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Socfin, le géant de la plantation, accusé d’évasion fiscale en Afrique

  • Un nouveau rapport rédigé par Pain pour le prochain, Alliance Sud et le Réseau allemand pour la justice fiscale a accusé la multinationale franco-belge Socfin, qui exploite des plantations d'hévéas et d'huile de palme dans toute l'Afrique de l'Ouest, d’expatrier ses bénéfices de l'Afrique vers la Suisse.
  • Selon les dossiers de l’entreprise, sur les 600 millions d'euros de revenus comptabilisés en 2020, 100 millions d'euros auraient été générés en Europe, alors qu’elle n'y produit pas de matières premières.
  • Le recours aux "prix de transfert" pour éviter l'imposition est répandu parmi les multinationales opérant en Afrique, ce qui prive les gouvernements des pays à faible revenu de recettes fiscales dont ils ont terriblement besoin.

Selon les estimations de l’OCDE, les pays d’Afrique se font escroquer chaque année plus de 50 milliards de dollars d’impôts, principalement par les multinationales qui exploitent des mines, des puits de pétrole et des plantations sur le continent. Ce chiffre est supérieur au montant total de l’aide au développement accordée aux pays d’Afrique subsaharienne, et certaines études insinuent qu’il pourrait être beaucoup plus élevé.

Selon un nouveau rapport rédigé par Pain pour le prochain, Alliance Sud et le Réseau allemand pour la justice fiscale, Socfin, le géant belge de l’agroalimentaire, fait probablement partie de l’une de ces multinationales. Ils ont analysé les rapports financiers publiés par les filiales de Socfin qui gèrent les opérations de la société en Afrique, en Asie et en Europe. Ils ont découvert qu’une grande partie des bénéfices globaux de la société étaient comptabilisés en Suisse et non dans les pays où elle exploite son réseau de plantations d’hévéas et de palmiers à huile. Les auteurs du rapport ont déclaré à Mongabay que les données montrent que Socfin ajoute systématiquement des frais élevés pour les services d’expédition en Suisse tout en affirmant que certaines de ces plantations perdent de l’argent.

“Cela montre comment des entreprises telles que Socfin tirent ou puisent le plus de profit possible de la terre et des populations dans ces pays d’Afrique, et comment elles peuvent en transférer une partie dans des paradis fiscaux”, a déclaré Silva Lieberherr, économiste spécialiste de l’agriculture à Pain pour le prochain.

Socfin, ou Société Financière des caoutchoucs, est une société belge majoritairement détenue par son président, Hubert Fabri, et le milliardaire français Vincent Bollaré. Elle détient les droits sur des concessions agricoles couvrant près de 400 000 hectares de terres, notamment des plantations en Sierra Leone, au Liberia, au Nigeria et au Cameroun.

Le rapport indique que sur le total de 605 millions d’euros de revenus comptabilisés par Socfin en 2020, les documents déposés par l’entreprise montrent qu’elle a déclaré plus de 100 millions d’euros en Europe, alors qu’elle n’y exploite pas de plantations. Selon le rapport, l’explication la plus probable de cet important flux de revenus européens est que la filiale suisse de Socfin a facturé des frais à ses filiales africaines pour l’organisation de ventes à l’étranger et d’autres services.

Selon les chercheurs, en déclarant ces revenus en Suisse, où le taux d’imposition des sociétés est souvent inférieur à 15%, Socfin pouvait déclarer des pertes en Afrique et éviter de payer des impôts plus élevés qui auraient été exigés par les pays où elle produit du caoutchouc et de l’huile de palme.

“Ce que nous constatons, c’est qu’il y a beaucoup de transferts de bénéfices qui aboutissent en Suisse alors que l’activité y est très faible”, a déclaré Christoph Trautvetter du Réseau allemand pour la justice fiscale, qui a analysé les documents de Socfin pour le rapport.

Ces documents montrent que Socfin prétendait que ses bénéfices par employé avoisinaient 1600 euros dans les pays africains, alors qu’en Suisse, ils étaient de 219 000 euros par employé.

Margaret Fascia dans son jardin, qu’elle dit avoir dû protéger des bulldozers cherchant à défricher sa terre pour une plantation d’huile de palme appartenant à Socfin en Sierra Leone. Image de Maja Hitij pour Mongabay.

