Nouvelles de l'environnement

Dépasser le conflit entre la conservation de la nature et les communautés: questions/réponses avec Dominique Bikaba

  • Le parc national du Kahuzi-Biega dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est connu pour sa biodiversité. La zone est aussi le lieu d’habitation de la population Batwa, qui dépend fortement de ses forêts pour sa subsistance et ses traditions culturelles.
  • Les efforts de conservation entrepris pour protéger ces forêts sont remis en question par un bilan mitigé: l’expansion dans les années 1970 du Kahuzi-Biega a forcé le déplacement de milliers de personnes; les transformant en réfugiés de la conservation et développant leur méfiance quant aux initiatives de conservation.
  • L’une des principales organisations locales qui travaillent au dépassement de ces défis, est Strong Roots Congo. Fondée en 2009 par Dominique Bikaba, Strong Roots Congo place les besoins des populations locales au centre de sa stratégie pour protéger les forêts menacées ainsi que la faune dans l’Est de la RDC.
  • "L’approche de la conservation de Strong Roots est ascendante, collaborative, et inclusive" a expliqué Bikaba lors d’une récente conversation avec le fondateur de Mongabay, Rhett A. Butler.

Le parc national du Kahuzi-Biega dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est reconnu pour sa biodiversité, pour son Gorille de Grauer, une sous espèce endémique, et pour ses 350 espèces d’oiseaux. La zone est également le lieu d’habitation de la population Batwa, qui dépend fortement de ses forêts pour sa subsistance et ses traditions culturelles.

Mais les forêts de la région sont assiégées par une guerre civile au long cours; la pauvreté; et la demande sur le marché de matériaux comme les minéraux ou le charbon. Les efforts de conservation entrepris pour protéger ces forêts sont remis en question par un bilan mitigé: l’expansion dans les années 1970 du Kahuzi-Biega a forcé le déplacement de milliers de personnes, les transformant en réfugiés de la conservation et développant leur méfiance quant aux initiatives de conservation, particulièrement celles qui viennent des “étrangers”, qu’il s’agisse du gouvernement central ou d’ONG étrangères. Les entreprises minières et autres compagnies extractivistes compliquent encore plus la situation en exacerbant la pression exercée sur les communautés qui vivent dans, et de la forêt.

Grauer's gorilla troop in Kahuzi-Biega National Park. Photo credit: Strong Roots Congo.
Gorilles de Grauer dans le parc national de Kahuzi-Biega. Crédit photo : Strong Roots Congo.

L’une des principales organisations locales travaillant à dépasser ces défis est Strong Roots Congo; fondée en 2009 par Dominique Bikaba. Strong Roots Congo place les besoins des populations locales au centre de sa stratégie pour protéger les forêts menacées ainsi que la faune dans l’Est de la RDC. Ses efforts incluent l’aide aux communautés locales et aux populations indigènes pour l’obtention d’un régime foncier collectif; pour le soutien à l’éducation, et le renforcement des moyens de subsistance.

“L’approche de la conservation de Strong Roots est ascendante, collaborative, et inclusive” a expliqué Bikaba lors d’un entretien récent. “Nous avons appris depuis longtemps que les efforts de protection de la nature ne peuvent pas être durables sans la coopération et l’engagement des communautés locales, qui vivent dans les zones où ces efforts sont entrepris. Dans certains cas, la protection des écosystèmes et le développement durable des communautés peuvent paraître en décalage, mais nous avons découvert qu’ils peuvent aussi aller main dans la main”.

Dominique Bikaba. Photo credit: Strong Roots Congo.
Dominique Bikaba. Crédit photo : Strong Roots Congo.

La perspective de Bikaba et son travail avec les parties prenantes pour l’obtention de résultats qui bénéficient à la fois aux communautés et à l’environnement, est ancrée dans son expérience personnelle: sa communauté a été chassée de ses terres pour l’établissement du parc national Kahuzi-Biega dans les années 1970. Mais Bikaba a préservé une connexion avec les forêts à travers sa grand-mère. En grandissant, il a commencé à travailler dans la gestion des parcs et à en apprendre davantage sur les gorilles Grauer. Il a également été témoin de l’impact du tourisme des gorilles en termes de création de moyens de subsistance locaux, mais aussi des coûts du conflit entre l’homme et la faune sous la forme de pertes de récoltes. En outre, il a été profondément conscient de l’antagonisme entre les initiatives descendantes de conservation de la nature, et les populations locales.

