- « Environ un demi-million d’hectares de terres sollicités par les sociétés agro-industrielles pour des concessions foncières en zone forestière menace la biodiversité » Samuel Nguiffo.
- Samuel Nguiffo est l’un des activistes camerounais qui se sont farouchement opposés à l’octroi par le Gouvernement camerounais d’une portion de la forêt d’Ebo aux multinationales pour son exploitation.
Né en 1955 à Bafoussam dans la Région de l’Ouest Cameroun, Samuel Nguiffo a fait ses études en droit et sciences politiques et s’est spécialisé en relations internationales. Ces recherches ont été couronnées par une thèse de doctorat à l’Université de Yaoundé. Après ces études il a commencé sa carrière au ministère des affaires étrangères à Yaoundé où il a passé plusieurs années.
Samuel Nguiffo commencé à s’intéresser à l’environnement à l’âge de 23 ans, alors qu’il était encore étudiant à l’Université de Yaoundé entre 1987 et 1988. A cette période les questions de protection de la forêt, de la biodiversité et de l’environnement en générales n’attiraient pas grand monde. Le Cameroun, comme d’autres pays de la sous-région était plutôt en crises causées en partie par la politique économique d’ajustement structurelle.
L’attention de l’étudiant s’est assez vite tourné vers la difficulté de l’État à gérer le ramassage des ordures ménagères urbaines pendant ladite crise. Il travailla aussi sur la pollution des sols, des cours d’eaux causée par l’utilisation des engrais phyto sanitaires pourtant interdits en Europe. Le pays connaissait aussi une forme de l’irrigation qui a asséché des cours d’eaux et a entraîné une désertification à l’Ouest du pays.
Les années 90 : Début d’une course contre la montre
Les années 90, au Cameroun ou ailleurs sur le continent africain était une période de l’accélération de la désertification.
Entre 1993 et 1994 l’exploitation forestière connaît un essor fulgurant au Cameroun mais aussi dans la région ou tout simplement dans le bassin du Congo.
Les conflits entre les exploitants soutenus par les Gouvernements et les communautés au tour des forêts s’intensifient. Samuel Nguiffo va visiter les concessions et chantiers à travers le pays et remarquera l’ampleur de la situation et va décider d’agir.
Au Cameroun, les communautés locales ne voulaient pas que les compagnies coupent certaines essences forestières sacrées à leurs yeux. Selon elles, il y a et il aura toujours des arbres sacrés qu’il ne faut jamais blesser encore moins couper, d’un côté.
De l’autre côté, les communautés interdisaient l’accès de certaines zones aux forestiers parce qu’ils servaient d’abris ou d’habitat pour certains animaux qui étaient aussi à leurs yeux, sacrés.
« Le drame humaine et environnemental nous l’avons constaté partout où l’État du Cameroun a cédé un chantier ou une concession d’exploitation forestière dans plusieurs départements : à Campo ; Kribi ; Sangmélima dans la Région du Sud ; à Massagan dans le département du Noun (…)» ; laisse entendre Samuel Nguiffo.
Après avoir observé un manque de contrôle de la part du Gouvernement, l’exploitation anarchique des forets, la destruction sans pitié de l’environnement et le massacre des animaux Samuel Nguiffo et quelques amis ont pensé à la création du Centre pour l’Environnement et le Développement, (CED).
Très rapidement, au-delà des frontières camerounaises
Le travail de Samuel Nguiffo et son association CED va connaitre moins de limites. En 1996, alors que la région de l’Afrique Centrale connaissait des crises politiques et rebellions, son action va se focaliser sur le projet de pipeline Tchad-Cameroun.
Son implication en tant qu’activiste a relevé quelques manquements graves qui présentaient des risques pour la forêt, la biodiversité et les communautés situées dans l’axe que devrait emprunter ce pipeline entre le Tchad et le Cameroun.
Et en 1999, grâce à ces travaux de protection de l’environnement, Samuel Nguiffo sera récompensé par un jury du Prix Goldman pour l’environnement. Pour lui, c’est sans doute ce travail qui l’a propulsé jusqu’au podium du prix Goldman.
« Je pense que c’est cette combinaison qui a permis aux jurés de porter leurs attentions sur ma modeste personne » raconte-t-il d’un air joyeux de ce prix mérité il y a aujourd’hui plus de 20 ans.
Le tracé du pipeline Tchad Cameroun est long de 1050 km, et s’étend du Sud du Tchad à la côte Atlantique du Cameroun à Kribi. Ce pipeline traverse une multitude de villages et de propriétés privés et était censé bouleverser leur mode de vie, estime Nguiffo.
La victoire
Pour Nguiffo, la victoire n’est pas seulement le prix obtenu pour son travail, mais aussi la considération des revendications de son association par les Gouvernements du Tchad et Cameroun d’un côté, et de l’autre côté, le consortium Exxon -en plus de la Banque Mondiale.
Pour garder la victoire dans une cause environnementale, il fallait selon lui, accélérer des formations des jeunes et autres qui le veulent pour savoir accompagner cette lutte entreprise deux décennies plutôt.
« Pendant les deux décennies suivantes nous avons formé des personnes dans la protection de l’environnement », a raconté Samuel Nguiffo, fier d’avoir aujourd’hui au moins 35 juristes formés pour la cause de la conservation de la nature.
Le Cameroun, connait, malgré la résistance des communautés, une politique du Gouvernement d’offrir des concessions aux sociétés pour l’exploitation minière quelque fois d’ailleurs sans rigueur ou suivie.
L’activiste déplore que dans la localité de Bétaré Oya dans la Région de l’Est Cameroun, plusieurs sociétés utilisent le mercure et le cyanure, deux produits dangereux à la santé des animaux et êtres humains dans l’exploitation de l’or.
Les deux produits s’infiltrent dans la terre à travers des trous creusés par les orpailleurs sans pour autant les refermer. C’est un autre genre de combat que mène Samuel Nguiffo qui regrette tout de même que plus tard le mercure et la cyanure se retrouvent dans l’eau des rivières. La conséquence selon lui, c’est la mort des habitants ayant consommé ces eaux atteintes des deux produits.
A côté de ce combat contre l’usage du cyanure et le mercure par des exploitants aurifères, Nguiffo raconte aussi un autre combat presque gagné. Il s’agit du combat au tour de la forêt d’Ebo. Samuel Nguiffo et d’autres activistes, notables et chefs coutumiers viennent de bloquer l’octroi à deux sociétés des concessions dans la cette forêt pour son exploitation.
La vigilance reste de mise, selon lui, car estime-t-il, il y a encore des combats à faire. Car, les deux dernières années les menaces de destructions des forêts pour installer les agro-industries se sont multipliées. Il s’agit d’un total de 500.000ha visés par certains industriels dont 140.000 ha dans la forêt d’Ebo seulement.
« (…) au total si on additionne on verra que la superficie de toutes les concessions foncières oscillent autour de 500.000 hectares de terre visées ; sollicitées, déjà attribuées mais pas encore défrichées ou en cours de défrichement en zone forestière », éclaircie-t-il.
Dans le sud de la réserve du Dja au Cameroun, une compagnie agro-industrielles – dont l’identité n’a pas été révélée – qui exploite les terres pour produire l’hévéa a détruit des zones qui étaient les habitats des gorilles et cela a donné lieu à des discutions toujours en cours entre le gouvernement du Cameroun avec l’Unesco qui avait pourtant érigé la réserve du Dja en patrimoine mondiale de l’humanité.