Nouvelles de l'environnement

La Chine se joint aux flottes étrangères qui exploitent les eaux de Madagascar

  • Depuis plus de dix ans, des flottes de navires de pêche industriels provenant de divers pays étrangers exploitent les eaux de Madagascar.
  • D'après de récentes observations, il semblerait que la Chine s’adonne également à la pêche intensive dans l’océan Indien et a envoyé au moins 14 palangriers au cours des dernières années.
  • Les documents officiels laissent à penser que le gouvernement malgache aurait autorisé ces navires à pêcher depuis au moins 2019.
  • Auquel cas, la procédure n’a pas été rendue publique, soulevant de nouvelles inquiétudes quant au manque de transparence du secteur de la pêche hauturière à Madagascar.

Cet article est le premier d’une série en trois parties sur la pêche industrielles dans les eaux malgaches. La première partie se penche sur la pêche au large. La seconde partie se concentrera sur la pêche côtière industrielle et la troisième partie aborde les changements apportés au secteur de la pêche côtière.

Sur la côte Est de Madagascar, où les locaux pêchent dans des pirogues, un spectateur non averti pourrait aisément croire que la petite pêche artisanale est la seule pratiquée dans l’océan Indien. Ce serait cependant une erreur. Au-delà de la ligne d’horizon, des navires de grande pêche exploitent les eaux malgaches, notamment pendant la saison de pêche au thon.

Ce type de pêche est pratiqué discrètement depuis des décennies par les navires de plusieurs pays. Mais récemment, un nouvel acteur est entré en scène qui a des antécédents de pêche illégale : la Chine. OceanMind, une organisation à but non lucratif basée au Royaume-Uni spécialisée dans la conformité maritime et la gestion des pêcheries, a conduit une analyse de suivi entre 2018 et 2021. Cette analyse révèle qu’au moins 14 navires de grande pêche ont probablement opéré dans les eaux de Madagascar.

Les documents officiels laissent à penser que le gouvernement malgache aurait autorisé ces navires à pêcher depuis au moins 2019. Auquel cas, la procédure n’a pas été rendue publique. Bien que rien ne pointe vers une affaire de corruption, les membres de la société civile sont sur le qui-vive. Depuis quelques années, une série d’accords de pêche irréguliers sont conclus avec des sociétés à capitaux chinois et le pays a un historique plus long encore de transactions opaques avec des flottes asiatiques et européennes.

D’après une récente publication académiqueles navires à pavillons asiatiques ont dominé les eaux malgaches ces neuf dernières années, avec au compteur plusieurs dizaines de milliers d’heures de pêche par an. L’ampleur de la pêche industrielle a suscité des inquiétudes quant aux potentiels impacts négatifs sur cette partie de l’océan Indien à la biodiversité extrêmement riche. D’autant plus que les moyens de subsistance des locaux reposent sur les populations de poissons et les écosystèmes marins touchés.

Les observateurs ont également exprimé leur préoccupation quant au manque stupéfiant de transparence. En effet, le gouvernement de Madagascar ne consulte pas les pêcheurs artisanaux ou la population locale avant de signer des accords avec des sociétés ou des pays étrangers. Pour être plus précis, il ne rend pas ces accords publics, ni n’annonce leur signature. Les défenseurs de l’environnement et les organisations de la société civile ignorent même quels navires sont présents légalement ou ce qu’ils sont autorisés à pêcher.

« Il est absolument inacceptable qu’autant de navires opèrent dans les eaux malgaches sans permis ou accord connu du public », s’insurge Ketakandriana Rafitoson, directrice générale de Transparency International Initiative à Madagascar, une organisation de la société civile qui surveille de près la filière pêche, après avoir pris connaissance des données concernant les 14 navires chinois.