“Notre vision a été d’aller au-delà du conflit entre la gestion du parc et les communautés locales, en créant des opportunités pour les membres des communautés, en travaillant sur le développement de la sécurité alimentaire et de l’éducation, et sur la promotion d’activités de subsistance pour réduire la pauvreté endémique”, a-t-il déclaré. “Strong Roots aide les membres des communautés à protéger leurs forêts traditionnelles. L’obtention en cours d’un régime foncier collectif leur permet de conserver la riche biodiversité de leurs terres traditionnelles tout en améliorant leurs moyens de subsistance et en perpétuant leurs identités culturelles et leurs rituels, à travers les générations”.

Bikaba a évoqué le contexte de la conservation dans l’Est de la RDC lors d’une conversation avec le fondateur de Mongabay, Rhett A. Butler. L’entretien a été légèrement édité pour plus de clarté.

Entretien avec Dominique Bikaba

Qu’est-ce-qui a été à l’origine de votre intérêt pour la conservation et la gestion des ressources naturelles?

Dominique Bikaba: Ma plus grande et première inspiration est associée au fait d’être né dans la forêt qui aujourd’hui constitue le parc national du Kahuzi-Biega, et d’avoir grandi en vivant pratiquement avec la faune de cette forêt. La création du parc a exclu ma famille et ma communauté de nos terres traditionnelles. Elles ont été chassées de la forêt lorsque celle-ci est devenue parc national dans les années 1970. Malgré cela, grandir dans le voisinage de cette forêt et expérimenter les impacts de la faune sauvage sur les cultures et sur nos fermes, a nourri mes ambitions de conservation et mon amour pour la faune et la flore sauvages. Dès mon plus jeune âge, j’ai passé des heures par jour avec ma grand-mère dans la forêt, à développer mes connaissances et à comprendre les types de menaces que peut représenter la faune pour les humains. C’était inspirant.

Dominique Bikaba with a troop of Grauer's gorillas in Kahuzi-Biega National Park pre-pandemic. Photo credit: Strong Roots Congo.
Dominique Bikaba avec des gorilles de Grauer dans le parc national de Kahuzi-Biega, avant la pandémie. Crédit photo : Strong Roots Congo.

Je n’avais que vingt ans lorsque j’ai cofondé notre première organisation de conservation dans le but de résoudre les conflits résultant de la tension entre la gestion du parc et les communautés alentour, nos familles y compris. En grandissant et en apprenant plus sur les gorilles: leur vie sociale, leur stature et leur charisme, la quantité de touristes qu’ils attiraient, leur rôle ainsi que celui d’autres espèces dans la restauration de la forêt, en plus du fait qu’ils soient une sous espèces endémique de notre région, j’ai commencé à mobiliser des efforts pour leur protection. Le but était de dépasser le conflit découlant de la tension entre la gestion du parc et les communautés, en créant des opportunités de formation pour leurs membres, en travaillant sur le développement de la sécurité alimentaire et de l’éducation, et en promouvant des activités de subsistance pour réduire la pauvreté endémique.

Comment avez-vous décidé de créer Strong Roots?

Dominique Bikaba: J’ai travaillé pour mon organisation antérieure basée dans le parc national du Kahuzi-Biega jusqu’en 2010.

J’avais déjà créé Strong Roots Congo en 2009 alors que je souhaitais étendre le domaine de nos projets de conservation à d’autres habitats de populations de gorilles, spécialement dans les forêts non protégées, comme les forêts communautaires. Je souhaitais comprendre comment est-ce que les communautés géraient les populations de gorilles sur leurs terres traditionnelles, ainsi que leurs connaissances sur la conservation de la biodiversité. J’étais aussi intéressé par l’intégration de la recherche dans les programmes locaux de conservation.

Dominique Bikaba. Photo credit: Strong Roots Congo.
Dominique Bikaba travaille avec les populations indigènes Batwa dans les villages de Buyungule et Cibuga autour du parc national de Kahuzi-Biega. Crédit photo : Strong Roots Congo.

Strong Roots aide les membres des communautés à protéger leurs forêts traditionnelles. L’acquisition en cours d’un régime foncier collectif leur permet de conserver la riche biodiversité de leurs terres traditionnelles tout en améliorant leurs moyens de subsistance et en perpétuant leurs identités culturelles et rituels à travers les générations.

Comment résumeriez-vous l’approche de Strong Roots pour la conservation de la nature?

