Nouvelles de l'environnement

Un village gabonais se bat pour sauver une forêt intacte

  • Une année après sa demande de déclassement et reclassement d’une portion d’un permis forestier en aire protégée, la communauté rurale de Massaha au Nord-Est du Gabon est toujours dans l’attente de la réponse de l’administration.
  • La communauté a des raisons d’espérer malgré le début, en juin dernier, de l’exploitation forestière dans la zone sollicitée.
  • Les avis divergents des autorités sur ce dossier font apparaître des doutes sur la conformité de cette exploitation et la cohérence de la politique forestière nationale.

MAKOKOU, Gabon — A Massaha, regroupement des villages situé à 56 kilomètre de Makokou, capitale de la province de l’Ogooué-Ivindo au Nord-Est du Gabon, les populations ont entrepris des démarches auprès du Ministère des Eaux et Forêts depuis Août 2020 à fin de déclasser une portion de forêt villageoise actuellement dans une concession d’exploitation forestière attribuée à l’entreprise forestière Transport Bois Négoce International (TBNI).

Pour sa haute valeur écologique et patrimoniale, le village veut la voir reclassée comme aire protégée en domaine de chasse. Une telle demande de la part des populations rurales est une première au Gabon.

Depuis le lancement en juin dernier de l’exploitation dans une partie de la concession à proximité du village, l’Assiette Annuelle de Coupe (AAC) 2019, les villageoises dénoncent plusieurs irrégularités allant de l’abattage incontrôlé, à l’obstruction des cours d’eau par les arbres abattus, des arbres à moitié coupés et suspendus à d’autres et constituant un danger de sécurité.

Mariane Ndjamendonga, residente du village, dit : «  Ça ne fait pas longtemps, y’a quelques jours, on est parti en brousse avec mon mari, on a vu qu la brousse est vraiment brouillée. Y’a même un filet de mon petit oncle la, qui était coincé avec les branches là qu’ils ont fermé même la rivière. ça c’est le côté là qu’ils ont exploité. Mais s’ils traversent l’autre côté, on fera comment ? On ne pourra plus vivre. Ils vont encore fait autant et nos pirogues ne vont plus passer. Pendant nous nous sommes ici, eux ils font le travail, ils ne dorment pas. »

Une entreprise forestière s’installe dans une forêt intacte

Arbe mal abattu par TBNI dans la concession AAC 2019.
Un arbre mal abattu par TBNI dans la concession AAC 2019. Image fournie par Ivindo FM.

L’aire protégée proposée couvre une superficie de 11300 ha (113 km2) en deux zones séparées par la rivière Liboumba, au sud de laquelle il n’a pas encore eu de l’exploitation. Cette partie aurait une valeur biologique unique parmi les forêts villageoises autour de Makokou. Elle renferme une forte présence d’espèces d’animaux intégralement protégés dont des éléphants, des chimpanzés, des gorilles, panthères, pangolins, crocodiles nains et plein d’arbres centenaires (dont des espèces protégées telle que le Moabi (Baillonella toxisperma), le Douka (Tieghemella africana), l’Andok (Irvingia gabonensis) et le Kevazingo (Guibortia spp), une biosphère quasi intacte.

Makala Fulbert, Chef du village Massaha, ajoute les raisons culturelles : « C’est d’abord dans l’intérêt de préserver nos coutumes et faire valoir aux générations futures. Nos enfants et petits-enfants ne connaissent pas l’arbre qu’on appelle Moabi, parce que les forestiers l’ont coupé aux abords du village. Donc cette zone-là pourrait nous servir pour que nos enfants voient le Moabi, l’Ozigo (Dacryodes buettneri) [autre espèces d’arbre] et là-bas, nous avons aussi les milieux où nos ancêtres ont demeurés. On a les vieux villages, on a les campements, on a les milieux de pêche et de chasse, voilà pourquoi c’est beaucoup intéressant ».