L’influence croissante de la Chine

Selon la plateforme IUU Fishing Index, la flotte chinoise est en première position des pays pratiquant la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (en anglais IUU, illegal, unreported, unregulated). C’est aussi la plus grande flotte de pêche au monde. Pourtant, à Madagascar, les flottes européennes, taïwanaises, japonaises et sud coréennes ont, historiquement, une présence plus importante.

Des flottes étrangères ou à capitaux étrangers chalutent les eaux côtières à la recherche de crevettes et de poissons depuis les années 1960 et pêchent intensivement au large depuis les années 1980. Ce n’est que récemment que les sociétés chinoises ont pris une importance significative dans ces zones.

D’après les données compilées par OceanMind à la demande de Mongabay, entre janvier 2019 et mai 2021, 132 navires sous pavillon chinois ont opéré à vitesse réduite dans la zone économique exclusive (ZEE) malgache, qui s’étend à jusqu’à 320 kilomètres de la côte. Parmi ces navires, 84 affichent des coupures dans les transmissions de leurs systèmes d’identification automatique (AIS) d’au moins huit heures dans les eaux de Madagascar. Il est donc possible que les capitaines de ces navires aient éteint leur transpondeur afin d’éviter toute surveillance lors de pratiques de pêche illégale. Toutefois, des coupures dans les signaux AIS peuvent se produire pour des raisons légitimes et beaucoup de ces navires n’ont fait que traverser la ZEE. À noter que l’AIS n’est pas le système de conformité officiel utilisé par Madagascar et certains autres pays, mais qu’à quelques exceptions près, son utilisation est obligatoire en vertu du droit international.

Selon l’analyse d’OceanMind, au moins 14 des navires chinois auraient pu pêcher illégalement dans les eaux malgaches. Après avoir opéré à vitesse réduite dans la ZEE, chacun de ces 14 navires à soit fait escale, soit rejoint des navires de transport de poisson au centre de l’océan Indien, hors de la ZEE malgache, très probablement pour transborder leurs prises. La plupart des ports concernés se trouvent en république de Maurice, un État insulaire voisin. D’après les données de Global Fishing Watch, beaucoup des 14 navires sont actifs à Madagascar depuis 2016 ou 2017 et sont revenus à plusieurs reprises pour la saison de la pêche au thon, qui dans cette partie de l’océan va d’octobre à janvier.

Les données de suivi, en jaune, montrent la route empruntée entre janvier 2018 et mai 2021 par le Lu Rong Yuan Yu 268, un palangrier figurant dans un film chinois célébrant la flotte de pêche hauturière du pays. Le Lu Rong Yuan Yu 268 est l’un des 14 navires de pêche à pavillon chinois ayant probablement pêché illégalement dans les eaux malgaches ces dernières années. Comme pour les 13 autres navires, aucune donnée n’indique que le Lu Rong Yuan Yu 268 ait fait escale dans un port malgache. En réalité, elles indiquent plutôt que l’équipage a probablement transbordé ses prises sur de grands navires de transport au centre de l’océan Indien pour qu’elles soient ensuite débarquées ailleurs. Les lignes grises représentent les frontières des ZEE. Carte et données fournies par OceanMind.

L’un des 14 navires identifiés par OceanMind lors de son analyse est le Lu Ron Yuan Yu 268, un navire détenu par une filiale de Jinghai Group, lui-même propriété de l’État à hauteur de 40 % selon Triton, la plateforme de transparence de la filière pêche. Le navire figure dans un propaganda film chinois visant à célébrer la flotte de pêche hauturière du pays. Le film, produit par un célèbre réalisateur chinois, a été diffusé sur la télévision centrale de Chine l’an dernier. Il montrait la vie quotidienne à bord du navire, qui selon le film, effectuait un « voyage magnifique » vers l’océan Indien.