Trautvetter a déclaré à Mongabay qu’en l’absence d’informations internes détaillées sur les transactions entre les filiales de Socfin, il ne pouvait pas assurer que les chiffres indiquent que la société enfreint les règles de l’OCDE à propos de l’évasion fiscale. Mais même s’ils ne sont techniquement pas dans l’illégalité, ils illustrent un régime commercial mondial qui permet aux industries extractives de priver systématiquement les pays en développement de recettes fiscales qui pourraient être utilisées pour financer des services sociaux tels que les soins de santé et l’éducation. La Suisse, avec ses faibles taux d’imposition des sociétés et ses lois strictes sur le secret, est critiquée depuis des décennies par les défenseurs de la justice fiscale pour son rôle dans la facilitation de ce type de pertes.

“Les règles fiscales que nous suivons sont élaborées par l’OCDE, qui est un club de pays riches qui favorise les pays où sont basés les sièges sociaux et non les pays où la production a lieu”, a déclaré Trautvetter. “Tout cela est ratifié et c’est un problème systématique”.

Le créateur de Socfin, Adrien Hallet, a appris à cultiver l’hévéa alors qu’il travaillait au Congo sous le régime colonial brutal du roi belge Léopold II. Il a ensuite créé la première plantation industrielle de palmiers à huile au monde en Indonésie en 1911. Aujourd’hui, la société possède encore des exploitations en Afrique de l’Ouest, où elle a été accusée à plusieurs reprises d’accaparement de terres et de violations des droits de l’homme.

Dans un email à Mongabay, Socfin a réfuté les allégations du rapport, affirmant que la société est en “stricte conformité avec les règles en vigueur”.

“Les transferts de revenus sont régis par le droit suisse, qui respecte les principes de l’OCDE en matière de transferts. Aucune autorité de surveillance compétente n’a signalé de comportement abusif de la part du groupe Socfin. Socfin paie ses impôts conformément aux règles suisses et internationales”, a écrit un porte-parole.

Les “prix de transfert”, qui consistent pour les entreprises à transférer des services et des biens entre leurs propres filiales afin de s’assurer que les bénéfices sont enregistrés en dehors des juridictions à forte imposition, sont une pratique répandue, malgré les règles de l’OCDE censées protéger les pays à faible revenu. Les détracteurs de cette pratique affirment que ces règles sont truffées de lacunes et que les autorités fiscales d’Afrique et d’ailleurs n’ont généralement pas accès aux documents financiers des tentaculaires multinationales possédant de nombreuses filiales, qui seraient nécessaires pour déterminer si elles paient leur juste part ou non.

“Ce que nous constatons si souvent sur le continent, c’est que les entreprises proviennent de l’étranger, en particulier des anciennes puissances coloniales, et utilisent la terre et la main-d’œuvre pour extraire les ressources des pays africains”, a déclaré Rachel Etter-Phoya, chercheuse principale pour le centre africain anglophone du Réseau pour la justice fiscale. “Mais ensuite, elles installent leur siège social et toute une série de filiales réparties dans le monde entier, notamment dans des juridictions à faible taux d’imposition ou à secret financier et paient moins d’impôts dans les pays où elles exercent réellement la majeure partie de leur activité.”

Les gouvernements à court d’argent dans ces pays sont alors privés de recettes fiscales cruciales qui pourraient être utilisées pour sortir leurs citoyens de la pauvreté, souvent sans même s’en rendre compte. Elle ajoute que les pays riches encouragent implicitement ce vol en ne mettant pas en œuvre et en n’appliquant pas de règles plus équitables.

“Il est beaucoup plus facile et plus commode pour ces pays d’évoquer la mauvaise gouvernance et la corruption dans les pays africains sans avoir à se regarder dans le miroir et sans s’attaquer aux problèmes plus importants émanant du système qu’ils ont eux-mêmes conçu”, a-t-elle déclaré.

 
Image de bannière : Une jeune travailleuse dans une plantation de palmiers à huile en Sierra Leone. Image de Maja Hitij pour Mongabay.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2021/10/plantation-giant-socfin-accused-of-dodging-taxes-in-africa/

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