Nouvelles de l'environnement

Les scientifiques se tournent vers l’agropyre pour sauver la culture en sols arides et capturer le carbone

  • L'agropyre intermédiaire est une céréale importée qui est cultivée dans les Grandes Plaines et l’Intermountain West des États-Unis depuis les années 1930. Mais pourrait-elle être utilisée sur les terres marginales des zones arides ?
  • Le Kernza, un agropyre intermédiaire cultivé par le Land Institute, est planté dans l'est du Wyoming, où des chercheurs de l'Université du Wyoming cherchent à savoir si cette culture peut aider les agriculteurs à stabiliser et à renforcer leurs sols, tout en fournissant une culture rentable.
  • La plantation de céréales pérennes, telles que le Kernza, peut contribuer à la santé et à la stabilité du sol, retenir l'humidité et réduire les coûts de plantation ainsi que les émissions de gaz à effet de serre émanant des plantations annuelles.

L’agriculture dans l’est du Wyoming n’est pas faite pour les peureux. Le climat semi-aride s’accompagne de conditions météorologiques imprévisibles et représente un environnement impitoyable pour l’agriculture.

Malgré cela, les agriculteurs ont cultivé du blé d’hiver annuel dans l’est du Wyoming. Mais à quel prix ? Compte tenu des conditions de culture difficiles, les agriculteurs remarquent qu’avec la chute des prix du blé, la dégradation des sols et les conditions météorologiques variables, les cultures annuelles semblent être déficitaires.

“Dans cette région en particulier mais également dans tout le pays, les agriculteurs cherchent vraiment à trouver quelque chose qui puisse leur donner une certaine résilience face au changement climatique”, a déclaré Hannah Rodgers, doctorante en science du sol à l’Université du Wyoming.

Ferme de blé dans le Wyoming. Malgré le climat semi-aride et des conditions météorologiques imprévisibles, les agriculteurs ont cultivé du blé d’hiver annuel dans l’est du Wyoming. Image de CGP Grey via Flickr (CC BY 2.0).

Pour encourager les agriculteurs à maintenir la floraison des champs, les défenseurs de l’environnement ont soumis une nouvelle idée : planter une nouvelle céréale pérenne appelée Kernza. Cette dernière a été mise au point par le Land Institute, une organisation basée au Kansas, pour permettre aux agriculteurs de renforcer la santé de leurs sols tout en produisant des cultures plus rentables.

Des chercheurs de l’Université du Wyoming, dont Rodgers, ont reçu une bourse de 75 000 dollars pour la recherche et l’éducation en matière d’agriculture durable dans l’Ouest, afin d’étudier l’efficacité du Kernza dans les champs secs du Wyoming.

Un cousin du blé

Le Kernza est également connu sous le nom d’agropyre intermédiaire (Thinopyrum intermedium), une herbe vivace, introduite aux États-Unis dans les années 1930 et provenant d’Europe et d’Asie occidentale. Utilisée principalement pour le foin, le fourrage et les pâturages, elle est devenue une herbe de conservation prisée dans les Grandes Plaines et l’Intermountain West, car elle donne de meilleurs résultats à des altitudes comprises entre 1100 et 2700 mètres. Son système radiculaire est profond et robuste, ce qui en fait une excellente plante pour stabiliser le sol.

Depuis 1988, les chercheurs du Land Institute cultivent l’agropyre intermédiaire pour améliorer le rendement, la taille des graines et la résistance aux maladies. La plante qui en résulte, dont la marque est désormais déposée, est une céréale vivace qui peut offrir une culture rentable tout en apportant de nombreux avantages environnementaux aux agriculteurs.

“C’est un cousin du blé”, explique Alex Fox, doctorant en écophysiologie à l’Université du Wyoming, qui participe également à l’étude. Les grains sont plus petits que ceux du blé traditionnel, mais le goût est similaire, accompagné de quelques notes de noisette. La céréale a une teneur en gluten plus faible que le blé annuel, et Fox précise qu’ “elle agit de la même manière que la farine de seigle en pâtisserie”.

Kernza a déjà été adopté par les meuniers, les boulangers et les brasseurs pour les céréales, le pain et la bière.

L’agropyre intermédiaire produit des céréales qui peuvent être utilisées en pâtisserie et en brasserie, ainsi que pour nourrir les animaux. Image de Dehaan via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0 US).
Hannah Rodgers, chercheuse doctorante à l’Université du Wyoming, assise dans un champ de blé, analysant la fluorescence des plantes. Ces relevés peuvent indiquer à l’équipe comment les plantes réagissent au stress hydrique. Ces données seront utilisées pour comparer l’adaptation du blé par rapport au Kernza dans le Wyoming. Image offerte par Alex Fox.

Bien que les scientifiques développent Kernza depuis des décennies, les essais sur le terrain sont relativement récents. “Ça ne doit faire que cinq ans qu’il est utilisé en agriculture de production”, a déclaré Rodgers. Elle ajoute que si la plupart des plantations ont été effectuées dans la région du Midwest, cette expérience est la première à être menée sur des terres arides, ce qu’elle appelle “la limite de ce que l’on peut cultiver”.

“Avec la façon dont l’agriculture en sols arides fonctionne ici [dans l’est du Wyoming], vous ne pouvez obtenir qu’une récolte de blé tous les deux ou trois ans”, explique Fox. “Comme il y a très peu d’eau, une grande partie des terres agricoles sont laissées en jachère pendant des années”.

Les terres en jachère sont propices aux problèmes d’érosion, ce qui accentue la dégradation des sols dans les champs. Tous ces problèmes entraînent de faibles rendements des cultures annuelles, ce qui peut forcer les agriculteurs à jeter l’éponge et à abandonner leurs champs.

