- Selon un rapport récent de la Rainforest Foundation UK (RFUK), les nouveaux projets d'infrastructure de transport et d'énergie dans le bassin du Congo ne tiennent pas suffisamment compte de leur impact environnemental et social et peuvent conduire à une dégradation irréversible de cette région forestière vitale.
- La RFUK appelle les gouvernements régionaux et les prêteurs internationaux à adopter une approche plus ferme et plus transparente pour gérer les impacts environnementaux des projets d'infrastructure, assurant ainsi la durabilité du développement des zones concernées.
- Le rapport indique que les projets d'infrastructure entrent souvent en conflit avec les objectifs des projets REDD+ et que leurs impacts négatifs ne sont pas correctement pris en compte.
- Denis Sonwa du Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR), indépendant de la RFUK et de son rapport, affirme que les systèmes REDD+ donnent un poids et une légitimité supplémentaires à l’industrie sylvicole dans les négociations sur les projets d'infrastructure.
Comment développer son économie et fournir des services de manière durable ? C’est là le thème central du sommet climatique de l’ONU en cours à Glasgow, et en peu d’endroits, c’est le problème plus aigu que dans les vastes forêts tropicales du bassin du Congo. Un nouveau rapport de la Rainforest Foundation UK (RFUK) soulève des inquiétudes sur le fait qu’une série de projets d’infrastructure, proposés ou en cours, dans la région pourraient entraîner des conséquences négatives irréversibles pour la forêt et les communautés qui y vivent.
« Peu de gens pourraient nier que le bassin du Congo a besoin de développement », admet Joe Eisen, directeur général de la RFUK et l’un des auteurs du rapport. « Toutefois, nos recherches montrent que les projets d’infrastructure sont soumis à peu de contrôles et ne sont pas toujours menés dans l’intérêt des populations locales et nationales. »
Le bassin du Congo s’étend sur 200 millions d’hectares dans six pays : le Cameroun, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la République du Congo, la Guinée équatoriale et le Gabon. C’est l’un des couverts forestiers les plus vastes et les plus importants au monde. En outre, il enregistre des taux de déforestation relativement faibles par rapport à d’autres forêts tropicales comparables.
Cela est dû en partie au faible niveau de développement dans la région.
« C’est une région qui connaît un véritable déficit en infrastructures, en particulier dans les secteurs du transport et de l’énergie », explique D. Sonwa, chercheur senior du Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR) basé au Cameroun, qui n’a pas participé à la rédaction du rapport de la RFUK.
Pour les gouvernements des pays du bassin du Congo, le transport et l’énergie sont les axes de développement prioritaires. Moderniser des routes ou des chemins de fer permettrait de réduire les coûts de transport des biens et des personnes, ainsi que de faciliter considérablement l’accès des communautés rurales aux marchés et aux services, notamment de santé. Les projets d’infrastructure dans le secteur de l’énergie renouvelable, tels que l’hydroélectricité, offrent la promesse de stimuler le PIB tout en permettant l’autosuffisance ce qui, à terme, consolide la sécurité nationale.
Tout projet d’infrastructure dans une forêt vierge a un impact indéniable et direct sur l’environnement. Il faut notamment défricher pour laisser place à une ligne de chemin de fer, ou inonder des zones très vastes. C’est le cas par exemple du barrage hydroélectrique de Lom Pangar, au Cameroun, dont le réservoir a inondé près de 30 000 hectares de forêt. Mais la RFUK se concentre sur des impacts plus larges qu’elle affirme ne pas être correctement pris en compte dans les analyses coûts-avantages et les évaluations environnementales.
« La quasi-totalité des études de cas abordées dans notre rapport a des chances d’avoir un impact majeur et probablement irréversible sur les forêts, et pourtant il n’y a que peu de preuves que cela a été sérieusement considéré par les décideurs politiques », affirme J. Eisen.
De nouvelles routes qui ouvrent l’accès à des forêts auparavant reculées ont entraîné une déforestation accrue, un défrichage pour l’agriculture de subsistance et une augmentation de la chasse à la viande de brousse ou aux parties d’animaux sauvages dans d’autres zones forestières. Une étude menée en Amazonie a révélé que 95 % des zones défrichées se trouvent à moins de 5,5 km d’une route ou à 1 km environ d’une rivière navigable. De nouveaux projets d’infrastructure peuvent également conduire à un afflux de personnes dans des régions auparavant peu peuplées, ce qui augmente la pression sur l’environnement et entraîne de nombreux problèmes sociaux pour les populations locales, en particulier les communautés autochtones.
La RFUK craint quant à elle que les cadres de planification et de développement dans la région ne soient pas suffisamment stricts pour évaluer et limiter adéquatement les impacts environnementaux et sociaux des nouveaux projets d’infrastructure. Son rapport met en évidence huit études de cas où elle indique que les évaluations des impacts ne sont pas parvenues à comprendre et atténuer l’ensemble des retombées du projet. Les exemples montrent également des échecs fréquents de mise en œuvre ou de surveillance des plans de gestion environnementale ou sociale.