L’impact de la flotte hauturière chinoise, en revanche, est loin d’être magnifique. Trois des 14 navires opérant dans les eaux malgaches sont la propriété de Rongcheng Ocean Fishery Co. (ROF), une société basée à Rongcheng, au Nord-Est de la Chine. Un autre navire de ROF, le Lu Rong Yuan Yu 956, a été arrêté deux fois pour violation des réglementations sur la pêche au Ghana. En octobre 2019, le gouvernement ghanéen a saisi le navire et a imposé une amende d’1 million de dollars pour avoir utilisé des filets illégaux car ils détruisent les écosystèmes marins et nuisent aux moyens de subsistance des petits pêcheurs artisanaux. C’était la première fois en cinq ans que cela se produisait au Ghana. Les autorités ont plus tard relâché le navire, mais l’ont de nouveau arrêté pour les mêmes raisons en mai 2020.

Mongabay a tenté de contacter les neuf sociétés propriétaires de ces 14 navires, dont ROF, quatre autres armateurs directs et quatre de leurs sociétés mères. Aucune n’a répondu aux questions concernant la légalité de la présence des navires dans les eaux malgaches. Il n’y a pas eu de réponse non plus de la part du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, du bureau du président ou de l’ambassade chinoise à Madagascar.

Tout comme ROF, les autres sociétés sont enregistrées à Rongcheng, une ville péninsulaire spécialisée dans la pêche hauturière, ou ses alentours. D’après un document douanier chinois, les navires en provenance de Rongcheng ont opéré dans les ZEE de 10 pays et exportent la majorité de leurs prises vers l’UE.

À en croire les documents du gouvernement malgache, les 14 navires auraient reçu l’autorisation de pêcher. Le rapport le plus récent du pays à la Commission des thons de l’océan Indien (CTOI), une organisation intergouvernementale qui gère la pêche au thon dans la région, montre que 22 navires sous pavillon chinois ont été en activité dans la ZEE de Madagascar en 2019. Le rapport n’incluant aucun détail quant à l’identification des navires, il est impossible de savoir si les 14 navires cités plus haut en font partie. Par ailleurs, un document stratégique sur le thon pour 2020 du ministère de l’Agriculture, obtenu par Mongabay mais pas encore rendu public, énumère huit sociétés ou associations étrangères avec lesquelles des accords récents ont été conclus. La plupart sont espagnoles, japonaises ou mauriciennes, mais l’une d’entre elles porte le nom d’un district de Rongcheng, Junlong.

Le Lu Rong Yuan Yu 956, un navire détenu par Rongcheng Ocean Fishery Co., à Takoradi, au Ghana, en juin 2020. Les autorités ghanéennes ont saisi le navire pour activité de pêche illégale en 2019 et en 2020. ROF, une société basée à Rongcheng, au Nord-Est de la Chine, possède également 14 navires ayant probablement pêché dans les eaux malgaches au cours des dernières années. Photo reproduite avec l’autorisation de Environmental Justice Foundation.

Des négociations en cours avec l’Europe

Quand il est question de la pêche à Madagascar, les européens ne sont pas uniquement des consommateurs finaux. Un grand nombre de navires sous pavillons européens ont navigué dans les eaux malgaches depuis les années 1980. Une présence qui s’est effacée en 2018, année à laquelle les accords de pêche les plus récents sont arrivés à leur terme. Les négociations sont en cours depuis pour les renouveler, mais les deux parties ne semblent pas parvenir à un terrain d’entente. Ce qui laisse à penser que Madagascar se tourne désormais vers l’Asie, abandonnant au passage le peu de transparence qui existait dans le secteur.

L’UE et Madagascar avaient signé une série d’accords pluriannuels allant de 1986 à 2018. Ces accords permettaient à des dizaines de thoniers-palangriers et de thoniers-senneurs sous pavillons européens d’opérer dans la ZEE malgache. Dans le cadre de l’accord le plus récent, l’UE avait payé à Madagascar près de 7 millions de dollars en l’espace de quatre ans, auxquels s’ajoutaient les provisions et frais supplémentaires avancés par les armateurs européens.

