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Un monde de souffrances : les catastrophes climatiques de 2021 tirent la sonnette d’alarme sur la sécurité alimentaire

  • Le changement climatique provoqué par l'Homme alimente des phénomènes météorologiques extrêmes, allant d'une sécheresse sans précédent à des inondations massives, qui frappent les principales régions agricoles du monde.
  • Du cœur des productions céréalières argentines aux champs de tomates en Californie, en passant par le centre névralgique du porc en Chine, les phénomènes météorologiques extrêmes ont entraîné une baisse de la production et une hausse des prix des produits de base dans le monde.
  • Les pénuries d'eau et de nourriture ont, à leur tour, provoqué des conflits politiques et sociaux en 2021, notamment des manifestations contre l'augmentation des prix de la nourriture en Iran et la famine à Madagascar, et menacent d'entraîner une augmentation de la misère, des contestations civiles et des guerres dans les années à venir.
  • Les experts ont prévenu que le problème ne fera que s'intensifier, même dans les régions qui ne sont actuellement pas touchées par les prix élevés dus à la pénurie ou qui en profitent. Selon eux, il est urgent d'opérer un changement global dans les modes de production et de consommation agricoles.

En juillet, une vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux en Argentine. On y voyait des personnes traversant ce qui ressemblait à un désert, ce qui n’était en fait pas le cas. Il s’agissait du lit du fleuve Paraná, qui fait partie du deuxième plus grand système fluvial d’Amérique du Sud. En temps normal, le cours d’eau prend sa source au Brésil et rejoint la mer via le Rio de la Plata, entraînant un vaste bassin versant couvrant tout le Paraguay, le sud du Brésil et le nord de l’Argentine. Habituellement, le volume d’eau qui s’écoule vers l’Atlantique est à peu près égal à celui du fleuve Mississippi.

Ce qui se passe actuellement n’est pas normal. L’assèchement de vastes tronçons de rivière survient alors que la région est frappée par la sécheresse la plus grave depuis 1944 et aucune amélioration n’est prévue à court terme. Selon les prévisions du ministère argentin des travaux publics, la pluie ne reviendra pas avant au moins trois mois.

En plus d’endommager les cultures, la sécheresse empêche les céréales transportées par barges d’atteindre le marché de façon abordable, ce qui oblige l’Argentine à subventionner le transport des produits de base à hauteur de 10,4 millions de dollars et coûte 315 millions de dollars aux producteurs et exportateurs de céréales du pays. Il se peut que les consommateurs finissent par devoir payer l’addition.

La région de Paraná connaît “un véritable holocauste environnemental”, déclare Rafael Colombo, membre de l’Association argentine des avocats pour l’environnement.

Selon lui, les causes multiples comprennent “une série complexe et diversifiée d’interventions menées par l’Homme, associées au développement de l’agro-industriel, de l’élevage intensif, de la déforestation, des barrages et de l’exploitation minière au cours des 50 dernières années.” Ajoutez à cela les conséquences du changement climatique mondial causé par l’Homme.

En raison du manque de pluie à la source du fleuve São Francisco, le réservoir de Sobradinho au Brésil connaît la pire sécheresse de son histoire. Image de Marcello Casal Jr/Agência Brasil (CC BY 3.0 BR).

Un monde de souffrances

On peut s’attendre à ce que des phénomènes météorologiques extrêmes se produisent chaque année aux quatre coins de la planète, mais la sécheresse du bassin versant du Paraná n’est pas une aberration en 2021. Au contraire, elle représente la nouvelle normalité alors que les principaux greniers à blé régionaux du monde entier sont assaillis par des températures exceptionnellement élevées qui intensifient des sécheresses record simultanées, entraînant des incendies de forêt désastreux. Cette année, les inondations sont elles aussi sans précédent. Alors que le Paraná a connu une sécheresse record, le bassin versant de l’Amazone voisin, à Manaus (Brésil), a été frappé par des déluges sans précédent en juin.

Tous ces événements planétaires combinés ont un impact négatif sur les cultures et le bétail, et bien qu’il soit trop tôt pour en calculer les frais, les prix de tous les produits augmenteront probablement de manière significative dans les mois à venir ; des tomates au pain, en passant par le bœuf.