Dominique Bikaba: L’approche de Strong Roots pour la conservation est ascendante, collaborative, et inclusive. Avec notre équipe hautement qualifiée d’experts locaux, nous travaillons pour l’implication des communautés et la conduite de recherches scientifiques. Depuis longtemps, nous avons appris que les efforts de conservation ne peuvent pas être durables sans la coopération et l’engagement des communautés qui vivent dans les zones où ces efforts ont lieu. Parfois, la conservation des écosystèmes et le développement durable de la communauté peuvent paraître en décalage, mais nous avons découvert qu’ils sont aussi souvent compatibles.

Notre travail respecte et incorpore les savoirs à la fois traditionnels et scientifiques et les outils de planification et de prise de décisions. Un récent exemple est notre projet de corridor entre habitats pour accroître la connexion de deux aires protégées (le parc national de Kahuzi-Biega la réserve naturelle d’Itombwe) dans le Sud-Kivu, en RDC, pour la protection du gravement menacé gorille de Grauer (Gorilla beringei graueri) et son habitat. Via ce projet, nous travaillons avec plusieurs territoires pour établir des communautés dans les forêts, pour planter des espèces végétales endémiques pour la reforestation des écosystèmes, et pour développer des activités de subsistance durables.

Grauer's gorilla troop in Kahuzi-Biega National Park. Photo credit: Strong Roots Congo.
La forêt communautaire de Burhinyi. Crédit photo : Strong Roots Congo.

L’un des éléments majeurs de ce projet de corridor implique de sécuriser le régime foncier des communautés locales et des populations indigènes qui se trouvent aux limites du corridor, et le développement de celui-ci. Cela leur permet de participer activement et de conduire la conservation de la terre et de faire partie du processus pour régénérer les forêts là où cela s’avère nécessaire, car environ 67% de la forêt du corridor est encore intacte. Cela leur permet aussi de se protéger contre le risque de revendication de leurs terres par les industries extractivistes étrangères.

Dans le cadre du processus d’obtention du régime foncier, nous travaillons avec les communautés locales pour conduire des enquêtes sur la biodiversité ainsi qu’une cartographie participative de l’occupation des sols. La cartographie nous permet de collecter d’importantes données à tous les niveaux des communautés pour nous assurer que notre approche de la planification et de la gestion de la conservation est aussi collaborative et inclusive que possible. C’est seulement à travers les exercices participatifs de cartographie, que nous pouvons identifier avec précision les limites des zones traditionnellement importantes, comme les zones sacrées. Il y a plusieurs lieux à travers le corridor qui sont considérés comme sacrés et qui sont utilisés par les communautés pour des rituels et des cérémonies traditionnelles. Ces lieux doivent être protégés et aident à maintenir la confiance et la coopération des communautés locales et des populations indigènes.

La conservation en RDC implique de nombreux acteurs. Notre approche collaborative nous assure une vision claire de nos objectifs de conservation. Nous plaçons les communautés et la faune en premier sur la base de leur longue coexistence dans la région, et nous reconnaissons les bénéfices qui résultent du fait de protéger les deux. Sans une collaboration effective entre tous les acteurs impliqués, les conflits et les tensions peuvent survenir, ce qui peut à son tour retarder les progrès ou même nuire à l’ensemble des objectifs de la conservation.

Par exemple, si les communautés ne sont pas valorisées et consultées pour la conduite des initiatives de conservation qui les contraignent à ne pas utiliser les ressources de la forêt sur lesquelles elles se sont toujours reposées, et qu’aucune alternative de subsistance satisfaisante n’est présentée, elles prennent alors sur elles de continuer d’utiliser illégalement les ressources de la forêt ou de les détruire malgré les politiques de conservation, comme cela peut être le cas dans les aires protégées gérées par le gouvernement. Ce scénario débouche sur une situation dans laquelle tout le monde est perdant. Via notre approche, nous travaillons avec le gouvernement de la RDC, les populations locales, les autorités traditionnelles, et d’autres organisations de conservation pour garantir que ce sont bien les communautés qui détiennent les initiatives de la conservation.

L’Est de la RDC semble être une région où il est difficile d’opérer. En général, quels sont les plus gros défis de la conservation dans les zones où vous travaillez?