Entre mars et juin, les senneurs à senne coulissante opèrent dans le Canal du Mozambique jusqu’à l’Ouest de Madagascar. Ils utilisent d’immenses filets et jettent des dispositifs concentrateurs de poissons (DCP) à l’eau qui leur permettent de pêcher le thon rose (Katsuwonus pelamis) et le thon jaune (Thunnus albacares) en grande quantité. Une partie de ces poissons, souvent jeunes et petits, est mise en conserve dans une conserverie française à Antsiranana (anciennement Diego-Suarez), sur la pointe nord de Madagascar. La quasi-totalité du thon ainsi conditionné est exporté vers le marché européen. Grâce à un accord de commerce signé en 2009, les sociétés européennes peuvent importer des conserves de thon depuis Madagascar sans avoir à payer de frais de douane.

Des chercheurs ont par le passé critiqué l’UE pour son manque de transparence durant les négociations, pointant du doigt l’influence détenue par l’Union en tant que donatrice d’aides publiques, dont Madagascar était bénéficiaire. Il est aujourd’hui impossible de savoir si cette dynamique du pouvoir a changé ou non. En effet, contrairement aux discussions initiales de 2018, auxquelles un observateur de l’ONG WWF avait été invité par les fonctionnaires du gouvernement malgache, les négociations avec l’UE qui ont suivi se sont tenues à huis-clos. Dans un récent courriel, un membre de la délégation européenne a confirmé à Mongabay que les négociations étaient en cours, mais a refusé de donner plus de détails pour des raisons de confidentialité.

Bien que sujette aux critiques, l’UE a des standards, même maigres, en matière de transparence et de durabilité. Contrairement aux flottes asiatiques qui opèrent dans les eaux de Madagascar et au gouvernement malgache, elle publie les accords de pêche une fois ceux-ci signés. En outre, ses récents accords avec l’étranger incluent des clauses de conservation telles que la limitation de l’utilisation des DCP, qui peuvent mener à une surpêche, des captures accessoires et de la pollution plastique.

Malgré l’expiration de son accord avec l’UE, il semblerait que Madagascar fasse toujours affaire avec les flottes européennes. L’analyse de suivi d’OceanMind montre que les navires sous pavillons européens n’opèrent pas beaucoup dans la ZEE de Madagascar, mais qu’ils apparaissent dans les ports de l’île et ailleurs dans la région, où ils ont parfois l’obligation d’allumer leur AIS. Madagascar a par le passé eu d’autre accords, privés et confidentiels, avec des associations de pêche françaises et espagnoles. Il est possible que ceux-ci soient toujours en cours : des accords avec trois associations espagnoles étaient actifs jusqu’en 2019 au moins.

Un pêcheur malgache dans sa pirogue au port d’Antsiranana, au Nord de Madagascar, en avril 2015. Photo par © Pierre Baelen/Greenpeace.

Des flottes majoritairement asiatiques

Les défenseurs de l’environnement et les organisations de la société civile qui ont suivi l’évolution de la grande pêche hauturière à Madagascar se sont surtout concentrés sur la pêche européenne. Selon eux, c’est là que leur plaidoyer pouvait être le plus efficace. Néanmoins, les flottes asiatiques dominent le secteur depuis longtemps, pêchant près de 60 % du thon ces dix dernières années, contre 40 % pour les flottes européennes selon les données du gouvernement malgache.

Easton White, chercheur en écologie quantitative à l’université du New Hampshire, a récemment publié un article sur la pêche à Madagascar. D’après la publication, non encore examinée par ses pairs, entre 2012 et 2020, les navires sous pavillon taïwanais représentaient à eux seuls 40 % des efforts de grande pêche dans la ZEE. L’analyse d’OceanMind a identifié 90 navires de pêche taïwanais ayant opéré à vitesse réduite dans la ZEE de Madagascar entre 2019 et 2021. Soixante-huit d’entre eux présentaient une coupure des transmissions de leur AIS de huit heures.