“Sans précédent” semble être le mot qui décrit le mieux les événements météorologiques extrêmes de 2021. Mi-juillet, dans la province chinoise du Henan, l’une des régions les plus peuplées du pays, il est tombé l’équivalent d’une année de pluie, à savoir 640 millimètres en trois jours seulement, “du jamais vu au cours des 1 000 dernières années”.

Au moins 71 personnes sont mortes et 1,4 million de personnes ont fui les inondations, alors que la Chine se prépare à de nouvelles pluies abondantes. Le déluge a également touché 972 000 hectares de terres cultivées et, bien qu’une grande partie de la récolte céréalière de cette région ait déjà été faite, la transformation, le stockage et le transport des céréales d’été pourraient être affectés car les eaux de crue endommagent les usines de farine.

La Chine n’est pas le seul pays touché. Fin juillet, certaines régions de l’Inde ont relevé 594 millimètres de pluie en quelques jours, tandis que Manille et les provinces périphériques des Philippines ont été inondées par des pluies torrentielles, entraînant des évacuations massives et des dégâts aux cultures.

Les vagues de chaleur et la sécheresse extrêmes ont battu des records dans tout l’ouest des États-Unis, du sud de la Californie au Nevada et à l’Oregon. Alors que cette sécheresse exceptionnelle sans précédent s’aggrave, les autorités californiennes chargées de la réglementation des eaux ont pris cette semaine une mesure tout à fait inhabituelle, à savoir l’interdiction pour des milliers d’agriculteurs d’extraire de l’eau des principales rivières et ruisseaux pour irriguer. La sécheresse va certainement être une mauvaise nouvelle pour les amateurs de spaghettis. En effet, la Californie produit plus de 90 % des tomates en conserve des États-Unis et assure un tiers de l’approvisionnement mondial. Attendez-vous à des prix beaucoup plus élevés et à une accumulation de tomates.

Le Réservoir de Don Pedro en Californie (les zones marron devraient être sous l’eau). La sécheresse exceptionnelle sans précédent ne fait que croître et annonce que des milliers d’agriculteurs qui extraient chaque année l’eau des rivières et des ruisseaux pour irriguer ne pourront pas exploiter ces sources cette année. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.
Alors qu’en 2021 de graves incendies font à nouveau rage dans l’ouest des États-Unis, les ressources de lutte contre les incendies sont mises à rude épreuve. Forest Service NW via Twitter.

Pendant ce temps, 91 incendies de forêt font actuellement rage aux États-Unis et détruisent les écosystèmes et les infrastructures. Cette année, un peu plus d’un million d’hectares a brûlé jusqu’à présent, la saison des incendies étant loin d’être terminée. A la même période l’année dernière, seuls 850 000 hectares avaient brûlé. Les graves incendies provoqués par le changement climatique dans l’ouest des États-Unis ont également des répercussions négatives sur les produits agricoles. En effet, les agriculteurs et les éleveurs doivent désormais faire face à des tarifs d’assurance incendie qui montent en flèche, augmentant souvent de plusieurs dizaines de milliers de dollars. “Cette tendance a provoqué un énorme choc dans les régions agricoles californiennes”, indique le service d’informations environnementales en ligne Grist. Ces taux d’assurance exorbitants pourraient pousser certaines exploitations à la faillite, ou rendre l’agriculture trop risquée pour être assurée.

Plus à l’est, dans le Colorado et l’Utah, les éleveurs de bétail souffrent également. A mesure que la sécheresse s’aggrave, nombre d’entre eux ont décidé à contrecœur d’abattre leurs troupeaux. “Tout le monde va vendre ses vaches, il est donc probablement plus intelligent de le faire maintenant, pendant que le prix est élevé, avant que le marché ne soit inondé”, a déclaré Buzz Bates, un éleveur venant de Moab, dans l’Utah.

La sécheresse qui sévit dans l’Ouest a également engendré des conditions idéales pour l’éclosion des œufs de sauterelles, entraînant une infestation généralisée et des pertes de récoltes. “Je ne peux que jurer en parlant des sauterelles”, a déclaré un agriculteur de l’Oregon. “Elles sont un véritable fléau… Elles ne font que détruire la terre et les cultures”.