Dominique Bikaba: Il y a de nombreux grands défis qui rendent la conservation difficile dans la région où se déroulent nos projets. Le premier est la pauvreté et la limitation des opportunités économiques pour les communautés qui se trouvent aux alentours des lieux où nos projets s’établissent. L’une de nos études récentes a rapporté que 58% des ménages dans la zone vivent dans la pauvreté. Les activités locales de subsistance dépendent fortement des ressources de la forêt. Aliments et revenus proviennent d’abord des activités agricoles et de l’élevage, pratiqués par 96% et 79% des ménages respectivement, ainsi que de la récolte de bois, de la chasse, et de l’extraction minière artisanale. Pour beaucoup dans la région, ces activités de subsistance sont l’unique option viable pour subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles.

Cette forte dépendance à l’égard de ces activités peut avoir des effets néfastes sur l’environnement si elle n’est pas correctement gérée. La coupe d’arbres pour l’agriculture et la récolte de bois pour le charbon sont les principaux moteurs de la déforestation dans la région. L’exploitation minière illégale, le braconnage et le trafic d’espèces sauvages sont aussi très préoccupants pour les populations de grands singes.

Silverback Grauer's gorilla in Kahuzi-Biega National Park. Photo credit: Strong Roots Congo.
Gorille de Grauer à dos argenté dans le parc national de Kahuzi-Biega. Crédit photo : Strong Roots Congo.

L’exploitation minière illégale est un défi complexe et souvent un conduit pour les braconniers; les aidant à accéder aux zones éloignées de la forêt. Cette région de l’Est de la RDC est riche en minéraux, ce qui attire à la fois les petits exploitants miniers illégaux, et les grandes compagnies extractivistes. C’est pour cela que notre travail avec les communautés locales dans le corridor est si important. Si des activités de subsistance durables ne sont pas développées, la zone sera soumise à des pressions causées par l’homme et à une dégradation écologique, due à l’exploitation incontrôlée des ressources naturelles.

Le conflit armé ajoute une couche supplémentaire de complexité, même s’il se fait moins sentir dans la région où nos projets sont basés. Cependant, ce conflit reste une menace de plus et peut entraver le progrès de notre travail avec les communautés. Récemment, alors que nous conduisions des enquêtes socio-économiques dans les lointaines régions de l’ouest du corridor, notre équipe d’enquêteurs n’a pas pu visiter certains villages à cause de conflits armés s’y déroulant. Nous avons dû ajuster nos plans d’enquêtes et visiter les zones en question à un moment plus sûr.

Généralement, la situation est calme dans les corridors communautaires. Les populations locales soutiennent notre travail et l’accueillent favorablement. Nous espérons que le projet de ce corridor puisse continuer d’apporter de la stabilité via l’amélioration des conditions de vie et la résilience écologique dans la région. Mais le conflit demeure un nuage noir à l’horizon et parfois… l’orage éclate.

Mais, en tête de tout ce qui vient d’être mentionné, figure le changement climatique qui est apparu ces dernières années comme un défi de plus en plus important pour notre travail dans la région. Le changement climatique est un multiplicateur de risques et menace d’exacerber les impacts des nombreux défis auxquels nous faisons face, comme l’insécurité alimentaire et la dégradation des écosystèmes. Récemment, les communautés vivant dans les zones du corridor ont observé des changements dans les époques des saisons de pluies, qui arrivent plus tard et ne sont plus aussi prévisibles qu’auparavant. Ceci a eu des impacts négatifs sur les rendements des cultures et leur qualité, ce qui a en retour affecté les revenus locaux; augmenté l’insécurité alimentaire, conduit à un besoin de cultiver plus de terres pour augmenter la production agricole. A certaines époques de l’année, le manque d’eau et la sécheresse sont de plus en plus communs. Les communautés doivent désormais adapter leurs pratiques agricoles pour maintenir leurs moyens de subsistance, en modifiant par exemple leur calendrier de plantation des cultures. Nous leur apportons notre soutien dans ce domaine, qui nécessitera des recherches supplémentaires.

Quels sont les plus grands défis à relever pour le fonctionnement de l’organisation ?

Dominique Bikaba: Faire fonctionner une organisation a ses propres problématiques que vous vous trouviez en Afrique ou en Occident, mais faire fonctionner une organisation de conservation en Afrique a ses défis spécifiques.

Le premier défi est associé au concept même de “conservation”. Ce concept est compris comme une importation du colonialisme. Pour cela, il s’agit d’un concept qui ne concorde pas avec les intentions profondes des communautés et de leur sens de la propriété. Ainsi, s’assurer de l’engagement des communautés est un premier pas critique et qui ne pourra être atteint que si les initiatives de conservation sont endogènes.