Les sociétés utilisant parfois des pavillons étrangers sur certains de leurs navires, il est difficile de déterminer quels pays ont l’impact le plus grave sur la vie marine de Madagascar. Par exemple, Dae Young Fisheries, une société sud-coréenne, a enregistré ses navires opérant dans les eaux malgaches sous divers pavillons d’autres pays d’Asie, dont Taïwan. La société, qui a des accords avec Madagascar depuis au moins 2011, a opéré 75 navires dans la ZEE depuis 2016, mais ce nombre a depuis fortement décliné d’après les documents du gouvernement.

Selon le document stratégique de pêche au thon, six accords avec des entités étrangères non spécifiées de pêche au thon étaient actifs en 2020. À eux seuls, ces accords autorisaient 72 navires sous pavillons étrangers à naviguer dans la ZEE. Ces chiffres sont en déclin par rapport aux années précédentes, où plus de navires étrangers avaient des permis de pêche au thon. Toujours selon le document stratégique, en 2018, alors que les accords européens étaient toujours actifs, le gouvernement a reçu près de 3,6 millions de dollars de royalties. En 2020, ce chiffre était tombé à 1,4 millions.

La plupart de ces revenus semble venir d’accords avec des flottes asiatiques, qui ne sont pas surveillées de près. Selon le rapport de la CTOI, 50 navires sous pavillons asiatiques détenaient des permis de pêche dans la ZEE. Parmi eux, 22 étaient chinois et 24 étaient Taïwanais. En revanche, aucun des 50 navires n’a été suivi par les contrôleurs des pêches. Cette absence de suivi signifie que les prises asiatiques dans les eaux malgaches pourraient être bien plus importantes que ce qu’indiquent les données officielles. Le gouvernement se repose en effet sur les chiffres rapportés par les équipages concernés. Cela signifie également que le nombre de captures accessoires pourrait également être plus élevé. La plupart des navires asiatiques opérant dans les eaux malgaches, dont les 14 navires chinois mentionné dans cet article, sont des thoniers-palangriers qui mouillent des milliers d’hameçons à la fois et sont connus pour tuer des tortues et des oiseaux marins.

En conséquence, selon les membres de la société civile, des ressources précieuses sont extraites des eaux régionales en toute opacité et avec peu de bénéfices pour le peuple malgache. En outre, les palangriers asiatiques opérant dans la ZEE n’accostent pas dans les ports de Madagascar et n’emploient généralement pas de membres d’équipage malgaches.

Cette extraction des ressources, en plus de ne pas profiter directement à la population malgache, pourrait même nuire directement aux villages côtiers qui pêchent le thon. D’après les données du gouvernement, le thon et les espèces similaires représentent un quart des prises de la petite pêche à Madagascar. Certains villages côtiers tels que Sainte Luce sont même connus pour la pêche au thon. Durant la saison, les pêcheurs utilisent des pirogues à voile ou des embarcations artisanales plus grandes pour pêcher le thon qu’ils vendent ensuite sur les marchés locaux. D’après la thèse de doctorat de la chercheuse Mialy Andriamahefazafy, les pêcheurs de thon ont observé un déclin du nombre de prises ces dernières années. Il n’est toutefois pas possible d’incriminer la grande pêche industrielle avec certitude.

Des marchands transportent du thon jaune et du thazard rayé acheté aux petits pêcheurs de Sainte Luce, un village au Sud de Madagascar, jusqu’aux marchés locaux. Crédit photo : M. Andriamahefazafy, 2018.

Des accords irréguliers avec la Chine

Ces dernières années, des investisseurs chinois ont jeté leur dévolu sur le secteur de la pêche côtière et hauturière à Madagascar. En 2017, six chalutiers chinois ont commencé à exploiter les eaux au Sud-Ouest de l’île, où vivent un grand nombre de petits pêcheurs artisanaux. Les locaux, qui n’avaient pas été consultés ou informés qu’un accord avait été signé avec la Chine, ont fait campagne contre le chalutage, jusqu’à ce que le ministre de l’Agriculture déclare la grande pêche illégale dans cette zone. La saisie des équipements des navires a poussé ces derniers à partir vers le Sénégal.

