- Si l’humanité ne fait aucun effort pour freiner les émissions de gaz à effet de serre, les grands singes d’Afrique pourraient perdre jusqu’à 94% de leur habitat actuel d’ici à 2050, avertit une nouvelle étude.
- Même dans “le meilleur des scénarios”, celui dans lequel le réchauffement global serait ralenti, les gorilles, les chimpanzés et les bonobos perdraient quand bien même 85% de leur périmètre habitable.
- Les habitats des grands singes sont menacés par l'empiètement des humains, la déforestation et l’impact du changement climatique qui les rendent inadaptés.
- Les chercheurs disent qu’il existe la possibilité d’un “gain de périmètre”, là où le changement climatique rend habitables des zones actuellement inadéquates pour les grands singes, mais ils préviennent que ces animaux qui ne s’adaptent que lentement, pourraient avoir besoin de milliers d’années pour un tel changement, bien plus que le rythme auquel leur habitat est détruit.
Selon une récente étude, gorilles, chimpanzés et bonobos se dirigent vers un futur morne en raison d’une avalanche parfaite de facteurs produits par l’humain. Les chercheurs estiment que d’ici à 2050, le triple coup de la crise climatique, de l’augmentation de la population humaine et de la déforestation, pourrait conduire à une perte de 94% des aires adéquates à l’habitat des grands singes d’Afrique. Ils notent que cette perte massive de surface, se produirait dans le “pire des scénarios”; celui dans lequel l’humanité ne travaillerait pas activement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Mais même dans le “meilleur des scénarios”, celui selon lequel nous parviendrions à ralentir le réchauffement de notre planète, la situation ne serait pas beaucoup plus positive: les grands singes perdraient toujours 85% de leur périmètre habitable selon l’étude.
Aujourd’hui, toutes les espèces et sous-espèces de chimpanzés, gorilles et bonobos sont classifiés par l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature) comme étant en danger ou en danger critique. Leurs habitats disparaissent à cause de l’exploitation du bois; de l’agriculture et pour faire de la place aux projets miniers et d’infrastructures. La chasse, les maladies et les conflits armés continuent en outre de les soumettre à une immense pression. Lorsque nous ajoutons à tout cela les effets du changement climatique qui altèrent la pluviosité; intensifient les sécheresses et rendent les habitats des grands singes inhabitables en modifiant la nature des plantes (et de la nourriture) qui y poussent; nous avons une énorme crise à portée de main.
Mais, comme le suggère l’étude, des actions de conservation bien planifiées pourraient aider le futur des grands singes.
D’un côté, les effets du changement climatique pourraient rendre hospitalières des aires précédemment inadéquates à leur habitat, du moins pour certains d’entre eux. Selon les scientifiques, il est prévu que 50% de ce gain se fasse hors des aires protégées. Mais voici le hic: ce “gain” de périmètre ne signifie pas que les grands singes peuvent effectivement occuper ces nouvelles aires, juste au moment où leurs anciens habitats commencent à se réduire.
Selon Carvalho “ces deux processus se produisent à des échelles de temps différentes”. “Nous nous attendons à ce que des centaines, voire des milliers d’années soient nécessaires pour que les espèces et sous-espèces de grands singes se dispersent vers les nouvelles aires que nous appelons gain de périmètre”.
Cela est dû à ce que les grands singes, qui ont tendance à se reproduire lentement et qui ne sont pas de grands migrateurs, pourraient ne pas suivre le pas et se déplacer vers les nouvelles aires disponibles en seulement 30 années. “Il est donc primordial de ne pas interpréter ces résultats comme indiquant que les gains de périmètre se produiront avec certitude”, selon Carvalho.
Même aujourd’hui, il y a déjà en Afrique des habitats adéquats pour les grands singes en dehors des parcs nationaux existants; des réserves naturelles et des sanctuaires. En réalité, la plupart des grands singes vivent en dehors des aires protégées. Mais les zones où ils vivent ou préfèrent vivre coïncident avec celles de l’agriculture, des plantations d’huile de palme, et avec les régions qui attirent l’attention des exploitants miniers et des infrastructures de développement. Prenons le chimpanzé d’Afrique occidentale (Pan troglodytes verus) par exemple. Une étude de 2019 suggère qu’il pourrait y avoir jusqu’à 52.000 de ces grands singes, en danger critique d’extinction, qui survivent en Afrique. Seuls 17% d’entre eux vivent à l’intérieur des aires protégées. En outre, selon l’étude, 10% de ces chimpanzés vivent dans un rayon de 25 kilomètres autour de quatre “corridors de développement” multinationaux, actuellement prévus pour l’Afrique de l’Ouest, dont le Dakar-Port Harcourt corridor, et le Conakry-Buchanan corridor.
Selon Carvalho, il est donc important d’implanter d’abord, et de façon urgente, des actions de conservation qui ralentissent la perte de périmètre. Cela, ajoute-t-elle, devrait commencer par les aires protégées existantes et proposées. “Nous savons que le réseau des aires protégées en Afrique n’est pas bien ou suffisamment contrôlé. Se concentrer sur les aires actuelles est important”.
Améliorer les efforts de conservation au sein des aires protégées, a, par exemple, aidé à augmenter le nombre de gorilles des montagnes (Gorilla beringei beringei) dans les parcs nationaux du Rwanda, de l’Ouganda et de la République Démocratique du Congo. Cependant, alors que les communautés humaines autour de ces parcs continuent de croître, le mouvement des grands singes hors des limites de protection se restreint.
En conséquence, selon des études récentes, l’augmentation des densités de gorilles des montagnes dans des espaces limités créent de nouveaux défis : risques de maladies infectieuses et augmentation des altercations violentes et des infanticides entre groupes de gorilles.