Dominique Bikaba. Photo credit: Strong Roots Congo.
Dominique Bikaba. Photo: Strong Roots Congo.

Les ressources financières sont importantes mais insuffisantes pour garantir le succès du programme de conservation. Elles sont utiles lorsqu’elles sont utilisées comme outils pour la mise en place du programme, mais peuvent constituer un obstacle quand l’accès aux fonds devient l’objectif principal. Plusieurs organisations estiment avoir fait un bon travail lorsqu’elles ont organisé un événement réussi de levées de fonds, plutôt que quand elles ont aidé une communauté ou une région à garantir la protection d’un certain nombre d’hectares de forêts ou de zones de biodiversité.

L’utilisation de l’argent collecté comme principale mesure du succès est une mauvaise appréciation. La quantité d’argent récolté en soi n’est pas un résultat de conservation réussi. C’est un défi lorsque vous travaillez dans une région avec de telles organisations. Elles agissent comme des “mercenaires de la conservation”.

Parfois, trouver du personnel compétent et formé pour la mise en place de nouvelles approches de la conservation de la nature, qui respectent et prennent en compte les connaissances traditionnelles des communautés, peut être un défi dans les zones où les communautés n’ont pas accès à une bonne éducation, ou n’ont pas accès aux sciences et aux nouvelles technologies.

En plus d’une collaboration assez pauvre avec le gouvernement à cause des faibles systèmes de gouvernance et d’un manque de ressources, certains pays compliquent le soutien des initiatives locales par les investisseurs et les donateurs.

Même si la langue n’est pas la plus grande barrière, le fait que la RDC ne soit pas officiellement bilingue (français et anglais) et qu’elle n’ait pas de système éducatif formel réduit les possibilités pour le pays d’obtenir des fonds pour la conservation et des bourses pour les protagonistes de la conservation.

Vous avez mentionné la précarité du régime foncier comme un problème pour les communautés forestières. Comment cette problématique peut-elle être traitée?

Dominique Bikaba: Le régime foncier est un problème pour les communautés forestières parce que beaucoup vivent et dépendent de terres qui ne leur appartiennent pas formellement (selon la loi écrite). Beaucoup de ces communautés, particulièrement les communautés indigènes, ont été déplacées de leurs terres forestières pour faire de la place aux aires protégées comme les parcs nationaux, ou, pour les concessions extractives offertes aux compagnies. Ces personnes ont été chassées des forêts et des environnements dans lesquels s’ancrent leurs traditions et autour desquels leurs vies tournent. Sans régime foncier, les terres de ces communautés ne sont pas officiellement reconnues comme leur appartenant, leur faisant courir le risque d’autres déplacements pour des concessions offertes à des compagnies minières étrangères dans cette région riche en minéraux. Cette situation fait aussi courir aux communautés le risque de dégradations écologiques sachant que les terres communes sont souvent plus difficiles à gérer de façon durable. La seule façon de résoudre ce problème et l’incertitude qu’il génère, est la titularisation des terres par la loi.

Community member. Photo credit: Strong Roots Congo.
Une femme des peuples autochtones batwa apporte du fourrage aux cochons d’Inde élevés par ses enfants dans le village de Buyungule, autour du parc national de Kahuzi-Biega. Crédit photo : Strong Roots Congo.

Garantir le régime foncier est vital pour de nombreuses communautés vivant dans la région située entre le parc national de Kahuzi-Biega et la réserve naturelle d’Itombwe. Étant donné que leurs moyens de subsistance dépendent fortement de la terre, la propriété foncière peut contribuer à assurer leur durabilité écologique et économique future. Mettre le régime foncier de ces communautés en sûreté est l’un des principaux objectifs du corridor de conservation que nous sommes en train d’établir entre les deux zones protégées. En assurant la gestion des forêts par les communautés, nous pouvons garantir leur propriété foncière tout en continuant de développer des plans de gestion de la conservation et des structures de gouvernance dirigés par elles, pour consolider la restauration écologique des forêts.

Cela peut sembler trop beau pour être vrai, mais ces communautés (7 chefferies) nous ont contactés et ont demandé du soutien pour cette initiative. Pour elles, la durabilité écologique est importante pour la subsistance, les traditions, et le bien être en général. Les régimes de gouvernance et de gestion des communautés forestières trouvent leur source légale dans le Community Forestry Law (Droit forestier communautaire) de la RDC de 2014. Strong Roots a joué un rôle clé dans la passation de cette loi. La désignation de forêt communautaire garantira aux communautés le droit de gérer leurs terres traditionnelles en utilisant leurs connaissances étendues des ressources au sein des forêts pour les objectifs de la conservation de la nature.