En tant que plante pérenne, le Kernza produit un système radiculaire profond qui maintient le sol en place et prévient l’érosion. Vicki Morrone, spécialiste de l’agriculture biologique à l’Université d’État du Michigan, qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré que les racines des céréales vivaces telles que le Kernza sont incroyables.

Elle déclare : “Nous avons creusé des fosses (…) sur le terrain et nous avons trouvé des poils radiculaires jusqu’à une profondeur de 8 à 9 mètres]”, “c’est magnifique” a-t-elle ajouté.

Morrone a précisé qu’en termes de services environnementaux rendus, notamment la rétention d’eau ainsi que la réduction du lessivage et de l’érosion, l’agropyre vivace est excellent.

Les racines robustes séquestrent également le carbone tout en s’enfonçant profondément dans le sol pour accéder à l’eau et aux nutriments. Et comme le Kernza revient chaque année, les agriculteurs économisent de l’argent sur les replantations et réduisent les émissions de combustibles fossiles en supprimant les plantations annuelles.

Le système radiculaire d’un blé annuel, à gauche dans chaque colonne, et de l’agropyre vivace. Les cultures pérennes sont dotées d’un système radiculaire profond et fibreux comparées à leurs cousins annuels. Image de Dehaan via Wikimedia Commons (CC BY 3.0).

Un terrain d’essai pour le Kernza

Les chercheurs testent actuellement le Kernza à quatre endroits différents dans le Wyoming ; trois fermes et un terrain sur une station de recherche. L’équipe comparera les caractéristiques du sol des champs de Kernza à celles de la prairie naturelle (sols sains et prospères) et à celles des champs de céréales annuelles (sols en moins bonne santé), afin de noter ce que l’agropyre intermédiaire pourrait apporter aux champs en zones arides.

Les chercheurs examineront la santé du sol dans les champs, en analysant notamment le taux de carbone organique, les nutriments et les communautés microbiennes. Ils étudieront également le stockage de l’eau, la résistance à l’érosion et la productivité générale des champs, ainsi que les apports extérieurs tels que la pluie et les engrais.

“Du point de vue agronomique de la santé du sol, nous sommes assez confiants pour dire que [le Kernza] va contribuer à la santé du sol simplement car c’est une plante pérenne”, a déclaré Rodgers. Mais elle a précisé que le rendement reste incertain.

Dans des conditions de croissance optimales, les grains du Kernza sont plus petits que ceux du blé, et les rendements ont été d’environ un tiers de ceux du blé traditionnel. “Avec des climats beaucoup plus humides, il peut être vraiment difficile de faire en sorte que le Kernza soit économiquement compétitif par rapport à d’autres cultures”, a expliqué Fox. Mais les raisons qui rendent l’agriculture si difficile dans l’est du Wyoming pourraient présenter le Kernza comme une solution viable.

Les grains d’agropyre intermédiaire, à gauche, sont bien plus petits que les grains de blé annuel. Image offerte par Vicki Morrone.
Des chercheurs de l’Université du Wyoming installent une station météorologique et des fossés pédologiques dans un champ de blé. Ils recueillent des données sur les précipitations naturelles dans la région, ainsi que des informations sur la santé du sol dans les champs plantés tous les ans. Ils procèderont aux analyses dans les champs de Kernza au fur et à mesure que l’expérience progresse. Image offerte par Hannah Rodgers.

“Les précipitations imprévisibles sont la raison pour laquelle nous pensons que le Kernza est excellent pour cet environnement”, a déclaré Rodgers. “Donc, imaginons que nous venons de subir une année de sécheresse et qu’il n’y a rien à récolter. C’est un cas de figure auquel les agriculteurs sont habitués.” L’avantage du Kernza est que la culture pourrait survivre cette année-là et, espérons-le, prospérer lors d’une saison plus humide. Les agriculteurs économiseraient sur les coûts de plantation, les champs ne seraient pas vides et le sol serait protégé.

Morrone a précisé que la rentabilité du Kernza dans le Wyoming est délicate. Selon elle, les agriculteurs peuvent s’attendre à ce que les rendements du Kernza représentent un tiers des rendements du blé annuel. Et ce, lorsque la culture se produit dans des conditions idéales. Mais le temps sec du Wyoming pourrait avoir un impact supplémentaire sur les rendements.

Elle a ajouté que la culture du Kernza dans l’est du Wyoming est “vraiment une nouveauté”. Mais Morrone a également déclaré que cette culture avait le potentiel de s’adapter parfaitement à la région, “que ce soit pour les céréales destinées à la farine ou même à la bière, ainsi que pour l’alimentation animale” lorsqu’elle est utilisée comme culture de pâturage à longue saison.

À la fin de l’expérience, les chercheurs de l’Université du Wyoming disent espérer avoir une meilleure idée de la viabilité du Kernza pour les écosystèmes des zones arides. Rodgers a indiqué que l’équipe ne s’attendait pas à obtenir des rendements comme ceux observés pour des climats plus humides, mais que même des rendements faibles feraient du Kernza une culture compétitive pour la région.

“Et en plus de cela, le Kernza renforce la santé des sols, la fertilité à long terme, il réduit les coûts des intrants, il utilise moins de combustibles fossiles”, a-t-elle ajouté. “Toutes ces autres bonnes choses fleurissent”.

Image de bannière : Alex Fox, l’un des chercheurs du nouvel essai sur le terrain du Kernza dans le Wyoming, utilise un analyseur de gaz infrarouge pour mesurer l’efficacité avec laquelle l’agropyre intermédiaire peut utiliser le carbone atmosphérique pour effectuer la photosynthèse. Image offerte par Alex Fox.

Article original: https://news.mongabay.com/2021/08/scientists-look-to-wheatgrass-to-save-dryland-farming-and-capture-carbon/

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