Plusieurs de ces coutumes sont décrites dans la demande de la communauté soumise au Ministère des Eaux et Forêts. Dans l’ancien village Ibenga, il y avait la fabrication des pirogues spéciales (appelées Boualôo) pour une pêche communautaire basée sur l’assemblage de nasses tissées en lianes sacrées (appelées Etoubili).

La première liane, qui reliait toutes les nasses, était coupée par un jeune qui bénéficiait d’un traitement privilégié. Le Boualôo était uniquement fabriqué avec l’arbre Belinga — espèces d’arbre aujourd’hui très apprécié par les foresteries. Un lieu très riche en Belinga se trouve autour de l’ancien village Balou, une zone de chasse non exploitées jusque-là par les foresteries. Autrefois, il y avait un endroit réservé aux doyens initiés pour une danse rituelle appelée Moungala avec les sacrifices un jour avant d’aller chasser ou de circoncire les enfants.

Fabrice Ombet, jeune chasseur au village, explique l’importance nationale de la partie intacte de leur forêt :« C’est une zone qui n’a jamais été exploitée et c’est l’un des sites, aujourd’hui qui gardent la naturalité du Gabon ! Donc, nous œuvrons pour ça, dans le cadre d’un patrimoine du Gabon. J’aimerais que les autorités puissent répondre favorablement à cette demande ».

Des raisons d’espérer pour la communauté

Au-delà des engagements internationaux du Gabon sur l’urgence de protéger 30% de la planète d’ici 2030 et son rôle de leader Africain dans le domaine de la conservation, les motivations des populations reposent sur plusieurs dispositions du code forestier et de plusieurs autres textes de loi qui encadrent la démarche de la population de Massaha en vue du déclassement d’une zone bien que « déjà attribuée ».

D’ailleurs, au Ministère des Eaux et Forêts, plusieurs indicateurs démontrent qu’il y a espoir dans l’aboutissement heureux de la demande des communautés rurales de Massaha.

En Mai dernier, comme pour apporter un début de solution à la demande de Massaha, les communautés de ce regroupement des villages avaient reçu la visite d’une délégation des Eaux et Forêts conduite par le Directeur Générale de la Faune et des Airs Protégées (DGFAP), Lucien Massoukou. Il a échangé, les 14 et 15 Mai 2021 à Massaha, puis à Makokou, avec les communautés villageoises et les membres du bureau du comité de gestion durable de la chasse. Massoukou avait salué la motivation et la démarche affichée par cette communauté. Il a confié que cette démarche est à encourager. La création d’une aire protégée est possible, a t-il dit, puisque cela s’est défait dans d’autres permis forestiers.

Dans le même sens, le Lee White, Ministre des Eaux et Forêts, interrogé sur la question de l’aire protégée proposée par Massaha pendant un séjour à Makokou le 17 Juillet 2021, a répondu que « Les villages qui veulent formaliser la protection de leurs forêts traditionnelles en les mettant en aire-protégée, mais une aire-protégée culturelle où c’est le village qui va gérer l’aire-protégée, je pense que c’est une idée très intéressante. C’est déjà possible avec le code forestier et c’est quelque chose à creuser avec les populations ».

Pour en creuser, Massoukou a également fait observer qu’il était important de rassembler plus d’éléments qui peuvent soutenir que cette forêt renferme des particularités que l’on ne trouve pas dans les forêts voisines. D’où l’importance des résultats des études.

Membres de la communauté de Massaha pendant la visite du Directeur Générale de la Faune et des Airs Protégées, Lucien Massoukou, les 14 et 15.
Le Directeur Générale de la Faune et des Airs Protégées a visité Massaha les 14 et 15 Mai 2021 pour échangé avec les communautés villageoises et les membres du bureau du comité de gestion durable de la chasse. Image fournie par Ivindo FM.