Les efforts de conservation descendants ont parfois généré du conflit avec les communautés locales dans le Bassin du Congo. Quelle est selon vous la solution à ce problème?

Dominique Bikaba: Le gouvernement congolais avait prévu d’étendre la taille du réseau de ses aires protégées pour la couverture de 17% du territoire national en 2020. Strong Roots pense que l’expansion du régime descendant qui domine la conservation en RDC compromet la préservation des riches mais fragiles écosystèmes qu’il cherche à protéger. Étant donnée l’hostilité des communautés à l’égard des aires protégées gérées par le gouvernement en RDC (à cause de l’expulsion de ces communautés lorsque ces aires ont été créés), la manière la plus judicieuse de les étendre sous les règles de la conservation, est l’approche de la “forêt communautaire” pour des aires conservées par les communautés locales et les populations indigènes. Cela est promu par Strong Roots avec le soutien du Consortium ICCA et de l’UICN dans la zone du Kahuzi – Itombwe.

L’approche de la forêt communautaire va du bas vers le haut et consiste en un engagement collaboratif avec les communautés locales. Cette approche se trouve au centre de notre projet de corridor de conservation comme brièvement décrit ci-dessus. Le projet teste la mise en place du Droit forestier communautaire comme conçu en 2014, et qui contribue au renforcement de la sûreté des régimes fonciers traditionnels et contraste fortement avec la démarche descendante. Notre approche permet de lutter contre la déforestation et de préserver la biodiversité, tout en améliorant le bien-être des populations locales et en réduisant la pauvreté. Elle fournira également un habitat supplémentaire pour le gorille des plaines orientales, espèce endémique et en danger critique d’extinction; les chimpanzés et d’autres espèces de la région.

Community members attending a meeting. Photo credit: Strong Roots Congo.
Réunion des gardiens des coutumes des chefferies de Basile et de Wamuzimu dans l’Est de la RDC pour le lancement d’un manuel sur les coutumes forestières et relatives à la faune, à l’intention des jeunes générations. Crédit photo : Strong Roots Congo.

La stratégie de la conservation descendante peut être efficace dans certains endroits et pour certaines situations. Cependant, comme nous l’avons vu en RDC, si elle est appliquée de manière autoritaire, elle peut éroder la confiance des communautés locales dont dépend le succès des initiatives de conservation. Une partie de la solution pour résoudre le conflit entre les communautés locales et les projets de la conservation descendante est l’engagement communautaire et la collaboration entre toutes les parties prenantes. C’est un élément central de notre approche: Nous avons fait de gros efforts pour nous assurer que nous collaborons, écoutons et partageons les informations à tous les niveaux de la communauté. Cela commence souvent par les dirigeants, puis se poursuit à d’autres groupes qui n’ont pas toujours l’impression d’être représentés dans la prise de décision, comme les femmes, les enfants et les populations indigènes. Nous expliquons l’importance de la conservation, de la restauration et de la durabilité des forêts. Dans les régions où les tensions sont fortes avec les organismes gouvernementaux de conservation, nous nous efforçons de jeter des ponts et de faire en sorte que les voix des communautés soient entendues et respectées.

La combinaison de controverses très médiatisées dans le domaine de la conservation ces dernières années et la réprobation mondiale qui a suivi le meurtre de George Floyd l’année dernière ont mis en lumière la discrimination, l’héritage colonial, l’inégalité et le manque d’inclusion dans le secteur de la conservation. Constatez-vous un effet de cette plus grande prise de conscience sur votre travail ?

Dominique Bikaba: Bien que Strong Roots ait plusieurs partenaires mondiaux, la direction et la gestion des projets sont totalement congolaises. En outre, la philosophie est celle de l’inclusion et les projets et priorités proviennent des besoins des populations.

Les communautés forestières locales, y compris les Batwa, jouent un rôle central dans tous les projets et fournissent des conseils sur la meilleure façon d’équilibrer la vie et les besoins humains avec ceux de la forêt et de la faune. La RDC est remplie d’organisations internationales, ce qui amène du personnel d’origines et de cultures différentes. Aucun membre du personnel de Strong Roots ou partenaire sur le terrain n’a jamais été victime de telles discriminations.