La nouvelle la plus marquante est tombée en 2018, lorsqu’une agence malgache peu connue a signé un accord de pêche de 2,7 milliards de dollars avec Taihe Century (Beijing) Investment Development Co., un consortium d’investisseurs chinois sans expérience dans le secteur de la pêche. L’accord, dont les détails n’ont pas été rendus publics par les parties, aurait conféré un permis de pêcher dans les eaux malgaches à près de 330 navires. Cela a mené à un tollé contre le président de l’époque, Hery Rajaonarimampianina, qui était présent lors de la signature de l’accord. Aux élections qui ont suivi, le président sortant n’a pas été réélu et le gouvernement actuel semble avoir discrètement mis l’accord au placard.

Toutefois, les négociations opaques avec les investisseurs chinois de la filière pêche ne se sont pas arrêtés avec l’arrivée au pouvoir d’Andry Rajoelina début 2019. Plus tard cette année-là, le ministère a apparemment signé deux accords avec Cote d’Or, une société enregistrée à Madagascar mais détenues par 10 investisseurs chinois. Ces accords ont autorisé l’entrée dans les eaux malgaches à 28 navires de grande pêche. Le ministère n’avait pas dévoilé les accords. Le public n’en a eu connaissance que grâce à un employé du ministère, resté anonyme, qui les a divulgué à la Coalition pour des accords de pêche équitable (CAPE), une ONG bruxelloise, en novembre 2020.

Les accords avec Cote d’Or donnaient à l’entreprise un permis de pêche pour plusieurs espèces précieuses, dont la crevette et le homard. De quoi soulever des inquiétudes puisque l’accord ne délimite pas tout à fait les conditions de pêche. En effet, comme l’a révélé Dresy Lovasoa, responsable des pêcheries senior pour WWF Madagascar, même si des mesures d’inspection sont prévues, aucun quota sur les prises ou restrictions sur l’équipement utilisé n’ont été imposés.

Après la publication des accords par la CAPE, trois groupes de la société civile malgache ont envoyé des lettres ouvertes au ministère pour exprimer leurs préoccupations. Ils n’ont cependant pas reçu de réponse publique.

La pirogue d’un pêcheur local dépasse des navires de pêche industrielle chinois amarré au port de Toliara en mai 2019. Les fonctionnaires en charge des pêcheries à Madagascar ont saisi les six navires, qui avaient commencé à chaluter au large de la côte sud-ouest en 2017, après que les pêcheurs locaux se sont opposés fermement à la présence de ces navires dans les eaux malgaches. Photo par Sam Friedberg.

La transparence en vue

Si la transparence semble être un but abstrait, son absence, elle, peut entraîner des conséquences très concrètes. « L’impact; c’est qu’une décision prise par le gouvernement ne tient pas compte de l’avis des pêcheurs locaux », a déclaré D. Lovasoa, pointant le fait que les petits pêcheurs artisanaux n’ont pas eu de siège à la table des négociations.

Afin d’atteindre une meilleure gouvernance des pêcheries, les groupes de la société civile appellent Madagascar à rejoindre l’Initiative de transparence des pêcheries (en anglais, Fisheries Transparency Initiative, FiTI), un partenariat entre gouvernements, entreprises et organisations de la société civile, qui exige de ses membres qu’ils suivent des standards de transparence. Depuis leur adhésion, les Seychelles et la Mauritanie ont déjà fait le premier pas afin de rendre le secteur plus transparent. À titre d’exemple, le gouvernement mauritanien a, dans le cadre du processus FiTI, publié un contrat sur 25 ans signé en 2010 avec Poly-HonDone Pelagic Fishery, une filiale d’un grand conglomérat chinois.