Plusieurs pistes de recherche prometteuses

Dans la zone à déclasser, plusieurs études et recherches scientifiques sont en cours depuis quelques années. D’après Serges Ekazama Koto, paraécologiste et assistant de ces différentes études : « plusieurs études très intéressantes sont menées dans cette partie de la forêt, d’abord en 2015 l’inventaire de la faune sauvage que nous avons réalisé avec l’université Américaine de Duke, ensuite depuis 2020 avec l’appui de TBNI [propriétaire de la concession] les études de caméras pièges avec l’IRET [Institut de Recherche en Écologie Tropicale, une branche scientifique du gouvernement Gabonais] et le WWF [World Wide Fund for Nature] et bioacoustique avec TNC [The Nature Conservancy] ». Les résultats de ces études, toujours attendus, permettront de comparer la biodiversité de la zone par rapport aux forêts voisines et aux aire protégées déjà existantes au Gabon.

Zuzana Burivalova est un Professeur Assistant à l’Université Wisconsin Madison et membre principale d’une équipe de chercheurs en bioacoustique de son université, l’Université Omar Bongo et en collaboration avec le paraécologiste Koto de Massaha.

Elle raconte : « Indépendamment de la nouvelle aire protégée proposée, nous ( étudions les impacts de l’exploitation forestière sélective sur la biodiversité. Nous essayons de comprendre à quelle vitesse la biodiversité peut se reconstituer dans les forêts tropicales après une exploitation sélective. Cette concession fait partie de notre plan d’échantillonnage, et nous venons de recevoir un premier lot de données de paysages sonores de forêts déjà exploitées, ainsi que de celles qui ne le sont pas encore (dans certaines parties de l’aire protégée proposée), et du Parc National d’Ivindo » dit-elle.

« Il s’agit toujours d’une expérience en cours, et nous travaillons actuellement sur les analyses préliminaires, il est donc trop tôt pour dire comment la forêt jamais exploitée dans la zone protégée proposée se compare en termes de biodiversité aux forêts qui avaient été exploitées il y a même longtemps. Mais d’après ce que j’ai écouté jusqu’à présent, nous entendons de nombreuses espèces vocaliser en même temps. Le refrain de l’aube de ces sites est très riche et je suis ravi que notre équipe analyse ces données – c’est une chance si rare de travailler dans des forêts qui n’avaient jamais été exploitées auparavant !»

Plusieurs contradictions apparaissent dans l’interprétation de loi

Le Directeur Général des Forêts (DGF) Ghislain Moussavou, à qui le Ministre des Eaux et Forêts a confié le dossier, voit la situation autrement que son collègue le Directeur Général de la Faune et des Aires Protégés et leur Ministre.

Il nous disait le 1 Mai 2021 que : « Aujourd’hui, on est dans un model ou, finalement, c’est les populations qui se plaignant hier qu’on protège un peu trop, on en fait un peu trop, trop de parcs nationaux, trop d’aires-protégées, veulent en créer une nouvelle à un endroit qui, finalement pour nous aujourd’hui, en tout cas par rapport aux documents que nous avons, ne présente pas une biodiversité exceptionnelle qui ferait que, de manière urgente et exceptionnelle, à cet endroit on veuille créer subitement une aire-protégée exceptionnelle ».

Pour Moussavou, il n’y a pas de raisons qui tiennent pour la création d’une aire-protégée, dans ce permis forestier dont la mise en exploitation génère des revenus économiques aux caisses de l’Etat. Il soutiendra que « les activités menées par TBNI sont parfaitement légales. Conformément au code forestier en vigueur au Gabon, la conservation peut très bien se faire dans une exploitation forestière par l’entreprise elle-même, puisqu’elle dispose de moyens pour cela ».

Dans un e-mail du 05 Août 2021, le DGF dit à Mongabay que « Le Directeur Général des Forêts DGFAP lui-même a effectué une mission à Massaha pour leur expliquer (les populations) que la requête d’acquérir une nouvelle Aire-protégée n’était pas possible ». Alors que son collègue le DGFAP et leur Ministre ont apprécié la démarche de Massaha au cours de sa visite en mai.

Carte d’une aire protégée proposée de 11 300 hectares au sud du village de Massaha. Cette forêt fait actuellement partie de la concession UFG-2 de TBNI : sous-section « AAC 2018 », qui empiète sur le territoire de gestion de la chasse du village voisin de Latta, et a été exploitée en 2020. Image fournie.