Lorsque vous collaborez avec des communautés locales qui ont une mauvaise expérience de la conservation, quels messages et arguments leur faites-vous passer pour expliquer l’importance de leur implication ?

Dominique Bikaba: Les communautés sont conscientes de la richesse en biodiversité et en minéraux contenue dans leurs terres traditionnelles. Elles savent aussi que le gouvernement pourrait y établir des aires protégées ou que les compagnies d’exploitation minières pourraient s’en saisir. Ainsi, les communautés locales ont d’abord contacté Strong Roots pour obtenir de l’aide pour la planification et pour la gestion de ces terres forestières. Elles considèrent la conservation et la durabilité de l’environnement comme cruciaux pour leur bien-être sur le long terme et comme une manière de se reconnecter avec leurs pratiques traditionnelles qui se centraient déjà autour de la nature.

Par exemple, après qu’environ 50 gorilles ont été tués dans le secteur de Cirere durant la création de la réserve naturelle d’Itombwe, le chef traditionnel de la localité de Burhinyi a déclaré que plus aucun grand singe ne devait être chassé ou tué dans les forêts de la chefferie. Après cette interdiction en 2010, il n’y a pas eu d’autres report ou de preuve de chasse de grand singe dans la région. Cette situation montre aussi tout le pouvoir qu’un chef traditionnel peut avoir sur sa communauté – bien plus qu’une loi qui n’est pas appliquée et qui reste de l’encre sur du papier.

Certaines de ces communautés, particulièrement celles qui se trouvent près du parc national du Kahuzi-Biega, ont été négativement impactées par de précédents efforts de conservation. L’établissement du parc dans les années 1970 a vu le déplacement de plusieurs populations indigènes qui dépendaient alors des forêts pour se nourrir, se loger, et avoir accès à des ressources. Nous collaborons de près avec ces communautés pour la garantie des terres à l’extérieur du parc pour l’agriculture et pour établir des activités de subsistance alternatives qui permettent le respect de leurs traditions et l’apprentissage de nouvelles compétences. Nous avons mené beaucoup de travail participatif à travers la zone du projet de corridor pour souligner l’interconnexion de la faune avec la santé de la forêt, comme les services de dispersion des graines fournis par des espèces telles que les éléphants et les gorilles. Nous discutons avec les gens des problèmes posés par la déforestation et la façon dont cela les impacte directement ou indirectement, ainsi que leurs familles.

Ils s’impliquent davantage lorsqu’ils réalisent que les initiatives de conservation relèvent aussi de leurs coutumes culturelles et de leur mode de vie. Nous ne pensons pas que les communautés soient les ennemis de la conservation: elles sont des éléments de la nature.

Dans des endroits tels que le Bwindi en Ouganda ou le parc national des volcans au Rwanda, l’argument est souvent souligné que les revenus du tourisme bénéficient aux communautés locales via des opportunités d’emploi. Mais le tourisme a été plus difficile en RDC à cause du conflit armé, est ce que cet argument s’applique quand même? Est-ce que les bénéfices du tourisme, lorsque ce dernier est possible, atteignent les communautés locales?

Dominique Bikaba: Comme vous l’avez justement souligné, le tourisme a ses défis en RDC. Cela est largement dû à une combinaison de problématiques sécuritaires à la fois réelles et perçues, et d’infrastructure touristique. Dans les conseils aux voyageurs de certains pays, il est fortement déconseillé de se rendre dans l’Est de la RDC pour des raisons de sécurité.

Pour ceux qui s’aventurent dans le Sud-Kivu, par exemple, la principale attraction touristique est le parc national de Kahuzi-Biega, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, et qui abrite quelques-uns des derniers gorilles de Grauer au monde. Lorsque les touristes visitent le parc, l’argent provenant du parc et des randonnées pour voir les gorilles va directement à la direction du parc, malgré les 40% de ces frais, qui sont censés, selon la loi, soutenir le développement local de la communauté. Cela s’appliquait lorsque le tourisme était encore en vogue, avant le milieu des années 1990, lorsque les troubles politiques et les guerres successives ont éclaté dans le pays.

Kahuzi-Biega National Park. Photo credit: Strong Roots Congo.
Bureau de la chefferie de Basile à Mwenga, province du Sud-Kivu. Crédit photo : Strong Roots Congo.