Un criquet en Indonésie. D’importantes infestations ont touché l’Afrique l’année dernière et les États-Unis cette année. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

Le spectre de la faim dans le monde

La sécheresse de cette année aggrave la faim dans certains des pays les plus pauvres de la planète. Le sud de Madagascar connaît sa pire sécheresse depuis quatre décennies. Maliha, 38 ans et mère célibataire de huit enfants, a déclaré à Reliefweb : “Depuis que la pluie a cessé, les enfants ne mangent pas régulièrement. Je leur donne ce que je trouve, des feuilles de cactus par exemple. Avec ce régime, ils ont la diarrhée et des nausées, mais nous n’avons pas le choix. Au moins, ça ne les tue pas”.

Selon le directeur général du Programme alimentaire mondial, David Beasley, la crise alimentaire à Madagascar existe depuis des années. “Il y a eu des sécheresses successives qui ont conduit les communautés à la limite de la famine.” Plus d’un million de Malgaches se sont retrouvés en situation d'”insécurité alimentaire”, sans accès à “une nourriture suffisante, saine et nutritive”, a-t-il déclaré.

Il est catégorique quant à la raison : “Ce n’est pas à cause des guerres ou des conflits, c’est à cause du changement climatique.”

Alors que les catastrophes s’enchaînent, certains évoquent les Dix Plaies d’Egypte envoyées par Dieu pour punir l’humanité de sa méchanceté. Même l’invasion de criquets ne manque pas à l’appel. En effet, il y a tout juste un an, la Grande Corne de l’Afrique et le Yémen ont connu la plus grande invasion de criquets pèlerins depuis 25 ans, déclenchée par des pluies record. Rien qu’en Éthiopie, plus de 356 000 tonnes de céréales ont été perdues, laissant près d’un million de personnes en situation d’insécurité alimentaire.

Des femmes attendent de recevoir des repas chauds d’urgence pour leurs enfants souffrant de malnutrition dans le village de Sihanamaro, dans la région Androy, au sud de Madagascar. Image offerte par le PAM/Krystyna Kovalenko.
Des enfants mangent de la nourriture distribuée par le Programme alimentaire mondial dans le village de Sihanamaro, dans la région Androy, au sud de Madagascar. Image offerte par le PAM/Krystyna Kovalenko.

Les produits de base touchés dans le monde entier

Les conditions météorologiques extrêmes continuent de toucher lourdement les cultures du monde entier, alors que les prix des produits alimentaires sont déjà presque à leur niveau le plus élevé depuis dix ans. La liste est longue. Les inondations dans la principale région de production porcine de Chine ont accentué la menace de maladies animales. Les pluies dévastatrices en Europe renforcent la crainte de la propagation de maladies fongiques dans les céréales. Et dans les High Plains, le long de la frontière entre les États-Unis et le Canada, les céréales et le bétail sont menacés par l’aggravation prévue de la sécheresse qui inquiète les courtiers en marchandises et les agriculteurs. La Russie, autre grenier à blé du monde, connaît également un climat chaud et sec, et les prévisions de récolte de blé ont chuté.

Le Brésil est l’un des plus importants exportateurs de produits agricoles au monde. Mais la sécheresse qui persiste dans le pays suscite des inquiétudes quant à la deuxième récolte de maïs de 2021. La sécheresse et les rares gelées affectent également les régions productrices de café, qui connaissent les températures les plus froides de ces 25 dernières années. Le 29 juillet, la neige est même tombée sur une grande partie du Brésil. (Même si le chaos climatique entraîne davantage de records de chaleur, il peut parfois générer des froids extrêmes). La récolte de café sera endommagée et les prix du café sont en hausse dans le monde entier.

D’autres cultures pourraient être touchées, le Brésil étant le premier exportateur de sucre, de jus d’orange et de soja de la planète. “Aucun autre pays au monde n’a autant d’influence sur les conditions du marché mondial. Ce qui se passe au Brésil affecte tout le monde”, a déclaré à Bloomberg Michael Sheridan, directeur de l’approvisionnement et de la valeur partagée chez Intelligentsia Coffee, un torréfacteur et distributeur basé à Chicago.

Zone inondée dans la ville de Qingshanqiao à Ningxiang, province de Hunan, en Chine, en 2017. Le pays connaît à nouveau de terribles inondations en 2021 et le pire est sans nul doute à venir si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas rapidement réduites. Image de Huangdan2060 via Wikimedia Commons (CC0 1.0).
La sécheresse qui a sévi dans certaines régions de l’Inde a plongé les agriculteurs et les éleveurs dans une situation désespérée pendant la majeure partie de cette année. De tels événements se sont déjà produits par le passé, mais ils sont aujourd’hui de plus en plus fréquents, stressant des communautés et des nations entières. Image de srinivasa krishna via Flickr (CC BY 2.0).

