019, notamment des botanistes du Jardin botanique de Wuhan. Parmi les plantes qui intéressaient les chercheurs en visite se trouvaient trois espèces d’arbres que les habitants du coin utilisent pour traiter la fièvre et d’autres maux, selon Onjalalaina, qui en tant que membre du Jardin botanique de Wuhan a accompagné le groupe à Vohibola. « Nous pensions qu’ils auraient développé des médicaments contre la COVID avec ce matériel », a dit Nabe.

Pendant la série de confinements liés à la COVID-19 à Madagascar, les habitants ont vu la forêt comme une pharmacie naturelle, un cadeau de Dieu et de leurs ancêtres. Jusqu’à présent, personne à Andranokoditra n’a été testé positif pour le virus qui a tué 964 personnes dans le pays en date du 7 novembre. Les habitants ont dit à Mongabay qu’ils pensent que les plantes médicinales traditionnelles de la réserve les ont protégés du virus. « La pandémie a aidé les membres de la communauté à mieux comprendre à quel point la forêt et sa conservation sont vitales pour eux et leurs enfants », a dit Decampe.

Les habitants des alentours mangent cette espèce de champignons qui pousse à Vohibola. Image par Rivonala Razafison pour Mongabay.
Des habitants d’Andranokoditra, l’un des quatre principaux villages proches de la forêt de Vohibola, rassemblés pour une distribution de provisions le 25 juin 2021. Image par Rivonala Razafison pour Mongabay.

Les protecteurs

La couverture forestière dense restante de Vohibola s’élevait à 500 hectares (5 km2) en 2018, en baisse par rapport aux 1 450 hectares (14,5 km2) en 1984, selon le plan de gestion des paysages de la réserve. Le déclin de la couverture forestière a augmenté rapidement de 2004 à 2014, note le plan. Des incendies déclenchés par la production de charbon de bois clandestine sont en grande partie responsables. Un seul incendie en 2001 a détruit les trois quarts de la réserve selon le document. Lorsque Razan’ny Vohibola a pris en charge la gestion de la forêt, elle a intensifié les patrouilles et mis un frein à la production de charbon de bois. Cela a porté ses fruits avec nettement moins d’incendies, selon Nabe.

Razan’ny Vohibola, qui signifie, vaguement, « Protecteur de Vohibola » en Malgache, a obtenu de bons résultats de conservation de la forêt, a dit Armando Lionel Tezena, directeur du bureau régional du ministère de l’Environnement pour Antsiranana. Au début de l’année, l’association a renouvelé son accord avec le ministère pour gérer Vohibola pour cinq années supplémentaires, et elle entretient une communication régulière avec le bureau de Tezena.

Dans le cadre de l’accord, l’association reboisera 5 % de la surface totale de la forêt, en ciblant des secteurs dégradés. « Je suis sûr que ces membres n’auront pas de mal à atteindre l’objectif vu leur dynamisme et leur motivation », a dit Tezena à Mongabay.

L’association a planté 9 000 arbres indigènes jusqu’à maintenant, selon Nabe, vers un objectif de planter 15 000 arbres d’ici à décembre. Une nouvelle technique de culture de plants en godets fabriqués à partir de feuilles séchées de l’arbre endémique de la région fandrana (Pandanus concretus) au lieu de godets en plastique a facilité le travail. « Les habitants des alentours comprennent l’importance de la reforestation », a dit Nabe, ajoutant que 150 des 180 inscrits sur les listes électorales ont participé aux plantations d’arbres depuis janvier.

L’association de femmes fabriquant des objets artisanaux de 42 membres s’est également portée volontaire pour planter 1 000 arbres à ses frais. Pendant la haute saison de tourisme, chaque membre avait l’habitude de gagner jusqu’à 40 000 ariarys (10,40 dollars) par jour en vendant des produits faits à la main aux visiteurs de la réserve. Leur revenu, comme celui de nombreux habitants du coin qui dépendent des visiteurs, s’est évaporé pendant la pandémie. Beaucoup se sont tournés vers la pêche pour gagner leur vie, mais certains ont commencé à couper illégalement des arbres pour du bois ou du charbon de bois.

Avec des dons de personnes du monde entier, Razan’ny Vohibola a acheté du riz et d’autres provisions pour les distribuer aux villageois dans le besoin. L’association a cherché des moyens de diversifier les sources de revenus des villageois, menant des activités de développement comme l’apiculture. Parallèlement, l’association est devenue plus stricte sur l’application des règles de conservation. Une nouvelle règle, soutenue par le ministre de l’Environnement, implique que toute personne prise en train de couper des arbres illégalement doit planter 1 000 arbres.

Jusqu’à présent, cinq personnes ont été sanctionnées en vertu de la nouvelle règle. « Nous les accompagnons et participons à la plantation des arbres. La philosophie est d’enseigner à tout le monde à quel point il est utile de prendre soin de la nature. À la fin de la plantation, nous leur disons que les arbres qu’ils ont plantés sont pour nous, pour tous les Malgaches et pour le monde entier », a dit Decampe.

Pendant un temps, la règle a eu l’air de fonctionner. « Si, par exemple, nous faisions face à 100 coupeurs d’arbres illégaux avant, ce nombre est maintenant tombé à cinq », a dit Nabe en juin.

Angélique Decampe, deuxième à gauche, dirige Razan’ny Vohibola. Image par Rivonala Razafison pour Mongabay.
Des habitants préparent des pots faits à partir de feuilles pour des plants d’arbres à Vohibola le 24 avril 2021. Image fournie par Razan’ny Vohibola.