Les frais de voyage, d’hébergement et de restauration des touristes soutiennent les activités locales. De cette façon, les bénéfices vont directement aux personnes et aux communautés qui sont en première ligne de la conservation. Les touristes actuels sont principalement des personnes travaillant dans la région pour des ONG locales ou d’autres voyageurs venant d’autres parties de la RDC. Bien que ce ne soit pas une zone aussi commune ou accessible que le Bwindi en Ouganda ou le parc national des volcans au Rwanda, une fois dans l’Est de la RDC, l’argent généré par le tourisme constitue un avantage pour les communautés locales et nombre d’entre elles souhaitent le développer.

Quel a été l’impact de la pandémie sur vous et sur votre travail?

Dominique Bikaba: Le Covid-19 est venu exacerber une situation fragile et détériorée par l’instabilité politique et la pauvreté endémique. L’impact négatif du Covid-19 ne se fait pas uniquement sentir sur la santé des personnes, mais aussi et surtout sur la destruction des structures économiques et sociales. La plupart des gens vivent au jour le jour et sont incapables de planifier financièrement et au niveau de l’alimentation pour de longues périodes. Le confinement sans les équipements de santé nécessaires et sans infrastructure, rend difficile de savoir ce qui vient vraiment du Covid-19 et ce qui vient d’autres maladies. Mais, le fait d’être revenus de l’épidémie d’Ebola environ une année avant le Covid-19 a prédisposé les personnes à se battre contre cette pandémie.

Je suppose que c’est la principale raison pour laquelle les membres de la communauté ont été capables de surmonter la pandémie dans l’Est de la RDC.

Que peuvent faire de mieux les organisations internationales de conservation et les bailleurs de fonds pour soutenir les protagonistes de la base comme Strong Roots ?

Dominique Bikaba: Ce que les organisations de conservation de la nature et les bailleurs de fonds peuvent faire, c’est développer des relations de collaboration avec leurs partenaires sur le terrain, en gardant à l’esprit les objectifs globaux des projets. Cela peut paraître simple mais après avoir travaillé pendant de nombreuses années avec différentes agences internationales de protection de la nature, nous avons constaté que ces agences ainsi que les bailleurs de fonds peuvent souvent faire obstacle à la réussite globale du projet. Dans certains cas, les agences se font concurrence pour le crédit et la reconnaissance et ne collaborent pas correctement avec leurs autres partenaires. En conséquence, les communautés, la faune et les écosystèmes peuvent s’en voir affectés, tout cela pour une question d’image. Les organisations internationales devraient éviter la concurrence avec les organisations de base, pour le financement et la mise en œuvre de petits projets dans les communautés.

Dominique Bikaba. Photo credit: Strong Roots Congo.
Le professeur Beth Kaplin, de l’Université de Massachusetts Boston, en visite et en randonnée avec Dominique Bikaba dans le parc national de Kahuzi-Biega. Crédit photo : Strong Roots Congo.

Collaborer de manière efficiente et directe avec les protagonistes de la base pour la mise en œuvre des projets peut avoir de réelles conséquences positives pour la conservation. Nous avons récemment établi des partenariats avec différentes organisations internationales qui s’impliquent dans le travail collectif pour le succès général du projet. Il y a eu un dialogue sur l’avancement du projet de conservation, ce qui fait vraiment une grande différence pour sa mise en œuvre. Chaque partenaire a ses priorités mais il est informé de la portée globale du projet et reste engagé dans sa réussite. Cela nous permet de consacrer la majeure partie de notre temps à la réalisation effective du projet et rend les rapports plus simples et plus instructifs pour toutes les parties concernées.

Comment les gens peuvent-ils appuyer votre travail?

Dominique Bikaba: Diffuser les informations correctes et des exemples de réussite dans la région serait un bon début.

Un soutien direct aux organisations de base dans le pays peut faire une grande différence pour la conservation en RDC.

De même, assurer de bons partenariats et de bonnes connexions avec des partenaires et des organisations innovantes qui partagent notre intérêt commun serait une forme de soutien stratégique.

L’éducation est la clé! Fournir une éducation et une formation à notre personnel et aux membres de la communauté apporterait grandement à notre travail.

Je remercie l’UICN-NL, le Fonds international de conservation du Canada, la Fondation David et Lucile Packard, Good Energies, les fondations Erol et Mulago et The Tenure Facility de s’être joints à la Canadian Ape Alliance de l’Université de Toronto et à Partners In Conservation du Columbus Zoo and Aquarium pour soutenir ces programmes dans l’Est de la RDC.

Article original: https://news.mongabay.com/2021/07/overcoming-community-conservation-conflict-qa-with-dominique-bikaba/

Quitter la version mobile