Festin ou famine : profiter des catastrophes

Comme ailleurs, les catastrophes climatiques au Brésil sont régionalisées et endommagent les récoltes qu’à certains endroits. Dans les zones non touchées, les agriculteurs s’en sortent bien, même mieux que prévu car les prix des produits de base dans le monde entier ont grimpé, en partie à cause des sécheresses qui ont frappé la planète. Et comme souvent sur le marché des produits de base, un agriculteur profite du malheur d’un autre, alors que les grands négociants en produits de base ont la polyvalence et le pouvoir économique nécessaires pour faire face à des conditions météorologiques défavorables, pour l’instant du moins.

L’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE) s’attend à une “récolte record de grains, de céréales et de plantes oléagineuses en 2021″. L’agro-industrie en dehors de la région de Paraná, touchée par la sécheresse, jubile. Maurilio Biagi Filho, dont la famille possède de vastes plantations de sucre, affirme qu’il est “très rare” que des prix agricoles élevés coïncident avec une production record. “Quand cela arrive, c’est extraordinaire”, ajoute-t-il.

Un phénomène similaire se manifeste aux États-Unis, où deux ceintures de maïs évoluent de manière très différente. Le Sud-Est des États-Unis connaît “un temps estival formidable” (frais et humide), alors que le Nord-Ouest est confronté à “une terrible sécheresse” (temps chaud et sec) Selon une source médiatique agricole, “le nœud du problème est que la récolte est endommagée à l’Ouest alors qu’elle s’accroît à l’Est”.

Maurílio Biagi Filho, l’un des plus grands magnats de l’agroalimentaire brésilien, s’attend à une forte augmentation des revenus cette année en raison de la hausse des prix des produits de base dans le monde provoquée par les sécheresses au Brésil. Image offerte par JornalCana.

Ce tableau économique contrasté s’accompagne d’une mise en garde. En effet, à mesure que l’année 2021 s’écoule et que la crise climatique mondiale s’aggrave d’année en année, les prévisions annoncent que de moins en moins d’agriculteurs pourraient percevoir des bénéfices car les catastrophes climatiques extrêmes et les mauvaises récoltes se multiplient.

Dans les années 1990, un scientifique du Woods Hole Research Center, qui disait le chaos climatique imminent, avait déclaré : “Imaginez une casserole d’eau froide sur la cuisinière. Réchauffez la casserole sans interruption. L’eau commence à bouger, à tourbillonner de manière de plus en plus irrégulière et intense. De petites bulles apparaissent, puis de plus grosses bulles à mesure que vous ajoutez de l’énergie au système, jusqu’à ce que l’eau bout. Il s’agit d’une bonne métaphore du changement climatique mondial. À mesure que les émissions augmentent, des phénomènes météorologiques extrêmes apparaissent de manière plus récurrente, aléatoire et imprévisible, partout.”

Le chaos climatique engendre l’insécurité alimentaire et l’instabilité politique

Le revers de la médaille de la hausse actuelle des prix des produits de base se fait déjà ressentir chez beaucoup de monde. Avec des millions de démunis touchés par les catastrophes climatiques, les gouvernements des pays en difficulté financière doivent fournir une aide alimentaire. “La hausse des prix des aliments est la dernière chose dont les gouvernements ont besoin en ce moment”, a déclaré au Financial Times Carlos Mera, analyste chez Rabobank.

La hausse des prix des aliments entraîne souvent des troubles politiques, même dans les pays où la dissidence est fermement réprimée. Début juillet, des manifestants sont descendus dans les rues du sud-ouest de l’Iran, scandant des slogans contre le régime et réclamant un meilleur accès à l’eau pour la consommation, pour les terres agricoles et pour leur bétail.