À cet égard, Madagascar n’a en revanche pas progressé : le gouvernement n’a ni pris d’engagement public, ni rejoint officiellement la FiTI. Les discussions sont toutefois en cours et certains membres de la société civile sont optimistes quant à l’amélioration de la gouvernance des pêcheries à Madagascar.

Un enfant inspecte la pêche de son père après son retour au village d’Andavadoaka dans le Sud-Ouest de Madagascar en 2019. Photo par Edward Carver pour Mongabay.

Photographie de bannière : Des pêcheurs artisanaux à bord de leur boutre quittent Nosy-be, au Nord-Ouest de Madagascar, en avril 2015. Photo par © Pierre Baelen/Greenpeace.

Mongabay a collaboré avec deux organisations pour la collecte des informations contenues dans cet article. OceanMind, une organisation britannique à but non lucratif, a fourni une analyse de suivi pour identifier l’activité de pêche dans la ZEE de Madagascar. C4ADS, une organisation à but non lucratif basée à Washington D.C. qui gère la plateforme de transparence de la pêche, Triton, a participé aux recherches sur les structures de propriété des 14 navires chinois identifiés par OceanMind.

Sheryl Lee Tian Tong, rédactrice de Mongabay basée à Singapour, a participé à la rédaction de cet article.

Note de l’éditeur du 01/10/2021 : I-Lu Lai, directeur du service de pêche hauturière de l’agence de la Pêche de Taïwan, a adressé un courrier à Mongabay en réponse à l’article ci-dessus. Il y indique que tous les navires présents dans la ZEE malgache « ont été dûment autorisés à y être par les autorités compétentes, à la fois malgaches et taïwanaises. » Au cours de l’échange de courriels qui a suivi, un autre fonctionnaire de l’agence a indiqué que le nombre de navires taïwanais autorisés à opérer dans les eaux de Madagascar chaque année est tel que suit :
2010: 10 navires
2011: 8 navires
2012: 12 navires
2013: 15 navires
2014: 37 navires
2015: 22 navires
2016: 39 navires
2017: 41 navires
2018: 50 navires
2019: 48 navires
2020: 39 navires
2021 (jusqu’à la première moitié d’août): 15 navires

Il a également confié que l’agence n’a pas connaissance des accords de pêche existants entre les sociétés taïwanaises et le gouvernement malgache. En effet, la réglementation du pays ne contraint pas les sociétés taïwanaises à soumettre leurs accords et contrats à l’agence.

Le directeur du service, I-Lu Lai, assure que Taïwan prend toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que ses flottes opèrent légalement et réduisent le nombre de captures accessoires d’espèces non-ciblées. De plus, si les navires taïwanais n’ont aucune obligation quant à l’utilisation de l’AIS, ils sont suivis grâce à une autre technologie, le VMS (vessel monitoring system, ou système de suivi des navires), qui permet au gouvernement taïwanais de suivre leurs mouvements. (Contrairement aux données AIS, celles du VMS ne sont pas accessibles au public.)

Mise à jour du 01/10/2021 : Le 30 septembre, Madagascar a rejoint la Fisheries Transparency Initiative (FiTI), devenant ainsi le cinquième pays membre après la Mauritanie, le Sénégal, les Seychelles et le Cap-Vert.

Références :

Andriamahefazafy, M. (2020). The politics of sustaining tuna, fisheries and livelihoods in the Western Indian Ocean (Doctoral dissertation, University of Lausanne, Lausanne, Switzerland). Retrieved from https://serval.unil.ch/en/notice/serval:BIB_7E0D668DF275.

White, E. R., Baker-Médard, M., Vakhitova, V., Farquhar, S., & Ramaharitra, T. T. (2021). Distant water industrial fishing in developing countries: A case study of Madagascar. bioRxiv doi:10.1101/2021.05.13.444019

Article original: https://news.mongabay.com/2021/08/china-joins-the-foreign-fleets-quietly-exploiting-madagascars-waters/

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