Étant donné que ces gorilles sont entourés par des mers de communautés humaines et qu’ils sont limités à des périmètres réduits en haut dans les montagnes, ils sont particulièrement sensibles au réchauffement climatique et à l’extinction, ont averti Carvalho et ses collègues dans leur étude.
” Les effets futurs du changement climatique sur les gorilles des montagnes sont alarmants” selon Gladys Kalema Zikusoka, vétérinaire et fondatrice de la Conservation Through Public Health, qui a longtemps travaillé pour protéger les gorilles menacés des montages en Ouganda, mais qui n’a pas participé à l’étude. “Il est urgent d’inverser cette tendance en étendant leur habitat protégé; en établissant des corridors de forêt et en réduisant la croissance de la population humaine par des interventions intégrées en matière de population, de santé et d’environnement (PHE), telles que la promotion de la planification familiale volontaire autour des zones protégées et des habitats non protégés des grands singes”.
D’autres chercheurs ont aussi souligné le besoin de solutions qui incluent les communautés vivant près des grands singes. Par exemple, en intensifiant les sécheresses et en asséchant les sources d’eau, le changement climatique est déjà en train d’avoir un effet négatif sur les agriculteurs qui résident autour de l’un des habitats critiques des gorilles des montagnes: le parc national des volcans au Rwanda. Cela, en retour, pousse les agriculteurs à chercher de nouvelles zones fertiles et des sources d’eau en haut dans les montagnes, là où se trouvent les habitats des gorilles; menant potentiellement à des situations de conflit et augmentant le risque de propagation de maladies.
“La question n’est pas de savoir si le changement climatique affecte directement les gorilles des montagnes”, a expliqué en 2018 à Mongabay David Greer, coordinateur du programme WWF des grands singes d’Afrique. “Nous avons besoin de comprendre comment le changement climatique affecte le comportement humain; qui affecte à son tour les gorilles des montagnes”.
Contrairement aux gorilles des montagnes qui, aujourd’hui, se trouvent largement au sein des aires protégées, d’autres grands singes comme le Gorille des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) et le chimpanzé d’Afrique centrale (Pan troglodytes troglodytes), se trouvent surtout hors des parcs protégés. Selon l’étude de Carvalho, dans “le meilleur” des scénarios, celui d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre, il est prévu que ces primates perdent la majorité de leurs aires actuellement habitables. Toutefois, leur extinction pourrait être ralentie si ce même scénario venait à se produire, parce qu’il serait prévu qu’ils gagnent plus de périmètre, à condition qu’ils soient capables de se disperser et d’occuper ces nouvelles aires.
Mais selon les chercheurs, pour que cela se produise, les aires actuellement adéquates et celles qui pourraient le devenir, devront rester à l’esprit lors de la planification de l’utilisation future des terres et des projets d’infrastructure. “Il est important de maintenir la connectivité entre les habitats susceptibles d’être adéquats dans le futur pour que les gains de périmètre servent la survie des grands singes d’Afrique”, déclare Carvalho. “Cela signifie que les planificateurs de la conservation doivent urgemment intégrer la planification de l’utilisation des terres, l’atténuation du changement climatique ainsi que les mesures d’adaptation aux politiques gouvernementales des pays des grands singes”.
Kalema Zikusoka est d’accord avec les recommandations de l’étude. “C’est une étude utile, et si ses recommandations sont mises en place pour atténuer l’impact du changement climatique ainsi que d’autres interventions pour étendre les habitats protégés des grands singes, leur extinction pourra être inversée ou ralentie”.
Cependant, pour Carvalho, la préservation des grands singes doit signifier plus que la prise d’actions par les gouvernements d’Afrique. Cela devrait être notre responsabilité personnelle à l’égard du globe, affirme-t-elle. “Je pense que nous devrions tous être conscients de notre impact sur la biodiversité en général, et les grands singes en particulier”, ajoute-t-elle. “Cela est totalement lié à notre mode de vie; à nos styles de vie. Vous pouvez changer votre régime, soutenir les petits agriculteurs et changer vos routines en termes de consommation de ressources naturelles. Ainsi, je pense qu’il sera important pour nous, spécialement nous au Royaume Uni et dans le reste de l’Europe, de faire plus que ce que nous faisions auparavant”.
Citations:
- Carvalho, J. S., Graham, B., Bocksberger, G., Maisels, F., Williamson, E. A., Wich, S., … Kühl, H. S. (2021). Predicting range shifts of African apes under global change scenarios. Diversity and Distributions. doi:10.1111/ddi.13358
- Heinicke, S., Mundry, R., Boesch, C., Amarasekaran, B., Barrie, A., Brncic, T., … Kühl, H. S. (2019). Advancing conservation planning for western chimpanzees using IUCN SSC A.p.e.s.—the case of a taxon-specific database. Environmental Research Letters, 14(6), 064001. doi:10.1088/1748-9326/ab1379
- Petrželková, K. J., Uwamahoro, C., Pafčo, B., Červená, B., Samaš, P., Mudakikwa, A., … Modrý, D. (2021). Heterogeneity in patterns of helminth infections across populations of mountain gorillas (Gorilla beringei beringei). Scientific Reports, 11(1), 10869. doi:10.1038/s41598-021-89283-4
- Caillaud, D., Eckardt, W., Vecellio, V., Ndagijimana, F., Mucyo, J., Hirwa, J., & Stoinski, T. (2020). Violent encounters between social units hinder the growth of a high-density mountain gorilla population. Science Advances, 6(45), eaba0724. doi:10.1126/sciadv.aba0724
Image de bannière d’un gorille par Konrads Bilderwerkstatt via Flickr (CC BY 2.0).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/07/for-africas-great-apes-even-best-case-climate-change-will-decimate-habitat/