Mais la crise climatique ne montre aucun signe d’amélioration. Le 22 juin, Nuwaiseeb, au Koweït, a enregistré des températures de 53,2 degrés. Dans les pays voisins, l’Irak et l’Iran, les températures étaient à peine moins élevées. Des records historiques ont également été battus en Turquie (où les incendies de forêt ont tué des animaux d’exploitation), ainsi qu’en Irlande du Nord et dans le nord du Japon. Moscou a été frappée par une vague de chaleur historique en juin, avec des températures atteignant les 34 degrés, un record jamais atteint en 120 ans. Ces vagues de chaleur ne sont pas favorables à l’approvisionnement et aux prix des denrées alimentaires dans le monde, ni à la sécurité nationale.

La hausse des prix des aliments, causée en partie par la sécheresse suite au changement climatique, est considérée comme l’un des principaux facteurs à l’origine de l’instabilité qui s’est répandue dans une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en 2011, provoquant le Printemps arabe.

En 1997, le journaliste visionnaire Ross Gelbspan mettait le monde en garde contre le perpétuel “état d’urgence à venir”, un abîme de changement climatique de plus en plus grave et déstabilisant, un maelström météorologique extrême dans lequel les systèmes de production alimentaire, des populations entières, des gouvernements et des pays s’effondreraient, provoquant la faim, la misère humaine, les troubles civils et la guerre.

Carlos Mera, analyste sénior chez Rabobank, une société néerlandaise de services bancaires et financiers, en voyage au Brésil pour analyser la récolte du café, en train de se connecter à une téléconférence en 2019. Image via Twitter.

La panne climatique

Le consensus est de plus en plus large. Aujourd’hui, la quasi-totalité des scientifiques et des responsables politiques (hormis les hommes politiques qui défendent les intérêts des combustibles fossiles) s’accordent à dire que la cause sous-jacente de la crise climatique actuelle est l’activité humaine de ces cent dernières années (moins d’une nanoseconde dans l’histoire de la planète) et le rejet de milliards de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

L’agence de presse AFP a récemment obtenu un projet de rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU, dont la publication est prévue au début de l’année prochaine. Selon l’AFP, ce rapport constitue “de loin, le catalogue le plus complet jamais assemblé sur la façon dont le changement climatique bouleverse notre monde”. Le GIEC avertit que les effets dévastateurs du réchauffement climatique seront cruellement perceptibles avant qu’un enfant né aujourd’hui atteigne l’âge de 30 ans.

Tout comme Rafael Colombo, l’avocat argentin spécialiste de l’environnement, le GIEC pointe du doigt un ensemble d’influences d’origine humaine : émissions de gaz à effet de serre, dégradation des terres causée par l’agriculture intensive, déforestation, utilisation excessive d’engrais minéraux et de pesticides, surpâturage et extraction excessive de l’eau pour l’agriculture et d’autres usages. Et pourtant, les émissions augmentent avec la population et l’utilisation inconsidérée des ressources.

Plantation de soja à côté d’une forêt tropicale au Brésil. La déforestation et la dégradation des terres dues à l’expansion agressive de l’agrobusiness font partie des impacts de l’Homme dans la région amazonienne. Ces impacts incluent également la sécheresse croissante due au changement climatique. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.
Les sécheresses dans le monde détruisent des siècles de progrès humain, privant d’eau les cultures, limitant les moyens de subsistance et la survie. Image offerte par Petterik Wiggers / PAM ONU.

Un besoin urgent de “changement transformationnel”

Le projet de rapport du GIEC plaide : “Nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement. Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation.”

Ariel Ortiz-Bobea, professeur agrégé à l’école d’économie appliquée et de gestion Charles H. Dyson de l’université Cornell, estime que des techniques agricoles considérablement améliorées résoudraient le problème. Il a déclaré à Mongabay qu’il fallait “investir davantage dans la recherche et le développement et dans une agriculture “intelligente sur le plan climatique” afin de d’insuffler un “vent contraire” au changement climatique.” Il a souligné que “ces investissements doivent être réalisés maintenant. La production accrue de “plantes intelligentes sur le plan climatique” permettrait à l’humanité de maintenir les taux de croissance historiques de la production [végétale] sans avoir à augmenter les intrants.”

Colleen Doherty, professeure agrégée de biochimie à l’université de Caroline du Nord, adopte une approche similaire, suggérant que l’agriculture “intelligente sur le plan climatique” pourrait se faire en partie en créant des plantes beaucoup plus résistantes. “Nous devons sélectionner des cultures qui pourront faire face à des conditions dont nous ignorons l’évolution à l’heure actuelle. Les choses changent tellement rapidement que nous devons être capables d’anticiper les problèmes avant qu’ils ne surviennent”, a-t-elle déclaré, ajoutant avec un optimisme prudent : “Nous avons à peine effleuré le potentiel des plantes.”

