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La chaîne logistique de combustion de biomasse forestière cause d’importantes émissions de carbone : études

  • Selon deux études d’un nouveau type, les législateurs américains, britanniques et européens ne prennent pas en compte le coût des émissions de carbone du secteur de la biomasse forestière. Bien que la combustion de biomasse soit légalement classifiée comme carboneutre, ces recherches révèlent qu’aucun des acteurs impliqués ne comptabilise les émissions générées dans la chaîne d’approvisionnement.
  • L’une de ces études a estimé que les granulés de bois fabriqués aux États-Unis et brûlés au Royaume-Uni engendraient 13 à 16 millions de tonnes d’émissions de CO2 en 2019 uniquement, l’équivalent d'environ sept millions de voitures. Si la combustion de biomasse était instituée par d’autres pays dans un avenir proche (un processus déjà en cours), le résultat pourrait être catastrophique sur le plan climatique.
  • Selon les experts, ces résultats devraient être soigneusement examinés à la veille du sommet sur le climat, la COP26, qui réunira les représentants des pays du monde en Écosse. « Ces études indiquent clairement que la politique énergétique actuelle ne correspond pas aux nombreuses preuves scientifiques sur les impacts de la biomasse », affirme un membre de la chambre des lords du Royaume-Uni.
  • Aucun projet officiel n’est pour autant avancé pour répondre au problème de la comptabilisation du carbone émis par la biomasse forestière lors de la COP26, même si les ONG cherchent à entamer des négociations.

Selon les conclusions de deux nouvelles études publiées cette semaine — ayant pour but d’influencer les législateurs américains, britanniques et européens à la veille du sommet sur le climat, la COP26 en Écosse — l’exploitation d’arbres visant à récolter des granulés de bois aux États-Unis et les brûler pour fournir de l’énergie à l’étranger compromet les engagements en termes de réductions des émissions de carbone. Des engagements qu’il est pourtant urgent de respecter afin de ralentir le réchauffement de la planète et éviter d’aggraver le changement climatique.

Parmi la myriade de recherches réalisées au cours des dix dernières années qui avertissent que la combustion de granulés de bois nuit aux forêts et à l’atmosphère, ces nouvelles études sont uniques, car elles considèrent le problème sur le plan transatlantique.

Chacune évalue non seulement les émissions des usines lors de la combustion des granulés, mais aussi les émissions générées dans le sud-est des États-Unis et lors du transport outre-Atlantique. La somme inclut les émissions produites lors de la récolte d’arbres vivants, les émissions des usines de fabrication de granulés situées du sud de la Virginie au Texas, ainsi que les émissions du transport des granulés à l’étranger. Est également comptabilisée la capacité perdue de séquestration de carbone des forêts déboisées.

Un cercle de milliers d’arbres entiers empilés à la centrale de biomasse forestière Enviva du comté de Sampson en Caroline du Nord. La majorité des granulés de bois fabriqués aux États-Unis est exportée vers l’Europe pour la brûler et produire de l’énergie. Crédit photo : Dogwood Alliance.

Ces études, l’une produite par l’institut politique londonien, Chatham House en tandem avec le Woodwell Climate Research Center aux États-Unis et la seconde créée par le Natural Resources Defense Council (NRDC) mettent clairement en évidence que les décisions politiques nationales des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne ont entraîné des émissions dans la chaîne logistique et dans les usines de biomasse qui n’ont été ni enregistrées ni comptabilisées dans les inventaires annuels d’émissions de gaz à effet de serre des pays concernés publiés dans le cadre de l’Accord de Paris.

Par conséquent, la production et la combustion de biomasse forestière apparaissent comme étant neutres en carbone, ce qui permet aux États-Unis, au Royaume-Uni et à l’UE de ne pas compter ce carbone afin d’atteindre leurs objectifs d’émissions nettes.

Les auteurs de Chatham/Woodwell soulignent que « la caractérisation erronée de la biomasse ligneuse en tant que source d’énergie zéro-carbone risque d’éloigner encore davantage les gouvernements de leurs objectifs pour lutter contre le changement climatique. » Cette étude estime que les granulés de bois fabriqués aux États-Unis et brûlés au Royaume-Uni auraient engendré 13 à 16 millions de tonnes d’émissions de CO2 en 2019 uniquement, l’équivalent d’environ sept millions de voitures.

Dans une première évaluation de ce genre, cette étude estime à 0,8 et 3,6 millions de tonnes les émissions de CO2 au sud-est des États-Unis en 2019 par la récolte, la production et le transport de granules de bois — tout cela étant non comptabilisé par les États-Unis.

« Ce n’est pas un chiffre énorme », ajoute Richard Birdsey de Woodwell, l’un des auteurs de l’étude qui a compilé les estimations américaines dans un entretien avec Mongabay. « Mais si on regarde ce qui a été fait jusqu’à présent et que l’on considère la croissance de l’industrie [des granules de bois], ce chiffre pourrait être 10 à 50 fois supérieur dans les années à venir. Et là, il y aura un gros impact » avec des répercussions climatiques mondiales.