« Ce rapport a pour avantage d’ouvrir les yeux sur la question du développement, de montrer que ce n’est pas seulement un problème technique qui ne regarde que les ingénieurs et les économistes », affirme D. Sonwa. « Cela permet de visualiser l’impact que le développement des infrastructures, en particulier les nouvelles, peut avoir sur la conservation des forêts. »
Déforestation accrue à la suite de la rénovation de la route Kisangani-Beni dans le cadre du projet d’infrastructure proroutes financé par la Banque mondiale en République démocratique du Congo. La RFUK affirme que la surveillance et les garanties environnementales du projet ont été inefficaces. Sources des images et données avant : Hansen/UMD/Google/USGS/NASA et Planet Imagery ; après : Planet Imagery
Le rôle des bailleurs de fonds
Image reproduite avec l’autorisation de l’UICN/UNESCO. La RFUK affirme que le barrage de Mékin au Cameroun illustre nombre de leurs critiques à l’égard des infrastructures dans le bassin du Congo. Ce barrage, capable de générer une puissance de 15 mégawatts, et sa ligne de transport ont été promus comme une solution à l’alimentation électrique limitée et irrégulière dans le sud du Cameroun. En outre, le projet offrait la promesse d’une couverture électrique des ménages aux environs immédiats du barrage, dans les districts de Dja et de Lobo. L’évaluation environnementale du projet de barrage annonçait que 4 500 hectares de forêt seraient défrichés pour laisser place au réservoir. Toutefois, la RFUK estime que ce sont 26 850 hectares de forêt qui ont été abattus, et ce même en dehors de la zone d’inondation du réservoir. Reloger les ménages touchés s’est avéré difficile et la Société Hydro-Mékin, entreprise publique créée pour gérer la construction du barrage, n’a jamais déposé de rapport sur la mise en œuvre de l’évaluation environnementale du projet. Elle a également refusé de répondre aux recommandations formulées à la suite d’audits environnementaux conduits par des organismes gouvernementaux. |
De grandes infrastructures nécessitent de grandes sommes. Pour les pays du bassin du Congo, cela implique de chercher du financement auprès d’organisations comme la Banque africaine de développement et la Banque mondiale. Ces agences internationales tendent de plus en plus à accompagner leurs financements de garanties et d’avertissements destinés à assurer que les projets de développement ne causent pas de dommages environnementaux et sociaux non intentionnels. Mais selon la RFUK, le contrôle et l’application de ces conditions de prêt ne sont pas assez stricts.
« [Le rapport] expose totalement les défauts des partenaires de développement traditionnels comme la Banque mondiale, qui ont constamment échoué à maintenir leurs propres garanties sociales et environnementales », affirme J. Eisen.
Le rapport de la RFUK souligne également que la Banque mondiale, en plus des projets d’infrastructure, a engagé des fonds pour des projets REDD+ dans la région. La REDD+, ou réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts, est une initiative soutenue par l’ONU. Elle est conçue pour récompenser les pays en voir de développement pour le service écosystémique mondial de séquestration du carbone que leurs forêts fournissent, leur permettant ainsi de se développer sans impacter le couvert forestier.
Le rapport de la RFUK pointe également du doigt le fait les sites de construction des projets d’infrastructure et les projets REDD+ coïncident souvent et leurs financements proviennent parfois du même bailleur de fonds. Toutefois, les seconds tiennent rarement compte de l’impact potentiel des premiers.
Selon J. Eisen et ses collègues, le résultat net pourrait être que les projets d’infrastructure contreviennent aux avantages environnementaux créés par la REDD+.
La RFUK a critiqué les projets REDD+ dans la région, les considérant comme généralement inefficaces. D. Sonwa, quant à lui, voit les choses différemment.
« Nous devons donner plus de pouvoir à ceux qui parlent de questions sociales et environnementales lorsque des projets sont mis en avant », a-t-il déclaré. « C’est une bonne chose que la dynamique REDD+ mette ça sur la table. »
D. Sonwa a également déclaré que le potentiel économique des projets REDD+, qui offrent des revenus supplémentaires aux gouvernements en protégeant leurs forêts, donne une voix plus forte au secteur forestier dans les discussions avec les dirigeants d’Afrique centrale sur les avantages des nouveaux projets d’infrastructure. Cela peut se révéler encore plus important dans les petits projets financés sur le marché intérieur, qui n’offrent pas les garanties imposées par les prêteurs internationaux, ou dans les projets de plus en plus nombreux financés par des banques et entreprises chinoises où l’environnement n’est souvent pas une priorité.
Le rapport appelle à une évaluation plus forte des impacts cumulatifs des projets d’infrastructure actuels et à venir, à une plus grande responsabilisation, à plus de transparence dans le processus de planification et de mise en œuvre, et à une meilleure coordination entre le financement des infrastructures et des projets REDD+ pour s’assurer qu’ils sont véritablement efficaces.
D. Sonwa a déclaré qu’il appuyait les recommandations de la RFUK tout en conseillant aux décideurs politiques de rechercher les synergies entre développement et environnement, plutôt que de les voir comme radicalement opposés.
« Ce rapport permet aux différentes parties prenantes de la région de voir comment elles peuvent évoluer vers une vision plus intégrative, qui permet la prospérité des populations et la conservation des forêts ou, du moins, un impact négatif réduit sur celles-ci », conclut-il.
https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/03/in-the-congo-basin-a-road-cuts-through-once-untouched-ape-wilderness/
Références :
Barber, C. P., Cochrane, M. A., Souza Jr., C. M., & Laurance, W. F. (2014). Roads, deforestation, and the mitigating effect of protected areas in the Amazon. Biological Conservation, 177, 203-209. doi:10.1016/j.biocon.2014.07.004
Photographie de bannière : Projet de construction de route dans le bassin du Congo financé par une société chinoise. Photographie reproduite avec l’autorisation de William Laurance.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/11/infrastructure-projects-in-congo-basin-need-greater-oversight-report-says/