Pour qu’une telle approche fonctionne, il faut qu’elle apporte bien plus que ce que les nouvelles technologies ont permis de réaliser au cours des deux dernières décennies. Un article récent, intitulé “Le changement climatique anthropique a ralenti la croissance de la production agricole“, indique que le changement climatique a effacé sept années d’amélioration de la productivité agricole au cours des 60 dernières années. Ortiz-Bobea, l’auteur principal de l’article, a déclaré que “l’effet de ralentissement” pourrait bien s’intensifier, car “l’agriculture mondiale devient de plus en plus vulnérable au changement climatique” et “le réchauffement de la planète s’accélère.”

Le mouvement de l’agriculture régénératrice propose une méthode complètement différente pour faire face à la crise. Ses adeptes sont sceptiques quant à la capacité des scientifiques à sélectionner des plantes plus résistantes. “Malgré les milliards de dollars dépensés dans la recherche et le battage médiatique, il n’y a pas une seule culture importante qui ait bénéficié de modifications par génie génétique pour la rendre nettement plus résistante à la sécheresse”, a déclaré à Mongabay André Leu, directeur international de Regeneration International, bien que les entreprises de biotechnologie et les chercheurs revendiquent certains progrès dans ce domaine de développement.

Une femme se tient devant sa maison emportée par les inondations au Kenya. Image © Greenpeace.
Vue aérienne de villages et de terres agricoles inondés au Kenya. En mai, 40 000 personnes ont été déplacées, des centaines de vies ont été perdues, des cultures ont été détruites et du bétail s’est noyé. Les phénomènes météorologiques extrêmes, notamment les inondations et les sécheresses, deviennent plus fréquents et plus intenses à mesure que la crise climatique s’aggrave. Avec la crise actuelle du COVID-19 et l’invasion de criquets, les inondations enveniment la situation de la sécurité alimentaire dans le pays. Image © Greenpeace.

Selon lui, les réponses ne viendront pas des laboratoires, mais de la collaboration avec les communautés rurales qui ont acquis une connaissance unique des écosystèmes locaux grâce à des siècles d’expérience. “De nombreuses études publiées indiquent que l’augmentation de l’agro-biodiversité par le biais d’un mélange d’espèces et de variétés de cultures, ainsi que la sélection participative menée par les agriculteurs, augmentent la résistance à la sécheresse et aux conditions climatiques extrêmes”, a-t-il déclaré. “Ces systèmes fonctionnent désormais à l’échelle mondiale sur tous les continents arables”. De plus, les défenseurs de l’agriculture régénérative affirment qu’elle peut “atténuer considérablement le changement climatique” en piégeant d’importantes émissions de gaz à effet de serre.

Pour l’instant, aucune des deux approches ne se traduit par le “changement transformationnel” que le projet de rapport du GIEC avait réclamé, en grande partie parce que les gouvernements du monde entier n’ont pas encore pris de mesures radicales pour faire face à l’ampleur de la catastrophe qui se produit à une vitesse fulgurante sur la planète. Et peu d’analystes ont espoir que cela changera lors de l’indispensable sommet sur le climat COP26 qui se tiendra en novembre en Écosse.

Pendant ce temps, la situation continue de se détériorer. Selon les prévisions publiées ce mois-ci par l’Agence internationale de l’énergie, cette année “les plus hauts niveaux de production de dioxyde de carbone de l’histoire” seront enregistrés.

De nombreux scientifiques et responsables politiques craignent que la survie même de l’espèce humaine ne soit désormais en danger. Le projet de rapport du GIEC prévient : “La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas”.

Rizières asséchées dans la région d’Anosy, dans le sud de Madagascar. L’insécurité alimentaire s’aggravant au niveau mondial, la sécurité nationale pourrait être menacée dans de nombreux pays. Image offerte par Daniel Wood/SEED Madagascar.

Image de bannière : La sécheresse en Turquie ravage les cultures. Image de Mehmet Ali Poyraz pour le Programme alimentaire mondial des Nations unies.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2021/08/a-world-of-hurt-2021-climate-disasters-raise-alarm-over-food-security/

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