Chatham/Woodwell conclue que si le Royaume-Uni comptabilisait les émissions transatlantiques réelles provenant de la production et de la combustion des granulés en 2019, « cela ajouterait 22 % à 27 % d’émissions issues de la production totale d’électricité dans le pays ou encore de 2,8 % à 3,6 % des émissions totales de gaz à effet de serre du Royaume-Uni. »

En prévision du sommet de deux semaines sur le changement climatique (COP26) des Nations unies qui aura lieu à Glasgow, en Écosse à partir du 31 octobre, ces deux études mettent en question la validité des promesses de réduction de carbone à l’horizon de 2030 faites par les trois plus grands pollueurs du monde : les États-Unis (avec un engagement de réduction de 50 %), le Royaume-Uni (58 %) et l’UE (55 %). Si les signataires de l’Accord de Paris respectent ces objectifs sur le papier, la nature saura que de telles réductions des émissions atmosphériques ne sont pas réelles tant que les granules de bois seront brûlées.

L’une des plus grandes priorités de la COP26 est d’encourager des objectifs atteignables et vérifiables de réduction carbone parmi les plus grandes économies du monde afin de maintenir la hausse de la température mondiale à 1,5 degré Celsius (2,7 degrés Fahrenheit) au-dessus d’une référence de 1900 afin d’éviter une catastrophe climatique en quelques décennies. Mais l’écart entre les contributions nationales, les NDC, et l’objectif de Paris reste très large ; le rapport conclut que la combustion de granules de bois ne fait que compliquer l’évaluation des progrès.

Carte de prévision de la croissance du secteur des granulés de bois. En 2017, la demande mondiale de granulés dépassait les 14 millions de tonnes métriques. D’ici à 2027, on prévoit que la demande soit plus du double, à savoir plus de 36 millions de tonnes. Les plus grosses augmentations de combustion de biomasse d’ici à 2027 sont prévues en Europe, au Japon et en Corée du Sud. Les nouvelles sources cibles sont des forêts du Brésil, du Mozambique et d’Australie. Les émissions produites déstabiliseraient encore davantage le climat international. Crédit photo : Environmental Paper Network.

La prise de conscience croît, mais la politique reste inchangée

« Cette étude [de Chatham/Woodwell], et les autres du même genre attirent de plus en plus l’attention des politiciens sur les impacts graves sur le climat de l’électricité issue de la biomasse », affirme John Randall, un membre de la chambre des lords britanniques et conseiller en environnement de l’ancienne première ministre, Theresa May. « Cette étude met en évidence le fait que la politique énergétique actuelle ne suit pas les nombreuses preuves scientifiques des impacts de la biomasse. »

Les partisans en faveur de la biomasse des secteurs de la forêt et de l’énergie contredisent ce point de vue et maintiennent que la combustion de biomasse « repose sur des données scientifiques correctes et d’actualité » et citent des études étayant leur opinion.

Dans une déclaration à Mongabay, Randall prédit que : « Ce n’est qu’une question de temps avant que le gouvernement britannique commence à réexaminer [la biomasse] dans sa combinaison énergétique. Lors de la COP26, les autres pays verront que le Royaume-Uni se rend compte que continuer à produire de l’énergie à partir de biomasse est une erreur pour le climat, la population et la nature, et qu’ils ne devraient pas suivre ce modèle britannique polluant. »

Reste à savoir si cela se produira ou dans combien de temps. Le Royaume-Uni compte le plus gros consommateur de granulés de bois : Drax dans le Yorkshire. La centrale thermique de charbon convertie se procure la majorité de ses granulés chez les fabricants du sud-est des États-Unis. Le Royaume-Uni s’est engagé à donner à Drax plus d’un milliard de dollars par an d’ici à 2027 pour subventionner son activité de combustion de granulés. Drax fait pression pour rallonger ces subventions.

La centrale thermique de Drax au Royaume-Uni, qui importe des granulés de bois du sud-est des États-Unis et de l’ouest du Canada pour produire de l’électricité. Contrairement au charbon, la combustion de bois est comptabilisée comme étant neutre en carbone, ce qui permet au Royaume-Uni, à l’UE et aux USA de respecter leurs objectifs de réduction des émissions. Image par DECCgovuk via VisualHunt (CC BY_ND).

Ailleurs, les dirigeants européens ont subi des pressions considérables au cours de l’été 2021 de la part de défenseurs de l’environnement qui les exhortaient à réduire les subventions pour la biomasse, à corriger la quantité d’émissions en comptant la bioénergie et à garantir la protection des forêts européennes dans le cadre de la Directive sur les énergies renouvelables de l’UE.

Mais seuls de petits changements ont été effectués dans la directive. Les dirigeants européens ont en effet reconnu ne pas pouvoir atteindre leurs objectifs ambitieux de l’Accord de Paris sans la combustion de biomasse — alors même que des tonnes d’émissions sont légalement omises chaque année dans l’industrie.