L’exploitation est lancée alors que les doutes subsistent sur sa conformité

Alors que les populations de Massaha attendent des réponses à leur demande, TBNI est passée à la phase d’exploitation forestière après l’ouverture des routes forestières longues de plusieurs dizaines de kilomètres dans l’AAC 2019 et serait même sur le point d’ériger un pont en bois pour accéder à l’autre rive de la rivière Liboumba, où les équipes sont en cours de faire le rayonnage de l’AAC 2020, située dans la forêt jamais exploitée.

TBNI travaille sans un Plan de Protection de la Faune (PPF) — la loi est censée de réduire les impacts de l’exploitation forestière sur les populations animales — mais Moussavou a dit à Mongabay que la société n’en a pas besoin.

« Depuis l’année dernière, la signature des Plans de Protection de la Faune a été suspendue par le Ministre via la Direction Générale des Forêts et des Aires Protégées. L’entreprise avait engagées des démarches mais elles sont en attente de l’administration. La procédure de PPF étant suspendue, dès la reprise l’entreprise aura obligation d’associer les communautés. »

En ce qui est du Cahiers des Charges Contractuelles (CCC) — c’est à dire l’engagement censé d’apporter des bénéfices socio-économiques aux villages impactés par l’exploitation — il a dit que « En ce moment pour les exploitations de l’AAC[20]19 qui a été autorisée en 2020, le processus de compilation des volumes et de montage des CCC est en cours pour toutes les entreprises ».

Une application pionnière du :      Code forestier en République gabonaise : Les articles 55 et 67 dudit code mentionnent qu’une aire déjà été attribuée à l’exploitation forestière peut être déclassée lorsqu’elle présente « une forte richesse biologique, une haute valeur patrimoniale ou de forts risques environnementaux ». Les villageois de Massaha ont demandé le déclassement de 11 300 ha de la concession d’exploitation Unité forestière de gestion 2 conformément à l’article 2 du Décret n°001032-PE-MEFEPEPN du 1er décembre 2004, qui mentionne qu’un tel processus peut être initié à la demande expresse d’une communauté locale.

Enfin, selon Moussavou « L’étude d’impact environnementale n’est pas une obligation légale à ce stade au sein des concessions forestières. Cependant, dans le cadre de la préparation du Plan d’Aménagement (PA), il y a une étude socio-économique et de cartographie participative et il y a un plan de gestion (PG), qui prévoit la gestion des finages villageois notamment, une série Agricole prenant en compte les droits des populations ; les études d’impact environnemental seront une obligation légale dans le prochain Code Forestier ».

Si ces études existent, il n’ont pas été montré au village ni au Mongabay. La communauté observe que l’entreprise ne prendre aucune mesure pour appuyer le village. Les villageois ont demandé a plusieurs reprises des actions de TBNI sans suite.

Les paroles de Moussavou sont en contradiction alarmante avec une note circulaire de Juin 2021, signée par Stéssy Medi Moudinguela, Directeur Générale de l’Environnement et de la Protection de la Nature, qui informe les exploitants forestiers de l’application du « Décret n° 539/MEFEPEPN de juillet 2005 réglementant les études d’impact sur l’environnement et de l’arrêté n° 035 du 06 octobre 2020 portant révision de la liste des projets obligatoirement à Etude d’Impact sur l’Environnement (EIE). »

Cette note dit que « Aussi, l’ouverture d’une nouvelle assiette de coupe peut impliquer d’autres impactes, à documenter dans l’EIE ou dans la NIE [Notice d’Impact sur l’Environnement]. En clair, chaque nouvelle assiette de coupe devra faire l’objet d’une NIE lorsque le permis a fait l’objet d’une EIE et d’une EIE complète si ledit permis n’a jamais fait l’objet d’une étude ».

Grumes de la concession UFG-2 de TBNI. Image fournie par Ivindo FM.

Benjamin Evine-Binet est le directeur de Ivindo FM, une station de radio communautaire à Makokou. Twitter: @ivindofm


Image de bannière : Grumes de la concession UFG-2 de TBNI. Image fournie par Ivindo FM.

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