Les haches reviennent dans la forêt

Mais la levée des restrictions liées à la pandémie en juin, associée aux difficultés économiques imposées par la pandémie, semble avoir poussé plus d’habitants à ignorer la règle. En outre, la plus grande menace pour les arbres de Vohibola vient de l’extérieur. Des réseaux de contrebande trafiquent illégalement du charbon de bois et des bois précieux de Vohibola jusqu’au port de Toamasina, la capitale économique de Madagascar, à 60 kilomètres au nord, en utilisant le canal des Pangalanes. Le canal s’étend parallèle à la côte sur 700 km, séparé de l’océan Indien par une crête sableuse inhabitée.

L’abattage et la production de charbon de bois illégaux se sont intensifiés depuis juillet, et a fait un bond dans les dernières semaines, selon Razan’ny Vohibola. Le 7 octobre, les patrouilleurs du groupe ont découvert 650 morceaux de bois coupés illégalement en piles dans la forêt. Ils ont détruit un four à charbon de bois et éparpillé le charbon de bois emballé pour être transporté illégalement à Toamasina. Deux jours avant, des patrouilleurs ont stoppé des habitants des villages d’Ambodirotra, de Tampina et de Topiana qui abattaient des arbres illégalement, très probablement de connivence avec des trafiquants extérieurs.

« La vérité, c’est que les projets alternatifs ou les activités rémunératrices envisagés n’ont pas encore fonctionné. Les visiteurs ont disparu. Les gens avaient faim », a dit Decampe. « Ce n’est pas agréable de sévir contre les gens. Ils ont besoin de survivre. »

En réponse, Razan’ny Vohibola a multiplié les patrouilles en forêt, mais cela n’a pas été facile. L’association n’a pas pu payer ses patrouilleurs, selon Decampe. « Ils ont seulement reçu du riz que l’association a pu acheter grâce à l’argent de donateurs. Ce qui est bien, c’est qu’ils sont compréhensifs. Ils ne se plaignent pas. Ils font leur travail. », dit-elle.

L’aide du gouvernement fait également défaut. Selon la loi, les administrations communales locales doivent aider les associations de conservation, selon Tezena. Mais Razan’ny Vohibola n’a reçu aucun soutien financier ou logistique de la commune d’Ambinaninony, selon ses titulaires, au milieu de tensions de longue date avec les maires actuelle et précédent. Mongabay a essayé plusieurs fois de joindre la maire d’Ambinaninony par téléphone pour un commentaire, mais elle n’a pas répondu. Le soutien du gouvernement central a été plus fort : ces derniers mois, Tezena a sporadiquement déployé des agents de contrôle à Vohibola pour aider Razan’ny Vohibola, y compris récemment, fin octobre. Et en août, Tezena et le ministre de l’Environnement, Baomiavotse Vahinala Raharinirina, ont rencontré la direction de l’association et des représentants de la communauté.

« La communauté et Mme Decampe ont fait le mieux qu’elles ont pu. Je pense qu’il serait utile pour elles que le statut de Vohibola soit changé en aire protégée, ce qui est un processus très long », a dit Onjalalaina, le spécialiste en taxonomie des plantes. Le statut protégé apporterait de l’argent et du soutien du gouvernement central. Mais une tentative d’obtenir un tel statut a échoué en 1998.

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L’espoir sous la forme d’un lémurien nouveau-né

Malgré les difficultés, Decampe maintient qu’il y a des raisons d’être optimiste. Razan’ny Vohibola est en discussion avec l’ONG Univet Nature pour décrocher au moins cinq ans de financement pour ses activités de protection de la forêt. Et les touristes et les chercheurs reviendront peut-être bientôt à Vohibola, apportant un certain soulagement économique aux habitants, et peut-être aussi, un répit des haches sur la forêt. Les frontières de Madagascar ont réouvert pour des nations d’une liste restreinte, principalement en Europe le 6 novembre. Et les autorités régionales ont récemment lancé un coup de pouce pour stimuler le tourisme le long du canal des Pangalanes.

L’espoir peut prendre de nombreuses formes à Vohibola. Mi-octobre, Decampe et son mari Stephane Decampe étaient chez eux en bordure de la forêt, ils regardaient un groupe de lémurs bruns (Eulemur fulvus) lorsqu’ils ont été témoins d’un drame déchirant. Une femelle était perchée dans un arbre avec un nouveau-né de quelques jours qui avait du mal à se tenir à elle, a raconté Stéphane à Mongabay. La femelle a essayé d’agripper le bébé, mais il est tombé hors de portée et elle a fini par l’abandonner lorsque le groupe s’est éloigné.

« Ses cris m’ont conduit jusqu’à lui dans le buisson. Je l’ai emmené à la maison pour en prendre soin pendant la nuit », a dit Stephane. Le couple l’a enveloppé dans une couverture pour le réchauffer et lui a donné de la banane mélangée à du lait. Le jour suivant, la bande de lémuriens est revenue. « La mère ne mangeait pas. Elle restait à l’écart des autres. Elle avait l’air triste » a-t-il raconté. « Lorsque je lui ai présenté son bébé, elle l’a repris avec bonheur et elle s’est mise à faire sa toilette. La voyant faire, ses amis ont arrêté de manger, les ont encerclés et ont aussi léché le bébé sauvé. »

Il l’a échappé belle, mais le petit lémur brun est un rare membre de plus pour la communauté de la forêt de Vohibola.

Un bébé lémur brun (Eulemur fulvus) secouru par Razan’ny Vohibola après qu’il ait été séparé de sa mère. Les deux ont été réunis le lendemain. Image fournie par Razan’ny Vohibola.

Image de bannière : Justin Rakoto, un patrouilleur avec Razan’ny Vohibola. Image par Rivonala Razafison pour Mongabay. 

 
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/11/after-a-pandemic-reprieve-loggers-return-to-a-unique-madagascar-forest/

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