Pour leur part, le secteur de fabrication des granulés et les sociétés comme Drax avancent qu’ils aident les pays à considérablement réduire leur consommation de charbon, ce qui est vrai, grâce à une source de combustible qui est légalement reconnue comme étant neutre en carbone au même titre que le vent et le soleil zéro-carbone — ce qui est également vrai.

La US Industrial Wool Pellet Association (USIPA) aux États-Unis et l’Association for Renewable Energy and Clean Technology (REA) du Royaume-Uni ont réagi de façon très critique au nouveau rapport de Chatham House. L’USIPA a déclaré dans un communiqué que « les conclusions du dernier rapport [de Chatham House] comportent de nombreuses erreurs, et se fondent sur un rejet total des lignes directrices en matière de comptabilisation et de publication des émissions de carbone déterminées par l’autorité de référence mondiale sur la science du climat (le GIEC). Un article revu par les pairs publié au cours de 2021 par 28 éminents universitaires, a également conclu que la méthode de compte rendu du GIEC est “précise, ne comporte pas de lacunes et ne part pas du principe que cette bioénergie est neutre en carbone, même si elle est parfois décrite comme telle.” »*

Sans parler des aspects juridiques de la comptabilisation du carbone, ces deux nouvelles études, et bien d’autres études précédentes concluent que la combustion de granulés de bois produit plus d’émissions de CO2 que le charbon par unité d’énergie et que les arbres qui viennent d’être plantés prendront des décennies, voire des siècles, à compenser les émissions quotidiennes issues de la combustion de tonnes de granulés pour l’énergie et le chauffage, annulant par conséquent la prétendue neutralité carbone en temps réel.

Des défenseurs des forêts aux Pays-Bas organisent une manifestation contre l’utilisation de biomasse pour l’énergie devant le Parlement de l’Union européenne à Bruxelles, où les délégués discutaient de révisions pour la Directive sur les énergies renouvelables de l’UE. Crédit photo : Maarten Visschers.

On attend l’avis du Congrès américain sur la neutralité carbone

L’étude du NRDC, qui partage un axe de recherche et des conclusions similaires à l’étude de Chatham/Woodwell, a visé le Congrès américain avec ce rapport, au moment où celui-ci envisage un projet de loi au comité d’appropriations du Sénat qui devrait classifier la biomasse forestière comme neutre en carbone. C’est une mesure que l’Agence de protection de l’environnement de l’administration Biden est jusque là hésitante à prendre.

Nathanael Greene, un partisan des énergies renouvelables du NRDC, a exhorté le Congrès à éviter ce type de classification légale : « les autorités législatives doivent arrêter de perdre leur temps à parier sur… des industries qui ne font aucune promesse quant à une planète plus propre. Elles devraient se baser sur la science et se focaliser sur de vraies solutions climatiques telles que l’énergie solaire ou éolienne qui peuvent effectivement bénéficier à l’économie, à l’environnement et à la santé publique. »

Duncan Brack de Chatham House, l’un des auteurs de l’étude de Chatham/Woodwell, a informé Mongabay que s’ils le souhaitaient, les législateurs du Royaume-Uni et de l’UE pouvaient décider aujourd’hui de renforcer leur réglementation et de mettre un terme aux subventions dans le but de réduire la consommation de biomasse forestière. Mais changer la réglementation internationale qui encadre la comptabilisation de carbone pourrait prendre plus de temps.

Birdsey, un expert en foresterie chez Woodwell, souligne que les défenseurs de l’environnement devront s’armer de patience pour voir des changements politiques.

« L’industrie (de la bioénergie) est un lobby puissant et bien établi, et beaucoup de pays dépendent de la neutralité carbone pour atteindre leurs objectifs [de réduction des émissions]. Les changements ne l’intéressent pas, continue-t-il. Je pense qu’aucun rapport seul n’aura beaucoup d’importance. Mais à mesure qu’ils s’accumulent, certains devraient changer d’avis. »

Wayne Walker, un autre auteur de l’étude en poste à Woodwell, ajoute : « L’avenir nous le dira. Les preuves qu’il faut mettre un terme aux subventions en faveur de la biomasse s’accumulent, ce qui fait monter la pression pour que les législateurs agissent au mieux dans l’intérêt du climat. »

Justin Catanoso est un collaborateur régulier de Mongabay et professeur de journalisme à l’Université Wake Forest en Caroline du Nord, États-Unis. Il rendra compte des débats de la COP26 à Glasgow en novembre. Suivez-le sur Twitter @jcatanoso.

Image de la bannière : énorme tas de granulés de bois au Royaume-Uni qui seront brûlés par Drax, une ancienne usine à charbon convertie pour brûler de la biomasse forestière. Image par DECCgovuk via VisualHunt (CC BY_ND).

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Article original: https://news.mongabay.com/2021/10/forest-biomass-burning-supply-chain-is-producing-major-carbon-emissions-studies/

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